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Terry Goodkind

Le Sang de la Dchirure

Lpe de Vrit livre trois

Traduit de langlais (tats-Unis) par Jean Claude Mall

Bragelonne -2-

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Chapitre premier

la mme seconde, les six femmes se rveillrent en hurlant de douleur. Dans la petite cabine des officiers, o rgnait une obscurit totale, sur Ulicia entendit ses compagnes lutter pour reprendre leur souffle. Elle tenta de dglutir, soucieuse de rguler sa propre respiration, et fit la grimace quand sa gorge la brla atrocement. Si ses paupires taient humides, ses lvres lui parurent tellement sches quelle dut les humecter, affole lide quelles se craquellent et saignent. Un homme tapait la porte, ses cris atteignant les oreilles de la sur comme un bourdonnement touff. Elle ne tenta pas de se concentrer pour comprendre ce quil beuglait, car cela navait aucune importance. Une main tendue vers le centre de la cabine, Ulicia laissa jaillir de son Han lessence mme de la vie et de lesprit une onde de chaleur qui sinfiltra dans la lampe huile quelle savait accroche une poutre. La mche senflamma et lcha une volute de suie qui ondula au gr du mouvement de balancier imprim la lampe par le roulis. Entirement nues comme Ulicia les autres femmes sassirent sur leurs couchettes, fascines par la ple lumire jaune qui dansait devant leurs yeux. On et dit quelles cherchaient dans cette lueur le salut ou lassurance dtre toujours vivantes en un monde o la lumire existait encore. la vue de la flamme, une larme roula sur la joue dUlicia. Cette obscurit lavait touffe, comme si on lui avait jet sur la poitrine une tonne de terreau gras et humide. La literie tait imbibe de sa sueur glaciale. Ici, tout tait en permanence mouill dans lair satur diode. Sans parler des trombes deau qui scrasaient rgulirement sur le pont et sinfiltraient travers les planches. Depuis combien de temps Ulicia navait-elle plus senti contre sa peau le contact dun vtement ou -4-

dun drap sec ? Une ternit, lui semblait-il La sur dtestait ce navire, avec son ternelle moiteur, sa puanteur et le maudit tangage qui lui retournait lestomac. Ravalant une remonte de bile, elle se consola en pensant quil fallait au moins tre vivant pour har les tres ou les choses. Et avoir survcu tait un coup de chance Ulicia se frotta les yeux et tendit la main. Comme elle sen doutait, ses doigts taient poisseux de sang. Stimules par son courage, certaines de ses compagnes limitrent Toutes avaient les paupires, les arcades sourcilires et les joues zbres de griffures. La punition pour avoir essay de souvrir les yeux avec les ongles ! Une vaine tentative dchapper au pige du sommeil, loin dun rve qui nen tait pas un. Ulicia lutta pour sclaircir les ides. Il devait sagir dun cauchemar. Elle dtourna les yeux de la flamme et regarda ses compagnes. Assise en face dUlicia, sur la couchette du bas, sur Tovi, une vieille femme grassouillette au visage rid, affichait une expression rsolument morose. Sur la couchette d ct, ses cheveux gris boucls en bataille, sur Cecilia, dhabitude si soigne et souriante, tait verdtre de peur, Ulicia se pencha un peu pour jeter un coup dil au-dessus delle. Recroqueville sur la couchette du haut, sur Armina, bien moins ge que Tovi et Cecilia et encore trs sduisante, comme Ulicia, dun rien son ane ressemblait une momie. Dune main tremblante, elle aussi essuya le sang qui lui empoissait les paupires. Au-dessus de Tovi et de Cecilia, les deux plus jeunes surs, imbues delles-mmes comme il convient des parangons de beaut, ntaient pas plus vaillantes que les autres. Les joues lacres, Nicci paraissait infiniment vieille avec ses cheveux blonds colls sur son crne par la sueur et le sang. Ses superbes mches noires emmles, Merissa serrait convulsivement une couverture sur sa poitrine nue. Pas par pudeur, mais parce quelle frissonnait de terreur. Leurs anes maniaient en expertes un pouvoir aux angles arrondis entre le marteau et lenclume de lexprience. Dtentrices dune puissance aussi rare que sombre, Nicci et Merissa faisaient montre dune subtilit inne quaucune exprience au monde ne saurait confrer. Remarquablement ruses pour leur ge, elles ne se laissaient jamais abuser par les manires de grand-mre poule de Cecilia ou de Tovi. Malgr leur jeunesse triomphante et leur -5-

confiance sans limite, elles savaient que leurs quatre compagnes en particulier Ulicia les tailleraient sans mal en pices si lenvie leur en prenait. trangement, cela ne diminuait en rien leur importance. leur faon, elles comptaient parmi les femmes les plus extraordinaires qui aient jamais arpent le monde. Et le Gardien les avait choisies cause de leur insatiable dsir de domination. Les voir dans un tel tat accablait Ulicia. Mais le pire restait la terreur de Merissa, la sur la plus impassible, dpourvue dmotions et impitoyable quelle et connue. Un tre au cur de glace noire En cent soixante-dix ans, Merissa navait pas vers lombre dune larme. Et voil quelle sanglotait comme une enfant ! Tout bien pes, Ulicia fut revigore par labjecte faiblesse de ses compagnes. vrai dire, ctait mme un spectacle satisfaisant. Elle les commandait, et se montrait logiquement plus forte quelles Lhomme continuait de tambouriner la porte, rsolu savoir ce qui se passait. Pourquoi les passagres avaient-elles cri ? Fichez-nous la paix ! lana Ulicia, ravie de trouver un exutoire sa colre. Si nous avons besoin de vous, nous vous appellerons. Le marin battit en retraite dans la coursive en marmonnant des imprcations trs vite inaudibles. Dans le silence revenu quelques craquements de bois prs, car le navire essuyait du gros temps les sanglots de Merissa rsonnaient comme un tocsin. Arrte de pleurnicher ! cracha Ulicia. a na jamais t ainsi, se dfendit Merissa. (Tovi et Cecilia approuvrent dun hochement de tte.) Je lui ai obi en tout. Pourquoi nous a-t-il fait a ? Je nai pas failli mon devoir. Si ctait le cas, tu serais au mme endroit que Liliana. Et nous aussi. Tu as galement vu Liliana ? demanda Armina. Elle tait Je lai vue, coupa Ulicia, son ton gal dissimulant une indicible terreur. Liliana avait du le matre, rappela Nicci en cartant de son front une mche de cheveux blonds tachs de sang. Et elle paye le prix de son chec, lcha Merissa, langoisse presque disparue de ses yeux. Pour lternit ! (A lvidence, le cur de glace noir battait de nouveau firement dans sa poitrine et la haine, dans son regard, remplaait la terreur.) Elle a ignor vos ordres et ceux du Gardien, sur Ulicia. Cest elle qui a sabot nos -6-

plans. Tout est sa faute ! La stricte vrit. Sans Liliana, les six femmes nauraient pas t coinces dans ce fichu rafiot. Au souvenir de larrogance de cette idiote, Ulicia sempourpra. Dsireuse de rcolter toute la gloire, Liliana avait mrit son sort. Pourtant, en repensant ses tourments, dont elle avait t tmoin, Ulicia ne put sempcher de dglutir pniblement. Cette fois, elle ne remarqua mme pas quelle avait la gorge en feu Que devons-nous faire ? demanda Cecilia avec un sourire denfant punie. Faut-il obir cet homme ? Du revers de la main, Ulicia essuya son front ruisselant de sueur. Si ce quelle avait vu tait vrai, elles ne pouvaient pas soffrir le luxe dhsiter. Mais il restait possible quil se soit agi dun cauchemar. Jusque-l, part le Gardien, personne ne lui tait jamais apparu dans le rve qui nen tait pas un. Un cauchemar, oui, ctait srement a Au pied de la couchette, un norme cafard pataugeait dans le pot de chambre. Bien que fascine par ses volutions, Ulicia releva soudain les yeux. Un homme ? Tu nas pas vu le Gardien ? Non, rpondit Cecilia. Ctait Jagang. Tovi porta sa main gauche ses lvres pour embrasser son annulaire un geste cens attirer la protection du Crateur. Et une habitude acquise ds son premier jour de noviciat Les six femmes avaient appris se signer ainsi tous les matins, ds le lever, et chaque fois quelles taient en difficult. Comme les autres, Tovi avait d rpter ce rituel des milliers de fois sans y penser. Toute Sur de la Lumire tant fiance au Crateur et soumise sa volont ctait une faon de renouveler quotidiennement son engagement. Pour des tratresses comme les six femmes, ce rituel risquait davoir des consquences surprenantes. Selon certaines superstitions, la mort punissait toute servante du Gardien qui se laissait aller y sacrifier spontanment. Prudentes, les Surs de lObscurit sen abstenaient aussi souvent que possible. Sil semblait douteux que la colre du Crateur sabatte sur elles en cas de transgression , celle du Gardien ne les pargnerait srement pas. Prenant conscience de son inconsquence, Tovi loigna vivement sa main de ses lvres. Vous avez toutes vu Jagang ? demanda Ulicia. (Les cinq surs -7-

acquiescrent. Ce ntait pas une bonne nouvelle, mais il restait une tincelle despoir) Bien, lempereur vous est apparu. a ne signifie rien Tovi, a-t-il dit quelque chose ? La vieille femme saisit sa couverture et se la remonta jusquau menton. Nous tions toutes assises en demi-cercle, nues, comme toujours quand le Gardien exige de nous voir. Mais Jagang est venu sa place. Au-dessus dUlicia, Armina ne put touffer un sanglot. Silence ! Tovi, cesse de trembler et rpte-moi les paroles de lempereur. Il a dit que nos mes lui appartenaient, fit Tovi en baissant les yeux. Nous sommes devenues ses marionnettes, et nous devons rpondre sur-le-champ sa convocation. Sinon, a-t-il ajout, le sort de Liliana nous paratra enviable. Car le faire attendre est un crime (Elle leva sur Ulicia des yeux pleins de larmes.) Ensuite, il ma donn un avant-got de ce que je subirai sil marrivait de lui dplaire. Glace jusquaux os, Ulicia saperut quelle aussi avait remont sa couverture au ras de son cou. Mobilisant sa volont, elle la reposa sur ses genoux. Armina, tu as fait la mme exprience ? Oui. Et toi, Cecilia ? Oui Ulicia regarda ses deux jeunes compagnes, en face delle, qui avaient dj russi un exploit ! reprendre leur contenance coutumire. Avez-vous entendu le mme discours ? Oui, rpondit simplement Nicci. Au mot prs, confirma Merissa avec un calme souverain. Et cest Liliana que nous devons a ! Si le Gardien est mcontent de nous, avana Cecilia, il nous a peut-tre provisoirement offertes lempereur. Une sorte dpreuve, avant de regagner ses faveurs Jai jur de servir le Gardien, dit Merissa, le dos bien droit et le regard glacial. Sil faut lcher les pieds de cette brute de Jagang pour satisfaire le matre, je le ferai sans hsiter. Dans le rve qui nen tait pas un, un peu avant de sen aller, lempereur avait ordonn Merissa de se lever. Tendant la main, il -8-

lui avait serr un sein si fort quelle en avait vacill sur ses jambes. Un coup dil sur le mamelon droit tumfi de la sur confirma Ulicia quil ne stait pas agi dun cauchemar. Si nous le faisons attendre, dit Merissa sans daigner couvrir sa nudit, il a promis que nous le regretterions Ulicia avait aussi entendu a. Pendant toute la scne, Jagang avait t mprisant vis--vis du Gardien. Comment avait-il pu prendre la place du matre dans le rve qui nen tait pas un ? Au fond, la rponse importait peu ! Jagang avait russi, elles pouvaient toutes en tmoigner, et il ntait plus question de cauchemar . La petite tincelle despoir mourut. Ulicia aussi avait eu un avant-got de la punition qui les attendait en cas de dsobissance. Le sang, sur ses yeux, attestait de son dsir dchapper cette cruelle leon Tout a tait vraiment arriv, et elles navaient plus le choix Ulicia sentit une sueur glace dgouliner entre ses seins. Il importait de se presser ! Le moindre retard, et Elle se leva dun bond. Ce bateau doit faire demi-tour ! cria-t-elle en ouvrant la porte de la cabine. Demi-tour, vous dis-je ! La coursive tait dserte. Sans cesser de crier, Ulicia sengagea dans lescalier. Les autres surs la suivirent, frappant frntiquement toutes les cabines. Quelles idiotes ! Seul le timonier pouvait faire changer de cap un bateau, et elles ne le trouveraient pas l ! Ouvrant la porte, la sur sortit sur le pont. la lumire gristre de laube, sous un ciel plomb, le navire luttait contre une tempte. Alors quil chevauchait la crte dune vague dans une gerbe dcume, il bascula de lautre ct, comme sil plongeait dans un puits dobscurit. Dsquilibres, les cinq compagnes dUlicia dboulrent plus vite que prvu sur le pont battu par les embruns. Demi-tour ! cria Ulicia quelques marins berlus. ructant des imprcations, elle courut vers la poupe. Les autres surs sur les talons, elle approcha de la barre. Le timonier, emmitoufl dans son manteau, sondait la mer. La lumire dune lampe filtrait du compartiment ouvert, ses pieds, o quatre colosses luttaient pour matriser le gouvernail. Des marins se rassemblrent autour du timonier barbu et regardrent les six femmes, bouche be. Quelle mouche vous pique, tas de crtins ? cria Ulicia ds -9-

quelle eut repris son souffle. Seriez-vous sourds ? Je vous ai ordonn de faire demi-tour ! Soudain, la sur comprit ce qui se passait. Six femmes nues, en pleine tempte, sur le pont dun bateau Royale comme si elle avait t vtue dun manteau dhermine, Merissa vint se placer ct dUlicia. Eh bien, fit un matelot en lorgnant les appas de la jeune sur, on dirait que ces dames ont envie de samuser un peu. Superbement hautaine, Merissa foudroya le mufle du regard. Mon corps est moi, et personne na le droit de le lorgner sans mon autorisation. Dtourne immdiatement le regard, si tu tiens garder tes yeux dans leurs orbites ! Si lhomme avait eu le don, et une matrise gale celle dUlicia, il aurait senti lair crpiter de pouvoir autour de Merissa. Pour ces rustres, elles taient de nobles et riches dames embarques dans un trange voyage. Aucun marin ne connaissait leur vritable identit. Y compris le capitaine Blake, qui les prenait pour des Surs de la Lumire une information quUlicia lui avait ordonn de garder pour lui. Ne joue pas les vertus offenses, ma poule, rpondit le type avec un sourire lubrique. Sans avoir une ide derrire la tte, vous ne vous exhiberiez pas comme a devant nous. Lair grsilla autour de Merissa. Aussitt, une fleur de sang spanouit sur lentrejambe du pantalon de lhomme. Criant de douleur, il dgaina son coutelas, brailla quil allait se venger, et avana. Vermine puante, susurra Merissa avec un sourire ddaigneux, laisse-moi te confier aux bons soins de mon matre Comme un melon pourri martel de coups de btons, la tte de lhomme explosa. La violence de limpact magique le faisant basculer par-dessus le bastingage, il glissa le long de la coque, y laissa une trane de sang, et disparut instantanment dans les eaux noires. Les autres marins, une demi-douzaine, en restrent ptrifis. Si vous voulez garder vos yeux, siffla Merissa, admirer vos chaussures parat une ide judicieuse. Les matelots acquiescrent, trop rvulss pour parler. Involontairement, lun deux laissa courir son regard le long du corps de la Sur de lObscurit. Comme beaucoup trop dhommes, la seule existence dun interdit lincitait le braver. Terrifi, il - 10 -

balbutia des excuses. Trop tard. Une dcharge de pouvoir aussi tranchant quune hache de guerre lui fit sauter le haut du crne, au niveau des yeux. Comme son malheureux collgue, il bascula pardessus le bastingage et tomba la mer. Merissa, souffla Ulicia, je crois que a suffit Ces hommes auront retenu la leon. Entoure dun halo de Han, les yeux plus froids que jamais, la jeune sur se tourna vers sa compagne. Je ne permettrai plus que ces porcs nous reluquent ! Nous avons besoin deux pour naviguer et nous sommes presses, au cas o tu laurais oubli. Merissa toisa les marins comme sils taient des cafards grouillant porte de ses talons. Bien sr, ma sur Nous devons rentrer chez nous le plus vite possible. Sentant un regard peser sur sa nuque, Ulicia se retourna et vit le capitaine Blake, debout derrire elles, ptrifi dhorreur. Capitaine, ce bateau doit faire demi-tour ! Vous voulez rebrousser chemin ? (Lhomme se passa la langue sur les lvres, soudain trs sches.) Pourquoi ? Blake, vous avez reu une fortune pour nous conduire bon port. Ne vous ai-je pas dit que les questions taient exclues du contrat ? Et que je vous corcherais vif si vous violez cette rgle ? Dfiez-moi, et vous verrez que je ne suis pas aussi clmente que Merissa. Quand je tue, lagonie est lente et douloureuse prsent, virez de bord ! Blake ne se le fit pas dire deux fois. On vire de bord, tas de feignants ! lana-t-il ses marins. (Il se tourna vers le timonier.) Matre Dempsey, supervisez la manuvre. (Lhomme ne bougea pas, sonn par les derniers vnements.) Au travail, Dempsey ! Et vite ! Blake enleva son bicorne miteux et sinclina devant Ulicia, attentif la regarder dans les yeux et surtout pas ailleurs. vos ordres, ma sur Nous contournerons la grande barrire et mettrons le cap sur lAncien Monde. Pas question de contourner, capitaine. Nous navons pas de temps perdre. Impossible ! scria Blake, si troubl quil serra les poings et crabouilla son bicorne. On ne peut pas traverser la barrire ! Elle nexiste plus, dit Ulicia. Aucun obstacle ne nous ralentira. - 11 -

Calculez un cap direct, et en avant toute ! La grande barrire aurait disparu ? Une curieuse nouvelle Dailleurs, comment le savez-vous ? Encore des questions, petit homme ? Je je noserais pas, ma sur. Si vous dites que la barrire nexiste plus, je vous crois sur parole. Et tant pis si jignore comment cest arriv ! Au fond, qui suis-je pour vous le demander ? Allons-y pour un cap direct ! (Le capitaine remit son bicorne froiss.) tribord toute, matre Dempsey ! Le timonier baissa les yeux sur les marins qui maniaient le gouvernail. Vous tes sr, capitaine ? Ne discutez pas mes ordres, ou vous rentrerez la nage ! Compris, chef ! Marins, pars la manuvre ! Et nconomisez pas lhuile de coude ! Tous aux agrs ! Les Surs de la Lumire ont des yeux derrire la tte, lana Ulicia, assez fort pour que tous lentendent. Ne laissez pas traner les vtres o il ne faut pas, si vous tenez la vie. Avant de se mettre louvrage, les matelots acquiescrent nerveusement. Ds que les surs furent de retour dans leur minuscule cabine, Tovi, qui tremblait de froid, semmitoufla dans sa couverture. Il y a beau temps que de jeunes gaillards ne mavaient plus reluque comme a, soupira-t-elle. (Elle se tourna vers Nicci et Merissa.) Profitez de ladmiration des hommes tant que vous la mritez encore. Ce ntait pas toi quils regardaient, lcha Merissa en sortant son chemisier dun coffre en bois rang au fond de la cabine. Nous le savons, ma sur, fit Cecilia avec un sourire maternel. Tovi voulait souligner que nous vieillirons comme tout le monde, maintenant que le sortilge du Palais des Prophtes ne nous protge plus. Vous aurez beaucoup moins de temps que nous pour profiter de votre jeunesse. Quand nous aurons regagn notre place la droite du matre, fit Merissa, il me laissera conserver ma beaut. Et moi, jaimerais quil me la rende, souffla Tovi, une lueur mauvaise brillant dans ses yeux dhabitude si bienveillants. Tout a, cest la faute de Liliana, dit Armina en se laissant tomber sur une couchette. Sans elle, nous naurions pas t - 12 -

contraintes de quitter le palais. Le Gardien ne nous aurait pas livres Jagang, et il nous comblerait toujours de ses faveurs. En silence, les six surs allrent rcuprer leurs vtements dans le coffre. Un trange ballet, dans une pice aussi exigu o viter de se donner des coups de coude tait un petit exploit. Je suis prte tout pour rentrer dans les grces du matre, dit Merissa en shabillant (Elle jeta un regard noir Tovi.) En rcompense, comme promis, je conserverai ma jeunesse. Nous voulons toutes la mme chose, ma sur, fit Cecilia en glissant un bras dans la manche de sa tunique marron. Hlas, pour linstant, le Gardien entend que nous servions Jagang Est-ce vraiment sa volont ? demanda Ulicia. Sinon, pourquoi nous aurait-il livres lui ? rpliqua Merissa en cherchant sa robe pourpre dans le coffre. Livres ? rpta Ulicia. Voil ce que tu crois ? Moi, je pense que cest plus compliqu que a. Lempereur Jagang a agi de sa propre volont. Il aurait dfi le Gardien ? demanda Nicci. Pour satisfaire ses ambitions ? Loreille tendue, les quatre autres surs cessrent de shabiller. Rflchis un peu, fit Ulicia en tapotant dun index le crne de sa jeune compagne. Dans le rve qui nen est pas un, le Gardien nest pas venu nous. Cest la premire fois que a arrive. Si le matre voulait nous punir en nous livrant Jagang, naurait-il pas tenu nous le dire ? Et nous manifester son mcontentement ? Cette faon dagir ne lui ressemble pas. Cest Jagang qui tire les ficelles ! Mais cest Liliana qui nous a fourres dans ce ptrin, fit Armina en sortant du coffre sa robe bleue un ton plus claire que celle dUlicia, mais beaucoup moins sophistique. Tu en es sre ? demanda Ulicia avec un petit sourire. Liliana tait ambitieuse, cest vrai. Le Gardien a d vouloir en tirer parti, et elle la du. Elle nest pas responsable de nos malheurs. Bien sr, fit Nicci en finissant de nouer le corset de sa robe noire. Cest le garon ! Le garon ? rpta Ulicia en secouant la tte. Aucun garon , comme tu dis, naurait pu abattre la barrire et ruiner les plans que nous ourdissons depuis tant dannes. Grce aux prophties, nous savons toutes qui il est (Ulicia dvisagea tour tour ses compagnes.) Nous sommes dans une position trs dlicate, - 13 -

mes surs. Si nous ne rentrons pas dans les grces du matre, Jagang nous tuera ds quil naura plus besoin de nous. Exiles dans le royaume des morts, nous ne serons plus daucune utilit au Gardien. Et sil est furieux contre nous, les svices de lempereur ressembleront des caresses Alors que le bateau craquait et gmissait sous les assauts de la tempte, les cinq femmes rflchirent au petit discours dUlicia. Elles retournaient dans lAncien Monde pour servir un homme qui nhsiterait pas les liminer ds quelles ne lui seraient plus daucune utilit. Et sopposer Jagang ne leur semblait mme pas envisageable Garon ou pas, lcha Merissa, cest lui le responsable. Dire quil tait notre merci ! Pourquoi navoir pas dispos de lui quand nous le pouvions ? Liliana a essay, avec lespoir de lui voler son pouvoir, rappela Ulicia. Mais elle a pris trop de risques, et cette fichue pe lui a transperc le cur. Il faudra tre plus ruses quelle, mes surs. Alors, nous aurons le pouvoir du garon et le Gardien se dlectera de son me. En attendant, gmit Armina, une larme roulant sur sa joue, ny a-t-il pas un moyen dchapper Tu peux te passer de sommeil ? coupa Ulicia. Tt ou tard, nous nous endormirons, et Jagang nous remettra la main dessus. Pour le moment, nous devons obir, renchrit Merissa. Mais a ne nous empche pas dutiliser nos cerveaux Tu as raison, fit Ulicia. Mme si Jagang croit nous tenir, nous ne sommes pas nes dhier. En rflchissant, et en puisant dans notre exprience, nous serons moins dociles quil lespre. Cest vrai, souffla Tovi, le regard brlant de haine, nous avons vcu trs longtemps. Ce ne sera pas le premier sanglier que nous jetterons terre avant de lventrer triper des cochons est sans doute amusant, dit Nicci, mais Jagang est linstrument de notre punition, pas sa cause. Quant Liliana, cessons de gaspiller notre colre sur elle. Cette idiote a dj pay ! Nous connaissons toutes le vrai coupable, et cest lui qui devra subir nos foudres. Bien raisonn, ma sur, approuva Ulicia. Je me baignerai dans le sang de ce jeune homme, dit Merissa en massant distraitement son sein droit bless. Et il sera encore vivant pour regarder ! - 14 -

Le Sourcier a attir le malheur sur nos ttes, renchrit Ulicia. Pour expier ce crime, il perdra son don, sa vie et son me.

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Chapitre 2

Richard venait de prendre une cuillere de soupe aux pices quand un grognement menaant retentit. Le front pliss, il se tourna vers Gratch. Les yeux aux paupires tombantes du garn mirent une vive lueur verte. Aux aguets, il sondait la pnombre, entre les colonnes qui se dressaient au pied du somptueux escalier. Le monstre apprivois eut un rictus qui dvoila ses normes crocs. Savisant quil avait toujours la bouche pleine, Richard avala la soupe chaude. Le grognement du garn devint plus rauque un bruit de gorge qui voquait le craquement dune porte de donjon reste ferme pendant un sicle. Richard croisa le regard inquiet de matresse Sanderholt. Chef cuisinire du Palais des Inquisitrices, la vieille femme se mfiait toujours du garn malgr les dclarations rassurantes du Sourcier. Et le comportement de Gratch narrangeait rien. Matresse Sanderholt tait venue apporter au jeune homme un nouveau bol de soupe et une miche de pain frais. Dsireuse de sasseoir un moment sur les marches, pour parler de Kahlan avec son visiteur, elle avait t refroidie par la prsence du garn, qui venait de rejoindre son ami humain. grand renfort de palabres, le Sourcier avait pu la convaincre de rester. Gratch avait tendu loreille en entendant le nom de la Mre Inquisitrice. Autour du cou, avec la dent dcarlate, il portait une mche de cheveux de la jeune femme. En la lui donnant, Richard avait prcis que Kahlan et lui saimaient. LInquisitrice serait donc lamie du garn, comme son amoureux. Fascin, le monstre stait assis pour entendre toute lhistoire. Sans raison apparente, son humeur avait chang. prsent, lair sauvage, il regardait fixement quelque chose que Richard ne voyait pas. - 16 -

Pourquoi se comporte-t-il comme a ? demanda matresse Sanderholt. Je nen sais trop rien, admit Richard. (Voyant la vieille femme froncer les sourcils, il sourit et haussa les paules.) Il a d reprer un lapin Les garns ont une excellente vision nocturne, et ce sont de sacrs chasseurs ! (Matresse Sanderholt ne semblant pas rassure, il continua :) Gratch ne mange pas les humains, vous savez. Et il ne leur fait pas de mal non plus. Il ny a rien craindre, je vous le jure Gratch, arrte de grogner, tu fais peur notre htesse Richard, souffla la vieille femme, les garns ne sont pas des animaux de compagnie. Il est impossible de se fier eux Gratch nest pas un animal de compagnie . Cest mon ami, et je le connais depuis quil est haut comme trois pommes. Enfin, disons hum quand il mesurait la moiti de ma taille. Il est mignon comme un chaton. Si tu le dis, fit matresse Sanderholt avec un sourire dubitatif. Mais (Elle carquilla les yeux.) Il ne comprend pas mes paroles, nest-ce pas ? Je nen suis pas si sr, avoua Richard. Parfois, son intelligence mtonne. Concentr lextrme sur lodeur ou limage de quelque chose quil naimait pas du tout, Gratch ne sintressait plus la conversation des humains. Richard se souvenait de lavoir entendu grogner ainsi un jour. Dans quelles circonstances ? Il tenta de le dterminer, mais limage mentale se drobait lui. Plus il essayait, et plus elle sobscurcissait. Gratch ? demanda-t-il en saisissant le bras muscl du garn. Que se passe-t-il ? Les muscles tendus, le monstre ne ragit pas. Au fil de sa croissance, la lueur verte de ses yeux avait gagn en intensit. Ce soir, elle tait plus vive et plus froce que jamais. Richard sonda aussi la pnombre. Il ny avait personne autour des colonnes ou le long des murs du palais. Un lapin, sans nul doute Gratch en raffolait. Laube approchait, colorant lhorizon de violet et de pourpre. louest, de rares toiles brillaient encore dans le ciel. Avec les premires volutes de lumire, une brise tonnamment chaude pour cette fin dhiver bouriffa la fourrure du garn et fit voleter la cape trs particulire du Sourcier. - 17 -

Pendant son sjour dans lAncien Monde, avec les Surs de la Lumire, Richard stait aventur dans le bois de Hagen. Lendroit grouillait de mriswiths, des cratures mi-hommes mi-reptiles. Aprs en avoir tu un, le jeune homme avait dcouvert les tranges proprits de sa cape. Ce vtement se fondait si bien son environnement que le mriswith, ou Richard quand il le portait et se concentrait, devenait invisible. Et indtectable, mme par un sorcier Pour une raison inconnue, le Sourcier ntait pas frapp de cette ccit magique. Un heureux hasard qui lui avait sauv la vie. Gratch grognait toujours aprs son lapin, un comportement dont Richard ntait pas dhumeur sinquiter. La veille, son angoisse et son dsespoir staient vapors ds quil avait appris que Kahlan navait pas pri sur lchafaud. Sa bien-aime tait bien vivante, et il avait pass la nuit avec elle, dans un trange lieu entre les mondes. Ce matin, bat de joie, il souriait la vie sans mme sen apercevoir. Du coup, Gratch et son lapin lui passaient largement au-dessus de la tte Encore que Le bruit de gorge du garn lagaait, et matresse Sanderholt semblait le trouver trs inquitant. Tais-toi, Gratch ! Tu viens dengloutir un gigot de mouton et la moiti dune miche de pain. Ne me dis pas que tu as encore faim ! Sans cesser de sonder les tnbres, le garn baissa dun ton, comme sil voulait obir sans grande conviction, toutefois. Richard jeta un coup dil la ville qui ne tarderait pas sveiller. Pour lheure, son plan consistait se dnicher un cheval afin daller rejoindre Kahlan et Zedd. Son vieil ami et incidemment son grand-pre lui manquait presque autant que la jeune femme. Les trois mois de sparation semblaient des annes. Zedd tait un sorcier du Premier Ordre. la lumire de ses rcentes dcouvertes sur lui-mme, Richard avait beaucoup de questions lui poser. Mais alors quil se prparait partir, matresse Sanderholt tait arrive avec sa soupe et son pain. Joyeux ou pas, le jeune homme avait une faim de loup Il regarda derrire lui, au-del des lignes lgantes du Palais des Inquisitrices. Construite flanc de montagne, mme la roche, la Forteresse du Sorcier crasait le paysage avec ses murs de pierre noire, ses remparts, ses tours, ses passerelles et ses ponts-levis. Une piste partait de la ville, serpentait dans la montagne et traversait un pont avant de sengouffrer sous une arche dfendue par une herse. - 18 -

La gueule presque toujours ferme de la Forteresse ! Combien de salles contenait cette gigantesque structure ? Des milliers, sans doute Impressionn par le monstre de pierre, Richard semmitoufla dans sa cape et dtourna le regard. Kahlan avait vcu dans cette ville, au cur du Palais des Inquisitrices, jusqu lt prcdent, o elle avait travers la frontire, passant en Terre dOuest pour se lancer la recherche de Zedd. Et y rencontrer Richard Bien avant la naissance du Sourcier, quand il vivait encore dans les Contres du Milieu, Zedd rsidait dans la Forteresse du Sorcier. Plus tard, Kahlan y avait pass beaucoup de temps tudier. Selon ses rcits, lendroit tait aussi sinistre quil le paraissait ce matin-l, la lueur gristre de laube Richard sourit de nouveau quand une image simposa son esprit : Kahlan, petite fille et dj concentre sur sa formation dInquisitrice. Il la vit courir dans les couloirs du palais, arpenter ceux de la Forteresse, y croiser des sorciers, puis marcher dans les rues, au milieu de ses concitoyens Depuis, Aydindril tait tombe sous le joug de lOrdre Imprial. Enchane, la ville ntait plus le cur du pouvoir des Contres du Milieu. Grce un de ses trucs de sorcier sa faon de qualifier la magie Zedd avait hypnotis les habitants dAydindril et leurs nouveaux matres. Convaincus que Kahlan avait t dcapite en place publique, leurs ennemis les avaient laisss quitter la ville. Et dsormais, plus personne ne les poursuivrait. Proche de Kahlan depuis le jour de sa naissance, matresse Sanderholt avait manqu dfaillir de joie en apprenant la vrit. ce souvenir, le sourire de Richard slargit. Quel genre de petite fille tait Kahlan ? demanda-t-il. Toujours trs srieuse, rpondit matresse Sanderholt, les yeux brillant de tendresse. Une enfant hors du commun qui est devenue une femme magnifique et indomptable Ce ntait pas seulement le pouvoir qui la distinguait, comprends-tu ? Elle avait un caractre trs spcial. Aucune de ses compagnes ne stonna de sa nomination au poste de Mre Inquisitrice. Et toutes furent ravies, car elle privilgiait le dialogue, pas lautorit. Mais ds quon la combattait tort, elle se rvlait plus dure que lacier. Dans lhistoire, pas une - 19 -

Mre Inquisitrice ne fut son gale sur ce point ! Et je nai jamais rencontr une de ses collgues qui aime autant les peuples des Contres du Milieu. Pour moi, la ctoyer fut toujours un honneur. (Plonge dans ses souvenirs, matresse Sanderholt rit doucement un son affirm qui dmentait son apparente fragilit.) Mme le jour o je lui ai flanqu une fesse parce quelle mavait chip un canard rti ! Ravi dentendre parler des petits forfaits de Kahlan, Richard sourit de toutes ses dents. Vous navez pas hsit punir une Inquisitrice ? Elle tait jeune, et pourtant Si je lavais outrageusement dorlote, sa mre maurait fichue la porte. Nous devions la traiter avec respect, mais quitablement. A-t-elle pleur ? demanda Richard avant de mordre son morceau de pain. Un vrai dlice ! De la farine de froment complte avec un rien de mlasse pour relever le got. Non, rpondit matresse Sanderholt. Mais elle a paru surprise, parce quelle ne se sentait pas coupable. Ds que jai eu fini de la corriger, elle sest explique trs posment. Bon, voil toute lhistoire La vieille cuisinire prit une grande inspiration. Une femme accompagne de deux gamins attendait devant les portes du palais, en qute dun pigeon plumer. Quand Kahlan est sortie pour aller la Forteresse, comme tous les jours, la femme la aborde et lui a racont une histoire larmoyante. En bref, elle avait besoin dor pour nourrir ses enfants. Kahlan lui a dit de ne pas bouger, puis elle est partie voler mon fameux canard rti. Selon elle, ce ntait pas dor que la pauvre mre avait besoin, mais de nourriture. Elle a fait asseoir les petits sur les marches, et ils ont dvor le canard. Furieuse, la femme a cri que Kahlan tait une sale goste, avec tout cet or cach dans le palais Pendant que la petite me racontait son histoire, une patrouille de la Garde Nationale est entre dans la cuisine avec la mendiante et ses deux petits. Ces hommes avaient entendu les insultes, et ils taient intervenus. Deux minutes plus tard, la mre de Kahlan a dboul dans la cuisine, intrigue par ce raffut. Comme tu ten doutes, la femme tait effondre : arrte par la Garde et interroge par la Mre Inquisitrice en personne ! Kahlan a de nouveau racont son histoire. Puis sa mre a - 20 -

cout la version de la mendiante. Ensuite, elle a dclar ceci : Quand on choisit daider quelquun, on le prend sous son aile et on continue jusqu ce quil soit tir daffaire. Le lendemain, Kahlan est alle dun palais un autre, sur lavenue des Rois, les gardes forant la femme la suivre. Ta bien-aime a tap toutes les portes pour savoir si quelquun avait besoin dune servante. Elle na eu aucun succs, car sa protge tait une ivrogne notoire. Trs gne davoir puni Kahlan sans la laisser sexpliquer, jai contact une amie moi, chef cuisinire dans une des ambassades. Mme si elle ntait pas du genre commode, jai quand mme pu la convaincre dembaucher la mendiante. Kahlan nen a jamais rien su La femme a gard trs longtemps son emploi, mais elle nest jamais revenue rder autour du Palais des Inquisitrices. Devenu adulte, son plus jeune fils sest engag dans la Garde Nationale. Lt dernier, quand les DHarans ont attaqu, il a t bless. Et il na pas survcu plus dune semaine Richard aussi avait combattu DHara et finalement tu son dirigeant, Darken Rahl. Mme sil continuait regretter quun tel homme lait engendr, il ne se sentait plus coupable dappartenir sa ligne. Les crimes du pre, il le savait prsent, ne retombaient pas sur les paules du fils, et il ne pouvait blmer sa mre davoir t viole par Darken Rahl. Son pre adoptif, George Cypher, lavait aim comme un authentique gniteur. Et Richard, sil avait su la vrit, lpoque, ne len aurait pas moins ador. Le jeune homme tait un sorcier, il ne pouvait plus le nier. Le don, quon appelait aussi le Han, lui avait t transmis par deux familles : celle de Zedd, du ct maternel, et celle de Darken Rahl, du ct paternel. Cet hritage lui confrait un type de pouvoir quaucun sorcier navait dtenu depuis des millnaires. Une combinaison de la Magie Additive et de la Magie Soustractive ! Rien que a Richard ne savait pas grand-chose, voire rien du tout, de la magie. Mais Zedd laiderait contrler son don et lutiliser au service des autres. a ressemble bien la Kahlan que je connais, dit-il. Matresse Sanderholt hocha mlancoliquement la tte. Elle sest toujours sentie responsable des peuples des Contres. Leur trahison lui a bris le cur Tous ne lont pas vendue, jen suis sr, dit Richard. Mais cest cause de a que vous devez tenir votre langue. Pour que Kahlan - 21 -

soit en scurit, personne ne doit savoir quelle est vivante. Je tai donn ma parole, Richard De toute faon, les tratres ne penseront bientt plus elle. Sils ne reoivent pas trs vite leur or, ils se rvolteront. Cest pour a que tant de gens taient masss devant le palais, hier ? Oui Ils sy croient autoriss, parce quun reprsentant de lOrdre Imprial leur a promis une distribution de pices dor. Aujourdhui, cet homme est mort, mais ses paroles leur semblent graves dans le marbre. Comme si lor leur appartenait par magie ! Si nos nouveaux matres ne vident pas le trsor pour les satisfaire, les meutiers raseront le palais afin de rcuprer leur d. Et si cette promesse avait t un leurre ? avana Richard. Les troupes de lOrdre prvoient peut-tre de garder cet or, et elles dfendront le palais pour prserver leur butin. Tu as sans doute raison ce propos, je me demande ce que je fiche encore l. Je nai aucune envie de voir lOrdre Imprial investir le palais, et lide de travailler pour ces chiens me rpugne. Jaurais intrt me chercher une place quelque part o lOrdre na pas fourr ses sales pattes. Mais a me semble si bizarre. Quitter un endroit o jai pass la plus grande partie de ma vie Richard regarda de nouveau la ville. Avait-il raison de fuir, et de livrer ainsi le fief ancestral des Inquisitrices aux brutes de lOrdre Imprial ? Mais comment empcher a ? De plus, ces bandits devaient dj tre sa recherche. Mieux valait filer tant quils taient dsorients par la mort brutale de leurs chefs. Il naurait su conseiller une marche suivre matresse Sanderholt, mais la sienne tait limpide. Partir et rejoindre ses amis ! Le grognement de Gratch devint soudain un rugissement animal qui fit froid dans le dos au Sourcier et larracha sa rflexion. Alors que le garn se levait lentement, Richard sonda de nouveau les environs. En vain. Perch sur une colline, le Palais des Inquisitrices offrait une vue densemble de la cit. Si des troupes patrouillaient le long des murs dAydindril et dans ses rues, pas un soldat ne menaait de sapprocher du coin o les deux humains et le garn staient installs. Et lendroit que fixait Gratch, on napercevait pas me qui vive Richard se leva et posa la main sur la garde de son pe, histoire de se rassurer. Sil dpassait dune bonne tte la plupart des - 22 -

hommes, le garn tait bien plus grand que lui. Malgr sa jeunesse, le monstre frlait les sept pieds de haut et il devait peser une fois et demie le poids de son ami humain. Et ce ntait pas fini. Adulte, Gratch aurait encore grandi dun bon pied. Voire davantage dire vrai, le Sourcier ntait pas un expert en matire de garns queue courte. Les rares quil avait croiss staient acharns avoir sa peau, un comportement qui ne favorisait pas le dialogue Pour se dfendre, le jeune homme avait d abattre la mre de Gratch. Ensuite, bien malgr lui, il avait adopt le petit orphelin. Au fil du temps, une vritable amiti tait ne entre eux. Sous la peau rose translucide du ventre de Gratch, des muscles noueux se tendirent. Concentr, les pattes le long du corps et les oreilles aplaties, le garn navait jamais affich une telle frocit, mme face une proie. Richard sentit tous les poils de sa nuque se hrisser. Bon sang, quand avait-il vu son ami se comporter ainsi ? Oubliant les dlicieuses images de Kahlan dont il stait dlect, le Sourcier se concentra sur le moment prsent. ct de lui, matresse Sanderholt regardait tour tour Gratch et la zone dombre quil surveillait. Malgr son aspect fragile, la cuisinire navait rien dune faible femme. Pourtant, si ses mains navaient pas t bandes, Richard aurait pari quelle se les serait tordues dangoisse. Soudain, le Sourcier se sentit vulnrable au milieu de cet escalier gant. Scrutant les ombres, prs des colonnes, le long des murs et autour des lgants belvdres qui se dressaient un peu partout dans les jardins, il ne vit rien, sinon quelques flocons de neige qui flottaient paresseusement au vent. Les yeux douloureux force de les plisser, le Sourcier dut se rendre lvidence : il ny avait rien De visible ! Richard entendit un signal dalarme retentir dans sa tte et dans son corps. Pas seulement cause de la tension de Gratch. Cela venait de son Han et envahissait chaque fibre de son tre. Depuis peu, son pouvoir prenait le relais de ses autres sens ds quils ne se chargeaient pas de lavertir dun danger. Et le phnomne se produisait linstant mme. Le dsir de fuir avant quil ne soit trop tard lui dchira les entrailles. Il voulait rejoindre Kahlan, pas se fourrer de nouveau dans de sales draps ! Trouver un cheval et filer, voil ce quil devait faire ! Ou mieux encore, partir en courant et soccuper plus tard de - 23 -

se procurer une monture. Gratch saccroupit, les ailes dployes, prt dcoller. Il retroussa les babines, de la bue montant dentre ses crocs, et rugit plus fort. Richard sentit un fourmillement familier courir le long de ses bras. Son souffle sacclra, le sentiment dtre en danger tant devenu une certitude. Matresse Sanderholt, dit-il, vous devriez rentrer. Je passerai vous voir tout lheure, aprs Richard nacheva pas sa phrase. Entre les colonnes, il venait de capter un mouvement, comme les ondulations de lair chaud audessus dun feu. Rien de tangible, mais Sil avait bien vu quelque chose, de quoi sagissait-il ? Un peu de neige souleve par le vent ? Sans doute, puisquil ny avait plus rien. Soudain, la vrit explosa dans son crne comme de leau froide qui jaillit dune craquelure, dans une rivire glace. Maintenant, il se rappelait quand il avait entendu Gratch grogner ainsi. Il saisit la garde de son pe. Allez-y ! souffla-t-il matresse Sanderholt. Vite ! Sans hsiter, la vieille femme commena gravir les marches. Richard dgaina lpe de Vrit. Une unique note mtallique retentit dans la nuit. Comment pouvaient-ils tre l ? Ctait inconcevable ! Pourtant, il ny avait pas de doute Viens danser avec moi, la mort, je suis prt, murmura Richard. Comme toujours, le contact de lpe le plongeait dans une fureur meurtrire. Et les paroles quil venait de prononcer ne lui appartenaient pas. Venues de larme, elles lui taient souffles par les esprits de tous les Sourciers qui lavaient prcd. ces instants, Richard comprenait leur sens profond. Une prire au message trs simple : Puisque tu peux mourir aujourdhui, fais de ton mieux tant que tu respires encore. Ces mots avaient un autre sens. Ils taient un cri de guerre ! Gratch sleva dans les airs, les battements de ses ailes faisant voleter la neige et la cape de son ami. Avant quils se matrialisent, Richard sentit ses ennemis et les vit en esprit comme sils se dressaient dj devant lui. Gratch piqua vers le pied des marches. Au moment o il atteignait les colonnes, leurs adversaires devinrent visibles. Des - 24 -

cailles, des griffes et des capes blanches sur le fond blanc de la neige Un blanc aussi pur que la prire dun enfant Des mriswiths !

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Chapitre 3

Ragissant la menace, les mriswiths, encore en cours de matrialisation, se rurent sur le garn. La rage de lpe de Vrit submergea Richard quand il vit que son ami tait en danger. Il dvala les marches, avide de combattre. Dans une cacophonie de cris et de grognements, Gratch lacrait les monstres grands coups de griffes et de crocs. Bien que visibles, les mriswiths restaient difficiles distinguer sur le fond blanc de la neige et des marches de marbre. Apparemment, ils taient une dizaine, tous vtus de cuir blanc sous leurs capes. Ceux que Richard avait vus dans le bois de Hagen taient noirs. Rien dtonnant, connaissant les pouvoirs de camlons de ces cratures Une peau lisse et tendue couvrait leur tte jusquau ras du cou, o un rseau serr dcailles les remplaait. Leur gueule dpourvue de lvres rvlait des ranges de crocs pointus comme des aiguilles. Dans leurs pattes griffues et palmes, ils serraient la garde de longs couteaux trois lames. Pour que les frappes soient plus dvastatrices, des extensions en acier arrimaient larme leur poignet. Leurs yeux de fouine, brillants de haine, ne perdaient pas lombre dun mouvement du garn dchan. Rapides et souples, ils tournaient autour de Gratch, leur cape blanche flottant sur leurs paules. Les plus agiles parvenaient viter tes attaques du garn parfois dun rien. Les autres succombaient entre ses griffes, dcapits ou ventrs. Au pied des combattants, la neige tait imbibe de sang. Concentrs sur le garn, les monstres ne saperurent pas de larrive du Sourcier. Jusque-l, il navait jamais combattu plus dun mriswith la fois, et chaque victoire lui avait cot de gros efforts. Port par la rage de la magie, il ne sarrta pas ce dtail, car une unique chose comptait ses yeux : aider Gratch ! Avant quils aient eu le temps de se tourner vers la menace - 26 -

suivante, Richard limina deux monstres dun seul coup dpe. Alors que leurs hurlements dagonie lui peraient les tympans, il sentit une prsence derrire lui, en haut de lescalier, et se retourna juste temps pour dcouvrir trois nouveaux adversaires. Eux aussi dvalaient les marches que matresse Sanderholt navait pas fini de gravir. Terrifie de voir quils lui barraient le chemin, la vieille femme fit demi-tour et tenta de les distancer. Mais elle ny parviendrait pas, comprit Richard, et il tait trop loin pour intervenir. Dun revers de lpe, le Sourcier ventra un mriswith qui menaait de lui sauter dessus. Gratch ! cria-t-il. Gratch ! Abandonnant le monstre dont il venait de dchiqueter le cou, le garn regarda son ami. Protge-la ! cria Richard, sa lame pointe vers la vieille cuisinire. Le garn analysa la situation en une fraction de seconde. Il dcolla, survola les dpouilles de ses proies, frla le crne de Richard, qui par bonheur stait baiss, et se propulsa vers le milieu de lescalier. Au moment o les lames des mriswiths sabattaient, il prit dame Sanderholt entre ses bras couverts de fourrure et la souleva du sol. Les ailes dployes, il vira abruptement avant que le poids de lhumaine ne le ralentisse trop et plana au-dessus des mriswiths qui continuaient descendre les marches. Arriv au niveau du sol, il sarrta un instant, dposa matresse Sanderholt et se rua de nouveau dans la mle. Richard se prpara affronter les trois monstres qui venaient datteindre le pied de lescalier. Envahi par la colre de lpe, il se fondit dans sa magie et ne fit plus quun avec les esprits de tous ceux qui avaient mani larme avant lui. Lheure de danser avec les morts avait sonn ! Les mriswiths remontrent quelques marches et se dployrent pour attaquer selon plusieurs angles. Avec une froide efficacit, Richard pointa sa lame vers celui qui lui faisait directement face. Non ! crirent les deux autres monstres. Richard en resta bouche be. Il ignorait que ces cratures pouvaient parler. Immobiles, elles rivaient sur lui leurs minuscules yeux de reptile. Presses daffronter le garn, elles dsiraient contourner le Sourcier, pas ferrailler contre lui. Le jeune homme gravit quelques marches pour leur barrer le passage. Feintant - 27 -

gauche, il pivota et frappa la crature campe sur sa droite. Lpe de Vrit pulvrisa les trois lames du couteau que le monstre brandit pour se dfendre. Rapide comme lclair, le mriswith esquiva le coup suivant du Sourcier, qui lui aurait fait sauter la tte des paules. Encourage par ce succs, la crature attaqua avec un peu trop doptimisme. Alors quelle levait son second couteau, le Sourcier frappa, lame lhorizontale, et lui trancha la gorge. Le mriswith scroula, son sang souillant un peu plus la neige. Alors que Richard se prparait son duel suivant, un des deux monstres se jeta sur son dos, le fit basculer en avant et dgringola les dernires marches avec lui. Lpe de Vrit et un des couteaux du mriswith, lchs par leurs propritaires, rebondirent sur le marbre, hors de porte, et senfoncrent dans la neige. Les bras autour de la poitrine de Richard, le mriswith serrait de toutes ses forces pour lui couper le souffle et lui briser les ctes. Bien quil ne vt pas son arme, le Sourcier sentait sa magie. La localisant, demi enfouie sous la neige, il tenta de ramper pour la rcuprer. Mais le monstre, affreusement lourd, lempcha de bouger. Et avancer la force des poignets, sur un sol aussi glissant, tait impossible. Richard devrait se passer de son arme. Ses forces dcuples par la colre, il russit se relever. Sans le lcher, le monstre lui faucha les jambes, le faisant scraser tte la premire dans la neige. Sr de son triomphe, le monstre approcha un couteau de la gorge du vaincu. Richard se hissa sur un seul bras, et, de sa main libre, saisit le poignet du monstre. Basculant en arrire, lgrement sur le ct, il fit levier sur le membre de la crature dans le sens inverse de larticulation. Leur limite de rsistance atteinte, les os du mriswith craqurent puis se brisrent net. Richard dgaina sa dague et la plaqua sur la poitrine de la crature. Comme son porteur, sa cape prit une curante teinte verdtre. Qui tenvoie ? demanda le Sourcier. Nobtenant pas de rponse, il plia vicieusement le bras cass du mriswith. Qui tenvoie ? Celui qui marche dans les rves Qui est-ce ? Et de quelle mission ta-t-il charg ? Le mriswith tourna au jaune maladif et tenta encore de se - 28 -

dgager. Les yeux verts ! hurla-t-il. Dsquilibr par un coup violent dans le dos, Richard bascula sur te ct. Une main griffue se posa sur la tte du mriswith, la tirant en arrire. En un clair, des crocs senfoncrent dans sa gorge et la dchiquetrent. Sonn, le Sourcier tenta de reprendre son souffle. Quand le garn plongea sur lui, il eut le rflexe de lever les bras, et limpact lui arracha sa dague de la main. Gratch pesa de tout son poids sur sa proie, menaant de lui briser les deux poignets. Conscient quil aurait eu plus de succs sil essayait dempcher une montagne de scrouler sur lui, le Sourcier regarda les crocs du garn approcher de sa gorge. Gratch, cria-t-il, cest moi, Richard ! Cest fini, mon ami ! Calme-toi ! La gueule grimaante recula lentement. Exhalant un nuage de bue qui empestait le sang de mriswith, Gratch cligna des yeux, dsorient. Gratch, cest moi ! rpta Richard. Le garn relcha sa pression et un sourire remplaa son rictus haineux. Des larmes dans les yeux, il enlaa le Sourcier et le serra contre sa poitrine. Grrrratch aaaime Raaach aard Je taime aussi, vieux frre ! haleta Richard en tapotant le dos de son ami. Toujours boulevers, le garn aida le jeune homme se relever puis linspecta soigneusement pour sassurer quil tait indemne. Soulag que son compagnon humain aille bien ou de stre arrt avant de le tailler en pices il soupira daise. Richard aussi se flicitait que ce soit termin. Nprouvant plus la colre de lpe, ni la fureur mle de peur du combat, il sentit soudain la douleur, dans ses muscles si terrible quon et dit quune montagne lui tait vraiment tombe dessus. Heureux davoir survcu un combat de plus, le Sourcier sinquitait toujours de la stupfiante mtamorphose du garn. Un tre si doux, soudain transform en un tueur sauvage Le jeune homme regarda le tas de cadavres dchiquets. Gratch navait pas fait a tout seul Et il stonnait peut-tre aussi davoir vu son ami humain, dhabitude si gentil, devenir une machine tuer. Bref, comme le Sourcier, le garn avait ragi en fonction de la - 29 -

menace. Il ny avait pas de quoi en faire un drame Tu savais quils taient l, pas vrai ? Le garn hocha la tte et lcha un grognement affirmatif pour dissiper toute quivoque. La dernire fois que Richard lavait vu aussi rageur et la seule ! ctait la lisire du bois de Hagen, quelque temps plus tt. coup sr parce quil avait senti les mriswiths. Selon les Surs de la Lumire, ces monstres sautorisaient parfois des raids hors de leur fief. Et les sorciers, comme les Surs, ne russissaient pas les dtecter avant quil ne soit trop tard. Bien entendu, aucun navait jamais survcu une rencontre avec un mriswith Richard chappait cette ccit magique parce quil tait le premier sorcier, depuis trois mille ans, contrler les deux variantes de pouvoir. Mais Gratch, sa connaissance, nen avait aucun. Tu les voyais, cest a ? demanda le Sourcier. Le garn dsigna les cadavres, lair interloqu. Tu as raison, je les vois aussi Mais je parlais du moment o tu grognais, pendant que je conversais avec matresse Sanderholt. Tu les voyais dj ? (Gratch secoua la tte.) Donc, tu les entendais, ou tu captais leur odeur ? Le garn rflchit, le front comiquement pliss, puis secoua de nouveau la tte. Alors, comment as-tu pu savoir quils taient l avant quils ne deviennent visibles ? Gratch frona ses normes sourcils et haussa les paules, navr de ne pas savoir sexpliquer. Tu veux dire que tu les as sentis avant de les voir ? Quelque chose en toi ta prvenu de leur prsence ? Un grand sourire rcompensa la sagacit de Richard Qui nen fut pas beaucoup plus avanc. Ils avaient tous les deux fait la mme exprience, ctait sr. Mais Gratch ne dtenait pas le don. En thorie, il naurait pas d pouvoir Richard nalla pas plus loin dans cette voie. Lexplication tait sans doute trs simple. Tous les animaux sentaient des choses que les humains ne percevaient pas. Les loups, par exemple, repraient un chasseur longtemps avant quil ne les ait vus. Et un forestier remarquait rarement la prsence dun daim dans des broussailles avant quil nen jaillisse, jugeant que lintrus approchait trop de son - 30 -

refuge. En rgle gnrale, les btes avaient des sens plus affts que ceux des hommes. Et les prdateurs battaient tous les records ! Linstinct de Gratch, un chasseur-n, lui avait t bien plus utile, aujourdhui, que la magie du Sourcier. Matresse Sanderholt approcha et posa une main bande sur le bras du garn. Gratch, merci beaucoup (Elle se tourna vers Richard et souffla :) Jaurais jur quil allait me tuer (Elle dsigna les cadavres dchiquets.) Jai vu des garns faire a des humains. Quand il ma arrache du sol, jai cru que ma dernire heure avait sonn. Mais javais tort, parce quil est diffrent de ses semblables. (La cuisinire regarda de nouveau son sauveur.) Je te dois la vie. Merci encore Gratch sourit de tous ses crocs et son admiratrice ne put sempcher de sursauter. Arrte a, mon vieux, dit Richard, tu lui fiches encore la trouille ! Le jeune monstre obit de mauvaise grce. Convaincu dtre mignon croquer, il se dsolait que le commun des mortels ne partage pas toujours son point de vue. Il ny a pas de mal, fit matresse Sanderholt en gratouillant le bras du garn. Son sourire vient du cur, et il est trs pur sa faon. Mais je nai pas encore lhabitude. Gratch sourit de nouveau et battit des ailes pour manifester sa joie. Dinstinct, la vieille cuisinire recula dun pas. Bien quelle sache dsormais que ce garn-l ntait pas dangereux pour les humains, les vieux conditionnements avaient la peau dure. Gratch avana vers la vieille femme pour la serrer contre lui. Certain quelle ferait un arrt du cur si cela se produisait, Richard retint son exubrant compagnon. Il vous aime beaucoup, matresse Sanderholt. Vous prendre dans ses bras lui ferait plaisir, mais je crois que vos remerciements suffiront. Pas du tout ! sexclama la cuisinire. (Elle tendit les bras et sourit.) Viens, mon petit Rayonnant de joie, Gratch enlaa la vieille femme, la souleva du sol et lui arracha un cri de surprise. Tout doux, vieux frre, souffla le Sourcier. Quand le garn la reposa sur la terre ferme, matresse Sanderholt rajusta dignement son chle sur ses paules osseuses. - 31 -

Tu avais raison, Richard. Ce nest pas un animal de compagnie, mais un vritable ami. Gratch hocha joyeusement la tte, ses oreilles frmissant dallgresse tandis quil battait des ailes. Richard approcha dun cadavre et lui retira sa cape blanche, moins souille de sang que les autres. Priant matresse Sanderholt de lassister, il lui fit signe de se placer devant la porte en chne dun petit btiment de pierre. Puis il lui mit la cape sur les paules, capuche releve. Pensez la couleur du bois, derrire vous. Tenez la cape serre sous votre menton, et fermez les yeux, si a peut vous aider. prsent, imaginez que vous vous fondez dans la porte. Vous prenez sa couleur, et vous ne faites plus quune avec elle Que signifient ces btises, Richard ? Je veux savoir si vous devenez invisible, comme les mriswiths. Invisible ? Essayez, pour me faire plaisir Rsigne, matresse Sanderholt ferma les yeux et se concentra. Rien ne se produisit. Le Sourcier attendit, mais la cape resta dsesprment blanche. Alors, jtais invisible ? demanda la vieille femme en rouvrant les yeux. Non, soupira Richard. Je men doutais un peu Mais comment ces hommes-serpents sy prennent-ils ? (Elle fit tomber la cape de ses paules et frissonna de dgot.) Et pourquoi aurais-je d me volatiliser ? Ces monstres se nomment des mriswiths. Les capes sont la source de leur pouvoir. Jai cru que a marcherait pour vous (Matresse Sanderholt lui jetant un regard dubitatif, Richard ajouta :) Je vais vous montrer. Il releva la capuche de sa propre cape et prit la place de la cuisinire devant la porte. Ds quil se concentra, le vtement imita la couleur du bois. Combine celle du Sourcier, la magie de la cape enveloppa les parties exposes de son corps, et il disparut. Quand Richard scarta de la porte, le tissu adopta la couleur du mur blanc crme avec des zones plus fonces autour des joints. Le vtement magique imitait la perfection tous les fonds, aussi complexes fussent-ils. La pauvre matresse Sanderholt devait avoir limpression de regarder travers le jeune homme. En ralit, elle fixait toujours la porte, car elle ne lavait pas vu - 32 -

bouger. linverse de Gratch, dont les yeux verts ne le quittaient pas. Nerveux, le garn grogna sourdement. Richard relcha sa concentration. Ds quil abaissa sa capuche, la cape redevint noire. Cest moi, Gratch, ne ten fais pas Matresse Sanderholt sursauta et tourna la tte, surprise que le jeune homme ait chang de position. Le garn cessa de grogner, parut un peu perdu, puis clata de rire, ravi par ce nouveau jeu. Richard, comment as-tu fait a ? demanda la vieille femme. Cest la cape Mais elle ne ma pas vraiment rendu invisible. Il sagit plutt dune illusion doptique. Le vtement se confond avec son environnement Pour que a marche, il faut que son porteur contrle la magie. Ce nest pas votre cas, je le sais. Moi, je suis n avec le don. (Le Sourcier dsigna les mriswiths morts.) On devrait brler leurs capes, pour quelles ne tombent pas entre de mauvaises mains. Gratch, tu veux bien maider les ramasser ? Richard, dit matresse Sanderholt, nest-il pas dangereux dutiliser les vtements de ces cratures ? Dangereux ? (Le Sourcier se gratta pensivement le menton.) Je ne vois pas en quoi Ces capes se contentent de changer de couleur. Comme un camlon, en somme. Malgr ses mains bandes, la vieille femme aida Richard faire un ballot avec les vtements magiques. Jai vu des camlons, dit-elle. Une des plus grandes merveilles conues par le Crateur. Il ta sans doute accord ce fabuleux pouvoir parce que tu as le don. Une bndiction, Richard, qui nous a sauv la vie. Gratch approcha et tendit la vieille femme les dernires capes pour quelle les ajoute au ballot de Richard. Langoisse lui serrant soudain la poitrine, le jeune homme se tourna vers le garn. Tu sens dautres mriswiths ? demanda-t-il. Gratch donna la toute dernire cape matresse Sanderholt, sonda longuement les alentours puis fit non de la tte. Une excellente nouvelle, soupira Richard, soulag. Tu as ide do ils venaient ? Le garn recommena son mange. Son regard se posa un moment sur la Forteresse du Sorcier, mais il finit par hausser les paules, dsol de ne pas pouvoir aider son ami. Richard se tourna de nouveau vers la ville, o des soldats de - 33 -

lOrdre Imprial continuaient patrouiller. ce quon disait, il y avait dans cette arme des membres de plusieurs nations. Mais la plupart des soudards, reconnaissables leur uniforme noir, taient des DHarans. Le Sourcier noua solidement son ballot et le jeta sur le sol. Matresse Sanderholt, demanda-t-il, quest-il arriv vos mains ? La vieille femme baissa les yeux sur les bandages maculs de taches de sauces et de tranes de suie. Ces brutes mont arrach les ongles avec une pince. Pour me forcer tmoigner contre la Mre Inquisitrice Ma chre petite Kahlan Et vous avez cd ? lana Richard. (Il sempourpra, conscient que sa question pouvait tre mal comprise.) Dsol, jai parl avant de rflchir. Personne na le droit dexiger que quelquun rsiste la torture. De toute faon, ces porcs se fichent de la vrit. Et Kahlan a d comprendre que vous ne laviez pas vraiment trahie. Jai dabord refus de laccabler Elle a trs bien compris, comme tu dis, et ma ordonn de tmoigner contre elle pour quon ne me fasse plus de mal. Mais profrer ces mensonges fut un cauchemar. Je suis n avec le don Hlas, jignore comment lutiliser. Sinon, je tenterais de vous soulager. Dsol Jespre au moins que la douleur sattnue. Aydindril tant occupe par lOrdre Imprial, jai bien peur quelle augmente encore. Les DHarans vous ont torture ? Non, cest un sorcier keltien qui a donn lordre. Lors de son vasion, Kahlan la tu. Mais la majorit des soldats sont des DHarans. Et comment ont-ils trait les habitants de la ville ? Matresse Sanderholt se passa les mains sur les bras, comme si elle grelottait de froid. Richard pensa lui poser sa cape sur les paules. Mais il se ravisa, et laida plutt remonter son chle, qui avait encore gliss. Les DHarans ont conquis Aydindril cet automne. Les combats furent trs durs. Depuis quils ont cras toute rsistance, ils ne sont pas si cruels que a, part quelques drapages. Peut-tre pour ne pas dvaloriser leur prise de guerre Cest bien possible Ont-ils aussi investi la Forteresse du - 34 -

Sorcier ? Matresse Sanderholt jeta un coup dil limposant difice. Je ne crois pas Des sortilges la protgent, et les militaires dharans redoutent la magie. Que sest-il pass aprs la guerre contre DHara ? Nos ennemis, comme beaucoup dautres peuples, ont pactis avec lOrdre Imprial. Les Keltiens ont peu peu pris le pouvoir, mme si les DHarans continuent leur fournir lessentiel de la logistique et des troupes. Les Keltiens nont pas peur de la magie. Le prince Fyren et son sorcier ont pli le Conseil leur volont. Aprs la mort de Fyren, du sorcier et de tous les conseillers, il est difficile de dire qui commande. Les DHarans, je suppose. Bref, nous sommes toujours la merci de lOrdre Imprial. Sans la Mre Inquisitrice et sans le grand sorcier, notre avenir est trs sombre. Je sais que Kahlan a d fuir pour sauver sa tte, mais La vieille femme hsitant, Richard acheva sa phrase. Depuis la cration des Contres du Milieu, et la fondation dAydindril, seules des Mres Inquisitrices y ont exerc le pouvoir. Tu connais notre histoire ? Kahlan men a racont une partie. Elle a le cur bris davoir abandonn sa ville. Matresse Sanderholt, nous ne laisserons pas Aydindril entre les mains de lOrdre, et nous lui arracherons aussi les Contres du Milieu. Vous avez ma parole. Ce qui tait nest plus, soupira la vieille femme. LOrdre Imprial rcrira lhistoire, et les Contres sombreront dans loubli. Richard, je sais que tu as hte de partir dici. Rejoins Kahlan et trouvez-vous un endroit paisible o vivre heureux. Ne pensez pas avec amertume tout ce qui a t perdu. Quand tu verras ta bienaime, dis-lui que la foule qui se rjouissait en assistant son excution ne reprsente pas tout son peuple. Beaucoup de braves gens ont pleur sa mort. Depuis quelle est partie, jai eu le temps de voir la ralit sous toutes ses facettes. Comme partout, il y a des tres mprisables en Aydindril. Mais on y trouve toujours des curs purs qui ne loublieront pas. Mme si nous sommes dsormais des sujets de lOrdre Imprial, le souvenir des Contres du Milieu ne seffacera pas de nos esprits. Merci, matresse Sanderholt. Kahlan sera contente de savoir que des hommes et des femmes lui restent fidles, et chrissent encore les Contres. Mais ne vous dcouragez pas. Tant que nous refuserons de courber lchine, il y aura de lespoir. Et nous finirons - 35 -

par vaincre. La vieille femme sourit. Dans ses yeux, Richard lut pourtant un dsespoir infini. Elle ne croyait pas un mot de ce quil venait de dire. Vivre sous le joug de lOrdre, mme peu de temps, tait assez atroce pour souffler jusqu la dernire tincelle despoir. prsent, il comprenait pourquoi elle tait reste en Aydindril. O aurait-elle pu aller, de toute faon ? Richard retrouva son pe dans la neige et essuya la lame sur la tunique de cuir dun mriswith dcapit. Puis il la remit au fourreau. Entendant des murmures dans leur dos, le Sourcier et sa compagne se retournrent. En haut des marches, un petit groupe daides cuisiniers, lair incrdule, regardaient le carnage Et Gratch ! Un homme avait ramass un des couteaux trois lames. Lair pensif, il le faisait tourner entre ses mains. Peu dsireux dapprocher du garn, il fit signe matresse Sanderholt de le rejoindre. Agace, la vieille femme lui ordonna de descendre jusqu elle. Vot par une vie de dur labeur plus que par lge, mme si ses cheveux grisonnaient il dvala les marches en se dhanchant, comme sil portait un sac de grain sur les paules. Arriv devant matresse Sanderholt, il la salua dune rapide rvrence. Puis son regard vola nerveusement de Gratch Richard. Que se passe-t-il, Hank ? Nous avons des problmes, matresse Sanderholt. Jai mes propres soucis, en ce moment Vous ntes pas fichus de dfourner le pain sans mon aide ? Bien sr que si, matresse Mais nos problmes ont un rapport avec ces hum (Il dsigna les mriswiths dchiquets.) cratures. Que veux-tu dire ? demanda Richard. Hank baissa les yeux sur lpe du Sourcier et les releva trs vite. Je crois que Gratch ayant cru malin de lui sourire, le pauvre homme ne parvint plus articuler un mot. Hank, dit Richard, regarde-moi ! (Il attendit que laide cuisinier obisse.) Ce garn ne te fera pas de mal, et les cratures sont des mriswiths. Gratch et moi les avons tues, daccord ? prsent, parle-nous de tes problmes. - 36 -

Hank essuya sur son pantalon ses mains moites de sueur. Ces couteaux trois lames Jen ai ramass un, et Eh bien, je crois quils ont servi (Il hsita.) La panique se rpand comme une trane de poudre, matresse Sanderholt. Des gens sont morts, le ventre ouvert par des armes trois lames. La signature des mriswiths, fit Richard. On ne les voit pas venir et ils viscrent leurs proies. O et quand a-t-on trouv ces cadavres ? Partout en ville, aux premires lueurs de laube. Jen ai dduit quil y avait plusieurs tueurs. voir tous ces mriswiths morts, je nen doute plus. Les cadavres sont disposs comme les rayons dune roue dont le moyeu serait le palais. Les monstres ont tu tous ceux quils ont trouvs sur leur chemin : les hommes, les femmes et mme les chevaux. Les soldats sont furieux, parce quils ont perdu des camarades. Ils redoutent une attaque massive. Un mriswith a charg une petite foule, dans une rue. Pour passer, il a fait un massacre ! Un autre sest introduit dans le palais. Il a tu une servante, deux gardes et Jocelyne. Matresse Sanderholt ferma les yeux et murmura une prire. Je suis navr, matresse Au moins, Jocelyne na pas souffert. Elle est morte sur le coup Il y a dautres victimes dans notre quipe ? Non. Jocelyne faisait une course quand cest arriv. Aucun monstre ne sest infiltr dans les cuisines. Sous le regard inquiet de Gratch, Richard leva les yeux vers la Forteresse. Au sommet de la montagne, la neige semblait rose la lumire de laube. Un got amer dans la gorge, le Sourcier regarda de nouveau la cit. Hank ? Messire ? Recrute quelques hommes et transportez les mriswiths devant la porte principale du palais. Alignez-les bien proprement, et plantez les ttes coupes sur des piques. Dbrouillez-vous pour que toute personne qui entre ici soit oblige de zigzaguer entre les cadavres. Hank se racla la gorge, comme sil voulait protester. Un nouveau regard sur lpe du Sourcier len dissuada. vos ordres, messire ! Il sinclina devant matresse Sanderholt et courut chercher de laide pour remplir sa mission. - 37 -

Les mriswiths ont srement des pouvoirs magiques, expliqua Richard. Ma petite exposition dissuadera peut-tre les DHarans dinvestir le palais. Provisoirement, en tout cas. Richard, es-tu le seul capable de sentir ces cratures avant quil ne soit trop tard ? Non. On me la fait croire, mais ce ntait pas vrai. Gratch les repre aussi, et il semble mme plus efficace que moi, ce jeu LOrdre Imprial voue aux gmonies la magie et ceux qui la pratiquent. Lhomme que le mriswith a appel celui qui marche dans les rves a peut-tre charg les monstres dliminer tous les sorciers. Pas mal raisonn Mais o voulez-vous en venir ? Zedd est un sorcier. Kahlan aussi dtient une forme de pouvoir Richard frmit en entendant la vieille femme exprimer ses propres angoisses voix haute. Je sais, mais jai une ide Pour le moment, je moccuperai de ce qui se passe ici. LOrdre Imprial va trop loin ! Et tu crois pouvoir larrter ? Je ne veux pas toffenser, mais tu ignores comment utiliser ton don. Il nous faudrait un vrai sorcier, et tu nen es pas un. Pars tant que cest encore possible. Pour me cacher o ? Si les mriswiths mont dbusqu ici, ils me retrouveront partout ! (Sentant quil sempourprait, le jeune homme se dtourna.) Je sais bien que je ne suis pas un sorcier Alors, que comptes-tu faire ? La Mre Inquisitrice Kahlan, au nom des Contres du Milieu, a dclar la guerre lOrdre Imprial. Le but de lOrdre est dradiquer la magie pour mieux dominer les peuples. Si nous ne combattons pas, tous ceux qui ont un pouvoir mourront, et les gens normaux seront rduits en esclavage. Les Contres et les autres pays ne connatront plus la paix tant que lOrdre naura pas t cras ! Richard, il y a des milliers de soldats en ville. Quespres-tu accomplir, seul contre tous ? Las de ne jamais savoir quelle catastrophe lattendait au tournant, le Sourcier en avait assez quon lemprisonne, quon le torture, quon lui mente et quon se serve de lui. Et il ne supportait plus de voir mourir des innocents. Il devait agir. Bien que ntant pas un sorcier, il en connaissait plusieurs ! Zedd tait quelques semaines de cheval, au sud-ouest. Il admettrait que - 38 -

dbarrasser au plus vite Aydindril des soudards de lOrdre tait une priorit. Comme protger la Forteresse. Si ce sanctuaire tait dtruit, combien de trsors seraient jamais perdus ? Si a ne suffisait pas, le Sourcier irait dans lAncien Monde, au Palais des Prophtes, o il trouverait de laide. Son ami Warren, par exemple Mme sil ntait pas compltement form, il connaissait la magie et saurait lutiliser. Mieux que Richard, en tout cas. Sur Verna aussi viendrait son secours. Moins puissantes que les sorciers, les Surs de la Lumire contrlaient cependant assez de magie pour tre redoutables. Hlas, seule Verna tait fiable. Et peut-tre aussi la Dame Abbesse, Annalina Bien quil dtestt sa faon de lui cacher des informations, et daltrer la vrit pour arriver ses fins, il la savait dpourvue de malveillance. Avec des moyens discutables, cette femme servait nanmoins une juste cause. Et elle ne lui tournerait pas le dos. Enfin, il restait Nathan. Ayant pass la plus grande partie de sa vie au palais, sous la protection dun sortilge, le Prophte frlait les mille ans dexistence. Comment imaginer ce quun homme pareil pouvait savoir ? Nathan avait vu du premier coup dil que Richard tait un sorcier de guerre le premier depuis des lustres. Il lavait aid comprendre sa propre nature et laccepter. Sil lui demandait son assistance, il ne refuserait pas. Dautant plus quil tait un Rahl donc un lointain anctre du Sourcier. En ce moment, marmonna Richard, les agresseurs dictent les rgles du jeu. Je dois changer a. Comment ? demanda matresse Sanderholt. Il faut que je les surprenne Richard laissa courir ses doigts sur la garde de son pe. Il suivit le trac du mot Vrit , tiss en fils dor le long de la poigne, et sentit la magie remonter dans son bras. Je porte lpe de Vrit, qui me fut remise par un authentique sorcier. Le Sourcier a une mission accomplir, et il ne se drobera pas. Pensant aux malheureux ventrs par les mriswiths, Richard se laissa emporter par la fureur que lui communiquait son arme. Je jure, murmura-t-il, de donner des cauchemars celui qui marche dans les rves ! - 39 -

Chapitre 4

Mes bras me dmangent, se plaignit Lunetta. Il y a beaucoup de pouvoir, ici Tobias Brogan jeta un coup dil derrire son paule. Les lambeaux de tissus multicolores qui habillaient la vieille femme volaient au vent tandis quelle se grattait frntiquement. Au milieu des soldats revtus darmures et de cottes de mailles rutilantes, une cape pourpre sur les paules, la silhouette grotesque de Lunetta voquait un pouvantail perch sur un cheval. Ses bajoues ballottaient au rythme de ses contorsions, et ses lvres retrousses rvlaient une bouche la denture pourrissante. Dgot, Brogan dtourna les yeux. Lissant son impressionnante moustache, il contempla un moment la Forteresse du Sorcier, niche flanc de montagne. Les premiers rayons de soleil de cette fin dhiver se refltaient sur la pierre sombre de ldifice, ajoutant son aspect sinistre. De la magie, seigneur gnral, insista Lunetta. Vous pouvez me croire, il y en a dans le coin. Et trs puissante La vieille folle continua marmonner au sujet de ses fichues dmangeaisons. Tais-toi, streganicha ! Un crtin congnital naurait pas besoin de tes misrables pouvoirs pour savoir quune aura de magie enveloppe Aydindril. Sous ses paupires tombantes, les yeux de la femme brillrent de sauvagerie. Mais vous navez jamais vu une magie comme celle-l, dit-elle dune voix trop fluette pour le reste de sa personne, uniformment boursoufle. Et moi non plus Jen sens aussi au sud-ouest, pas seulement ici. Sans cesser de grommeler, Lunetta se gratta de plus belle. Brogan survola du regard la foule qui se pressait dans la rue, puis tudia dun il critique les superbes palais aligns dans lavenue des - 40 -

Rois, comme lappelaient les indignes. Ces btiments taient conus pour impressionner le badaud, cens tre bahi par la richesse, la puissance et le bon got de leurs propritaires. Tous arboraient de majestueuses colonnades, des faades richement ornementes, des fentres tape--lil et des toits tarabiscots. Des paons de pierre occups faire la roue ! conclut Brogan, cur. Lart du gaspillage et de lostentation pouss son maximum Dans le lointain, Tobias aperut le Palais des Inquisitrices, avec ses tours et ses colonnes dix fois plus prtentieuses que les autres. Avec sa pierre aussi blanche que la neige, ce lieu impie tentait de se dissimuler derrire une illusoire puret. Ses doigts osseux caressant ltui trophes accroch sa ceinture, Brogan crasa de son mpris ce sanctuaire de la perversit, instrument de lignoble domination de la magie sur lauthentique foi. Seigneur gnral, insista Lunetta, mavez-vous entendue ? Brogan se retourna sur sa selle, ses bottes impeccablement cires craquant contre le cuir de ses triers. Galtero ! appela-t-il. Coiff dun casque orn de crins de cheval teints en rouge, pour rappeler les capes de soldats, le colonel aux yeux noirs froids comme la mort lcha ses rnes dune main et approcha de son chef au petit trot. Gnral ? Si ma sur refuse de se taire quand je le lui ordonne, billonnez-la ! Lunetta jeta un regard dubitatif au colosse qui chevauchait dsormais prs delle, blouissant dans son armure polie. Tente de continuer ronchonner, elle baissa les yeux sur les armes accroches la ceinture du militaire, les releva pour croiser son regard de tueur et prfra ne pas insister. Pardonnez-moi, seigneur gnral, dit-elle sans cesser de se gratter. Histoire de prouver sa bonne volont, elle inclina humblement la tte. Galtero fit faire un cart son hongre gris. Effraye, la jument baie de Lunetta manqua de semmler les jambes. Silence, streganicha ! Tremblant sous linsulte, la femme foudroya le mufle du regard. - 41 -

Mais sa rbellion ne dura pas, et elle se ratatina sur sa selle. Je ne suis pas une sorcire, marmonna-t-elle. Galtero leva un sourcil, la rduisant dfinitivement au silence. Le colonel tait un homme de devoir. Si on lui donnait lordre de lgorger, le lien familial qui unissait Lunetta au gnral ne retiendrait pas sa main. Cette femme tait une streganicha souille par le dmon. Sil le fallait, Galtero, comme les autres hommes, la saignerait blanc sans lombre dune hsitation. Car la mission passait avant les considrations sentimentales. Et Lunetta tait un tmoignage vivant de la perversit du Gardien, qui adorait frapper les justes et souiller les plus nobles familles. Sept ans aprs la naissance de la streganicha, le Crateur avait rpar cette injustice avec la venue au monde de Tobias, destin purifier ce que le Gardien avait corrompu. Hlas, il tait trop tard pour la mre des deux enfants, qui sombrait dj dans la folie. Lanne de ses huit ans, son pre pouss au tombeau par le dshonneur et sa mre dfinitivement aline, le futur gnral avait hrit dun fardeau crasant : grer le don de sa sur, dfaut de la contrler. cette poque, Lunetta ladorait. Tobias stait servi de son amour pour la convaincre de satisfaire aux exigences du Crateur. Devenu son guide en matire de morale, il lui avait transmis les enseignements que les membres du cercle royal lui prodiguaient. Lunetta avait toujours eu besoin dun tuteur. me innocente victime dune maldiction qui la dpassait, elle tait incapable de la combattre et moins encore de sen librer. Avec une ardeur impitoyable, et un enttement admirable, Brogan avait lav lhonneur de sa famille, sali par la prsence en son sein dune magicienne. Ce travail de longue haleine avait port ses fruits, rduisant ses dtracteurs au silence. Le stigmate transform en glorieux tendard, Tobias tait devenu le plus exalt parmi les exalts ! Il adorait sa sur au point de lgorger lui-mme, sil le fallait, pour larracher aux tentacules du Gardien. Oui, pour la soustraire la corruption suprme, sil ntait plus possible de la contenir, le gnral tait prt tuer ltre quil aimait le plus au monde. Aussi cruel que ce ft, Lunetta cesserait de vivre le jour o elle ne laiderait plus arracher le mal la racine en dmasquant les messagers du flau. Pour lheure, malgr la souillure qui la rongeait de lintrieur, celle quil appelait la vieille sorcire continuait - 42 -

lui tre utile. Lunetta ne ressemblait pas grand-chose dans son costume dpouvantail. trangement, ses haillons bariols taient son ultime joie, au point quelle les avait surnomms les mignons . Mais se fier aux apparences aurait t une erreur, car le Gardien lavait dote dun pouvoir et dune force considrables. Dont son frre, lutteur infatigable, lavait peu peu dbarrasse. Toutes les crations du Gardien souffraient du mme dfaut. Avec de lingniosit, les vrais dvots pouvaient les retourner contre lui. Car pour lutter contre limpit, le Crateur leur fournissait toujours les bonnes armes condition de faire leffort de les chercher et dtre assez audacieux pour les utiliser. Cette aptitude, une manifestation suprieure de la sagesse, avait sduit Tobias ds sa rencontre avec les hros de lOrdre Imprial. Assez intelligents pour comprendre le paradoxe ultime, ils avaient os se servir de la magie afin de dbusquer et de dtruire limpit. Comme Brogan, lOrdre se servait des streganicha. Apparemment, ses membres les apprciaient et leur faisaient confiance. dire vrai, Brogan naimait pas que les sorciers soient autoriss se promener librement, collecter des informations et mettre des suggestions. Mais sils se retournaient contre la cause, eh bien, il avait toujours Lunetta ses cts Sur ou pas, ctoyer ainsi le mal le rvulsait. Alors que laube se levait peine, les rues grouillaient dj de monde. Devant chaque ambassade, des soldats de toutes les origines montaient la garde. Dautres hommes, essentiellement des DHarans, patrouillaient en ville. Aux aguets, ils semblaient attendre tout moment une attaque surprise. Officiellement, ces militaires contrlaient la situation. Enclin ne rien croire sur parole, Brogan avait organis ses propres patrouilles, la nuit prcdente. Selon ses officiers, il ny avait aucun rsistant le nom pompeux que se donnaient les indignes rebelles aux alentours dAydindril. Brogan adorait arriver quand on lattendait le moins, et avec davantage dhommes que prvu. Une sage prcaution, au cas o il devrait prendre les vnements en main. Ce matin, cinq cents guerriers laccompagnaient. Sil dcouvrait que les choses nallaient pas bien en ville, le gros de son arme les rejoindrait. Une force en mesure dcraser nimporte quelle insurrection, comme elle lavait dj prouv. - 43 -

Si les DHarans navaient pas t ses allis, leur nombre aurait inquit Brogan. Bien quil et toute confiance en ses soldats, seuls les vaniteux livraient bataille quand les chances taient gales. Pour ferrailler lorsquelles taient contre soi, il fallait tre un imbcile ! Deux catgories dhommes que le Crateur ne portait pas dans son cur. Levant une main, Tobias fit ralentir la colonne pour laisser passer une patrouille de DHarans qui traversait la rue. Il trouva inconvenant que ces soldats avancent en formation de bataille sur la voie publique. Mais ces brillants guerriers, dans une ville conquise, en taient peut-tre rduits effrayer les badauds et les tire-laine grand renfort de manifestations de force. Armes au poing, lair pas commode, les DHarans ne quittrent pas les cavaliers des yeux, guettant tout signe dhostilit. Brogan stonna quils marchent ainsi, acier au clair. Dcidment ces gaillards taient du genre prudent Ne se laissant pas impressionner, ils ne daignrent pas acclrer le rythme. Tobias eut un sourire satisfait. Des hommes de moindre valeur auraient allong le pas Leurs armes, essentiellement des pes et des haches, ne brillaient pas au soleil comme des diamants. Cette sobrit volontaire les rendait plus menaantes encore des outils de mort choisis pour leur efficacit, pas pour en mettre plein la vue aux civils. Vingt fois moins nombreux que les cavaliers, les soldats en uniforme de cuir noir regardrent leurs armures polies avec une suprme indiffrence. En rgle gnrale, le mtal scintillant et les armes rutilantes taient lapanage des chefs vaniteux. Dans ce cas prcis, cela tmoignait du sens de la discipline de Brogan, et de son souci pointilleux du dtail. Mais les DHarans lignoraient srement. L o Tobias et ses fidles taient mieux connus, un coup dil sur leurs capes pourpres suffisait faire blmir les hommes les plus costauds. Et en voyant briller leurs armures, la plupart de leurs ennemis dtalaient sans demander leur reste Alors quils traversaient les monts RangShada, aprs avoir quitt Nicobarese, Brogan et ses fidles avaient crois une arme de lOrdre Imprial essentiellement compose de DHarans. Brogan avait t impressionn par le gnral Riggs, qui stait montr trs ouvert ses conseils et ses suggestions. Fascin par le bonhomme, Tobias lui avait laiss une partie de ses forces pour - 44 -

laider conqurir plus vite les Contres du Milieu. En route pour Ebinissia, la capitale de Galea, Riggs et ses braves taient chargs de soumettre la cit lOrdre Imprial. Le Crateur en soit lou, ils avaient russi. Les DHarans taient connus pour ne pas aimer la magie, et cela plaisait Brogan. En revanche, quils en aient peur le dgotait. Pour le Gardien, la sorcellerie tait un moyen de sintroduire dans le monde des vivants. Sil tait juste de redouter le Crateur, il convenait dradiquer la magie, puisquelle combattait dans le camp du royaume des morts. Pendant longtemps jusqu la chute de la frontire, au printemps prcdent DHara avait t isole des Contres du Milieu. Pour Brogan, ces pays et leurs habitants taient un nouveau territoire attendant quon lui dispense la lumire. Et probablement quon le purifie Darken Rahl, le matre de DHara, avait fait disparatre la frontire pour permettre ses troupes denvahir les Contres du Milieu et de conqurir Aydindril entre autres cits. Sil stait davantage intress aux affaires humaines, Rahl aurait tenu les Contres sous sa coupe avant que quiconque ait pu lever une arme contre lui. Mais sa funeste passion pour la magie avait prcipit sa perte. Aprs son assassinat par un prtendant au trne en croire les rumeurs les forces dharanes staient unies lOrdre Imprial. Il ny avait plus en ce monde un endroit sr pour lantique religion agonisante quon nommait la magie . Le rgne de lOrdre Imprial commenait, et la gloire du Crateur guiderait les hommes. Ses prires ayant t exauces, Tobias Brogan remerciait chaque jour le Crateur de lavoir fait natre une poque o il pourrait participer la plus belle aventure de tous les temps. Acharn la perte de la magie blasphmatoire, il chevaucherait la tte des justes pour livrer lultime bataille entre le bien et le mal. Lhistoire tait en marche, et Tobias jouait les claireurs pour elle Rcemment, le Crateur tait venu le visiter dans ses rves pour le fliciter de luvre quil avait entreprise. Craignant de paratre prsomptueux, Brogan nen avait pas parl ses hommes. tre distingu par le Crateur paraissait assez satisfaisant comme cela Mais il en avait inform Lunetta, qui nen tait toujours pas revenue. Aprs tout, le Crateur daignait rarement sadresser un de Ses enfants La patrouille ayant fini de traverser, Brogan talonna lgrement - 45 -

son cheval. Aucun DHaran navait daign se retourner pour voir si les cavaliers se montraient menaants, ou sils faisaient mine de suivre le dtachement. Mais tenir ce comportement pour de la ngligence et t du crtinisme, et Tobias navait rien dun idiot. La colonne reprit son chemin. Alors que la foule scartait respectueusement, Brogan reconnut les uniformes de certains soldats posts devant les palais : des Sandariens, des Jariens et des Keltiens. Ne voyant pas lombre dun Galeien, il conclut que Riggs et ses hommes avaient fait de lexcellent travail Ebinissia. Ds quil aperut des uniformes de son pays, Tobias fit signe une escouade de se lancer au galop. Leurs capes pourpres flottant au vent un moyen imparable de sidentifier les cavaliers dpassrent les fantassins, les piquiers et les porte-tendard, puis prirent rapidement de lavance sur leur chef. Les sabots ferrs de leurs montures martelant le marbre, ils sengagrent dans limmense escalier du Palais de Nicobarese, un difice aussi pompeux que les autres avec ses colonnes canneles en marbre marron veinures blanches un matriau rarissime directement import des montagnes de lest de Nicobarese. Un exemple de plus du gaspillage et de la prtention qui donnaient la nause Brogan Les soldats de larme rgulire en poste devant lambassade sursautrent en reconnaissant les cavaliers. Alors quils sempressaient de les saluer, le bras quelque peu tremblant, les hommes aux capes pourpres les forcrent scarter pour cder le passage leur gnral. Au sommet de lescalier, Brogan mit pied terre entre deux statues de guerriers monts sur des talons cabrs. Accordant peine un regard ces monuments de mauvais got en pierre couleur peau de chamois, il tendit les rnes de son cheval un garde au teint cendreux. Tobias contempla la ville et son regard sattarda longuement sur le Palais des Inquisitrices. Il tait de trs bonne humeur, un vnement de plus en plus rare, ces derniers temps Mais ne contemplait-il pas laube dune nouvelle re ? Longue vie au roi ! lana le garde quand Tobias se retourna. Il est un peu tard pour le lui souhaiter, jen ai peur Que voulez-vous dire, messire ? osa demander le soldat, la tte baisse en signe de respect. Le roi, rpondit Tobias en lissant sa moustache, ne mritait pas lamour que nous lui portions. Sa vraie nature rvle, il a brl - 46 -

pour expier ses pchs. prsent, soldat, occupe-toi de mon cheval. (Il fit signe un autre garde.) Toi, va prvenir les cuisiniers que je meurs de faim. Surtout, quils ne me fassent pas attendre, ou il leur en cuira ! Le soldat partit au pas de course. Galtero ! appela Tobias. (Toujours cheval, le colonel approcha de son suprieur.) Prends la moiti des hommes, et ramne-moi cette garce. Aprs mtre restaur, je la ferai passer en jugement. Du bout des doigts, le gnral tapota ltui accroch sa ceinture. Bientt, il ajouterait sa collection une pice de choix la plus belle quon puisse imaginer. cette ide, il eut un sourire qui dforma la vieille cicatrice, au coin de sa bouche, mais neut pas dcho dans ses yeux noirs. Tobias Brogan serait le principal artisan du redressement moral du monde. Et il sen rengorgeait davance. Lunetta (Plus que jamais semblable un pouvantail, la sur de Tobias contemplait le Palais des Inquisitrices en se grattant un bras.) Lunetta ! Oui, seigneur gnral ? Tobias rejeta sa cape en arrire et remit bien droit linsigne de son grade. Viens manger avec moi. Jai un nouveau rve te raconter Vraiment, gnral ? Je brle de lentendre, vous savez Cest un tel honneur pour moi a, tu peux le dire (Ils franchirent les grandes portes ridiculement ornes et entrrent dans le palais.) Nous devons aussi parler, et il faudra que tu mcoutes attentivement. Tu le feras, nest-ce pas ? Comme toujours, gnral ! Brogan sarrta devant une fentre munie dun somptueux rideau bleu. Sortant son couteau, il coupa une large bande de tissu, sur le bord, l o pendaient des pompons en fils dor. Trs excite, Lunetta se passa la langue sur les lvres et sautilla dimpatience. Un nouveau mignon pour toi, trs chre. Ravie, Lunetta sempara de la bande de tissu, ladmira un instant, puis, la posant partout sur son corps, tenta de dterminer le meilleur endroit o lajouter son pathtique accoutrement. Merci, seigneur gnral. Il est magnifique. - 47 -

Sa sur sur les talons, Brogan avana dans le grand couloir au sol couvert dun magnifiqu