baudouin de mol - librinova.com
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BaudouindeMol
Miragesfroids
©BaudouindeMol,2021
ISBNnumérique:979-10-262-6654-9
Courriel:[email protected]
Internet:www.librinova.com
LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.
DUMÊMEAUTEUR
BalletrusseàCanaryWharf,roman,AnneCarrière2015.
LaRénovationquiParfumaitleChien,2007
Celivreestunroman.Toutyestimaginaire.
Lesréférencesàdesévénementshistoriquesneserventqu’àsituerlerécitdansletemps.
Touteressemblanceavecdespersonnesoudesfaitsexistantsneserait
biensûrquepurementfortuite.
Nemourezquederagedevivre.
AlexanderPope
Auxbraves.
Orléans(France),finjuin2008
«Dernieressai!»Qu’est-ceque…?Leguichetautomatiquerecrachemacartebancaire!M’énerve!Jeneluirefilepourtantpasunmistigri!?Attends.C’estpeut-êtreuneaubaine…Detoutefaçon,cesamedinousfaisonstoutàl’envers.Parce qu’il était enfin à moins dix pour cent, nous avons commencé par
achetercecoûteuxblenderpromettantpotagesetsmoothiespleinsdevitamines.Quelques courses alimentaires et de première nécessité plus tard, la lassitudes’était déjà emparée de moi : il y avait trop de monde et je n’aime pas leshopping.J’aimêmehorreurdeça.Voilàque,tentéeparlessoldes,Lisavoulait« faire lesboutiques» !Sansmêmeavoirpris son sac. J’avais argumentéquenousavionsdéjàdépensépasmald’argent,qu’ily avait laqueuepartout,quenouscharrionsdesdenréespérissables…Puisjem’étaistu.Unpeuhonteux:Lisan’estpasdépensièreetelleabienle
droit de s’offrir une nouvelle tenue d’été. Pour me racheter, je l’avaisaccompagnée, docile comme un caniche, chez Darel, Tommy Hilfiger, MaxMara.Oùellen’avaitrientrouvé.
Je viens de la laisser poursuivre ses recherches, le temps de venir retirer
quelquesbillets.Maisàprésentquelecaissierautomatiquearejetémonsésame,lafindenosemplettesetleretourauxpénatessontinéluctables.C’estaumoinsçadegagné,medis-je.N’empêche,cerefusdecartemeturlupine.J’aieuunepremière impulsion :
suspecterlajeunefillequiattendaitderrièremoi.Elleavaitcertainementtruquél’appareilpouressayerdeliremoncodesecret!Desoncôtépeut-êtrem’avait-elleprispourunfaussairetentantd’utiliserunecartedecrédittrafiquée?
Comme je suis plutôt scrupuleux dans la tenue de mes comptes, je me
confronteàmonéviction.Quellefauteai-jepucommettre?Moncomptea-t-ilétépiratéetvidé?Ai-jeétépiégéparunhameçonnage?Suis-jevictimed’un« écrémage », de la duplication des données sur la bandemagnétique de ma
carte?Quelqu’una-t-ilusurpémonidentité?Ducoup,ai-jesignéunchèqueenboispourpayerleblender?Défianceetdislocationsociétales…Lecielbleuestélectrique,lesoleilaveuglant,lebétonurbainrebutantcomme
une dictature constructiviste. Cet après-midi, la rue piétonne fourmille d’unefoulebigarrée,avideetvorace.Lesportesdetouteslesboutiquessontlargementouvertes,lessacssurlesquelsestimpriméleurlogosemultiplient:auxbrasdesclients,danslespaniersdespoussettes,accrochésauxguidonsdebicyclettes;lepoidsdublenderdanssoncartonmescielesdoigts.Lessoldes.Partoutdes rabais.Surdes tableauxenardoise,en liège,enbois,enalu, les
pourcentagesenchiffresmulticoloresaffichentdesdescentesvertigineuses.De-10%à-70%.Commesi lesmagasinsn’ysuffisentpas,danslaruedesétalsoccupent les trottoirs. Ils obstruent le passage. La folie consumériste emplitl’espace.Lesbonnesaffairesquenouscroyionsavoirréaliséesmecomprimentàprésentl’estomac.Allons-nousaussi,continueràconsommerjusqu’àcequetoutaitdisparusurterre?Quefaisons-nousàtrimbalerceblender?Enavons-nousvraimentbesoin?Ettoutlereste?Combienavons-nousdépensé?Lesboutiquesetéchoppesprennentunautreaspect:dédaigneuses,hargneuses
même, comme si elles snobaient le fauché que je suis selon le distributeur debillets. Toutme semble soudain absurde : la grande braderie, le brouhaha, leshaut-parleurs hurlant par-dessus annonces et musique pour cravacher l’ardeuracheteuse, les gens pressés, leur quête fiévreuse… Et mon compte bancaireinaccessible,videpeut-être,commeungrandtroubéant.Derrière leurs échoppes, lesmarchandes continuent àm’interpeller de leurs
«Allez!Onsefaitplaisir.»Racoleusescommedesfillesdejoie.Je retrouvemonépousechez«Sinequanone».Elleestoccupéeàpasseren
revueunporte-vêtementspleinàcraquer.Quandellemevoit,elleretourneàunejupe qu’elle décroche du portant. En la tenant par le cintre au-dessus de sonépauleellem’interroge:—Tuaimes?Lesyeuxd’unedemi-dizainedeclientessebraquentsurmoi.Ellessonttoutes
habilléesdelamêmefaçon:débardeur,short,tongs.Lenouvelété,déjàchaud,leurstenueslégèresetbientôtlesvacancesleurdonnentdesenviesdeséduire.Etjesuisleseulmâledansceharem…Leursdiversparfumsrivalisentavecl’odeur
feutréedetextile.Ilenémaneunesensualitédedrapsdouilletsdanslesquelsonaimeseglissernu.
Lisaattendmonavis.Unevendeuse s’avance.Pournepas l’offenser, jeme
limite à froncer le nez au-dessus de son épaule. Lisa raccroche le cintre etn’insisteplus.Elledétesteachetersouslapressiondecommerçants.
Jevaispatienterdanslarue.Elleestàpeinesortie,quedéjàjeprendslecheminduparking.—Attendsdoncunpeu,Frédéric, jen’aipasfinimescourses!bougonne-t-
elleoffusquéeparmamuflerie.Nousslalomonsdanslafoulecompactéecommeàl’arrivéed’unepistedeskiàl’heurededéchausser.—Tun’asaucunepatience.Sij’avaissu,jeseraisvenueseule.Plusjamaisje
nefaislesmagasinsavectoi.D’accordjen’aipasmonsac,mais…Elle tente de suivre le rythme que j’accélère sans m’en rendre compte.
Préoccupé,jenel’écouteguère.Jen’aiqu’uneidéeentête:alleràIsobaie.Isobaie, c’estmon entreprise de fabrication de châssis de fenêtres, installée
dans la zone industrielledeSully-sur-Loire.L’œuvredemavie.C’est aussi letermegénériquepournosrevenus,monbureau,monquotidien,montravail,macomptabilité,mesrelevésdebanque,messoucis.
Lisapresselepaspourarriveràmahauteur.—Qu’est-cequiteprend?Jegrogne:—Unproblèmeaveclabanque.Ellesoupire.Mespermanentestractationsaveclesargentierspourobtenirdes
crédits, accélérer les encaissements, diminuer les taux d’intérêt, trouver desliquidités… elle connaît. Qu’il est inutile d’insister, que je ne lui parlerai duproblèmequelorsquetoutseraéclairci,ellesait.Pour vérifier les extraits de nos comptes, jeme rends en fin d’après-midi à
monbureauà25kmdeClémont,notrevillage.Riennetransparaît.Lessoldessontpositifs!La banque étant fermée le lundi, je dois attendre l’explication deux jours
encore.Mondimanches’étiredansuneinterrogationirritante.