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Mémoires de l'Impératrice Catherine II. by II, II, and Russia

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The Project Gutenberg EBook of Mmoires de l'Impratrice Catherine II., by Catherine II, Empress of Russia Catherine II, Empress of Russia This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: Mmoires de l'Impratrice Catherine II. crits par elle-mme Author: Catherine II, Empress of Russia Catherine II, Empress of Russia Translator: Aleksandr Herzen Release Date: January 24, 2014 [EBook #44749] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MMOIRES DE L'IMPRATRICE ***

Produced by Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images available at The Internet Archive)

Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont t corriges. L'orthographe d'origine a t conserve et n'a pas t harmonise.

MMOIRES DE L'IMPRATRICE CATHERINE II. CRITS PAR ELLE-MME, ET PRCDS D'UNE PRFACE PAR A. HERZEN. (DITION DE N. TRBNER & CIE.) LONDRES,

TRBNER & CIE, 60, PATERNOSTER ROW. 1859. _Le droit de traduction dans les langues anglaise et allemande est rserv._ JEAN CHILDS ET FILS, IMPRIMEURS.

PRFACE. Quelques heures aprs la mort de l'Impratrice Catherine, son fils, l'Empereur Paul, ordonna au comte Rostoptchine de mettre les scells sur les papiers de l'Impratrice. Il tait lui-mme prsent la mise en ordre de ces papiers. On y trouva la clbre lettre d'Alexis Orloff,[A]--par laquelle, d'un ton cynique et d'une main ivre, il annonait l'Impratrice l'assassinat de son mari, Pierre III,--et un manuscrit crit entirement de la main de Catherine; ce dernier tait contenu dans une enveloppe cachete, portant cette inscription: , , . (A Son Altesse Impriale, le Csarewitch, et grand-duc Paul, mon fils bien aim.) Sous cette enveloppe se trouvait le manuscrit des Mmoires que nous publions. Le cahier se termine brusquement vers la fin de 1759. On dit qu'il y avait des notes dtaches qui auraient d servir de matriaux pour la continuation. Il y a des personnes qui disent que Paul les a jetes au feu: il n'y a pas de certitude ce sujet. Paul tenait en grand secret le manuscrit de sa mre, et ne le confia jamais qu' son ami d'enfance, le prince Alexandre Kourakine. Celui-ci en prit une copie. Une vingtaine d'annes aprs la mort de Paul, Alexandre Tourgeneff et le prince Michel Worontzoff obtinrent des copies de l'exemplaire de Kourakine. L'Empereur Nicolas, ayant entendu parler de cela, donna ordre la police secrte de s'emparer de toutes les copies. Il y en avait, entr'autres, une ecrite, Odessa, par la main du clbre pote Pouschkine. Effectivement, les Mmoires de l'Impratrice Catherine II ne circulrent plus. L'Empereur Nicolas se fit apporter, par le comte D. Bloudoff, l'original, le lut, le cacheta avec le grand sceau de l'tat, et ordonna de le garder aux archives impriales, parmi les documents les plus secrets. A ces dtails, que j'extrais d'une notice qui m'a t communique, je dois ajouter que la premire personne qui m'en parla, fut le prcepteur de l'Empereur actuel, Constantin Arsenieff. Il me disait, en 1840, qu'il avait obtenu la permission de lire beaucoup de documents secrets sur les vnements qui suivirent la mort de Pierre I, jusqu'au rgne d'Alexandre I. Parmi ces documents, on l'autorisa lire les Mmoires de Catherine II. (Il enseignait alors l'histoire moderne de Russie au grand-duc, Hritier prsomptif.) Pendant la guerre de Crime on transfra les archives Moscou. Au mois de mars 1855, l'Empereur actuel se fit apporter le manuscrit pour le lire. Depuis ce temps une ou deux copies circulrent de rechef Moscou et Ptersbourg. C'est sur une de ces copies que nous publions les

Mmoires. Quand l'authenticit, il n'y a pas le moindre doute. Au reste il suffit de lire deux ou trois pages du texte pour tre convaincu. Nous nous sommes abstenus de faire des corrections de style, dans tous les cas o nous n'avions pas la conviction que la copie portait une faute de transcription. Passant aux mmoires eux-mmes, qu'avons-nous dire? Les premires annes de Catherine II--de cette femme-empereur, qui occupa plus d'un quart de sicle tous les esprits contemporains, depuis Voltaire et Frdric II jusqu'au Khan de Crime et aux chefs des Kirghis--_ses jeunes annes, racontes par elle-mme_!... Qu'y a-t-il, pour l'diteur, ajouter cela? En lisant ces pages, on la _voit venir_, on la voit se former telle qu'elle a t plus tard. Enfant espigle de quatorze ans, coiffe la Mose, blonde, foltre, fiance d'un petit idiot--le grand-duc--elle a dj le mal du palais d'hiver, la soif de la domination. Un jour, tant juche avec le grand-duc sur une fentre et plaisantant avec lui, elle voit entrer le comte Lestocq, qui lui dit: Faites vos paquets,--vous repartirez pour l'Allemagne. Le jeune idiot ne semble pas trs affect de cette sparation possible. Ce m'tait aussi une affaire assez indiffrente, dit la petite allemande, _mais la couronne de Russie ne me l'tait pas_, ajoute la grande-duchesse. Voil, en herbe, la Catherine de 1762! Rver la couronne au reste tait tout naturel,--dans cette atmosphre de la cour impriale,--non-seulement pour la fiance de l'hritier prsomptif, mais pour tout le monde. Le palefrenier Biren, le chanteur Rasoumowsky, le prince Dolgorouky, le plbien Menchikoff, l'oligarque Volynski,--tout le monde voulait avoir un lambeau du manteau imprial. La couronne de Russie tait--aprs Pierre I--une _res nullius_. Pierre I, terroriste et rformateur avant tout, n'avait aucun respect pour la lgitimit. Son absolutisme s'efforait d'aller mme au del de la tombe. Il se donna le droit de dsigner son successeur, et, au lieu de le faire, il se borna ordonner l'assassinat de son propre fils. Aprs la mort de Pierre I, les grands de l'tat s'assemblent pour aviser. Menchikoff arrte toute dlibration, et proclame impratrice son ancienne matresse, veuve d'un brave dragon sudois, tu sur le champ de bataille, et veuve de Pierre I, auquel Menchikoff l'avait cde par dvouement. Le rgne de Catherine I est court. Aprs elle, la couronne continue passer d'une tte l'autre, au hasard: de la ci-devant cabaretire livonienne un gamin (Pierre II); de ce gamin, qui meurt de la petite vrole, la duchesse de Courlande (Anne); de la duchesse de Courlande une princesse de Mecklenbourg, marie un prince de Brunswick, qui rgne au nom d'un enfant au berceau (Jvan); de l'enfant n _trop tard_ pour rgner, la couronne passe sur la tte d'une fille ne _trop tt_--Elisabeth. C'est elle qui reprsente la lgitimit. La tradition rompue, brise, le peuple et l'tat compltement spars par la rforme de Pierre I, les coups d'tat, les rvolutions de palais taient alors en permanence. Rien de stable. En se mettant au lit les habitants de Ptersbourg ne savaient jamais sous le gouvernement de qui

ils se rveilleraient. Aussi s'intressait-on fort peu ces changements, qui ne touchaient au fond que quelques intrigants allemands devenus ministres russes, quelques grands seigneurs blanchis dans le parjure et le crime, et le rgiment de Probrajensky, qui, l'instar des Prtoriens, disposait de la couronne. Pour les autres il n'y avait rien de chang. Et quand je dis les autres, je ne parle que de la noblesse et des employs: car de l'immensit silencieuse du peuple--du peuple courb, triste, ahuri, muet--personne ne s'inquitait; le peuple restait hors la loi, acceptant passivement l'preuve terrible qu'il plaisait au bon Dieu de lui envoyer, et ne se souciant gure, de son ct, des spectres qui montaient d'un pas chancelant les marches du trne, glissaient comme des ombres, et disparaissaient en Sibrie ou dans les casemates. Le peuple, dans tous les cas, tait sr d'tre pill. Son tat social tait donc l'abri de toute chance. Priode trange! Le trne imprial--comme nous l'avons dit ailleurs[B]--ressemblait au lit de Clopatre. Un tas d'oligarques, d'trangers, de pandours, de mignons conduisaient nuitamment un inconnu, un enfant, une allemande; l'levaient au trne, l'adoraient, et distribuaient, en son nom, des coups de knout ceux qui trouvaient y redire. A peine l'lu avait-il eu le temps de s'enivrer de toutes les jouissances d'un pouvoir exorbitant et absurde, et d'envoyer ses ennemis aux travaux forcs ou la torture, que la vague suivante apportait dj un autre prtendant, et entranait l'lu d'hier, avec tout son entourage, dans l'abme. Les ministres et les gnraux du jour s'en allaient le lendemain, chargs de fer, en Sibrie. Cette _bufera infernale_ emportait les gens avec une si grande rapidit, qu'on n'avait pas le temps de s'habituer leurs visages. Le marchal Munich, qui avait renvers Biren, le rejoignit, prisonnier lui-mme et les chanes aux pieds, sur un radeau arrt sur le Volga. C'est dans la lutte de ces deux allemands, qui se disputaient l'empire russe comme si c'et t une cruche de bire, que l'on peut retrouver le type vritable des coups d'tat du bon vieux temps. L'Impratrice Anne meurt, laissant, comme nous venons de le dire, la couronne un enfant de quelques mois, sous la rgence de son amant Biren. Le duc de Courlande tait tout puissant. Mprisant tout ce qui tait russe, il voulait nous civiliser par la schlague. Dans l'esprance de s'affermir, il fit prir avec une cruaut froide des centaines d'hommes, en exila plus de vingt mille. Il tait matre aussi dur qu'absolu. Cela ennuyait le marchal Munich. Celui-ci tait allemand aussi bien que Biren, mais de plus un trs bon guerrier. Un beau jour la princesse de Brunswick, la mre du petit empereur, se plaint Munich de l'arrogance de Biren. Avez-vous dj parl de cela quelqu'un? demande le marchal.--A personne.--Trs bien, taisez-vous, et laissez moi faire. C'tait le 7 septembre 1740. Le 8, Munich dne chez Biren. Aprs le diner, il laisse sa famille chez le rgent, et se retire pour un instant. Il va tout doucement chez la princesse de Brunswick, lui dit qu'elle doit se prparer pour la nuit, et rentre. On se met souper. Munich raconte ses campagnes, les batailles qu'il a gagnes. Avez-vous fait des expditions nocturnes? demande le comte de Lwenhaupt. J'en ai fait toutes les heures, reprend le marchal, un peu contrari. Le rgent, qui ne se sentait pas bien et tait couch sur un sopha, se redresse ces paroles et devient pensif. On se quitte en amis.

Arriv la maison, Munich ordonne son aide-de-camp, Manstein, d'tre prt deux heures. A deux heures il se met avec lui dans une voiture, et va droit au palais d'hiver. L il fait rveiller la princesse. Qu'avez-vous donc? demande le brave allemand, Antoine Ulrich de Braunschweig-Wolfenbttel, sa femme.--Une indisposition, rpond la princesse.--Et Antoine Ulrich se rendort comme une taupe. Pendant qu'il dort, la princesse s'habille, et le vieux guerrier parle aux soldats les plus janissaires du rgiment de Probrajensky. Il leur reprsente la position humiliante de la princesse, parle de sa reconnaissance future, et, tout en parlant, fait charger les fusils. Laissant alors la princesse sous la garde d'une _quarantaine_ de grenadiers, il va, avec _quatre vingts_ soldats, arrter le chef de l'tat, le terrible duc de Courlande. On traverse paisiblement les rues de Ptersbourg; on arrive au palais du rgent; on y entre, et Munich envoie Manstein pour l'arrter, mort ou vif, dans sa chambre coucher. Les officiers de service, les sentinelles, les domestiques regardent faire. S'il y et eu un seul officier ou soldat fidle, dit Manstein, dans ses mmoires, nous tions perdus. Mais il ne s'en trouva pas un seul. Biren, voyant les soldats, se sauve, en rampant, sous le lit. Manstein le fait retirer de l. Biren se dbat. On lui donne quelques coups de crosse de fusil, et on le porte au corps de garde. Le coup d'tat tait fait. Mais il va se passer une chose bien plus trange encore. Biren tait dtest, cela pouvait expliquer sa chute. La rgente, au contraire, bonne et douce crature--ne faisant de mal personne, et faisant beaucoup l'amour avec l'ambassadeur Linar--tait mme un peu aime, par haine pour Biren. Une anne passe. Tout est tranquille. Mais la cour de France est mcontente d'une alliance Austro-russe que la rgente venait de faire avec Marie-Thrse. Comment empcher cette alliance?--Rien de plus facile: faire un coup d'tat et chasser la rgente. Ici pas mme de marchal vnr par les soldats, pas mme un homme d'tat: il suffit d'un mdecin intrigant, Lestocq, et d'un intrigant ambassadeur, La Chtardie, pour porter au trne Elisabeth, la fille de Pierre I. Elisabeth, absorbe dans les plaisirs et dans de petites intrigues, pensait peu au renversement du gouvernement. On lui fait accroire que la rgente a l'intention de l'enfermer dans un couvent.--Elle, Elisabeth, qui passe son temps dans les casernes de la garde et dans les orgies..... plutt se faire impratrice! C'est aussi ce que pense La Chtardie; et il fait plus que penser, il donne de l'or franais pour soudoyer une poigne de soldats. Le 25 novembre 1741, la grande-duchesse arrive, revtue d'une robe magnifique et la poitrine couverte d'une cuirasse brillante, au corps de garde du rgiment de Probrajensky. Elle expose aux soldats sa position malheureuse. Les soldats, gorgs de vin, lui crient: Ordonne, mre, ordonne, et nous les gorgeons tous! La charitable grande-duchesse recule d'horreur, et ordonne _seulement_ l'arrestation de la rgente, de son mari et de leur fils--le _bambino_-empereur. Et encore une fois mme reprsentation. Antoine-Ulrich de Braunschweig est rveill du plus profond sommeil; mais cette fois il ne peut se rendormir, car deux soldats l'enveloppent dans un drap de lit et le

portent dans un cachot, d'o il ne sortira que pour aller mourir en exil. Le coup d'tat est fait. Le nouveau rgne va comme sur des roulettes. Il ne manque encore une fois cette couronne trange... qu'un hritier. L'Impratrice, qui ne veut pas du petit Ivan, va en chercher un dans le palais piscopal du prince-vque de Lubeck. C'tait le neveu de l'vque et un petit-fils de Pierre I, orphelin sans pre ni mre, le _futur_ de la petite Sophie Auguste Frdrique, princesse d'Anhalt-Zerbst-Bernbourg, qui perdit tant de titres sonores et illustres pour s'appeler tout brivement.... _Catherine II_. Maintenant que l'on se figure, d'aprs ce que nous venons de dire, quel tait le milieu dans lequel la fatalit jeta cette jeune fille doue, en mme temps, et de beaucoup d'esprit, et d'un caractre pliant mais plein d'orgueil et de passion. Sa position Ptersbourg tait horrible. D'un ct sa mre, allemande acaritre, grognon, avide, mesquine, pdante, lui donnant des soufflets et lui prenant ses robes neuves, pour se les approprier; de l'autre, l'Impratrice Elisabeth, virago criarde, grossire, toujours entre deux vins, jalouse, envieuse, faisant surveiller chaque pas de la jeune princesse, rapporter chaque parole, prenant ombrage de tout, et cela, aprs lui avoir donn pour mari le bent le plus ridicule de son poque. Prisonnire dans le palais, elle n'ose rien faire sans autorisation. Si elle pleure la mort de son pre, l'Impratrice lui envoie dire que c'est assez; que son pre n'tait pas un roi pour le pleurer plus d'une semaine. Si elle montre de l'amiti pour quelqu'une des demoiselles d'honneur qu'on lui donne, elle peut tre sre qu'on la renverra. Si elle s'attache un domestique fidle, c'est encore plus sr qu'on le chassera. Ses rapports avec le grand-duc sont monstrueux, dgradants. Il lui fait des confidences sur ses intrigues amoureuses. Ivrogne depuis l'ge de dix ans, il vient une fois, la nuit, avin, entretenir sa femme des grces et des charmes de la fille de Biren; et, comme Catherine fait semblant de dormir, il lui donne un coup de poing pour l'veiller. Ce butor tient ct de la chambre coucher de sa femme une meute de chiens qui empeste l'air, et pend des rats, dans la sienne, pour les punir, selon les rgles du code militaire. Ce n'est pas tout. Aprs avoir offens, molest peu--peu tous les sentiments tendres de cette jeune femme, on commence les dpraver systmatiquement. L'Impratrice prend pour un dsordre qu'elle n'ait pas d'enfants. Mme Tchoglokoff lui en parle, en insinuant qu'enfin il faut sacrifier ses scrupules lorsqu'il s'agit _du bien de l'tat_, et finit par lui proposer de choisir entre Soltikoff et Narichkine. La jeune femme joue la niaise, prend les deux--plus Poniatowsky, et commence ainsi une carrire rotique, dans laquelle, pendant quarante ans, elle ne s'arrtera plus. Ce que cette publication a de grave pour la maison impriale de Russie, c'est qu'elle dmontre que non seulement cette maison n'appartient pas la famille de Romanoff, mais pas mme la famille de Holstein Gottorp. L'aveu de Catherine, sous ce rapport, est trs explicite--_le pre de l'Empereur Paul est Serge Soltikoff_.

La dictature impriale en Russie tche en vain de se reprsenter comme traditionelle et sculaire. Encore un mot avant de finir. En lisant ces mmoires, on est tout tonn qu'une chose soit oublie constamment, au point de ne paratre nulle part,--c'est _la Russie et le peuple_. Et c'est l le trait caractristique de l'poque. Le palais d'hiver, avec sa machine administrative et militaire, tait un monde part. Comme un navire flottant la surface, il n'avait de vrai rapport avec les habitants de l'ocan que celui de les manger. C'tait _l'Etat pour l'Etat_. Organis l'allemande, il s'imposait au peuple en vainqueur. Dans cette caserne monstrueuse, dans cette chancellerie norme, il y avait une raideur sche comme dans un camp. Les uns donnaient, transmettaient des ordres, les autres obissaient en silence. Il n'y avait qu'un seul point o les passions humaines rapparaissaient frmissantes, orageuses, et ce point, c'tait, au palais d'hiver, le foyer domestique, non de la nation--mais de l'tat. Derrire la triple ligne des sentinelles, dans ces salons lourdement orns, fermentait une vie fivreuse, avec ses intrigues et ses luttes, ses drames et ses tragdies. C'est l que les destins de la Russie s'ourdissaient, dans les tnbres de l'alcve, au milieu des orgies, _au del_ des dnonciateurs et de la police. Quel intrt pouvait donc prendre la jeune princesse allemande ce _magnum ignotum_, ce peuple sous-entendu, pauvre, demi-sauvage, qui se cachait dans ses villages, derrire la neige et les mauvais chemins, et n'apparaissait que comme un paria tranger dans les rues de Ptersbourg, avec sa barbe perscute, son habit prohib--et tolr seulement par mpris. Catherine n'entendit parler srieusement du peuple russe que bien longtemps aprs, lorsque le cosaque Pougatcheff, la tte d'une arme de paysans insurgs, menaait Moscou. Pougatcheff vaincu, le palais d'hiver oublia de rechef le peuple. Et je ne sais quand on s'en serait souvenu, s'il n'avait remis lui-mme son existence en mmoire ses matres, en se levant en masse en 1812, rejetant d'un ct l'affranchissement du servage prsent au bout des baonnettes trangres, et allant de l'autre mourir pour sauver une patrie qui ne lui donnait que l'esclavage, la dgradation, la misre--et l'oubli du palais d'hiver. Ce fut le second _memento_ du peuple russe. Esprons qu'au troisime on s'en souviendra un peu plus longtemps. A. HERZEN. LONDRES, 15 novembre 1858.

MMOIRES DE L'IMPRATRICE CATHERINE II,

CRITS PAR ELLE-MME.

Iire PARTIE. DEPUIS 1729, ANNE DE SA NAISSANCE, JUSQU'A 1751. La fortune n'est pas aussi aveugle qu'on se l'imagine. Elle est souvent le rsultat de mesures justes et prcises, non aperues par le vulgaire, qui ont prcd l'vnement. Elle est encore, plus particulirement, un rsultat des qualits, du caractre, et de la conduite personnelle. Pour rendre ceci plus palpable, j'en ferai le syllogisme suivant: Les qualits et le caractre seront la majeure; La conduite, la mineure; La fortune ou l'infortune, la conclusion. En voici deux exemples frappants: PIERRE III. CATHERINE II. PIERRE III, SON PRE ET SA MRE. La mre du premier, fille de Pierre I, mourut deux mois aprs l'avoir mis au monde, de phthisie, dans la petite ville de Kiel en Holstein, du chagrin de s'y voir tablie et d'tre aussi mal marie. Charles Frdric, duc de Holstein,--neveu de Charles XII, roi de Sude,--pre de Pierre III, tait un prince faible, laid, petit, malingre et pauvre (voyez le journal de Berkholz dans le magazin de Busching). Il mourut en l'anne 1739, et laissa son fils g peu prs de onze ans, sous la tutelle de son cousin Adolphe Frdric, vque de Lubeck, duc de Holstein, depuis roi de Sude, lu en consquence de la paix d'Abo, par la recommendation de l'Impratrice lisabeth. A la tte de l'ducation de Pierre III, se trouvait le grand-marchal de sa cour, Brummer, Sudois de naissance, et sous lui, le grand-chambellan Berkholz, auteur du journal ci-dessus cit, et quatre chambellans, dont deux--Adlerfeldt, l'auteur d'une histoire de Charles XII, et Wachmeister--taient Sudois, et les deux autres--Wolff et Madfeldt--Holsteinois. On levait le prince, pour le trne de Sude, dans une cour trop grande pour le pays o elle se trouvait, et laquelle tait partage en plusieurs factions, qui toutes s'entre-hassaient, et dont chacune voulait s'emparer de l'esprit du prince, qu'elle devait former, et par consquent lui inspirait l'aversion qu'elles avaient rciproquement contre les individus qui leur taient opposs. Le jeune prince hassait cordialement Brummer, et n'aimait aucun de ses entours parcequ'ils le gnaient. Ds l'ge de dix ans, Pierre III marquait du penchant pour la boisson. On l'obligeait beaucoup de prsentations, et on ne le quittait de vue ni jour ni nuit. Ceux qu'il aimait pendant son enfance et les premires annes de son sjour en Russie, taient deux vieux valets de chambre:

l'un, Cramer, Livonien; l'autre, Roumberg, Sudois. Celui-ci lui tait le plus cher: c'tait un homme assez grossier et rude, qui avait t dragon sous Charles XII. Brummer, et par consquent Berkholz, qui ne voyait que par les yeux de Brummer, tait attach au prince-tuteur et administrateur. Tout le reste tait mal-content de ce prince, et plus encore des entours de celui-ci. L'Impratrice lisabeth tant monte sur le trne de Russie, elle envoya le chambellan Korf en Holstein, demander son neveu que le prince-administrateur fit partir sur le champ, accompagn du grand-marchal Brummer, du chambellan Berkholz, et du chambellan Decken, neveu du premier. La joie de l'Impratrice fut grande son arrive. Elle partit peu aprs pour son couronnement Moscou. Elle tait rsolue de dclarer le prince son hritier, mais avant tout il devait confesser la religion grecque. Les ennemis du grand-marchal Brummer, et nommment le grand-chambellan comte Bestoujeff, et le comte M. Panin, qui avait t long-temps ministre de Russie en Sude, prtendaient avoir des preuves convainquantes en mains, comme quoi Brummer ds qu'il vit l'Impratrice dtermine dclarer son neveu hritier prsomptif de son trne, prit autant de soin gter l'esprit et le cur de son lve, qu'il en avait pris le rendre digne de la couronne de Sude. Mais j'ai toujours dout de cette atrocit, et j'ai cru que l'ducation de Pierre III avait t un conflit de circonstances malheureuses. Je raconterai ce que j'ai vu et entendu, et cela mme dveloppera bien des choses. J'ai vu Pierre III pour la premire fois lorsqu'il avait onze ans, Eutin, chez son tuteur le prince-vque de Lubeck, quelques mois aprs le dcs du duc Charles Frdric son pre. Le prince-vque avait rassembl chez lui toute sa famille, en 1739, Eutin, pour y mener son pupille. Ma grand-mre, mre du prince-vque, ma mre, sur de ce mme prince, taient venues de Hambourg avec moi. J'avais alors dix ans. Il y avait encore le prince Auguste et la princesse Anne, frre et sur du prince-tuteur et administrateur de Holstein, et c'est alors que j'ai entendu dire la famille assemble entr'elle, que le jeune duc inclinait la boisson, et que ses entours avaient de la peine l'empcher de se griser table; qu'il tait rtif et fougueux; qu'il n'aimait pas ses entours, et particulirement Brummer; qu'au reste il ne manquait pas de vivacit, mais qu'il tait d'une complexion malade et valtudinaire. Rellement la couleur de son visage tait ple, et il paraissait maigre et d'une constitution dlicate. A cet enfant ses entours voulaient donner l'apparence d'un homme fait, et cet effet on le gnait et le tenait dans une contrainte qui devait lui inculquer la fausset depuis le maintien jusque dans le caractre. Cette cour de Holstein, arrive en Russie, y fut bientt suivie par une ambassade Sudoise qui venait demander l'Impratrice son neveu pour succder au trne de Sude. Mais Elisabeth, qui avait dj dclar ses intentions par les prliminaires de la paix d'Abo, comme il est dit ci-dessus, rpondit la dite de Sude qu'elle avait dclar son neveu hritier du trne de Russie, et qu'elle s'en tenait aux prliminaires de la paix d'Abo, qui donnaient la Sude le prince-administrateur de Holstein pour hritier prsomptif la couronne. (Ce prince avait eu un frre an auquel l'Impratrice Elisabeth avait t fiance la mort de Pierre I. Ce mariage n'avait pas eu lieu, parce que le prince mourut, quelques semaines aprs les fianailles, de la petite vrole. L'Impratrice Elisabeth avait conserv pour sa mmoire beaucoup de sensibilit, dont elle donna des marques toute la famille de ce prince). Pierre III fut donc dclar hritier d'Elisabeth et grand-duc de Russie,

aprs qu'il eut fait sa confession de foi, selon le rit de la religion grecque. On lui donna pour l'instruire, Simon Thodorsky, depuis archevque de Pleskov. Le prince avait t baptis et lev dans le rit luthrien, le plus rigide et le moins tolrant. Comme, ds son enfance, il avait t toujours revche toute instruction, j'ai entendu dire ses entours qu' Kiel on avait eu mille peines, les dimanches et les jours de fte, pour le faire aller l'glise et pour lui faire remplir les actes de dvotion auxquels on le soumettait, et qu'il marquait la plupart du temps de l'irrligion vis--vis de Simon Thodorsky. Son Altesse Impriale s'avisait de disputer sur chaque point; souvent ses entours furent appels afin de couper court aux aigreurs et de diminuer la chaleur qu'il y mettait. Enfin, aprs bien des dboires, il se soumit ce que voulait l'Impratrice, sa tante, quoique, soit par prvention, par habitude, ou par esprit de contradiction, il ft sentir bien des fois qu'il aurait mieux aim s'en aller en Sude que de rester en Russie. Il garda Brummer, Berkholz, et ses entours Holsteinois jusqu' son mariage. On y avait joint quelques matres pour la forme: monsieur Isaak Wesselowsky, pour la langue russe: celui-ci venait, au commencement, rarement, et ensuite point du tout; l'autre, le professeur Stehlein, qui devait lui enseigner les mathmatiques et l'histoire, mais qui, au fond, jouait avec lui et lui servait de bouffon. Le matre le plus assidu tait Laud, matre de ballet, qui lui apprenait danser.

1744. Dans son appartement intrieur le grand-duc, d'abord, ne s'occupait d'autre chose que de faire faire l'exercice militaire une couple de domestiques qui lui avaient t donns pour le service de la chambre. Il leur donnait des grades et des rangs, et les dgradait selon sa fantaisie. C'taient de vrais jeux d'enfants et un enfantillage continuel. En gnral il tait trs enfant, quoiqu'il et dj seize ans. L'anne 1744, la cour de Russie tant Moscou, Catherine II y arriva avec sa mre, le 9 fvrier. La cour de Russie se trouvait divise alors en deux grandes fractions ou parties. A la tte de la premire, qui commenait se relever de son abaissement, tait le vice-chancelier comte Bestoujeff Rumine. Il tait infiniment plus craint qu'aim, excessivement intrigant et souponneux, ferme et intrpide dans ses principes, pas mal tyrannique, ennemi implacable, mais ami de ses amis, qu'il ne quittait que quand ceux-ci lui tournaient le dos; d'ailleurs difficile vivre et souvent minutieux. Il tait la tte du dpartement des affaires trangres. Ayant combattre les entours de l'Impratrice, il avait eu du dessous avant le voyage de Moscou; mais il commenait se remettre. Il tenait pour la cour de Vienne, pour celle de Saxe, et pour l'Angleterre. L'arrive de Catherine II et de sa mre ne lui faisait point plaisir: c'tait l'ouvrage secret de la faction qui lui tait oppose. Les ennemis du comte Bestoujeff taient en grand nombre, mais il les faisait tous trembler. Il avait sur eux l'avantage de sa place et de son caractre, qui lui en donnait infiniment sur les politiques de l'antichambre. Le parti oppos Bestoujeff tenait pour la France, sa protge la Sude, et le Roi de Prusse. Le marquis de la Chtardie en tait l'me. Les courtisans venus du Holstein en taient les matadores. Ils avaient gagn Lestocq, un des principaux acteurs de la rvolution qui avait

port l'Impratrice Elisabeth au trne de Russie. Celui-ci avait une grande part dans sa confiance. Il avait t son chirurgien depuis le dcs de l'Impratrice Catherine I, laquelle il avait t attach; il avait rendu la mre et la fille des services essentiels; il ne manquait ni d'esprit, ni de manges, ni d'intrigues, mais il tait mchant et d'un cur noir et mauvais. Tous ces trangers l'paulaient et portaient en avant le comte Michel Woronzoff, qui avait aussi eu part la rvolution, et avait accompagn Elisabeth la nuit qu'elle monta sur le trne. Elle lui avait fait pouser la nice de l'Impratrice Catherine I, la comtesse Anna Karlovna Skavronsky, qui avait t leve prs de l'Impratrice Elisabeth, et qui lui tait trs attache. De cette faction encore s'tait rang le comte Alexandre Roumianzoff, le pre du marchal, qui avait sign la paix d'Abo avec la Sude, paix pour laquelle Bestoujeff avait t peu consult. Ils comptaient encore sur le procureur-gnral, Troubetzkoy, sur toute la famille Troubetzkoy, et par consquent sur le prince de Hesse-Hombourg, qui avait pous une princesse de cette maison. Le prince de Hesse-Hombourg, trs considr alors, n'tait rien par lui-mme, et sa considration lui venait de la nombreuse famille de sa femme dont le pre et la mre vivaient encore: celle-ci tait fort considre. Le reste des entours de l'Impratrice consistait alors dans la famille Schouvaloff. Ceux-ci balanaient en tout point le grand-veneur Razoumovsky qui, pour le moment, tait le favori en titre. Le comte Bestoujeff savait tirer parti de ceux-ci; mais son principal soutien tait le baron Tcherkassoff, secrtaire du cabinet de l'Impratrice, et qui avait servi dj dans le cabinet de Pierre I. C'tait un homme rude et opinitre, qui voulait l'ordre et la justice, et tenir toute chose en rgle. Tout le reste de la cour se rangeait d'un ct ou de l'autre, selon ses intrts ou ses vues personnelles. Le grand-duc parut se rjouir de l'arrive de ma mre et de la mienne. J'tais dans ma quinzime anne. Pendant les premiers jours il me marqua beaucoup d'empressement. Ds-lors, et pendant ce court espace de temps, je vis et je compris qu'il ne faisait pas beaucoup de cas de la nation sur laquelle il tait destin rgner; qu'il tenait au luthrianisme; qu'il n'aimait pas ses entours, et qu'il tait fort enfant. Je me taisais et j'coutais, ce qui me gagna sa confiance. Je me souviens qu'il me dit, entre autres choses, que ce qui lui plaisait le plus en moi, c'tait que j'tais sa cousine, et qu' titre de sa parente il pourrait me parler cur ouvert; ensuite de quoi il me dit qu'il tait amoureux d'une des filles d'honneur de l'Impratrice, qui avait t renvoye de la cour lors du malheur de sa mre, une madame Lapoukine, qui avait t exile en Sibrie; qu'il aurait bien voulu l'pouser, mais qu'il tait rsign m'pouser moi, parce que sa tante le dsirait. J'coutais ces propos de parentage en rougissant, et le remerciant de sa confiance prmature; mais au fond de mon cur je regardais avec tonnement son imprudence et manque de jugement sur quantit de choses. Le dixime jour aprs mon arrive Moscou, un samedi, l'Impratrice s'en alla au couvent de Trotza. Le grand-duc resta avec nous Moscou. On m'avait dj donn trois matres: l'un, Simon Thodorsky, pour m'instruire dans la religion grecque; l'autre, Basile Adadouroff, pour la langue russe; et Laud, matre de ballet, pour la danse. Pour faire des progrs plus rapides dans la langue russe, je me levais la nuit sur mon lit, et, tandis que tout le monde dormait, j'apprenais par cur les cahiers qu'Adadouroff me laissait. Comme ma chambre tait chaude et que je n'avais aucune exprience sur le climat, je ngligeais de me

chausser, et j'tudiais comme je sortais de mon lit. Aussi ds le quinzime jour je pris une pleursie qui pensa m'emporter. Elle se dclara par un frisson qui me prit, le mardi, aprs le dpart de l'Impratrice pour le couvent de Trotza, au moment que je m'tais habille pour aller diner avec ma mre chez le grand-duc. J'obtins avec difficult de ma mre la permission d'aller me mettre au lit. Lorsqu'elle revint du diner elle me trouva presque sans connaissance, avec une forte chaleur et une douleur insupportable au ct. Elle s'imagina que j'allais avoir la petite vrole, envoya chercher des mdecins, et voulut qu'ils me traitassent en consquence. Ceux-ci soutenaient qu'il fallait me saigner. Elle ne voulut jamais y consentir, et dit que c'tait en saignant son frre qu'on l'avait fait mourir de la petite vrole en Russie, et qu'elle ne voulait pas qu'il m'en arrivt autant. Les mdecins et les entours du grand-duc, qui n'avaient pas eu la petite vrole, envoyrent l'Impratrice faire un rapport exact de l'tat des choses, et je restai dans mon lit, entre ma mre et les mdecins qui se disputaient, sans connaissance, avec une fivre brulante et une douleur au ct qui me faisait souffrir horriblement et pousser des gmissements pour lesquels ma mre me grondait, voulant que je supportasse mon mal patiemment. Enfin, le samedi soir, sept heures, c'est dire le cinquime jour de ma maladie, l'Impratrice revint du couvent de Trotza, et en mettant pied terre de la voiture, elle entra dans ma chambre et me trouva sans connaissance. Elle avait sa suite le comte Lestocq et un chirurgien, et, aprs avoir entendu l'avis des mdecins, elle s'assit elle-mme sur le chevet de mon lit et me fit saigner. Au moment que le sang partit je revins moi, et en ouvrant les yeux, je me vis entre les bras de l'Impratrice qui m'avait souleve. Je restai entre la vie et la mort pendant 27 jours, durant lesquels on me saigna seize fois, et quelquefois quatre fois dans un jour. On ne laissait presque plus entrer ma mre dans ma chambre. Elle continuait d'tre contre ces frquentes saignes, et disait tout haut qu'on me faisait mourir. Cependant elle commenait tre persuade que je n'aurais pas la petite vrole. L'Impratrice avait mis prs de moi la comtesse Roumianzoff et plusieurs autres femmes, et il paraissait qu'on se mfiait du jugement de ma mre. Enfin, l'abcs que j'avais dans le ct droit creva par les soins du mdecin Sanchs, Portugais. Je le vomis, et ds ce moment je revins moi. Je m'aperus tout de suite que la conduite qu'avait tenue ma mre pendant ma maladie, l'avait desservie dans tous les esprits. Quand elle me vit fort mal, elle voulut qu'on m'ament un prtre luthrien. On m'a dit qu'on me fit revenir, ou qu'on profita d'un moment o je revins moi, pour m'en faire la proposition, et que je rpondis: quoi bon? faites venir plutt Simon Thodorsky; je parlerai volontiers avec celui-ci. On me l'amena, et il parla avec moi, en prsence des assistants, d'une faon dont tout le monde fut content. Ceci me fit grand bien dans l'esprit de l'Impratrice et de toute la cour. Une autre petite circonstance nuisit encore ma mre. Vers Pques, ma mre, un matin, s'avisa de m'envoyer dire par une femme de chambre, de lui cder une toffe bleu et argent que le frre de mon pre m'avait donne, lors de mon dpart pour la Russie, parcequ'elle m'avait beaucoup plu. Je lui fis dire qu'elle tait la matresse de la prendre; qu'il tait vrai que je l'aimais beaucoup, parceque mon oncle me l'avait donne, voyant qu'elle me plaisait. Ceux qui m'entouraient, voyant que je donnais mon toffe contre-cur, et qu'il y avait si long-temps que j'tais alite entre la vie et la mort, et un peu mieux seulement depuis une couple de jours, se mirent dire entr' eux qu'il tait bien imprudent ma mre de causer une enfant mourante le moindre dplaisir, et que bien loin de vouloir s'emparer de cette toffe, elle aurait mieux fait de n'en pas faire mention. On alla conter cela l'Impratrice qui, sur

le champ, m'envoya plusieurs pices d'toffes riches, superbes, et, entre autres, une bleu et argent; mais cela fit chez elle du tort ma mre. On accusa celle-ci de n'avoir gure de tendresse pour moi, ni de mnagement. Je m'tais accoutume pendant ma maladie d'tre les yeux ferms; on me croyait endormie, et alors la comtesse Roumianzoff et les femmes disaient entr' elles ce qu'elles avaient sur le cur, et par l j'apprenais quantit de choses. Comme je commenais me mieux porter, le grand-duc venait passer la soire dans l'appartement de ma mre, qui tait aussi le mien. Lui et tout le monde avait paru prendre le plus grand intrt mon tat. L'Impratrice en avait souvent vers des larmes. Enfin, le 21 Avril 1744, jour de ma naissance, o commenait ma 15ime anne, je fus en tat de paratre en public, pour la premire fois aprs cette terrible maladie. Je pense que tout le monde ne fut pas trop difi de me voir. J'tais devenue maigre comme un squelette; j'avais grandi, mais mon visage et mes traits s'taient allongs, les cheveux me tombaient, et j'tais d'une pleur mortelle. Je me trouvais moi-mme laide faire peur, et je ne pouvais retrouver ma physionomie. L'Impratrice, ce jour-l, m'envoya un pot de rouge, et ordonna de m'en mettre. Avec le printemps et les beaux jours cessrent les assiduits du grand-duc chez nous. Il aimait mieux aller se promener et tirer dans les environs de Moscou. Quelquefois cependant il venait dner ou souper chez nous, et alors ses confidences enfantines vis--vis de moi continuaient, tandis que ses entours s'entretenaient avec ma mre, chez qui il venait beaucoup de monde, et o il y avait maint et maint pourparler qui ne laissait pas de dplaire ceux qui n'en taient pas, et entre autres au comte Bestoujeff dont tous les ennemis taient rassembls chez nous, entre autres le marquis de la Chtardie, qui n'avait encore dploy aucun caractre[C] de la cour de France, mais qui avait en poche ses lettres de crance d'ambassadeur. Au mois de mai, l'Impratrice s'en alla de nouveau au couvent de Trotza, o le grand-duc, moi, et ma mre, nous la suivmes. L'Impratrice, depuis quelque temps, commenait traiter ma mre avec beaucoup de froideur. Au couvent de Trotza la cause s'en dveloppa au clair. Une aprs-dner que le grand-duc tait venu dans notre appartement, l'Impratrice y entra l'improviste et dit ma mre de la suivre dans l'autre appartement. Le comte Lestocq y entra aussi. Le grand-duc et moi nous nous assmes sur une fentre en attendant. Cette conversation dura trs longtemps, et nous vmes sortir le comte Lestocq qui, en passant, s'approcha du grand-duc et de moi qui tions rire, et nous dit: Cette grande joie va cesser immdiatement. Et puis, se tournant vers moi, il me dit: Vous n'avez qu' faire vos paquets, vous repartirez tout de suite pour vous en retourner chez vous. Le grand-duc voulut savoir pourquoi cela. Il rpondit: C'est ce que vous saurez aprs; et s'en alla faire le message dont il tait charg et que j'ignorais. Il nous laissa, le grand-duc et moi, ruminer sur ce qu'il venait de nous dire. Les gloses du premier taient en paroles, les miennes en penses. Il disait: Mais si votre mre est fautive, vous ne l'tes pas. Je lui rpondis: Mon devoir est de suivre ma mre et de faire ce qu'elle m'ordonnera. Je vis clairement qu'il m'aurait quitte sans regret. Pour moi, vu ses dispositions, il m'tait peu prs indiffrent; mais la couronne de Russie ne me l'tait pas. Enfin la porte de la chambre coucher s'ouvrit, et l'Impratrice en sortit avec un visage fort rouge et un air irrit; et ma mre la suivait avec les yeux rouges et mouills de pleurs. Comme nous nous htions de descendre

de la fentre, o nous nous tions juchs, et qui tait assez haute, cela fit sourire l'Impratrice qui nous embrassa tous les deux et s'en alla. Lorsqu'elle fut sortie nous apprmes peu prs ce dont il tait question. Le marquis de la Chtardie qui autrefois, ou, pour mieux dire, son premier voyage en mission en Russie, avait t fort avant dans la faveur et la confidence de l'Impratrice, au second voyage se trouva dchu de ses esprances. Ses propos taient plus mesurs que ses lettres: celles-ci taient remplies du fiel le plus aigre. On les avait ouvertes, dchiffres; on y avait trouv les dtails de ses conversations avec ma mre et avec beaucoup d'autres personnes, sur les affaires du temps, et sur le compte de l'Impratrice; et comme le marquis de la Chtardie n'avait dploy aucun caractre,[D] l'ordre fut donn de le renvoyer de l'Empire. On lui ta l'ordre de St Andr et le portrait de l'Impratrice, mais on lui laissa tous les autres prsents en bijoux qu'il tenait de cette princesse. Je ne sais si ma mre russit se justifier dans l'esprit de l'Impratrice, mais tant il y a que nous ne partmes pas; toutefois ma mre continua tre traite avec beaucoup de rserve et trs froidement. J'ignore ce qui s'tait dit entre elle et de la Chtardie, mais je sais qu'un jour il s'adressa moi et me flicita d'tre coiffe en Moyse. Je lui dis que pour plaire l'Impratrice je me coifferais de toutes les faons qui pourraient lui plaire. Quand il entendit ma rponse, il fit une pirouette gauche, s'en alla d'un autre ct, et ne s'adressa plus moi. Revenues Moscou avec le grand-duc nous fmes plus isoles, ma mre et moi. Il venait chez nous moins de monde, et l'on me prparait faire ma confession de foi. Le 28 juin fut fix pour cette crmonie, et le lendemain, jour de St Pierre, pour mes fianailles avec le grand-duc. Je me souviens que le marchal Brummer s'adressa, pendant ce temps, plusieurs fois moi pour se plaindre de son lve, et il voulait m'employer pour corriger ou redresser son grand-duc; mais je lui dis que cela m'tait impossible, et que par l je lui deviendrais aussi odieuse que ses entours lui taient dj. Pendant ce temps ma mre s'attacha fort intimement au prince et la princesse de Hesse, et plus encore au frre de celle-ci, le chambellan de Retzky. Cette liaison dplaisait la comtesse Roumianzoff, au marchal Brummer, et tout le monde, et tandis qu'elle tait avec eux dans sa chambre, le grand-duc et moi nous tions faire tapage dans l'antichambre, et, en pleine possession de celle-ci: tous les deux nous ne manquions pas de vivacit enfantine. Aux mois de juillet l'Impratrice clbra Moscou la fte de la paix avec la Sude, l'occasion de laquelle on me forma une cour comme grande-duchesse de Russie, fiance, et tout de suite aprs cette fte l'Impratrice nous fit partir pour Kiev. Elle partit elle-mme quelque jours aprs nous. Nous allions petites journes, ma mre et moi, la comtesse Roumianzoff et une dame de ma mre dans le mme carrosse; le grand-duc, Brummer, Berkholz, et Decken dans un autre. Une aprs-diner le grand-duc, qui s'ennuyait avec les pdagogues, voulut venir avec ma mre et moi. Ds qu'il y fut, il ne voulut plus bouger de notre carrosse. Alors ma mre, qui s'ennuya d'aller avec lui et moi tous les jours, imagina d'augmenter la compagnie. Elle communiqua son ide aux jeunes gens de notre suite, parmi lesquels se trouvaient le prince Galitzine, depuis marchal de ce nom, et le comte Zachar Czernicheff. On prit une des voitures qui portaient nos lits, on y arrangea des bancs tout l'entour, et ds le lendemain, le grand-duc, ma mre et moi, le prince Galitzine, le comte Czernicheff, et encore un ou deux des plus jeunes de la suite y entrrent; et c'est ainsi que nous fmes le reste du voyage fort gament pour ce qui regardait notre voiture; mais tout ce

qui n'y entra pas fit schisme contre cet arrangement, qui dplaisait souverainement au grand-marchal Brummer, au grand-chambellan Berkholz, la comtesse Roumianzoff, la dame de ma mre, et tout le reste de la suite, parcequ'ils n'y entraient jamais, et tandis que nous riions pendant le chemin, ils pestaient et s'ennuyaient. De cette manire nous arrivmes au bout de trois semaines Koselsk, o nous attendmes trois autres semaines l'Impratrice, dont le voyage avait t retard en route par plusieurs incidents. Nous apprmes Koselsk, qu'en chemin il y avait eu plusieurs personnes d'exiles de la suite de l'Impratrice, et qu'elle tait de fort mauvaise humeur. Enfin la moiti d'aot elle arriva Koselsk, et nous y restmes encore avec elle jusqu' la fin d'aot. On y jouait, depuis le matin jusqu'au soir, au pharaon, dans une grande salle au milieu de la maison, et on y jouait gros jeu. Au reste tout le monde y tait fort l'troit. Ma mre et moi nous couchions dans la mme chambre, la comtesse Roumianzoff et la dame de ma mre dans l'antichambre, et ainsi du reste. Un jour que le grand-duc tait venu dans la chambre de ma mre et la mienne, tandis qu'elle crivait et avait sa cassette ouverte ct d'elle, il voulut y fureter par curiosit. Ma mre lui dit de n'y pas toucher, et rellement il s'en alla sauter par la chambre d'un autre ct. Mais en sautant a et l pour me faire rire, il accrocha le couvercle de la cassette ouverte et la renversa. Alors ma mre se fcha, et il y eut de grosses paroles entr'eux. Ma mre lui reprochait d'avoir renvers sa cassette de propos dlibr, et lui il criait l'injustice, l'un et l'autre s'adressant moi et rclamant mon tmoignage. Moi qui connaissais l'humeur de ma mre, je craignais d'tre soufflete si je n'tais de son avis; et ne voulant ni mentir ni dsobliger le grand-duc, je me trouvais entre deux feux. Nanmoins je dis ma mre que je ne pensais pas qu'il y et de l'intention de la part du grand-duc, mais qu'en sautant son habit avait accroch le couvercle de la cassette qui tait place sur un fort petit tabouret. Alors ma mre me prit partie, car quand elle tait en colre il lui fallait quelqu'un pour quereller. Je me tus et me mis pleurer. Le grand-duc, voyant que toute la colre de ma mre tombait sur moi parceque j'avais tmoign en sa faveur, et que je pleurais, accusa ma mre d'injustice et traita sa colre de furie; et elle lui dit qu'il tait un petit garon mal lev. En un mot il est difficile de pousser plus loin la querelle, sans se battre cependant, qu'ils ne le firent tous les deux. Depuis ce moment le grand-duc prit ma mre en grippe, et jamais il n'oublia cette querelle. Ma mre de son cot aussi lui garda noise,[E] et leur faon d'tre l'un vis--vis de l'autre contracta de la gne, de la mfiance, et une disposition l'aigreur. Ils ne s'en cachaient gure avec moi tous les deux. J'eus beau travailler les adoucir l'un et l'autre; je n'y russis que dans des circonstances momentanes. Pour se picoter l'un et l'autre avaient toujours tout prt quelque sarcasme lcher. Ma situation devenait par l tous les jours plus pineuse. Je tchais d'obir l'un et de complaire l'autre, et rellement le grand-duc avait alors avec moi plus d'ouverture de cur qu'avec personne, car il voyait que souvent ma mre me prenait partie, quand elle ne pouvait s'accrocher lui. Ceci ne me desservit point chez lui, parcequ'il se crut sr de moi. Enfin le 29 aot nous entrmes dans Kiev. Nous y restmes dix jours, aprs lesquels nous repartmes pour Moscou, de la mme manire absolument que nous y tions venus. Arrivs Moscou, tout cet automne se passa en comdies, ballets, et mascarades la cour. Malgr cela on voyait que l'Impratrice avait

souvent beaucoup d'humeur. Un jour que nous tions la comdie dans une loge vis--vis de Sa Majest, ma mre et moi avec le grand-duc, je remarquai que l'Impratrice parlait avec beaucoup de chaleur et de colre au comte Lestocq. Quand elle et fini, M. Lestocq la quittant vint dans notre loge, s'approcha de moi et me dit: Avez-vous vu comme l'Impratrice m'a parl? Je lui dis que oui. H bien, dit-il, elle est fort en colre contre vous.--Contre moi! et pourquoi? fut ma rponse. Parceque, dit-il, vous avez beaucoup de dettes. Elle dit qu'on peut puiser des puits, et que quand elle tait princesse, elle n'avait pas plus d'entretien que vous et toute une maison entretenir, et qu'elle prenait garde de s'endetter parcequ'elle savait que personne ne payerait pour elle. Il me dit tout cela d'un air fch et sec, afin qu'elle vt de sa loge, apparemment, comment il s'acquittait de sa commission. Les larmes me vinrent aux yeux et je me tus. Aprs qu'il et tout dit il s'en alla. Le grand-duc, qui tait ct de moi et qui avait entendu peu prs notre conversation, aprs m'avoir demand ce qu'il n'avait pas entendu, par des mines me donna connatre plutt que par des paroles, qu'il entrait dans l'esprit de madame sa tante, et qu'il n'tait pas fch qu'on m'eut gronde. Ceci tait assez sa mthode, et alors il croyait se rendre agrable l'Impratrice en entrant dans son esprit quand elle se fchait contre quelqu'un. Pour ma mre, quand elle apprit de quoi il tait question, elle dit que ce n'tait qu'une suite des peines qu'on s'tait donnes pour me tirer de ses mains, et que, comme on m'avait mise sur le pied d'agir sans la consulter, elle s'en lavait les mains. Ainsi l'un et l'autre se rangrent contre moi. Pour moi je voulus tout de suite mettre ordre mes affaires, et, ds le lendemain, je demandai mes comptes. Par ceux-ci je vis que je devais 17,000 roubles. Avant de partir de Moscou pour Kiev, l'Impratrice m'avait envoy 15,000 roubles et un grand coffre d'toffes simples, mais je devais tre habille en riches, ainsi tout compte fait je devais 2,000 roubles, et ceci ne me parut pas une somme excessive. Diffrentes causes m'avaient jete dans ces dpenses. Primo, j'tais arrive en Russie quatre habits c'tait le bout du changeait d'habit trois fois par tout mon linge, et je me servais trs mal quipe. Si j'avais trois ou monde, et cela une cour o l'on jour. Une douzaine de chemises faisait des draps de lit de ma mre.

Secondo, on m'avait dit qu'on aimait les prsents en Russie, et qu'avec de la gnrosit on se faisait des amis et on se rendait agrable. Tertio, on avait mis auprs de moi la femme la plus Russie, la comtesse Roumianzoff, qui tait toujours marchands et me prsentait journellement tout plein m'engageait prendre, et que souvent je ne prenais donner, parcequ'elle en avait grande envie. dpensire de la entoure de de choses qu'elle que pour les lui

Le grand-duc encore me cotait beaucoup, parcequ'il tait avide de prsents. L'humeur de ma mre aussi s'apaisait aisment avec quelque chose qui lui plaisait, et comme elle en avait alors souvent et particulirement avec moi, je ne ngligeais pas ce moyen que j'avais dcouvert. L'humeur de ma mre venait en partie de ce qu'elle tait parfaitement mal dans l'esprit de l'Impratrice, et de ce que celle-ci la mortifiait et l'humiliait souvent. Outre cela ma mre, que j'avais toujours suivie, ne voyait pas sans dplaisir que j'allasse devant elle, ce que j'vitais partout o je le pouvais; mais en public la chose tait impossible. En gnral je

m'tais fait une rgle de lui tmoigner le plus grand respect et toute la dfrence possible; mais cela ne m'aidait pas beaucoup, et il lui chappait toujours et en toute occasion quelque aigreur, ce qui ne lui faisait pas grand bien et ne prvenait pas les gens en sa faveur. La comtesse Roumianzoff, par des dits et redits et beaucoup de commrages, contribuait beaucoup, ainsi que plusieurs autres, mettre ma mre mal dans l'esprit de l'Impratrice. Cette voiture 8 places, durant le voyage de Kiev, y eut aussi une grande part. Tous les vieux en avaient t exclus, tous les jeunes y avaient t admis. Dieu sait quelle tournure on avait donne cet arrangement fort innocent au fond. Ce qu'il y avait de plus apparent, c'est que cela avait dsoblig tous ceux qui pouvaient y tre admis par leur rang, et qui s'taient vu prfrer ceux qui taient plus amusants. Au fond toute cette affaire venait de ce qu'on n'avait pas mis Betsky et les Troubetzkoy, en qui ma mre avait plus de confiance, du voyage de Kiev. A cela Brummer et la comtesse Roumianzoff avaient assurment contribu, et le carrosse 8 places, o ils ne furent pas admis, tait une sorte de rancune. Au mois de novembre le grand-duc prit Moscou la rougeole. Comme je ne l'avais pas eue, on usa de prcaution pour m'empcher de la gagner. Ceux qui entouraient ce prince ne vinrent pas chez nous, et tous les divertissements cessrent. Ds que cette maladie fut passe et l'hiver tabli, nous partmes de Moscou pour Ptersbourg, en traneaux; ma mre et moi dans un, le grand-duc et Brummer dans un autre. Nous ftmes le jour de naissance de l'Impratrice, 18 dcembre, Tver, d'o nous partmes le lendemain. Arrivs mi-chemin, au bourg de Chotilovo, le grand-duc, sur le soir, tant dans ma chambre, se trouva mal. On le mena dans la sienne et on le coucha. Il eut beaucoup de chaleur pendant la nuit. Le lendemain, l'heure de midi, nous allmes, ma mre et moi, dans sa chambre pour le voir. Mais peine eus-je pass le seuil de la porte que le comte Brummer vint au devant de moi et me dit de ne pas passer outre. J'en voulus savoir la raison; et il me dit que les taches de la petite vrole venaient de paratre chez le grand-duc. Comme je ne l'avais pas eue, ma mre m'emmena bien vte hors de la chambre, et il fut rsolu que nous partirions le jour mme, ma mre et moi, pour Ptersbourg, laissant le grand-duc et ses entours Chotilovo. La comtesse Roumianzoff et la dame de ma mre y restrent aussi, pour soigner, disait-on, le malade. On avait envoy un courrier l'Impratrice, qui nous avait devancs et tait dj Ptersbourg. A quelque distance de Novogorod nous rencontrmes l'Impratrice qui, ayant appris que la petite vrole s'tait dclare chez le grand-duc, revenait de Ptersbourg pour l'aller trouver Chotilovo, o elle s'tablit aussi longtemps que dura la maladie. Ds que l'Impratrice nous vit, et quoique ce ft au milieu de la nuit, elle fit arrter son traineau et le ntre, et nous demanda des nouvelles de l'tat du grand-duc. Ma mre lui dit tout ce qu'elle en savait, aprs quoi l'Impratrice ordonna au cocher d'aller, et nous continumes aussi notre chemin et arrivmes Novogorod vers le matin. C'tait un dimanche, et je m'en allai la messe, aprs quoi nous dinmes, et lorsque nous allions partir arrivrent le chambellan prince Galitzine et le gentilhomme de la chambre, Zachar Czernicheff, qui venaient de Moscou et allaient Ptersbourg. Ma mre se fcha contre le prince Galitzine, parcequ'il allait avec le comte Czernicheff, et que celui-ci avait fait je ne sais quel mensonge. Elle prtendait qu'il fallait le fuir comme un homme dangereux qui composait des histoires plaisir. Elle les bouda tous les deux, mais comme avec cette bouderie on s'ennuyait mourir, que du reste on n'avait pas de choix, qu'ils

taient plus instruits et avaient plus de conversation que les autres, je ne donnai point dans cette bouderie, ce qui m'attira de la part de ma mre quelques incartades. Enfin nous arrivmes Ptersbourg, o l'on nous logea dans une des maisons attenantes de la cour. Le palais n'tant pas assez grand alors pour que le grand-duc lui-mme y put loger, il occupait aussi une maison place entre le palais et la ntre. Mon appartement tait gauche du palais, celui de ma mre droite. Ds que ma mre vit cet arrangement, elle s'en fcha: primo, parcequ'il lui parut que mon appartement tait mieux distribu que le sien; secondo, parceque le sien tait spar du mien par une salle commune. Dans la vrit chacune de nous avait quatre chambres, deux sur le devant, deux sur la cour de la maison; les chambres taient gales et meubles d'toffes bleues et rouges sans aucune diffrence. Mais voici ce qui contribua beaucoup fcher ma mre. La comtesse Roumianzoff Moscou m'avait apport le plan de cette maison de la part de l'Impratrice, me dfendant de sa part de parler de cet envoi, et me consultant pour savoir comment nous loger. Il n'y avait pas choisir, les deux appartements tant gaux. Je le dis la comtesse, qui me fit sentir que l'Impratrice aimerait mieux que j'eusse un appartement part que de loger, comme Moscou, dans un appartement commun avec ma mre. Cet arrangement me plaisait aussi, parceque j'tais fort gne dans celui de ma mre, et qu' la lettre cette socit ne plaisait personne. Ma mre eut vent de ce plan qui m'avait t montr. Elle m'en parla, et je lui dis la pure vrit, comme la chose s'tait passe. Elle me gronda du secret que je lui en avais fait. Je lui dis qu'on me l'avait dfendu; mais elle ne trouva pas cette raison bonne, et, en gnral, je vis que de jour en jour elle s'irritait plus contre moi, et qu'elle tait brouille peu prs avec tout le monde, de faon qu'elle ne venait plus gure ni dner ni souper table, mais se faisait servir dans son appartement. Pour moi j'allais chez elle trois ou quatre fois par jour. Le reste du temps je l'employais apprendre la langue russe, jouer du clavecin, et je m'achetais des livres, de faon qu' quinze ans j'tais isole et assez applique pour mon ge. A la fin de notre sjour Moscou tait arrive une ambassade Sudoise, la tte de laquelle se trouvait le snateur Cedercreutz. Peu de temps aprs arriva encore le comte Gyllenbourg, pour notifier l'Impratrice le mariage du prince de Sude, frre de ma mre, avec une princesse de Sude. Le comte Gyllenbourg nous tait connu, avec beaucoup d'autres Sudois, lors du dpart du prince royal pour la Sude. C'tait un homme de beaucoup d'esprit, qui n'tait plus jeune, et dont ma mre faisait un trs grand cas. Pour moi je lui devais en quelques faons de l'obligation, car, Hambourg, voyant que ma mre faisait peu ou point de cas de moi, il lui dit qu'elle avait tort, et qu'assurment j'tais une enfant au-dessus de mon ge. Arriv Ptersbourg il vint chez nous, et, comme Hambourg il m'avait dit que j'avais une tournure d'esprit trs philosophique, il me demanda comment allait ma philosophie dans le tourbillon o j'tais place? Je lui contai ce que je faisais dans ma chambre. Il dit qu'une philosophe de quinze ans ne pouvait se connatre soi-mme, et que j'tais entoure de tant d'cueils, qu'il y avait tout craindre que je n'chouasse, moins que mon me ne fut d'une trempe tout--fait suprieure; qu'il fallait la nourrir avec les meilleures lectures possibles, et cet effet il me recommanda les vies illustres de Plutarque, la vie de Cicron, et les Causes de la grandeur et de la dcadence de la Rpublique romaine, par Montesquieu. Tout de suite je me fis chercher ces livres, qu'on eut de la peine trouver Ptersbourg alors, et je lui dis que j'allais lui tracer mon portrait, telle que je me connaissais, afin qu'il pt voir si je me connaissais ou non.

Rellement je mis mon portrait par crit, que j'intitulai:--Portrait du philosophe de quinze ans.--et je le lui donnai. Bien des annes aprs, et nommment l'anne 1758, j'ai retrouv ce portrait, et j'ai t tonne de la profondeur des connaissances sur moi-mme qu'il renfermait. Malheureusement je l'ai brl, cette anne-l, avec tous mes autres papiers, craignant d'en garder un seul dans mon appartement lors de la malheureuse affaire de Bestoujeff. Le comte Gyllenbourg me rendit quelques jours aprs mon crit. J'ignore s'il en a tir copie. Il l'accompagna d'une douzaine de pages de rflexions qu'il avait faites mon sujet, par lesquelles il tchait de fortifier en moi tant l'lvation de l'me et la fermet que les autres qualits du cur et de l'esprit. Je lus et relus plusieurs fois son crit, je m'en pntrai, et me proposai bien sincrement de suivre ses avis. Je me le promis moi-mme, et quand je me suis promis une chose moi-mme, je ne me souviens pas d'y avoir manqu. Ensuite je rendis au comte Gyllenbourg son crit, comme il m'en avait prie, et j'avoue qu'il a beaucoup servi former et fortifier la trempe de mon esprit et de mon me. Au commencement de fvrier, l'Impratrice revint avec le grand-duc de Chotilovo. Ds qu'on nous dit qu'elle arrivait nous allmes au-devant d'elle et la rencontrmes dans la grande salle, entre quatre et cinq heures du soir, peu prs dans l'obscurit. Malgr cela je fus presque effraye de voir le grand-duc, qui tait extrmement grandi, mais mconnaissable de figure. Il avait tous les traits grossis, le visage encore tout enfl, et l'on voyait, n'en pas douter, qu'il resterait fortement marqu. Comme on lui avait coup les cheveux, il avait une immense perruque qui le dfigurait encore plus. Il vint moi et me demanda si je n'avais pas de peine le reconnatre. Je lui bgayai mon compliment sur sa convalescence, mais au fait il tait devenu affreux. Le 9 fvrier il y eut une anne rvolue depuis mon arrive la cour de Russie. Le 10 fvrier 1745 l'Impratrice clbra le jour de naissance du grand-duc. Il commenait sa 17ime anne. Elle dna avec moi seule sur le trne. Le grand-duc ne parut pas en public ce jour-l, ni de longtemps encore. On n'tait pas press de le montrer dans l'tat o l'avait mis la petite vrole. L'Impratrice me graciosa beaucoup pendant ce dner. Elle me dit que les lettres russes que je lui avais crites Chotilovo lui avaient fait grand plaisir ( dire vrai elles taient de la composition de M. Adadourof, mais je les avais crites de ma main); quelle tait informe que je m'appliquais beaucoup apprendre la langue du pays. Elle me parla en russe et voulut que je lui rpondisse dans cette langue, ce que je fis, et alors elle voulut bien louer ma bonne prononciation. Ensuite elle me fit entendre que j'tais devenue plus jolie depuis ma maladie de Moscou; en un mot pendant tout le dner elle ne fut occupe qu' me donner des tmoignages de bont et d'affection. Je revins chez moi fort gaie et fort heureuse de mon dner, et tout le monde m'en flicita. L'Impratrice fit porter chez elle mon portrait que le peintre Caravaque avait commenc, et elle le garda dans sa chambre: c'est le mme que le sculpteur Falconnet a emport avec lui en France; il tait alors parlant. Pour aller la messe ou chez l'Impratrice il fallait que ma mre et moi nous passassions par les appartements du grand-duc, qui logeait tout prs de mon appartement: par consquent nous, le voyions souvent. Il venait aussi le soir passer quelques instants chez moi, mais sans nul empressement; au contraire il tait toujours bien aise de trouver quelque prtexte pour s'en dispenser, et rester chez lui entour de son

enfantillage ordinaire, dont j'ai dj parl. Peu de temps aprs l'arrive de l'Impratrice et du grand-duc Ptersbourg, ma mre eut un violent chagrin qu'elle ne put cacher; voici le fait. Le prince Auguste, frre de ma mre, lui avait crit Kiev, pour lui tmoigner son envie de venir en Russie. Ma mre tait instruite que ce voyage n'avait pour but que de se faire dfrer la majorit du grand-duc, qu'on voulait devancer, l'administration du pays de Holstein: c'est dire, qu'on dsirait retirer la tutelle des mains du frre ain devenu prince royal de Sude, pour donner l'administration du pays de Holstein, sous le nom du grand-duc majeur, au prince Auguste, frre pun de ma mre et du prince royal de Sude. Cette intrigue tait ourdie par le parti Holsteinois, contraire au prince royal de Sude, joint aux Danois qui ne pouvaient pardonner ce prince de l'avoir emport en Sude sur le prince royal de Danemark, que les Dalcarliens voulaient lire pour successeur au trne de Sude. Ma mre rpondit au prince Auguste, son frre, de Koselsk, qu'au lieu de se prter aux intrigues qui le poussaient agir contre son frre, il ferait mieux d'aller servir dans le service de Hollande, o il se trouvait, et de se faire tuer avec honneur, que de cabaler contre son frre et de se joindre aux ennemis de sa sur en Russie. Ma mre entendait par l le comte Bestoujeff qui soutenait toute cette intrigue pour nuire Brummer, et tous les autres amis du prince-royal de Sude, tuteur du grand-duc pour le Holstein. Cette lettre fut ouverte et lue par le comte Bestoujeff, et par l'Impratrice, qui n'tait pas du tout contente de ma mre, et trs irrite contre le prince-royal de Sude, lequel, men par sa femme, sur du roi de Prusse, s'tait laiss entraner par le parti franais dans toutes les vues de celui-ci, parfaitement contraires celui de la Russie. On lui reprochait son ingratitude, et on accusait ma mre de manquer de tendresse vis--vis de son frre pun, de ce qu'elle lui avait crit de se faire tuer, expression qu'on traitait de dure et d'inhumaine, tandisque ma mre, vis--vis de ses amis, se vantait d'avoir employ une expression ferme et sonnante. Le rsultat de tout cela fut que, sans gard aux dispositions de ma mre, ou plutt pour la piquer et faire dpit tout le parti Holstein-Sudois, le comte Bestoujeff obtint la permission pour le prince Auguste de Holstein, l'insu de ma mre, de venir Ptersbourg. Ma mre, quand elle apprit qu'il tait en chemin, en fut extrmement fche et afflige, et le reut fort mal. Mais lui, pouss par Bestoujeff, alla son train. On persuada l'Impratrice de le bien recevoir, ce qu'elle fit extrieurement. Cependant cela ne dura pas et ne pouvait durer, le prince Auguste par lui-mme n'tant pas un sujet distingu. Son extrieur mme ne prvenait pas en sa faveur; il tait fort petit et mal-tourn, ayant peu d'esprit et tant fort emport, d'ailleurs men par ses entours qui n'taient rien du tout eux-mmes. La btise, puisqu'il faut tout dire, de son frre fchait fort ma mre: en un mot elle tait peu prs au dsespoir de son arrive. Le comte Bestoujeff s'tant empar par les entours de ce Prince, de son esprit, fit d'une pierre bien des coups. Il ne pouvait ignorer que le grand-duc hassait Brummer autant que lui. Le prince Auguste ne l'aimait pas non plus, parcequ'il tait attach au prince-royal de Sude, sous prtexte de parent et comme Holsteinois. Ce prince se faufila avec le grand-duc en lui parlant continuellement du Holstein et l'entretenant de sa majorit future, de faon qu'il le porta presser lui-mme sa tante et le comte Bestoujeff de rechercher qu'on devant sa majorit. Pour cet effet il fallait le consentement de l'empereur romain. C'tait alors Charles VII, de la maison de Bavire. Mais sur ces entrefaites il

vint mourir, et cette affaire trana jusqu' l'lection de Franois I. Le prince Auguste ayant t assez mal reu de ma mre, et lui marquant peu de considration, diminua par l aussi le peu que le grand-duc en avait conserv pour ma mre. D'un autre ct, tant le prince Auguste que le vieux valet de chambre, favori du grand-duc, craignant apparemment mon influence future, entretenaient souvent le grand-duc de la faon dont il fallait traiter sa femme. Romberg, ancien dragon Sudois, lui disait que la sienne n'osait pas souffler devant lui, ni se mler de ses affaires; que quand elle voulait ouvrir la bouche seulement, il lui ordonnait de se taire; que c'tait lui qui tait le matre la maison, et qu'il tait honteux pour un mari de se laisser mener par sa femme, comme un bent. Le grand-duc, de son ct, tait discret comme un coup de canon, et quand il avait le cur gros et l'esprit rempli de quelque chose, il n'avait rien de plus press que de le conter ceux auxquels il tait habitu de parler, sans considrer qui il le disait. Aussi tous ces propos, le grand-duc me les conta tout franchement lui-mme la premire occasion o il me vit. Il croyait toujours bonnement que tout le monde tait de son avis, et qu'il n'y avait rien de plus naturel que cela. Je n'eus garde d'en faire confidence qui que ce ft, mais je ne laissai pas de faire des rflexions trs srieuses sur le sort qui m'attendait. Je rsolus de mnager beaucoup la confiance du grand-duc, afin qu'il pt au moins m'envisager comme une personne sre pour lui, laquelle il pt tout dire sans aucune consquence pour lui, quoi j'ai russi pendant longtemps. Au reste je traitais le mieux que je pouvais tout le monde, et me faisais une tude de gagner l'amiti, ou du moins de diminuer l'inimiti de ceux que je pouvais seulement souponner d'tre mal disposs en ma faveur. Je ne tmoignais de penchant pour aucun ct, ni me mlais de rien, avais toujours un air serein, beaucoup de prvenance, d'attention et de politesse pour tout le monde, et comme j'tais naturellement fort gaie, je vis avec plaisir que de jour en jour je gagnais l'affection du public, qui me regardait comme une enfant intressante, et qui ne manquait pas d'esprit. Je montrais un grand respect ma mre, une obissance sans bornes l'Impratrice, la considration la plus profonde au grand-duc, et je cherchais avec la plus profonde tude l'affection du public. L'Impratrice m'avait donn, ds Moscou, des dames et des cavaliers qui composaient ma cour. Peu de temps aprs mon arrive Ptersbourg elle me donna des femmes de chambre russes, afin, disait-elle, de me faciliter l'usage de la langue russe. Ceci m'accommoda beaucoup: c'taient toutes des jeunes personnes dont la plus ge avait peu prs vingt ans; ces filles taient toutes fort gaies, de faon que depuis ce moment je ne faisais que chanter, danser et foltrer dans ma chambre, depuis le moment de mon rveil jusqu' celui de mon sommeil. Le soir, aprs souper, je faisais entrer dans ma chambre coucher les trois dames que j'avais, les deux princesses Gagarine et Melle Koucheleff, et nous jouions au colin-maillard et toutes sortes de jeux selon notre ge. Toutes ces filles craignaient mortellement la comtesse Roumianzoff; mais comme elle jouait aux cartes, ou bien dans l'antichambre ou chez elle, depuis le matin jusqu'au soir, sans se lever de sa chaise que pour ses besoins, elle n'entrait gure chez moi. Au milieu de toute notre gat, il me prit fantaisie de distribuer le soin de tous mes effets entre mes femmes. Je laissai mon argent, mes dpenses, et mon linge entre les mains de Melle Schenck, la fille de chambre que j'avais amene d'Allemagne: c'tait une vieille fille, sotte et grogneuse, laquelle notre gat dplaisait souverainement; outre

cela elle tait jalouse de toutes ces jeunes compagnes qui allaient partager ses fonctions et mon affection. Je donnai tous mes bijoux Melle Joukoff: celle-ci ayant plus d'esprit et tant plus gaie et plus franche que les autres, commenait entrer en faveur chez moi. Mes habits je les confiai mon valet de chambre Timothe Yvreinoff; mes dentelles Melle Balkoff, qui ensuite pousa le pote Soumarokoff; mes rubans furent donns Melle Scorochodov l'aine, marie depuis Aristarque Kachkine; sa sur cadette, nomme Anne, n'eut rien, parcequ'elle n'avait que 13 14 ans. Le lendemain de ce bel arrangement, o j'avais exerc mon pouvoir central dans ma chambre, sans consulter me qui vive, il y eut comdie le soir. Pour y aller il fallait passer par les appartements de ma mre. L'Impratrice, le grand-duc, et toute la cour y vinrent. On avait construit un petit thtre dans un mange qui avait servi, du temps de l'impratrice Anne, au duc de Courlande dont j'occupais l'appartement. Aprs la comdie, quand l'Impratrice fut retourne chez elle, la comtesse Roumianzoff vint dans ma chambre, et me dit que l'Impratrice improuvait l'arrangement que j'avais fait de distribuer le soin de mes effets entre mes femmes, et qu'elle avait ordre de retirer les clefs de mes bijoux d'entre les mains de Melle Joukoff, pour les rendre Melle Schenck, ce qu'elle fit en ma prsence, aprs quoi elle s'en alla et nous laissa, Melle Joukoff et moi, avec une physionomie un peu allonge, et Melle Schenck triomphante de la confiance marque de l'Impratrice. Elle commena prendre avec moi des airs arrogants qui la rendirent plus sotte que jamais et moins aimable encore qu'elle ne l'tait dj. La premire semaine du grand carme j'eus une scne fort singulire avec le grand-duc. Le matin, lorsque j'tais dans ma chambre avec mes femmes, qui taient toutes trs dvotes, entendre chanter les matines qu'on disait dans l'antichambre, je reus de la part du grand-duc une ambassade. Il m'envoyait son nain pour me demander comment je me portais, et pour me dire qu' cause du grand carme il ne viendrait pas ce jour-l chez moi. Le nain nous trouva tous coutant les prires et remplissant exactement les prescriptions du carme, selon notre rite. Je rendis au grand-duc, par son nain, le compliment d'usage, et il s'en alla. Le nain revenu dans la chambre de son matre, soit que rellement il se trouvt difi de ce qu'il avait vu, ou qu'il voult par l engager son cher seigneur et matre, qui n'tait rien moins que dvot, d'en faire autant, ou par tourderie, se mit faire de grands loges de la dvotion qui rgnait dans mon appartement, et par l le mit de trs mauvaise humeur contre moi. La premire fois que je vis le grand-duc il commena par me bouder. Lui en ayant demand la raison, il me gronda beaucoup de l'extrme dvotion, selon lui, dans laquelle je me donnais. Je lui demandai qui lui avait dit cela, et alors il me nomma son nain comme tmoin oculaire. Je lui dis que je n'en faisais pas plus qu'il ne convenait, ce quoi tout le monde se soumettait, et dont on ne pouvait se dispenser sans scandale; mais il tait d'un avis contraire. Cette dispute finit comme la plupart finissent, c'est dire que chacun reste de son avis, et Son Altesse Impriale n'ayant pas durant la messe d'autre que moi qui parler, peu peu cessa de me bouder. Deux jours aprs j'eus une autre alarme. Le matin, tandis qu'on chantait les matines chez moi, Melle Schenck, tout effare, entra dans ma chambre et me dit que ma mre se trouvait mal, qu'elle s'tait vanouie. J'y courus de suite. Je la trouvai couche par terre sur un matelas, mais pas sans connaissance. Je pris la libert de lui demander ce qu'elle avait. Elle me dit qu'ayant voulu se faire saigner, le chirurgien avait eu la maladresse de la manquer quatre fois, aux deux mains et aux deux pieds, et qu'elle s'tait vanouie. Je savais

d'ailleurs qu'elle craignait la saigne; j'ignorais le dessein qu'elle avait de se faire saigner, ni mme qu'elle en avait besoin. Cependant elle me reprocha de prendre peu de part son tat, et me dit quantit de choses dsagrables ce sujet. Je m'excusai le mieux que je pus, lui avouant mon ignorance; mais voyant qu'elle avait beaucoup d'humeur, je me tus et tchai de retenir mes larmes, et ne m'en allai que lorsqu'elle me l'et ordonn avec assez d'aigreur. Revenue en pleurs dans ma chambre, mes femmes en voulaient savoir la cause: je la leur dis tout simplement. J'allais plusieurs fois dans la journe dans l'appartement de ma mre, et je m'y arrtais autant qu'il en fallait pour ne pas lui tre charge, ce qui tait un point capital chez elle, auquel j'tais si bien accoutume, qu'il n'y avait rien que j'aie tant vit dans ma vie que d'tre charge; et je me suis toujours retire l'instant o naissait dans mon esprit le soupon que je pouvais tre charge et par consquent produire de l'ennui. Mais je sais par exprience que tout le monde n'a pas le mme principe, parceque ma patience moi a souvent t mise l'preuve par ceux qui ne savent pas s'en aller avant que d'tre charge ou de faire natre de l'ennui. Pendant le carme ma mre eut un chagrin bien rel. Elle reut la nouvelle, au moment o elle s'y attendait le moins, que ma sur cadette, nomme Elisabeth, tait morte subitement l'ge de trois quatre ans. Elle en ft trs afflige. Je la pleurai aussi. Quelques jours aprs je vis, un beau matin, l'Impratrice entrer dans ma chambre. Elle envoya chercher ma mre et entra avec elle dans ma chambre de toilette, o, seules toutes les deux, elles eurent une longue conversation, aprs laquelle elles revinrent dans ma chambre coucher, et je vis que ma mre avait les yeux fort rouges et en pleurs. Par la suite de la conversation je compris qu'il avait t question entr'elles de l'vnement de la mort de l'empereur Charles VII, de la maison de Bavire, dont l'Impratrice venait de recevoir la nouvelle. L'Impratrice alors tait encore sans alliance, et elle balanait entre celle du roi de Prusse et celle de la maison d'Autriche: chacune d'elles avait des partisans. L'Impratrice avait eu les mmes griefs contre la maison d'Autriche que contre la France, laquelle tenait le roi de Prusse; et le Marquis de Botta, ministre de la cour de Vienne, avait t renvoy de Russie pour de mauvais propos sur le compte de l'Impratrice, ce que dans son temps on avait tch de faire passer pour une conspiration; le marquis de la Chtardie l'avait t aussi pour les mmes raisons. J'ignore le but de cette conversation, mais ma mre parut concevoir de grandes esprances et en sortit assez contente. Elle ne penchait pas du tout alors pour la maison d'Autriche. Pour moi, dans tout ceci, j'tais un spectateur trs passif, trs discret, et peu prs indiffrent. Aprs Pques, lorsque le printemps ft tabli, je tmoignai la comtesse Roumianzoff l'envie que j'avais d'apprendre monter cheval: elle m'en obtint l'agrment de l'Impratrice. Je commenais avoir des maux de poitrine la rvolution de l'anne, aprs la pleursie que j'avais eue Moscou, et je continuais d'tre d'une grande maigreur. Les mdecins me conseillaient de prendre du lait et de l'eau de Seltzer tous les matins. Ce fut dans la maison Roumianzoff, dans les casernes du rgiment d'Ismalofsky que je pris ma premire leon pour monter cheval. J'avais dj mont plusieurs fois Moscou, mais fort mal. Au mois de mai l'Impratrice, avec le grand-duc, palais d't. A ma mre et moi on nous assigna qui tait alors le long de la Fontanka, attenant I. Ma mre habitait dans ce btiment un ct, et s'en alla habiter le un btiment de pierre la maison de Pierre moi un autre. Ici

finirent toutes les assiduits du grand-duc pour moi. Il me fit dire tout net, par un domestique, qu'il demeurait trop loin de chez moi pour me venir voir souvent. Je sentis parfaitement son peu d'empressement, et combien peu j'tais affectionne. Mon amour propre et ma vanit gmirent tout bas; mais j'tais trop fire pour me plaindre: je me serais cru avilie si on m'avait tmoign de l'amiti que j'aurais pu prendre pour de la piti. Cependant quand j'tais seule je rpandais des larmes, tout doucement je les essuyais, et allais foltrer avec mes femmes. Ma mre me traitait aussi avec beaucoup de froideur et de crmonies: je ne manquais jamais d'aller chez elle plusieurs fois dans la journe. Au fond je sentais un grand ennui; mais je n'avais garde d'en parler. Cependant Melle Joukoff s'aperut un jour de mes pleurs et m'en parla: je lui donnai les meilleures raisons que je pus, sans lui dire les vraies. Je m'attachais plus que jamais gagner l'affection de tout le monde en gnral: grands et petits, personne n'tait nglig de ma part, et je me fis une rgle de croire que j'avais besoin de tout le monde, et d'agir en consquence pour m'acqurir la bienveillance, en quoi je russis. Aprs quelques jours de sjour au palais d't, o on commena parler des prparatifs de mes noces, la cour s'en alla demeurer Pterhoff, o elle fut plus rassemble qu'en ville. L'Impratrice et le grand-duc demeuraient en haut dans la maison que Pierre I avait btie; ma mre et moi en bas, dans les appartements du grand-duc. Nous dnions avec lui tous les jours, sous une tente, sur la galerie ouverte attenant son appartement; il soupait chez nous. L'Impratrice tait souvent absente, allant et l dans les diffrentes campagnes qu'elle avait. Nous nous promenions beaucoup pied, cheval et en carrosse. Je vis alors, clair comme le jour, que tous les entours du grand-duc, et nommment les gouverneurs, avaient perdu tout crdit et autorit sur lui. Les jeux militaires, dont ci-devant il se cachait, il les mettait en uvre, quasi en leur prsence. Le comte Brummer et le premier employ son ducation ne le voyaient presque plus qu'en public, pour le suivre. Le reste du temps il le passait la lettre dans la compagnie des valets, des enfantillages inous pour son ge, car il jouait aux poupes. Ma mre profitait des absences de l'Impratrice pour aller souper dans les campagnes de l'entour, et nommment chez le prince et la princesse de Hesse-Hombourg. Un soir qu'elle y tait alle cheval, moi tant aprs souper dans ma chambre qui tait de plein pied avec le jardin, une des portes y donnant, le beau temps me tenta; je proposai mes femmes et mes trois demoiselles d'honneur d'aller faire un tour dans le jardin. Je n'eus pas grand-peine les persuader. Nous tions huit, mon valet de chambre le neuvime, et deux valets nous suivaient: nous promenmes jusqu' minuit le plus innocemment du monde. Ma mre tant rentre, Melle Schenck qui avait refus de se promener avec nous, en grognant contre notre projet de promenade, n'eut rien de plus press que d'aller dire ma mre que j'tais sortie malgr ses reprsentations. Ma mre se coucha, et lorsque je rentrai avec ma troupe, Melle Schenck me dit d'un air triomphant, que ma mre avait envoy deux fois demander si j'tais rentre, parcequ'elle voulait me parler; et vu qu'il tait extrmement tard, lasse de m'attendre, elle s'tait couche. Je voulus courir tout de suite chez elle, mais je trouvai la porte ferme. Je dis la Schenck qu'elle aurait pu me faire appeler; elle prtendit qu'elle n'avait pu nous trouver; mais tout ceci n'tait qu'un jeu pour me chercher noise et me gronder: je le sentis parfaitement, et je me couchai avec beaucoup d'inquitude. Le lendemain, ds que je fus rveille, je m'en allai chez ma mre que je trouvai au lit. Je voulus m'approcher pour lui baiser la main, mais elle la retira avec beaucoup de colre, et me gronda d'une faon terrible de ce que j'avais os me

promener le soir sans sa permission. Je lui dis qu'elle n'avait pas t la maison. Elle nomma l'heure indue, et je ne sais tout ce qu'elle imagina de me dire pour me faire de la peine, afin de m'ter apparemment l'envie des promenades nocturnes; mais ce qu'il y avait de sr, c'est que cette promenade-l pouvait tre une imprudence, mais qu'elle tait la plus innocente du monde. Ce qui m'affligea le plus, c'est qu'elle nous accusa d'tre montes en haut dans l'appartement du grand-duc. Je lui dis que c'tait une calomnie abominable, ce dont elle se fcha de telle faon qu'elle parut tre hors d'elle-mme. J'eus beau me mettre genoux pour flchir sa colre, elle traita ma soumission de comdie et me chassa de la chambre. Je revins chez moi en pleurs. A l'heure du dner je montai en haut, avec ma mre toujours trs irrite, chez le grand-duc, qui me demanda ce que j'avais, mes yeux tant trs rouges. Je lui contai avec vrit ce qui s'tait pass. Il se rangea cette fois de mon ct, et accusa ma mre de caprices et d'emportements. Je le priai de ne lui en pas parler, ce qu'il fit, et peu peu la colre se passa; mais j'tais toujours traite trs froidement. De Pterhoff, la fin de Juillet, nous rentrmes en ville, o tout se prparait pour la clbration des noces. Enfin le 21 aot fut fix par l'Impratrice pour cette crmonie. A mesure que ce jour s'approchait, je devenais plus mlancolique. Le cur ne me prdisait pas grand bonheur: l'ambition seule me soutenait. J'avais au fond de mon cur un je ne sais quoi qui ne m'a jamais laiss douter un seul moment que tt ou tard je parviendrais devenir impratrice souveraine de Russie, de mon chef. Les noces se firent avec beaucoup de pompe et de magnificence. Le soir je trouvai dans mon appartement madame Crouse, sur de la premire femme de chambre de l'Impratrice, qu'elle venait de placer prs de moi comme premire femme de chambre. Ds le lendemain je m'aperus que cette femme faisait la consternation de toutes mes autres femmes, car voulant m'approcher d'une pour lui parler mon ordinaire, elle me dit: au nom de Dieu, ne m'approchez pas: on nous a dfendu de vous parler demi-voix. D'un autre ct mon cher poux ne s'occupait nullement de moi, mais tait continuellement avec ses valets, jouer aux militaires, les exerant dans sa chambre ou changeant d'uniforme vingt fois par jour. Je billais, je m'ennuyais, n'ayant pas qui parler, ou bien j'tais en reprsentations. Le troisime jour de mes noces, qui devait tre un jour de repos, la comtesse Roumianzoff me fit dire que l'Impratrice l'avait dispense d'tre auprs de moi, et qu'elle allait demeurer dans sa maison avec son mari et ses enfants: ceci je n'avais pas grand regret, car elle avait donn lieu bien des dites et redites. Les ftes du mariage durrent dix jours, au bout desquels nous allmes habiter, le grand-duc et moi, le palais d't o habitait l'Impratrice; et l'on commena parler du dpart de ma mre que je ne voyais pas tous les jours depuis mon mariage, mais qui s'tait fort adoucie mon gard depuis cette poque. Vers la fin de septembre elle partit. Le grand-duc et moi nous la conduismes jusqu' Krasno-Slo. Son dpart m'affligeait sincrement: je pleurai beaucoup. Quand elle fut partie nous retournmes en ville. En revenant au palais je demandai Melle Joukoff: on me dit qu'elle tait alle voir sa mre qui tait tombe malade. Le lendemain mme question de ma part, mme rponse de mes femmes. Vers midi l'Impratrice passa avec grande pompe de l'habitation d't celle d'hiver. Nous la suivmes dans ses appartements. Arrive dans sa chambre coucher de parade, elle s'y arrta, et aprs quelques propos indiffrents, elle se mit parler du dpart de ma mre, et parut me dire avec bont de modrer mon affliction ce sujet. Mais je pensai

tomber de mon haut quand elle me dit, en prsence d'une trentaine de personnes, qu' la prire de ma mre elle avait renvoy de chez moi Melle Joukoff, parceque ma mre craignait que je ne m'affectionnasse trop une fille qui le mritait si peu; et alors elle se mit parler avec une vivacit marque de la pauvre Joukoff. A dire la vrit, je ne fus nullement difie de cette scne, ni convaincue de ce que Sa Majest Impriale avanait, mais profondment afflige du malheur de Melle Joukoff, renvoye de la cour uniquement parcequ'elle me revenait mieux par son humeur sociable que mes autres femmes; car, disais-je en moi-mme, pourquoi l'a-t-on mise chez moi, si elle n'tait pas digne. Ma mre ne pouvait point la connatre, ne pouvait pas mme lui parler, ne sachant pas le russe, et la Joukoff ne savait pas d'autre langue; ma mre ne pouvait que s'en rapporter au dire imbcile de la Schenck qui n'avait gure de sens commun. Cette fille souffre pour moi, pensais-je, ergo il ne faut pas l'abandonner dans son malheur, dont ma seule affection est la cause. Je n'ai jamais t mme d'claircir si ma mre avait rellement pri l'Impratrice de renvoyer cette personne d'auprs de moi. Si cela est, ma mre a prfr les voies violentes aux voies de la douceur, car jamais elle ne m'a ouvert la bouche au sujet de cette fille. Cependant un seul mot de sa part aurait suffi pour me mettre au moins en garde contre un attachement au moins trs innocent. Au reste, d'un autre ct, l'Impratrice aurait pu aussi reprendre d'une manire moins tranchante. Cette fille tait jeune: il n'y avait qu' lui trouver un parti sortable, ce qui aurait t trs ais; mais au lieu de cela, on s'y prit comme je viens de le conter. L'Impratrice nous ayant congdis, nous passmes, le grand-duc et moi, dans nos appartements. Chemin faisant, je vis que l'Impratrice avait prvenu monsieur son neveu de ce qu'on venait de faire. Je lui dis mes objections ce sujet, et lui fis sentir que cette fille tait malheureuse, uniquement parcequ'on avait suppos que j'avais pour elle de la prdilection, et que puisqu'elle souffrait pour l'amour de moi, je me croyais en droit de ne pas l'abandonner, autant au moins qu'il dpendait de moi. Effectivement, tout de suite je lui envoyai, par mon valet de chambre, de l'argent; mais il me dit qu'elle tait dj partie avec sa mre et sa sur pour Moscou. J'ordonnai de lui envoyer ce que je lui destinais, par son frre qui tait sergent aux gardes. On vint me dire que celui-ci, avec sa femme, avait eu ordre de partir aussi, et qu'on l'avait plac dans un rgiment de campagne comme officier. A l'heure qu'il est j'ai de la peine donner tout ceci une raison plausible, et il me parat que c'tait faire mal gratis et par caprice, sans ombre de raison ni mme de prtexte. Mais les choses n'en restrent pas l encore. Par mon valet de chambre et mes autres gens, je cherchai faire trouver pour Melle Joukoff un parti sortable. On m'en proposa un: c'tait un sergent aux gardes, gentilhomme qui avait du bien, Travin. Il s'en alla Moscou pour l'pouser, s'il lui plaisait. Il l'pousa, et on le fit lieutenant dans un rgiment de campagne. Ds que l'Impratrice l'apprit, elle les exila Astracan. A cette perscution-l il est difficile de trouver des raisons. Au palais d'hiver nous tions logs, le grand-duc et moi, dans les appartements qui avaient dj servi pour nous. Celui du grand-duc tait spar du mien par un immense escalier qui servait aussi aux appartements de l'Impratrice. Pour venir chez lui ou lui chez moi, il fallait traverser le parvis de cet escalier, ce qui n'tait pas, surtout en hiver, la chose du monde la plus commode. Cependant lui et moi, nous faisions ce chemin bien des fois dans la journe. Le soir j'allais jouer dans son antichambre avec le chambellan Berkholz, tandis que le grand-duc foltrait dans l'autre chambre avec ses cavaliers. Ma partie de billard fut interrompue par la retraite de MM. Brummer et Berkholz

que l'Impratrice congdia d'auprs du grand-duc, la fin de l'hiver, de 1746, qui se passa en mascarades dans les principales maisons de la ville, qui taient alors trs petites. La cour et toute la ville y assistaient regulirement. La dernire se donna par le matre gnral de la police, Tatizcheff, dans une maison qui appartenait l'Impratrice et qui se nommait Smolnoy Dvoretz. Le milieu de cette maison de bois avait t consum par un incendie; il n'tait rest que les ailes, qui taient deux tages. On dansa dans l'une; mais pour aller souper, on nous fit passer, au mois de janvier, par la cour et la neige. Aprs le souper il fallut encore faire le mme trajet. Le grand-duc, revenu la maison, se coucha; mais le lendemain il se rveilla avec un trs grand mal de tte, qui l'empcha de se lever. Je fis appeler les mdecins qui dclarrent que c'tait une fivre chaude des plus violentes. On le transporta, vers le soir, de mon lit dans ma chambre d'audience, o, aprs l'avoir saign, on le coucha dans un lit qu'on y avait dress cet effet. On le saigna plusieurs fois. Il fut trs mal. L'Impratrice venait le voir plusieurs fois dans la journe, et me voyant la larme l'il, elle m'en sut gr. Un soir que je lisais les prires du soir dans un petit oratoire proche de ma chambre de toilette, je vis entrer Mme Ismaloff que l'Impratrice affectionnait beaucoup. Elle me dit