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274 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 6 - novembre-décembre 2015 MISE AU POINT Aspergillose bronchopulmonaire allergique : pour la pratique Allergic bronchopulmonary aspergillosis: state of the art C. Godet*, P. Germaud** * Service des maladies infectieuses et tropicales, CHU de Poitiers. ** Service de pneumologie, Institut du thorax, CHU de Nantes. D epuis la découverte de l’aspergillose broncho- pulmonaire allergique (ABPA) par Hinson en 1952, de nombreux travaux ont permis de mieux comprendre sa physiopathologie, de définir les critères diagnostiques et d’exacerbation et de développer les thérapeutiques. Depuis 1977, les critères diagnostiques ont évolué, jusqu’à leur simplification en 2013 par R. Agarwal et un groupe d’experts internationaux (1), qui ont également proposé des critères d’exacerbation et de rémission, et défini les stades évolutifs de cette maladie. Élements clés de la démarche diagnostique Investigations cliniques et biologiques Le diagnostic d’ABPA doit être envisagé chez des asthmatiques ayant un mauvais contrôle de leur asthme malgré un traitement adapté, des signes généraux, des signes cliniques inhabituels (expec- toration de moules bronchiques, voire hémoptysies) et/ou des signes radiologiques. L’ABPA est égale- ment rencontrée sur terrain de mucoviscidose et, plus rarement, décrite chez des patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive. L’hypersensibilité de type I à Aspergillus fumi- gatus est un critère obligatoire, déterminé soit par un test cutané positif, soit par des IgE spéci- fiques > 0,35 kUA/l. Le dosage des IgE totales constitue l’élément clé pour le diagnostic et le suivi de l’ABPA. Une élévation supé- rieure à 1 000 IU/ml aurait une bonne spécificité et permettrait de différencier ABPA et asthme sévère à Aspergillus spp. Cependant, lors du diagnostic précoce, les IgE totales peuvent être moins élevées, surtout si le patient est en période de rémission. L’hyperéosinophilie sanguine est le plus souvent supérieure à 500 éléments/mm 3 pendant les exa- cerbations ; un taux supérieur à 1 000 éléments/mm 3 a une bonne spécificité. Les IgG spécifiques d’Aspergillus fumigatus étaient dans les critères majeurs de diagnostic. Leur positi- vité n’est plus obligatoire si les autres critères sont présents. Leur taux est variable selon l’activité de la maladie. Les méthodes ELISA, mal standardisées, sont plus sensibles ; mais l’immunoélectrophorèse, avec plus de 2 arcs de précipitation, a une meilleure spécificité. L’isolement d’Aspergillus spp. dans les prélèvements respiratoires est inconstant, mais peut permettre la réalisation d’un antifongigramme, élément déter- minant pour le choix du traitement antifongique. La fréquence de la résistance d’Aspergillus spp. a aug- menté à 5-10 %. Elle est due, d’une part, à des sources environnementales (utilisation en agriculture de fon- gicides) et, d’autre part, aux résistances acquises lors de traitements prolongés des formes chroniques (2). Imagerie Bien que les plages de condensation alvéolaire soient décrites comme l’anomalie radiologique la plus fréquemment individualisée sur les radio- graphies thoraciques d’ABPA (3), un grand nombre de descriptions radiologiques actuelles reposent sur la tomodensitométrie (TDM) thoracique, ce qui modifie la sémiologie radiologique de cette maladie. La radiographie thoracique peut être normale dans 50 % des cas (4), ou présenter des anomalies labiles ou fixées. Parmi les lésions labiles sont observées des plages de condensation alvéolaire, des atélectasies lobaires ou segmentaires et des opacités tubulaires prenant un aspect linéaire en doigts de gant (3).

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Page 1: Aspergillose bronchopulmonaire allergique : pour la … · sur la tomodensitométrie (TDM) thoracique, ce qui modifie la sémiologie radiologique de cette maladie. La radiographie

274 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 6 - novembre-décembre 2015

MISE AU POINT

Aspergillose bronchopulmonaire allergique : pour la pratique Allergic bronchopulmonary aspergillosis: state of the art

C. Godet*, P. Germaud**

* Service des maladies infectieuses et tropicales, CHU de Poitiers.

** Service de pneumologie, Institut du thorax, CHU de Nantes.

Depuis la découverte de l’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA) par Hinson en 1952, de nombreux travaux ont permis

de mieux comprendre sa physiopathologie, de définir les critères diagnostiques et d’exacerbation et de développer les thérapeutiques. Depuis 1977, les critères diagnostiques ont évolué, jusqu’à leur simpli fication en 2013 par R. Agarwal et un groupe d’experts internationaux (1), qui ont également proposé des critères d’exacerbation et de rémission, et défini les stades évolutifs de cette maladie.

Élements clés de la démarche diagnostiqueInvestigations cliniques et biologiques

Le diagnostic d’ABPA doit être envisagé chez des asthma tiques ayant un mauvais contrôle de leur asthme malgré un traitement adapté, des signes généraux, des signes cliniques inhabituels (expec-toration de moules bronchiques, voire hémoptysies) et/ou des signes radiologiques. L’ABPA est égale-ment rencontrée sur terrain de mucoviscidose et, plus rarement, décrite chez des patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive.L’hypersensibilité de type I à Aspergillus fumi-gatus est un critère obligatoire, déterminé soit par un test cutané positif, soit par des IgE spéci-fiques > 0,35 kUA/l.Le dosage des IgE totales constitue l’élément clé pour le diagnostic et le suivi de l’ABPA. Une élévation supé-rieure à 1 000 IU/ml aurait une bonne spécificité et permettrait de différencier ABPA et asthme sévère à Aspergillus spp. Cependant, lors du diagnostic précoce, les IgE totales peuvent être moins élevées, surtout si le patient est en période de rémission.

L’hyperéosinophilie sanguine est le plus souvent supérieure à 500 éléments/mm3 pendant les exa-cerbations ; un taux supérieur à 1 000 éléments/mm3 a une bonne spécificité.Les IgG spécifiques d’Aspergillus fumigatus étaient dans les critères majeurs de diagnostic. Leur positi-vité n’est plus obligatoire si les autres critères sont présents. Leur taux est variable selon l’activité de la maladie. Les méthodes ELISA, mal standardisées, sont plus sensibles ; mais l’immunoélectrophorèse, avec plus de 2 arcs de précipitation, a une meilleure spécificité.L’isolement d’Aspergillus spp. dans les prélèvements respiratoires est inconstant, mais peut permettre la réalisation d’un antifongigramme, élément déter-minant pour le choix du traitement antifongique. La fréquence de la résistance d’Aspergillus spp. a aug-menté à 5-10 %. Elle est due, d’une part, à des sources environnementales (utilisation en agriculture de fon-gicides) et, d’autre part, aux résistances acquises lors de traitements prolongés des formes chroniques (2).

Imagerie

Bien que les plages de condensation alvéolaire soient décrites comme l’anomalie radiologique la plus fréquemment individualisée sur les radio-graphies thoraciques d’ABPA (3), un grand nombre de descriptions radiologiques actuelles reposent sur la tomodensitométrie (TDM) thoracique, ce qui modifie la sémiologie radiologique de cette maladie. La radiographie thoracique peut être normale dans 50 % des cas (4), ou présenter des anomalies labiles ou fixées. Parmi les lésions labiles sont observées des plages de condensation alvéolaire, des atélectasies lobaires ou segmentaires et des opacités tubulaires prenant un aspect linéaire en doigts de gant (3).

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La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 6 - novembre-décembre 2015 | 275

Points forts

A B

Figure 1. Aspect tomodensitométrique caractéristique d’une ABPA. Bronchectasies centrales et proximales (A) avec impactions mucoïdes (B) [tête de flèche].

BA

Figure 2. Aspect tomodensitométrique caractéristique d’une ABPA. Impactions mucoïdes hyperdenses (A) [tête de flèche] au sein de bronchectasies centrales et proximales (B).

» Le caractère hyperdense des impactions mucoïdes au scanner thoracique est caractéristique de l’asper­gillose bronchopulmonaire allergique (ABPA).

» La présence de bronchectasies et/ou d’impactions mucoïdes hyperdenses indique une maladie immuno­logique sévère avec une prédisposition à des rechutes récurrentes.

» Cinq aspects dans la gestion d’une ABPA sont primordiaux :1. la prévention ;2. le contrôle du processus inflammatoire ;3. la réduction du mucus et de l’obstruction bronchique ;4. la réduction de la charge fongique ;5. le contrôle de l’infection bactérienne.

Mots­clésAspergillose bronchopulmonaire allergique

Corticoïdes

IgE

Itraconazole

TDM

Highlights » High-attenuation mucus

(HAM) remains a major radio-logical sign in distinguishing ABPA from other causes of bronchiectasis. » The presence of bronchiec-

tasis and/or HAM indicates a severe immunological disorder with a predisposition to recur-rent relapses. » Five aspects defining the

management of ABPA:1. avoidance; 2. control of the inflammatory process;3. reduction of mucus and bron-chial obstruction;4. reduction of fungal burden;5. control of bacterial infection.

KeywordsAllergic bronchopulmonary aspergillosis

Corticosteroids

IgE

Itraconazole

TDM

Les lésions fixées sont dominées par des clartés tubulaires, annulaires ou aréolaires correspondant soit à des bronchectasies cylindriques ou variqueuses juxtaposées et vues en coupe, soit à des lésions de fibrose ou à un aspect d’emphysème accompagnant les bronchectasies (3). Des infiltrats périhilaires peuvent simuler des adénomégalies (1). La radiographie thoracique reste un outil simple de suivi des patients atteints d’ABPA. La TDM est plus sensible que la radiographie thoracique pour détecter des bronchectasies (figure 1), et permet ainsi une détection plus précoce de la progression des lésions pulmonaires (1). Elle précise le type habituellement variqueux des bronchectasies, leur siège volontiers segmentaire, leur caractère proximal prédominant

dans les lobes supérieurs (5). Elle précise également le siège et l’étendue des impactions mucoïdes. Les lésions fixées dans l’ABPA sont dominées par les bronchectasies centrales (73-95 %) [6]. En raison du manque de spécificité de la bronchectasie cen-trale dans le diagnostic de l’ABPA, et du fait qu’une proportion importante (40 %) d’ABPA présentent des bronchectasies “périphériques”, le terme central a récemment été supprimé (1). Dans 20 % des cas, les impactions mucoïdes présentent une hyper densité spontanée due à la présence de sel de calcium, d’ions fer, de manganèse ou de mucus desséché. Le terme HAM (High-attenuation mucus) est utilisé si le bouchon muqueux est visuellement plus dense que le muscle squelettique paraspinal normal (figure 2).

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MISE AU POINTAspergillose bronchopulmonaire allergique : pour la pratique

Ce signe est considéré comme caractéristique de l’ABPA (4). La présence de bronchectasies et/ou d’im-pactions mucoïdes hyperdenses indique une maladie immunologique sévère avec une prédisposition à des rechutes récurrentes (1). Des micronodules centro-lobulaires (32-90 %) et des signes d’arbre en bour-geons reflètent la présence de bronchioles dilatées remplies de mucus (1).Les cicatrices pulmonaires représentent le stade fibreux de la maladie, se traduisant par des opa-cités linéaires et des collapsus lobaires cicatriciels. Des cavités peuvent également être observées (3-21 %) [1]. Les anomalies pleurales comprennent épaississement, fibrose et, plus rarement, pneumo-thorax et pleurésie (1).Le développement d’une aspergillose pulmonaire chronique ou invasive peut compliquer une ABPA (7,2 %) [1].Une classification récente de l’ABPA a été définie, reposant sur la présence ou non de dilatations bronchiques au scanner et la présence ou non de signes de fibrose : ABPA-S (Serologic) et ABPA-CB (Central Bronchiectasis) selon, respectivement, l’ab-sence ou la présence de bronchectasies (ABPA-CB et ABPA-HAM), et ABPA-CB-ORF (Other Radiological Findings) [1]. La TDM est jugée normale chez un tiers des patients, alors étiquetés comme ABPA-S (1).

Explorations fonctionnelles

Les explorations fonctionnelles respiratoires per-mettent le suivi des patients. Elles dépendent de la pathologie sous-jacente. Lors des exacerbations, on note une majoration du syndrome obstructif ou du syndrome mixte. Les troubles de diffusion appa-raissent à un stade tardif, lors d’atteintes fibrosantes ou emphysémateuses.

Nouveaux critères diagnostiques de l’ABPA

Les nouveaux critères diagnostics de l’ABPA sont décrits dans le tableau.

Stratégie de prise en charge thérapeutique de l’ABPAPrincipes généraux de prise en charge

Cinq aspects dans la gestion d’une ABPA sont pri-mordiaux :1. la prévention ;2. le contrôle du processus inflammatoire ;3. l’amélioration du débit d’air des voies respiratoires

grâce à la réduction du mucus et de l’obstruction ;4. la réduction de la charge fongique ;5. le contrôle de l’infection bactérienne.

◆ PréventionL’Aspergillus spp. est un micro-organisme ubiquitaire qui se développe dans la terre et dans les débris végétaux, et qui peut être retrouvé dans l’habitat des patients. L’intérêt d’un conseiller médical en environnement intérieur a été validé dans l’éviction des allergènes d’acariens ainsi que dans l’éviction des moisissures (6).

◆ Contrôle du processus inflammatoireLes corticoïdes inhalés (CSI) ont transformé la prise en charge de l’asthme. Dans l’ABPA, un essai multi-centrique prospectif randomisé comparant béclomé-tasone et placebo a montré une absence de bénéfice et une augmentation de la fréquence d’isolement d’Aspergillus dans les expectorations du groupe actif (7). Une étude portant sur 23 patients ABPA sans bronchectasie traités par des CSI a montré une amé-lioration clinique subjective, sans contrôle complet de l’asthme et avec une augmentation de la valeur médiane du taux des IgE (8). L’impact des corticoïdes inhalés sur l’ABPA n’est pas clair et ceux-ci pourraient n’avoir d’intérêt que dans le contrôle de l’asthme. La corticothérapie systémique est le traitement de réfé-rence au stade initial de l’affection et lors des exacer-bations (1). Il n’existe pas de traitement consensuel, et plusieurs schémas thérapeutiques sont possibles :

➤ schéma 1 : prednisolone 0,5 mg/kg/j pendant 1 à 2 semaines, suivie d’un traitement alterné tous les 2 jours durant 6 à 8 semaines, puis d’une diminu-tion par paliers de 5 à 10 mg toutes les 2 semaines jusqu’à l’arrêt (9) ;

Tableau. Critères diagnostiques de l’aspergillose bronchopulmonaire allergique (1).

Présence d’une pathologie sous-jacente : asthme ou mucoviscidose

Critères obligatoires :

– Présence d’une hypersensibilité immédiate au test cutané aspergillaire ou IgE sp aspergillaires > 0,35 kUA/l

– IgE totales > 1 000 UI/ml

Autres critères (au moins 2 des 3) :

– Présence d’anticorps précipitants ou d’IgG positifs envers Aspergillus fumigatus

– Infiltrats radiologiques liés à une ABPA (transitoires/persistants/dilatations bronchiques)

– Hyperéosinophilie > 500 éléments/mm3 en l’absence de corticothérapie en cours ou préalable

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MISE AU POINT

➤ schéma 2 : prednisolone 0,75 mg/kg/j pendant 6 semaines, puis 0,5 mg/kg/j pendant 6 semaines, puis diminution par paliers de 5 mg toutes les 6 semaines jusqu’à l’arrêt (5, 10).Si la corticothérapie à court terme permet de réduire la fréquence des exacerbations et d’améliorer la fonction pulmonaire et la qualité de vie des patients, elle présente cependant de nombreux effets indési-rables à long terme et expose à des risques infectieux sévères.L’omalizumab a une place dans la prise en charge de certains patients atteints d’asthme sévère, en réduisant les symptômes, les exacerbations de l’asthme et les hospitalisations, avec un effet sur l’épargne des corticoïdes. Dans l’ABPA, l’omalizumab pourrait entraîner une diminution de la fréquence des exacerbations et permettre la réduction de la corticothérapie (11).

◆ Amélioration du débit d’air des voies respiratoires grâce à la réduction du mucus et de l’obstructionLa réalisation d’un drainage bronchique pluri-quotidien par le patient lui-même ainsi que par kinésithérapie respiratoire est souhaitable chez les patients dont les sécrétions bronchiques sont abondantes.En cas d’atélectasie, il est recommandé de traiter initialement par corticothérapie systémique et anti-fongiques pendant 2 ou 4 semaines ; si l’atélectasie n’est pas résolue, une bronchoscopie thérapeutique à visée de désobstruction doit être réalisée (1).

◆ Réduction de la charge fongiqueLes traitements antifongiques par voie systémique ont été recommandés en association avec la corticothérapie, afin de diminuer, voire d’éradiquer, la colonisation aspergillaire bronchique, avec pour effet la diminution, voire l’arrêt, de la corticothérapie. L’itraconazole est l’antifongique de référence dans cette indication. Il est utilisé lors de la première rechute de l’ABPA et dans les ABPA corticodépendantes. Deux essais contrôlés randomisés ont rapporté l’intérêt de l’itraconazole dans l’ABPA :

➤ Une étude en double-aveugle chez 55 patients corticodépendants atteints d’une ABPA et traités par itraconazole à la dose de 400 mg/j pendant 16 semaines versus placebo. Les résultats montrent une supériorité du traitement par itraconazole, avec une réduction des doses de corticoïdes, une diminution de l’hyperéosinophilie sanguine, des IgE totales et l’amélioration des paramètres

fonctionnels respiratoires (12). Dans cette étude, les patients non répondeurs à l’issue de la période en double insu étaient ensuite traités par itraconazole à demi-dose (200 mg/j pendant 16 semaines) en ouvert ; 31 % des malades du groupe itraconazole et 40 % de ceux du groupe placebo étaient à nouveau répondeurs à ce schéma thérapeutique. Ces résultats suggèrent l’intérêt d’un traitement antifongique d’entretien prolongé au-delà de 16 semaines. Depuis, cette notion a été renforcée par des données récentes suggérant de prolonger les antifongiques au-delà de 6 mois pour observer un bénéfice thérapeutique clinique, et jusqu’à 12 mois au moins pour un bénéfice clinique, immunologique et radiologique (13).

➤ Une étude en double-aveugle contre placebo chez 29 patients ABPA stables traités par itraconazole à la dose de 400 mg/j pendant 16 semaines. Les résultats montrent également une supériorité du traitement par itraconazole, avec une diminution de l’hyperéosinophilie sanguine, des IgE totales et de la fréquence des exacerbations sur 16 semaines (14).Le dosage de l’itraconazolémie est indispensable pour vérifier la bonne absorption du traitement, per-mettant l’efficacité thérapeutique et la prévention du développement de résistances d’Aspergillus spp.L’utilisation de l’itraconazole soulève plusieurs pro-blèmes, tels que les interactions médicamenteuses, le risque d’insuffisance surrénalienne en association avec les corticoïdes inhalés – ce risque concernant jusqu’à 50 % des patients traités (13) –, la toxicité hépatique et les troubles digestifs (13). Le vorico-nazole ou le posaconazole peuvent être utilisés en cas d’échec de l’itraconazole ou de résistance isolée à cet antifongique azolé.Le bénéfice de l’amphotéricine B par voie nébulisée dans la prise en charge de l’ABPA a été suggéré, avec une efficacité clinique, biologique et fonctionnelle respiratoire, et notamment la possibilité de diminuer les doses de corticoïdes (15).L’intérêt de la nébulisation de l’amphotéricine B liposomale est d’obtenir des concentrations in situ élevées, de s’affranchir des interactions médicamen-teuses, et de diminuer les toxicités potentielles des antifongiques systémiques, en raison de l’absence de passage plasmatique. Cette stratégie permet aussi de limiter l’émergence de souches résistantes aux azolés (15). Deux essais randomisés sur l’efficacité et la tolérance de la nébulisation de l’ampho téricine B liposomale en traitement d’entretien dans la prise en charge de l’ABPA sont actuellement en cours de recrutement, dont un en France (clinicaltrials.gov: NCT01857479 ; NCT02273661).

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MISE AU POINTAspergillose bronchopulmonaire allergique : pour la pratique

1. Agarwal R, Chakrabarti A, Shah A et al. Allergic broncho-pulmonary aspergillosis: review of literature and proposal of new diagnostic and classification criteria. Clin Exp Allergy 2013;43(8):850-73.2. Burgel PR, Baixench MT, Amsellem M et al. High preva-lence of azole-resistant Aspergillus fumigatus in adults with cystic fibrosis exposed to itraconazole. Antimicrob Agents Chemother 2012;56(2):869-74.3. McCarthy DS, Simon G, Hargreave FE. The radiological appearances in allergic broncho-pulmonary aspergillosis. Clin Radiol 1970;21(4):366-75.4. Agarwal R. Allergic bronchopulmonary aspergillosis: lessons for the busy radiologist. World J Radiol 2011; 3(7):178-81.5. Kraemer JP, Ott M, Kopferschmitt MC et al. Apport d’un conseiller médical en environnement intérieur dans un cas aspergillose pulmonaire invasive. Rev Mal Respir 2004;21(1):165-7.

6. Agarwal R, Gupta D, Aggarwal AN, Behera D, Jindal SK. Allergic bronchopulmonary aspergillosis: lessons from 126 patients attending a chest clinic in north India. Chest 2006;130(2):442-8.7. Inhaled beclomethasone dipropionate in allergic bron-chopulmonary aspergillosis. Report to the Research Com-mittee of the British Thoracic Association. Br J Dis Chest 1979;73(4):349-56.8. Agarwal R, Khan A, Aggarwal AN, Saikia B, Gupta D, Chakrabarti A. Role of inhaled corticosteroids in the manage-ment of serological allergic bronchopulmonary aspergillosis (ABPA). Intern Med 2011;50(8):855-60.9. Greenberger PA. Allergic bronchopulmonary aspergillosis. J Allergy Clin Immunol 2002;110(5):685-92.10. Vlahakis NE, Aksamit TR. Diagnosis and treatment of allergic bronchopulmonary aspergillosis. Mayo Clin Proc 2001;76(9):930-8.

11. Tillie-Leblond I, Germaud P, Leroyer C et al Allergic bronchopulmonary aspergillosis and omalizumab. Allergy 2011;66(9):1254-6.12. Stevens DA, Schwartz HJ, Lee JY et al. A randomized trial of itraconazole in allergic bronchopulmonary aspergillosis. N Engl J Med 2000;342(11):756-62.13. Chishimba L, Niven RM, Cooley J, Denning DW. Vori-conazole and posaconazole improve asthma severity in allergic bronchopulmonary aspergillosis and severe asthma with fungal sensitization. J Asthma 2012;49(4):423-33.14. Wark PA, Hensley MJ, Saltos N et al. Anti-inflammatory effect of itraconazole in stable allergic bronchopulmonary aspergillosis: a randomized controlled trial. J Allergy Clin Immunol 2003;111(5):952-7.15. Godet C, Meurice JC, Roblot F et al. Efficacy of nebulised liposomal amphotericin B in the attack and maintenance treatment of ABPA. Eur Respir J 2012;39(5):1261-3.

Références bibliographiques

◆ Contrôle de l’infection bactérienneLes exacerbations peuvent être en rapport avec des surinfections bactériennes (S. pneumoniae, H. influenzae) ou virales. Le choix de l’antibio-thérapie repose alors sur les données bactériolo-giques. La prévention vaccinale doit être proposée, même si son efficacité dans ces populations n’a été que peu étudiée.

Suivi des patients

Une surveillance toutes les 8 semaines est recom-mandée initialement (1) ou lors de l’apparition de nouveaux symptômes, comprenant :

➤ un examen clinique (si possible avec réalisation d’un questionnaire de qualité de vie) ;

➤ un dosage des IgE totales ; ➤ une évaluation fonctionnelle respiratoire ; ➤ une radiographie thoracique, voire une TDM

thoracique en cas de suspicion de complications évolutives ;

➤ une surveillance des effets secondaires des trai-tements utilisés.

Un déclin des IgE totales de plus de 25 % associé à une amélioration clinique et radiologique est en faveur d’une réponse thérapeutique.Une augmentation des IgE totales > 50 % associée à une aggravation clinique et/ou radiologique doit faire évoquer une exacerbation de l’ABPA.Une rémission est définie par l’absence d’exacerba-tion avec une stabilité des IgE totales pendant plus de 6 mois sans traitement spécifique.

Conclusion

L’ABPA ne doit plus être considérée comme une maladie orpheline, mais doit être recherchée chez les asthmatiques, voire chez des patients présentant des bronchopathies chroniques devant les signes radio-cliniques évocateurs. Le diagnostic précoce de la maladie et des exacerbations permet de pré-venir les séquelles radiologiques et fonctionnelles respiratoires. Une standardisation de la surveillance et du traitement est préconisée. Les antifongiques ont permis de diminuer le recours aux corticoïdes, mais leur utilisation doit être contrôlée. ■

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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