la revue du projet n°27

48
N°27 MAI 2013 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF P. 6 LE DOSSIER P. 26 LE GRAND ENTRETIEN LA TRANSFORMATION DE L’EUROPE NE PEUT QU’ÊTRE L’ŒUVRE DES PEUPLES EUX-MÊMES Patrick Le Hyaric P. 42 REVUE DES MÉDIA LES MÉDIA DANS L'AFFAIRE CAHUZAC Anthony Maranghi P. 38 SCIENCES LES FRACTALES LISSES : UN NOUVEL OBJET MATHÉMATIQUE, FRUIT DE NOUVELLES CONDITIONS DE RECHERCHE ? Vincent Borelli NATIONALISATIONS : L’INTÉRÊT GÉNÉRAL

Upload: lr-2013

Post on 06-Mar-2016

237 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

La revue du projet n°27

TRANSCRIPT

Page 1: La revue du projet n°27

N°27MAI2013

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

P.6 LE DOSSIER

P.26 LE GRAND ENTRETIEN

LA TRANSFORMATIONDE L’EUROPENE PEUT QU’ÊTREL’ŒUVRE DESPEUPLES EUX-MÊMESPatrick Le Hyaric

P.42 REVUE DES MÉDIA

LES MÉDIA DANSL'AFFAIRE CAHUZACAnthony Maranghi

P.38 SCIENCES

LES FRACTALES LISSES :UN NOUVEL OBJETMATHÉMATIQUE, FRUIT DE NOUVELLESCONDITIONS DERECHERCHE ?Vincent Borelli

NATIONALISATIONS :L’INTÉRÊT GÉNÉRAL

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page1

Page 2: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

Emparez-vous deLa Revue du projet

Abonnez-vousAbonnez autour

de vous !

Réagissez aux articles, exposez

votre point de vue.Écrivez à

[email protected]

4 POÉSIESFranck Delorieux Lord Byron, un homme libre

5 REGARDÉtienne Chosson Retour du monde

6 u23 LE DOSSIERNATIONALISATIONS : L’ INTÉRÊT GÉNÉRALÉdito : Léo Purguette et Renaud Boissac Approprions-nous la nationalisation  !Yves Dimicoli Comment réussir l’appropriationsociale des entreprises  ?Anicet Le Pors La propriété publique, fondementdu service publicThierry Foucaud Faites aujourd’hui ce que vousauriez déjà dû faire pour Florange  : nationali-sez  !Claire Andrieu Nationalisation, retour historiqueAlain Gautheron Regard syndical sur l’histoiredes nationalisationsJacky Henin Avoir le courage de nationaliserYann Le Pollotec Quand le « passage des bits auxatomes  » appelle l’appropriation sociale desmoyens de productionSylvie Mayer L’économie sociale et solidaire  :une autre manière de faire sociétéValérie Goncalves Énergie  : service public et inté-rêt généralOusmane Sarr Naturalisme et aliénation dans lesManuscrits de 1844 de Karl Marx.Karina Kellner Pour un service public nationaldécentralisé de l’eau  !

Jacques Rigaudiat Entreprises en difficulté  : laquestion des nationalisations temporairesAymeric Seassau Quelle politique industrielledans les Pays-de-la-Loire ? Jean-Luc Gibelin Un pôle public du médicament Robert Mencherini Les réquisitions de Marseille(1944-1948)Frédéric Cherasco Prendre ses responsabilitésObey Ament Les nationalisations en Amériquelatine, instrument de souveraineté et de déve-loppementDenis Durand Nationalisations : banques et insti-tutions financières

24 FORUM DES LECTEURS

26 u29 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENPatrick Le Hyaric La transformation de l’Europene peut qu’être l’œuvre des peuples eux-mêmesBRÊVES DE SECTEURIan Brossat LGBT - Égalité des droits : continuerle combat Pierre Dharreville République, démocratie et ins-titutions - Des États généraux et une nouvelleConstituante

30 COMBAT D’ IDÉESGérard Streiff Une société entre crispations etattentes

32 MOUVEMENT RÉELGeorges Labica Robespierre, itinéraire philoso-phique

34 HISTOIREClément Lenoble « L’argent est le crottin duDiable » ? L’Église, l’argent et l’usure au MoyenÂge

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESJean Tricart Pourquoi une géomorphologiemarxiste ?

38 SCIENCESVincent Borelli Les fractales lisses : un nouvelobjet mathématique, fruit de nouvelles condi-tions de recherche ?

40 SONDAGESGérard Streiff Logement : une forte demandede mixité sociale

41 STATISTIQUESMichaël Orand 200 000 Français vivent en couple avec unepersonne de même sexe (dont une sur dixavec un enfant)

42 REVUE DES MÉDIAAnthony Maranghi Les média dans l'affaireCahuzac

44 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• LIRE : Igor Martinache, Réindustrialisation :modes d'emploi(s)• Yves Frey, La guerre d’Algérie en Alsace• Jean Lojkine, Une nouvelle façon de faire dela politique• « Temps couvert pour les printempsarabes », Recherches internationales, n° 94 • La Pensée libre : 1941-1942• « Chine : Regards croisés » La Pensée, n° 373

SOMMAIRE2

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.Parce que prendre conscience d'un problème, c’est déjà un premier pasvers sa résolution, nous publions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimant dans la revue.

Femmes Hommes

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page2

Page 3: La revue du projet n°27

3

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

3

GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN, RÉDACTEUR EN CHEF

ÉDITO

LA TÉLÉVISION, LE KAÏROS,LE PROJET ET VOUSA la télévision ces temps-ci, on voit

les renoncements du gouverne-ment. On voit la traînée de la

comète Cahuzac. On voit le succèsdes mobilisations homophobes. Onvoit le résultat des élections partielleset le triomphe des droites radicales.On voit les commentateurs habituelsparler de la « droitisation de la société ».Et on se dit qu’ils n’ont pas tort, quela partie est perdue : le peuple ne trou-vera donc jamais d’issue qu’à droite.On se dit, finalement, qu’il n’y a qu’àpleurer, seul, chez soi. Eh bien, on setrompe – ou, plutôt, on est trompé…Non ! Ce n’est pas un appel à étein-dre sa télévision pour réfléchir. C’estun appel à la regarder mais à regar-der ce qui est le plus intéressant pourcomprendre une époque – et qui n’abien sûr rien à voir avec les « débats »entre semi-habiles installés. Le plusintéressant donc : la publicité. Quenous dit-elle ? Elle nous vante « labanque de l’économie réelle » (PSABanques). Elle nous dit encorequ’une « banque qui appartient à sesclients, ça change tout » (Créditmutuel). Elle proclame même : « LaFrance a une longue tradition : fairela Révolution » (Renault) ! Quand legrand capital en est réduit à fairel’éloge de la Révolution pour trouverl’oreille (et le portefeuille) du client,aucun doute n’est plus permis : c’estque le peuple, idéologiquement, està gauche comme rarement dans sonhistoire ! Tout le reste est enfumageet baratin visant à légitimer lesrenoncements et revirements,œuvrant à désespérer notre peupleet à désamorcer sa combativité.

Est-ce à dire que tout va bien et quel’hégémonie irrésistible est acquise ?Assurément non. Reste que nous nesommes plus dans l’enfer des années1980-1990 et que l’époque est dispo-nible pour notre intervention. Il fautmême dire davantage et la notiongrecque de kaïros nous le souffle àl’oreille si on veut bien l’entendre. Lekaïros, dans son sens classique, c’est

le moment opportun, l’instant pro-pice, l’occasion favorable qui appellel’action et rend possible son succès,si on sait le saisir par les cheveux.Mais, en un sens plus ancien – homé-rique –, c’est tout autant le lieu vul-nérable que vise l’ennemi pourentraîner la mort. Obscure dialec-tique ? Non, transposons simple-ment : le peuple est à gauche à unniveau record – lisez Guy Michelat etMichel Simon si les publicités ne voussuffisent pas – et cette situation pré-sente inévitablement les deux visagesdu kaïros : occasion historique à sai-sir pour les forces populaires ;moment où redoublent les assautsacharnés des forces du capital.

Deux lourdes raisons pour déployerà toute force notre effort d’élabora-tion de projet. Ajoutons-en une troi-sième : notre peuple cherche des solu-tions pour sortir de ce bourbier,présenté à longueur d’antennecomme le seul monde possible :« Avez-vous vraiment quelque choseà proposer qui puisse changer la vieconcrètement ? » C’est bien là qu’ilfaut porter le fer, sur notre projet, sion veut saisir ce moment historique,si on ne veut pas l’abandonner auxcoups puissants et efficaces que lecapital assène avec méthode pourreprendre la main dans les faits etdans les têtes.

Travailler à la force, à la richesse et àla cohérence de notre projet : voilà,décidément, ce qu’appelle la situa-tion. Depuis le congrès, notre parti apris la question à bras-le-corps avecla refonte et le renforcement de sonpôle projet comme la constitutiond’un comité de pilotage placé sous laresponsabilité directe du secrétairenational. Le mois prochain, à notreinitiative, se tiendront, avec l’ensem-ble des forces du Front de gauche etau-delà, des assises nationales quipeuvent être un moment capital danscette construction de projet partagée.Tout roule donc et il n’est point besoin

que chacun, individuellement, mouillela chemise ? Ce serait croire qu’une crisede civilisation se vainc avec quelquescentaines de cerveaux et un petit mil-lier d’expériences. Non ! Résolument,comme nous y invitait Pierre Laurentdans ces colonnes le mois passé, ilnous faut « changer d’échelle ». Rienne sera à la hauteur du moment sansl’implication la plus large, la confron-tation la plus nourrie, la circulation laplus intense des réflexions de tous etde chacun, tous azimuts.

Mais comment faire pour ne pas enrester à la seule phrase ? La Revue duprojet a sans aucun doute, dans cecontexte, un rôle important à jouerpour offrir un lieu-creuset, un pointde confluence. Nous y travaillonschaque jour et ce « nous » s’agrandit,s’enrichit : nous sommes plus de qua-rante aujourd’hui – toujours béné-voles – dont quatre rédacteurs en chefadjoints nouvellement embarquésque je salue particulièrement.

Reste à ce que le plus grand nombres’empare de notre revue, l’investisse,l’envahisse ! Car si on pourrait se féli-citer que le site de notre jeune revuecompte plus de 40 000 visiteurs dif-férents (sans compter nos partena-riats), on ne saurait s’en contenter.Sans maximalisme boulimique, quine voit qu’il nous faut nécessairementviser plus et surtout mieux ? Car unerevue, si elle veut être vraiment utileà la construction d’un projet, doitoffrir le temps et l’espace d’approfon-dir des questions qui ne sont jamaissimples. Or, comment remplir ce rôlesans développer la version papier dela revue qui assure seule le temps etl’espace d’une lecture prolongée,annotée, recommencée, archivée ? C’est donc sans esprit publicitairemais avec la télévision, le kaïros et leprojet en tête que la revue vous lancecet appel : écrivez-nous, critiquez-nous, proposez-nous vos idées,envoyez-nous vos expériences et, lastbut not least, abonnez-vous ! n

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page3

Page 4: La revue du projet n°27

On peine à mesurer aujourd’hui l’influence et la

renommée de Byron qui furent siennes de son

vivant, alors qu’il n’est plus guère lu aujourd’hui –

en France à tout le moins – et qu’aucune traduc-

tion de ses œuvres complètes n’est disponible.

Pour prendre la mesure de son rayonnement, on

peut citer les propos de Goethe dans ses

Conversations avec Eckermann : « Et puis, Byron

n’est ni antique ni romantique, il est comme le

jour qui se lève. […] Écrire un essai sur Byron

n’est point facile et je ne le conseillerais à person-

ne ; mais quant à l’honorer et à attirer l’attention

sur lui, c’est ce que je ne cesserai de faire. »

Présenter sa vie et son œuvre en quelques lignes

est un défi impossible tant son écriture fut variée

et sa biographie intense. Toute son existence fut

émaillée de scandales. Le premier eut lieu lors de

son entrée à la Chambre des Lords où il fit un

discours vigoureux pour soutenir les ouvriers en

grève contre les patrons. Bisexuel, il collection-

nait les succès féminins et les jeunes amis. Après

un divorce pour cause de sodomie et la révéla-

tion de sa liaison avec sa demi-sœur avec qui il

avait eu un enfant, il dut fuir l’Angleterre où il ne

revint jamais. Tandis que son œuvre était lue et

célébrée dans toute l’Europe avec des titres

comme Manfred, Le Prisonnier de Chillon,

Mazeppa ou Childe Harold, il passa sa vie à voya-

ger en Espagne, en Italie, en Turquie… Il se lia

d’une grande amitié avec le poète Shelley dont il

incinéra le cadavre sur une plage. Après avoir

connu un dernier grand amour avec la comtesse

Guiccioli, il partit rejoindre la Grèce pour soutenir

la lutte d’indépendance contre les Turcs. Sa der-

nière œuvre, Don Juan, demeura inachevée. Il

mourut à Missolonghi en 1824 en héros des luttes

pour la liberté.

FRANCK DELORIEUX

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

44

POÉSIES

Lord Byron, un homme libre

Jamais plus, plus jamais, Oh, jamais plus sur moiLa fraîcheur du cœur ne versera sa roséeQui, de tous les objets aimables qu’il contemple,Tire des émotions magnifiques et neuves,Pour les recueillir comme une abeille en son sein.Croyez-vous que le miel se fasse en ces objets ?Hélas, ce n’est pas eux, mais toi qui détenaisLe pouvoir de redoubler la douceur des fleurs !

Jamais plus, jamais plus, Oh, jamais plus, mon cœurTu ne seras mon seul univers, mon seul monde !Tu fus mon tout jadis, maintenant tu es autre,Tu ne seras plus mon bienfaiteur, mon bourreau :L’illusion s’est enfuie et tu es devenuInsensible, je crois, mais tu y as gagné,J’ai acquis à ta place un vrai fonds de bon sens…Dieu sait comment il a pu se loger en moi.

Lord Byron, Don Juan.Traduction nouvelle de Laurent Bury et Marc Porée. Éditions Gallimard, collection Folio, 2006.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page4

Page 5: La revue du projet n°27

Jusqu'au cinq mai, le Musée d'art moderne et contem-porain de Genève (MAMCO) propose au visiteur de voirl'exposition « Retour du Monde » sur la commandepublique qui lui a été passée lors de la construction dutramway au nord de Paris. C'est non seulement l'occa-sion de voir les œuvres installées dans l'espace publicmais surtout, par le biais de notes, de dessins et d'es-quisses, de comprendre comment cette commande aété pensée et réalisée.

Les sept notes à propos de l'art dit public du directeurdu MAMCO, Christian Bernard, expriment ainsi l'étatd'esprit qui a dirigé les travaux. Celui-ci demande deprendre en compte à quel point «  l’espace public [...] estlargement privatisé essentiellement par le commerceet la publicité » et recommande aux artistes « de privi-légier les objets qui ne supposent pas de préacquis cul-turel dans le domaine de l’art contemporain ».

ÉTIENNE CHOSSON

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

REGA

RD

55

Retour du mondeCommandes publiques autour du tramway de Paris

Retour du Monde, Pascal Pinaud. La Grille, 476 mètres, 2013 © photo : Ilmari Kalkkinen – Mamco, Genève

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page5

Page 6: La revue du projet n°27

PAR LÉO PURGUETTE ET RENAUDBOISSAC*

«L à où est la propriété, là est lepouvoir » : tel était le mot d'or-dre de la gauche en arrivant au

pouvoir en 1981. Suez, Usinor, Thomson,CIC, Crédit lyonnais… autant d'entre-prises du secteur industriel et bancairequi tombaient alors dans le giron del'État. Dans les trente années qui ontsuivi, sous les coups de boutoir du néo-libéralisme triomphant, il n’est plus ques-tion que de privatiser. L’idée même de« nationalisation » n’est plus qu’utopiepour « marxistes démodés ». Partagéeentre conversion au social-libéralismeet désillusion face à la gestion étatistedes entreprises nationalisées, la gaucheelle-même la perd de vue. Le bilan de lagauche plurielle en témoigne. Malgrétout, dans les années 2000 des forcescomme le PCF, ont continué à dévelop-per des propositions comme la consti-tution de pôles publics impliquant des« nationalisations démocratiques », sanstoutefois rencontrer d'écho puissant.

Avec son expression très médiatique de« nationalisation temporaire », le minis-tre du Redressement productif ArnaudMontebourg n'a pas sauvé Florange maisrelancé le débat public autour du rôle del'État et de l'appropriation publique desmoyens de production !Dans une France en recherche de solu-

tions, la question des nationalisations està nouveau posée. Des salariés chezPetroplus et ailleurs la revendiquent. Faceà l'impasse du capitalisme financier,l'idée de donner à des millions de travail-leurs la maîtrise de leur outil de travailgrandit.

Ainsi, bien que le transfert de propriétésoit insuffisant à lui seul à réaliser unevéritable appropriation sociale, ne tom-bons pas dans le piège tendu par ceuxqui disent « puisque ce n’est pas suffi-sant, ce n’est plus nécessaire ! » D'autantplus que le patronat et les gouvernementss’intéressent, eux, à la propriété du capi-tal, car ils savent que celui-ci fonde leurdomination.Dès lors, comment considérer que l’onpourrait mettre en œuvre une politiquede transformation sociale sans s’attaquerau fondement de cette domination, sansréaliser une véritable appropriationsociale, fondée sur une large propriétépublique complétée de mesures coerci-tives en matière d’emploi, de salaires, deformation, d’investissement, derecherche-développement, de coopéra-tion, d’un véritable statut du travail sala-rié ?On entend aujourd'hui évoquer timide-ment par l'actuel gouvernement la misesous tutelle d’entreprises fautives, ou laprésence des représentants de l’État dansles banques et entreprises bénéficiairesde fonds publics. Mais ce serait bien lamoindre des choses ! Même si cela est

tout à fait insuffisant. Il est temps dedébattre collectivement des conditionset du périmètre de nouvelles nationali-sations.Notre histoire nous a appris que les plusgrandes réalisations industrielles, les plusbelles avancées sociales ont été le fait desentreprises publiques sous la pressiondes luttes. Ailleurs en Europe et dans lemonde, l'approfondissement de la crisedu capitalisme financier pose les mêmesquestions qu'en France. Le changementde logiques, de système devient de plusen plus urgent au regard de millionsd'êtres humains. Dans cette recherche,les nationalisations apparaissent à nou-veau comme un levier pour reprendre enmain notre destin collectif, non pas dansun seul pays, mais dans une coopérationà l'échelle mondiale.L'actualité de notre combat est là !Sachons le clamer : être moderne en 2013,c'est poser la nécessité de l'appropria-tion publique, collective et sociale.L'urgence sociale, écologique, écono-mique et démocratique nous le com-mande ! Ce dossier est à votre disposi-tion pour apporter – modestement – unepierre au débat, et contribuer à définirles voies concrètes d'émancipation col-lective qu'un « communisme de nouvellegénération » appelle. n

*Léo Purguette et Renaud Boissac sontmembres de l’équipe de rédaction de LaRevue du projet. Ils sont les coordonnateursde ce dossier.

LE DOSSIER

6

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

Nationalisations : l’intérêt général

Comment mettre en œuvre une politique de transformation sociale et de relanceindustrielle sans s’attaquer au fondement de la domination capitaliste, sans réa-liser une véritable appropriation sociale ? Telle est la question posée dans cedossier qu'éclairent des analyses historiques, des expériences contemporaineset des visions de l'évolution des services publics et de la propriété sociale.

APPROPRIONS-NOUS LA NATIONALISATION !ÉDITO

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page6

Page 7: La revue du projet n°27

COMMENT RÉUSSIR L’APPROPRIATIONSOCIALE DES ENTREPRISES ?L’exacerbation de la crise systémique depuis 2008-2009 fait saillirla nécessité d’une extension nouvelle des entreprises publiques,avec des nationalisations. Mais, comme l’indique l’expérience ratéedes nationalisations de 1981 en France, cela exige une transforma-tion radicale de la façon de les traiter.

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

77

PAR YVES DIMICOLI*

L’entreprise publique est une grandeconquête de la Libération. Au cœurde l’essor rapide des « Trente glo-

rieuses », ce modèle est entré en crise avecla montée des dettes et déficits publics,dans les années 1970. La réponse capita-liste a été de privatiser. Le choc de la crisede 2008-2009 a suscité le besoin de nou-velles interventions publiques. Mais,conçues pour soutenir les marchés finan-ciers, elles ont fait exploser les dettespubliques et s’effondrer l’emploi, parti-culièrement en Europe.

François Hollande, élu pour changer decap, s’est retrouvé à la tête d’un Étatactionnaire qui, malgré les privatisations,possède encore 60,3 milliards d’euros departicipations (10 % du CAC-40) dans 58groupes représentant 1 746 192 salariés.Cependant, il n’a rien changé à la façond’utiliser ces participations qui demeu-rent gouvernées par la recherche de ren-tabilité financière. Ayrault s’est refusé à« nationaliser » ArcelorMittal Florange.Montebourg n’envisageait, lui, cettemodalité que le temps de retrouver unrepreneur privé… et non pour un ressai-sissement de la sidérurgie française.D’ailleurs, après avoir décidé de céder auprivé 3,12 % du capital de l’équipemen-tier aéronautique Safran, ce dernier aannoncé, le 5 avril au Wall Street Journal,que les privatisations allaient se poursui-vre. Changer de cap exige une extensionet un profond renouvellement des entre-prises publiques et mixtes autour de qua-tre axes.

DÉMOCRATIE SOCIALE ET NON« DIALOGUE SOCIAL »Au lieu du « dialogue social » intégrateurque le projet de loi de transposition del’accord nationale interprofessionel (ANI)sur la « sécurisation de l’emploi » veutimposer dans les entreprises, il s’agit dedévelopper une démocratie sociale d’in-tervention avec des droits nouveaux déci-

sionnels des salariés. Par exemple, les ins-titutions représentatives du personneldevraient disposer d’un droit de veto sus-pensif des plans de suppressions d’em-plois. Il serait associé à un droit de contre-proposition permettant aux salariésd’opposer aux projets patronaux de baissedu « coût du travail » des contre-projetsaxés sur la baisse des coûts en capital(intérêts et dividendes). Pour crédibiliserces contre-projets, les salariés et leursreprésentants devraient mobiliser le cré-dit bancaire, par la saisine de Fonds régio-naux pour l’emploi et la formation. Ceux-ci accorderaient des bonificationssélectives du taux d’intérêt des prêts pourles investissements matériels et derecherche incitant à des créations d’em-ploi et mises en formation correctementrémunérée. La persistance du conflit entreprojets devrait alors être arbitrée par uneinstance de type prud’homale. L’ensemblepermettrait en pratique de sécuriser l’em-ploi et la formation.

EFFICACITÉ SOCIALE CONTRERENTABILITÉ FINANCIÈREL’expérience des nationalisations ratéesde 1981 enseigne que le seul changementde propriété du capital sans transforma-tion des finalités de gestion, conduit àl’échec. À quoi doit servir une entreprisepublique ou mixte ? À utiliser l’argent dontelle dispose pour faire plus d’argent oupour répondre aux besoins populaires ?Le second terme de l’alternative exige derompre avec la recherche de rentabilitéfinancière en visant l’efficacité sociale. Ils’agirait d’élever l’efficacité du capital(valeur ajoutée/capital), ce qui diminue-rait le besoin de profit pour accroître lecapital. Sur cette base, on chercherait àmaximiser la « valeur ajoutée disponible »pour les travailleurs et la population(salaires, dépenses de formation, prélè-vements publics et sociaux).On chercherait à augmenter la producti-vité globale par la croissance des dépensesde formation et de recherche-développe-ment au lieu que ces dernières servent,comme aujourd’hui, à détruire l’emploi

et alimenter la croissance financière descapitaux. C’est en liaison avec les enjeuxde gestion, de pouvoirs et de politiqueindustrielle nouvelle, que la question dela propriété des capitaux doit être posée,en voyant bien que l’appropriationpublique et sociale ne saurait être réduiteà la seule prise de contrôle par l’État, maisaussi par des capitaux publics (Caisse desdépôts et Consignations, Fonds straté-gique d’investissement, Banque publiqued’investissement, collectivités…), sansparler de la possibilité de coopératives.

CRÉDIT SÉLECTIF CONTRE MARCHÉFINANCIERUne véritable appropriation sociale desentreprises publiques et son extension,jusqu’à l’ensemble des « secteurs clefs »de l’économie, avec des pôles publics, exi-gent de nouveaux financements. LaBanque publique d’investissement (BPI)aurait pu en être un vecteur. Mais, vouéeseulement à corriger les « défaillances »du marché, elle ne doit pas « financer lescanards boiteux » comme ArcelorMittalFlorange, selon le propos du président dela BPI. Ségolène Royal, devenue vice-pré-sidente de la BPI, s’est félicitée, elle, du

fait que cette institution devait « pré-finan-cer le crédit d’impôt compétitivité », doncde contribuer à une hausse du profit dis-ponible des entreprises concernées.

Il s’agirait, au contraire, à partir desbesoins de financements des entreprisespubliques et mixtes, de développer unnouveau crédit bancaire. Son taux d’in-térêt serait d’autant plus abaissé, jusqu’àzéro (et même négatif avec réduction desremboursements) qu’il financerait desinvestissements matériels et de rechercheprogrammant plus d’emplois et de for-mations correctement rémunérés. Cenouveau mécanisme, outre l’échelle localeavec les Fonds régionaux, concerneraitaussi l’échelle nationale avec un pôlefinancier public regroupant les institu- > SUITE

PAGE 8

Faire avancer des services et biens publics

communs de l’humanité supposedes mesures concertées d’ampleurpour faire reculer graduellement,

mais effectivement, la dominationdes multinationales.

“”

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page7

Page 8: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

Nationalisations : l’intérêt général

8

LE DOSSIERSUITE DE LA

PAGE 7 > tions financières publiques ou parapu-bliques et socialisées (CDC, BPI, Banquepostale, Caisses d’épargne, banquesmutualistes et coopératives) avec desprises de contrôle public et des nationa-lisations de banques dont le périmètreprogresserait de plus en plus.Il concernerait aussi l’échelle européenne,comme celui de la BCE qui refinanceraitpar sa création monétaire les banquesordinaires pour le nouveau crédit, etmême l’échelle mondiale avec la promo-tion d’une monnaie commune alterna-tive au dollar. Simultanément, il fautémanciper l’État de la domination desmarchés financiers. Il s’agirait que la BCEprît des dettes publiques à l’émission. Ellecréerait aussi de la monnaie pour ache-ter systématiquement des titres de dettepublique émis dans chaque pays en vuede financer l’essor des services publics,via un Fonds social, solidaire et écolo-gique de développement européen. Cela

pourrait marcher de pair avec de pro-fondes réformes des impôts et la chasseà l’évasion fiscale.

DES SERVICES ET BIENS COMMUNSPUBLICSPour encadrer les entreprises, il faut orga-niser une grande expansion des servicespublics. En effet, les énormes gains deproductivité de la révolution information-nelle requièrent une croissance soutenuedes débouchés à laquelle s’oppose cepen-dant la rentabilité financière, d’où les des-tructions massives d’emplois et l’exacer-bation de la concurrence entremultinationales avec la pression à la baissedu « coût du travail ». L’issue passe par untrès grand essor de tous les servicespublics. Ils feraient croître la demandeglobale, notamment avec les créationsd’emplois publics et la formation tout aulong de la vie, sans en rajouter aux excé-dents apparents de capacités de produc-tion matérielle. En même temps qu’une

meilleure réponse aux besoins populaires,on aiderait à consolider l’efficacité pro-ductive. À l’échelle du monde entier, il s’agiraitaussi de faire avancer des services et bienspublics communs de l’humanité.Cela suppose des mesures concertéesd’ampleur pour faire reculer graduelle-ment, mais effectivement, la dominationdes multinationales. Cela pourrait allerd’incitations internationales à des ges-tions nouvelles d’efficacité sociale avecun progrès concerté des droits des sala-riés – ce qui devrait être particulièrementle cas dans des sociétés internationaliséescomme EADS – jusqu’à des nationalisa-tions en coopération avec la constructionde réseaux européens et mondiaux d’en-treprises publiques et socialisées. n

*Yves Dimicoli est responsable du secteur Éco-nomie et finances du Conseil national du PCF.

PAR ANICET LE PORS*

La conception française du servicepublic découle de celle de l’intérêtgénéral qui n’est pas, en France, la

somme des intérêts particuliers, mais unecatégorie éminente, définie par le pou-voir politique à la suite d’un débat démo-cratique, contradictoire. Le service publicen est la traduction sociale.

LE SERVICE PUBLIC, UNE FORTERÉFÉRENCE SOCIALEDès la fin du XIXe siècle, une école fran-çaise du service public en a approfondithéoriquement la notion. On dit qu’il y aservice public quand trois conditions sontréunies : une mission d’intérêt général,une personne morale de droit public pourl’accomplir, un droit et un juge adminis-tratifs. Dans son principe, le service publicdoit être financé par l’impôt et non parles prix. Cette conception a rencontré ungrand succès dans notre pays ; le servicepublic s’est étendu, mais en même tempsil est devenu plus hétérogène (régie,concession, délégation de service public,etc.). Le contrat a disputé le champ duservice public à la loi. La notion de ser-

vice public est ainsi devenue plus com-plexe, mais ses principes de fonctionne-ment n’ont cessé d’être réaffirmés : éga-lité, continuité, adaptabilité.

Cette conception et cette évolution expli-quent que les salariés du service publicreprésentent, en France, 25 % de la popu-lation active. La majorité est composéede fonctionnaires régis par un statut légis-latif dont on marque cette année le 30e

anniversaire.

LE SERVICE PUBLIC, UN ENJEU AU SEINDE L’UNION EUROPÉENNECette conception est largement ignoréeau sein de l’union européenne. Les mots« service public » ne sont mentionnésqu’une seule fois dans les traités surl’Union européenne et le fonctionnementde l’Union (article 93). Celle-ci, dans leprotocole n° 26 qui lui est annexé, dis-

tingue ; au sein de services d’intérêt géné-ral (SIG), les services d’intérêt économiquegénéral (SIEG) et les services non-écono-miques d’intérêt général (SNEIG), maisqui répondent à la même logique, celled’une marginalisation de l’intérêt géné-ral et du service public face au principede concurrence.

Ainsi l’article 106 du traité sur le fonction-nement de l’Union européenne, relatifaux entreprises chargées de la gestion deSIEG, les assujettit aux règles de la con -cur rence en ne formulant qu’une réservede portée limitée, « dans les limites oùl’application de ces règles ne fait pas échecà l’accomplissement en droit ou en faitde la mission particulière qui leur a étéimpartie ».Toutefois, la place des SIG a pu êtrequelque peu élargie au cours des dernièresannées sous la pression de la nécessitésociale et des actions menées en faveurdes services publics. Plusieurs arrêts dela Cour de Justice de l’Union européenneen témoignent comme certaines dispo-sitions du traité. Ils constituent autant depoints d’appui pour promouvoir leconcept de service public. La conceptionrestrictive de la notion de service public

Il faut donc remettre sur le chantier la question

de la propriété publique dans le cadre d’une vaste

appropriation sociale. “

LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE, FONDEMENT DU SERVICE PUBLICDans la crise qui se développe depuis 2008, chacun s’est plu à reconnaître le rôle « d’amortisseur social »du service public en France. Cet atout est le produit d’une conception forgée au cours de l’histoire.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page8

Page 9: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

99

> SUITEPAGE 10

par l’Union a joué un grand rôle dans lerejet par la France, par le référendum du29 mai 2005, du traité constitutionneleuropéen.

PAS DE SERVICE PUBLIC SANS SECTEURPUBLIC ÉTENDUSi, au niveau microéconomique, une mis-sion de service public peut être assuméepar une entreprise ou un organisme mixteou privé, cela n’est pas concevable auniveau de la société tout entière. La pro-priété publique est indispensable pour

trois raisons. Politique, car, « là où est lapropriété, là est le pouvoir ». Économique,parce que c’est le principal moyen pourconduire une politique industrielle volon-tariste au service d’une « économie desbesoins ». Sociale, pour garantir une sécu-rité sociale professionnelle effective.

Il faut donc remettre sur le chantier laquestion de la propriété publique dans lecadre d’une vaste appropriation sociale.Ce qui implique des nationalisations, maisaussi une action au niveau mondial pour

«  Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers col-lègues, mon intervention se fonde sur l’article 36 du règlementde notre assemblée.Vous le savez, il y a quelques semaines, le Premier ministreaffirmait que le projet de loi dont nous discutons aujourd’huipermettrait de « renforcer la sécurité des parcours profession-nels pour les salariés ». Toutefois, pendant ce temps, les sitesferment, et les promesses tombent à l’eau  !Monsieur le ministre, les salariés de Petroplus, qui ont été lais-sés pendant des mois dans l’incertitude sur leur avenir, leursfamilles et les sous-traitants ont reçu brutalement la décisiondu tribunal de commerce leur annonçant que tout est fini. Jele rappelle, ces salariés ont tout de même été capables de remet-tre en état la raffinerie et de la faire tourner, et ce sans patron !Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré aujourd’huique l’État allait chercher un repreneur, et qui soit crédible. Nousavons assez perdu de temps. Il n’est pas nécessaire d’aller loin :l’État doit réinvestir ces sites industriels stratégiques pour l’éco-nomie de notre pays.

À nos yeux, il est parfaitement inacceptable d’avoir laissé ungroupe de spéculateurs financiers prendre le contrôle des raf-fineries en Europe, groupe qui, maintenant, ne peut même plusfaire face à sa responsabilité industrielle et sociale.Faites aujourd’hui ce que vous auriez déjà dû faire pour Florange :nationalisez  ! Le tabou doit tomber. Face au danger du chô-mage massif, la collectivité doit reprendre en main son destin.Après Éliane Assassi, la présidente de notre groupe, je m’adresseà mon tour aux élus de gauche, au groupe socialiste. Souvenez-vous que le Président de la République, avant l’élection prési-dentielle, s’était rendu à l’usine Petroplus et s’était engagé à yretourner chaque fois qu’il le faudrait. Il n’est jamais revenu  !Le président de la République a aussi demandé à ses ministresd’aller sur le terrain. Après avoir consulté les représentants dessalariés de Petroplus, j’ai moi-même écrit au Premier ministreet au ministre du redressement productif pour évoquer aveceux les moyens de faire redémarrer l’entreprise. Je n’ai reçuaucune réponse de leur part.[...] Pour reprendre le cas deFlorange, qui est un exemple supplémentaire de la façon dont

on traite aujourd’hui les salariés, je rappelle que, après leuravoir fait croire qu’une nationalisation était possible, le gou-vernement a abandonné les salariés de ce site à Mittal et a sonprojet mort-né, ULCOS. Les salariés s’interrogeaient sur la via-bilité du projet avec l’abandon de la filière chaude  : ils avaientraison de douter.

Dans le cadre de la commission de suivi de l’accord entre leGouvernement et Mittal, et après l’annonce du groupe d’aban-donner le projet ULCOS sous cette forme, les organisationssyndicales sont invitées à la présentation d’un nouveau projetappelé LIS, qui reposera notamment sur la valorisation du CO2.Le programme devrait démarrer cet automne et s’étalerait surtrois ans. Pour autant, sommes-nous sûrs qu’il pourra abou-tir ? Pour notre part, nous avions rappelé en séance publiquenos craintes sur les engagements de Mittal et sur le projetULCOS.Le gouvernement veut rétablir la confiance entre les salariéset les ouvriers. Qu’il fasse un geste pour nous montrer qu’ildonne la priorité au redémarrage des hauts fourneaux P3 etP6.Monsieur le ministre, la casse industrielle continue, les salariéssont sacrifiés. [...] Dans ce contexte, nous allons débattreaujourd’hui d’un projet de loi au service du patronat qui cau-tionne l’idée selon laquelle le coût du travail serait responsa-ble des destructions d’emploi et que seules la flexibilité et laprécarité pourraient venir à bout du chômage. Or, vous le savez,c’est faux  !Il est temps de changer de cap et de contenu. Il faut prendredes mesures fortes pour mettre en œuvre une politique indus-trielle au service de l’emploi et du développement humain, aulieu de se contenter d’un accord qui accompagne le patronatet qui tend encore à fragiliser les travailleurs.Ce qu’attendent les salariés, c’est non pas qu’on contraigneleurs droits, mais qu’on leur donne du travail  ! » n

Intervention de Thierry Foucaud, sénateur (PCF) de Seine-Maritime, le 17 avril 2013.

FAITES AUJOURD’HUI CE QUE VOUS AURIEZ DÉJÀ DÛ FAIRE POUR FLORANGE : NATIONALISEZ !

faire progresser les notions de servicepublic et de propriété publique. Le droiteuropéen n’y fait d’ailleurs pas obstacle :l’article 345 du traité dispose que : « Lestraités ne préjugent en rien le régime dela propriété dans les États membres ».Face aux besoins grandissants dans lemonde de coopérations, de solidarités, leXXIe siècle peut et doit être « l’âge d’or »du service public. n

*Anicet Le Pors est conseiller d’État hono-raire.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page9

Page 10: La revue du projet n°27

10

Nationalisations : l’intérêt généralLE DOSSIER

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

PAR CLAIRE ANDRIEU*

Que faut-il faire pour une nationalisa-tion ? Le terme, qui nous est venud’Angleterre à la fin du XIXe siècle,

désigne l’achat ou la confiscation par l’Étatde 100 % du capital d’une société. Lanationalisation suppose donc, avec l’exis-tence de sociétés à forts capitaux, un stadede développement économique au moinscontemporain de la révolution indus-trielle. En face, le nationalisateur est unÉtat qui représente la nation, autrementdit un État-nation, lequel, en France,prend une forme achevée avec l’instau-ration du suffrage universel en 1848.

Enfin, des forces sociales doivent exercerleur pression pour déposséder les déten-teurs de capitaux : la première et la plusconstante d’entre elles est la classeouvrière telle qu’elle s’est construite auXIXe siècle. De ce jeu à trois, la fin du XXe

voit deux acteurs décliner rapidement :l’État-nation qui se trouve sérieusementdiminué par la mondialisation, et lesouvriers de l’industrie, dont les effectifsrégressent depuis les années 1970 du faitde la tertiarisation accélérée de l’écono-mie. Dans ces conditions, les deux grandsmoments d’alliance qui ont eu lieuen 1945 et 1981 entre l’État-nation et laclasse ouvrière organisée ont peu dechance de se reproduire. Rien ne dit,cependant, que d’autres alliances n’abou-tiront pas à des résultats voisins […].

L’ÉTAT NATIONL’État-nation à lui seul n’a pas nationa-lisé de sociétés. En effet, la nationalisa-tion ne se confond pas avec la création exnihilo d’entreprise par un État qui endécide souverainement. Bien que, dansson inspiration, elle puisse puiser auxsources du colbertisme, la nationalisa-tion ne s’y réduit pas. Parce qu’elle porteatteinte au droit de propriété, elle ne peutse réaliser que dans le contexte de rap-port de forces. Or l’État-nation ne disposepas de base sociale organisée. Ce seraitalors un État-parti. Parmi les grands par-tis politiques qui se forment en France àl’orée du XXe siècle, le premier à se récla-mer d’une idéologie active de l’État-nationest le parti radical et radical-socialiste. Enson article 20, le programme de 1907

réclame « la reprise par l’État des mono-poles de fait, là où un grand intérêtl’exige », notamment « pour rentrer enpossession des grands services natio-naux », et pour « empêcher certains acca-parements industriels de taxer à leur bonplaisir les travailleurs et les consomma-teurs ». Le même texte demande « lerachat des chemins de fer et le monopoledes assurances ». Réalisés dans cet esprit,le rachat de la Compagnie des cheminsde fers de l’Ouest par GeorgesClemenceau en 1908, ou la création d’AirFrance et de la SNCF sous l’égide deministres radicaux en 1933 et 1937, avaientaussi pour but de faire prendre en chargepar l’État des déficits irrépressibles. En1937, la CGT surnomma ce sauvetage desociétés par l’État la « nationalisation desdéficits ».

Exsangue en 1945, le parti radical n’a pasde responsabilité dans la grande vaguede nationalisations de la Libération. Deuxforces ont alors joué en faveur de l’Étatnationalisateur. D’une part, les « techno-crates », selon un néologisme des annéestrente, comptaient rationaliser le déve-loppement économique. […] D’autre part,un homme, Charles de Gaulle […] cepen-

dant, le chef du gouvernement provisoiren’aurait pu mener très loin cette politiques’il n’avait été soutenu par un fort mou-vement social.

LES ORGANISATIONS OUVRIÈRESLe rôle des organisations ouvrières dansla pression nationalisatrice a été déter-minant. Parmi les 83 propositions denationalisation qui ont été déposées à la Chambre des députés sous laIIIe République, 31 visaient les mines etchemins de fer. Dénonçant comme dansl’Internationale, « les rois de la mine et durail », les mineurs et les cheminots onttrouvé un écho à la Chambre. C’est la CGTqui, la première, au lendemain de laPremière Guerre mondiale, a théorisél’idée de « nationalisation industrialisée »,c’est-à-dire tripartite entre l’État, les pro-ducteurs et les consommateurs. Mais lascission du mouvement socialiste consé-cutive à la révolution de 1917 a inter-rompu cet élan créatif. Le Parti commu-niste a repris les thèses de Jules Guesdecontre « l’État-patron ». « Nous considé-rons que pour nationaliser, il faut le pou-voir », disait Maurice Thorez en 1935. [...]Divisés par le pacte germano-soviétique,puis de nouveau par la guerre froide, lesfrères ennemis socialistes et communistesse sont retrouvés à deux reprises sur unprogramme de nationalisations, en 1944et en 1972. [...] Transcendant les clivagespolitiques, l’élan de la Résistance s’est tra-duit par la rédaction, dans la clandesti-nité, du « programme d’action de laRésistance ». [...] À côté de la dynamiqueunanimiste de 1944, la tactique unitairede la gauche des années soixante-dix faitfigure de parent pauvre même si elle asoulevé les espoirs d’un « peuple degauche » exclu des marches du pouvoir.Le Programme commun de gouverne-

Du rôle de l’État-nation et du mouvement social dans l’histoire desnationalisations jusque dans les années 1990.

NATIONALISATION, RETOUR HISTORIQUE

Le rôle des organisations ouvrières dans la pression

nationalisatrice a été déterminant.“

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page10

Page 11: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

1111

> SUITEPAGE 12

ment conclu en 1972 entre le PS, le PCFet les radicaux de gauche présentait aussicomme mesure-clé « la démocratisationet l’extension du secteur public ». [...] Defaçon significative, le prétexte choisi pourla rupture fut l’insuffisante extension, auxyeux du PCF, du champ des nationalisa-tions.

DE CLIVAGES EN CONSENSUS La France est le seul pays d’Europe avecle Royaume-Uni à avoir connu deuxgrandes vagues de nationalisations. Cellede 1944, poussée par un mouvementsocial d’envergure nationale et orches-trée au nom de l’État-nation par un chefcharismatique fut nettement plus ampleque celle de 1982. [...] Les nationalisationsfurent votées à la Libération à 95 % desvoix, en présence d’une oppositionpresque réduite au silence par l’effet duprogramme du Conseil national de laRésistance. On ne retrouve rien de ce

consensus nationalisateur en 1982 oùgauche et droite ont formé des campsretranchés. [...] Cet affrontement sembleavoir pris fin depuis 1988. En 1986 encore,le changement de majorité a permis à ladroite de revenir sur les nationalisationsde 1982 et d’engager une politique de pri-vatisation vivement combattue par lagauche. Mais le retour de cette dernièreau pouvoir en 1988 avec la réélection duprésident Mitterrand n’a pas conduit àdes « renationalisations ». Au contraire, lecandidat à la présidence s’était engagé àsuivre ce que la presse a surnommé le « ni-ni ». En fait, une série de privatisationspartielles fut réalisée par la gauche dèscette date. […] L’épopée des nationalisa-tions a vécu, supplantée par un consen-sus néolibéral. La mondialisation de l’éco-nomie et la construction d’une Unioneuropéenne fondée sur une « économiede marché ouverte où la concurrence estlibre » selon les termes du traité de

Maastricht (1992), ont mis en cause à lafois le principe de l’État-nation et celuide la nationalisation. […]Pourtant le débat n’a pas complètementdisparu. Des salariés ont empêché la pri-vatisation du CIC en 1996, un ministrecommuniste a refusé en 1998 que la par-ticipation de l’État dans la compagnie AirFrance descende en dessous de 50 %, etles acheteurs d’actions des sociétés pri-vatisées sont deux fois plus nombreuxparmi les électeurs de droite. En outre, lesrevendications d’antan pourraient res-surgir, comme celle visant à dégager l’Étatdes « féodalités » ou des « puissancesfinancières ». n

Extraits de La France d’un siècle à l’autre 1914-2000, Hachette, 1999, publiés avec l’aimableautorisation de l’auteur.

*Claire Andrieu est historienne. Elle est pro-fesseur d’histoire contemporaine à l’Institutd’études politiques de Paris.

PAR ALAIN GAUTHERON*

Automne 2012, un ministre évoquel’éventualité d’une nationalisationtemporaire afin de sauvegarder un

site industriel. Aussitôt des voix s’élèventet déversent en boucle un florilège.Extraits : « nationalisations sanctions de1945, idéologiques de 82, ce n’est ni dedroite, ni de gauche, c’était valable hiermais pas aujourd’hui dans une écono-mie mondiale et concurrentielle ».

Face à cet appel à la résignation, forts denotre expérience du combat pourl’émancipation des travailleurs, mieuxvaut savoir d’où l’on vient afin de com-prendre le présent et envisager lesmoyens utiles à la construction d’un ave-nir libéré de toutes les formes de domi-nation et d’exploitation.

DÉBATS DANS LE MOUVEMENT OUVRIERDès le XIXe siècle, au sein du mouvementouvrier français, un débat oppose deuxpoints de vue qui marquent durablementla démarche de leurs partisans. Les unsprésentent les services publics commeun substitut à la révolution. Les autres

considèrent que les services publics ren-forcent l’État gendarme au service despossédants. Ils subordonnent leur ins-tauration au succès de la révolution.Dans le bouillonnement des mobilisa-tions de masse du Front populaire, lePCF, tout en maintenant le cap sur sonobjectif de transformation sociale, pré-voit des nationalisations dans une pers-pective intermédiaire, celle de la lutteantifasciste.En 1945 la CGT contribue au programmedu Conseil national de la Résistance(CNR) et s’investit pour sa réalisation. Ilprévoit la nationalisation des secteurs

clés de l’économie. Elle sait que la satis-faction des revendications des travail-leurs passe par la reconstruction dansl’indépendance. Ce sont les combats de

cette époque qui forgent les caractéris-tiques du service public à la française : lapropriété de l’État, un statut progressistepour les salariés, une mission publique.

Le patronat, coupable des retards prisdans la modernisation de l’outil de pro-duction bien avant la guerre, compro-mis par la collaboration, face à une classeouvrière renforcée et mobilisée, n’a pasles moyens de s’y opposer de front. Il s’or-ganise pour reconquérir, pas à pas, le ter-rain perdu. Il tente de limiter la portéedes nationalisations, place ses commisdans les directions, dénonce la spolia-tion des petits porteurs, la bureaucrati-sation…Le patronat ne peut que criti-quer les nationalisations car ellespeuvent mettre en évidence un mode degestion qui, lui, pourrait répondre auxbesoins de la population. À l’inverse, ellesle dispensent d’investissements lourdset coûteux, peu susceptibles d’engen-drer sur le court terme un taux de profitmotivant !

DES NATIONALISATIONS MISES AUSERVICE DU PROFIT« Pouvoir des monopoles », c’est ainsique la CGT qualifie le pouvoir gaulliste.

En 1945, la CGT contribue au programme du

Conseil national de la Résistance(CNR) et s’investit pour sa

réalisation. Il prévoit lanationalisation des secteurs clés

de l’économie.

“”

REGARD SYNDICAL SUR L’HISTOIRE DES NATIONALISATIONSLes nationalisations ont besoin de la mobilisation du peuple sur le terrain économique, idéologique, poli-tique afin de tenir leur meilleur rôle.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page11

Page 12: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

12

LE DOSSIER Nationalisations : l’intérêt général

SUITE DE LAPAGE 11 > Elle décrypte et combat les processus

qu’il élabore pour mettre les nationali-sations au service du profit : tarifs pré-férentiels, marchés publics, finance-ment…Elle milite pour des solutions durables,se prononce pour l’union des forcesdémocratiques autour d’un programmereprenant notamment ses propositionsd’extension et de démocratisation desnationalisations.

En 1985, la CGT dresse le bilan des natio-nalisations de 1981-1982. Elle constateune absence de changement fondamen-tal dans leur gestion, la suppression de104 000 emplois en France, un redéploie-ment vers l’étranger, en clair des restruc-turations destinées à les rendre plus pro-fitables !

Pourtant elle n’avait pas ménagé sesefforts pour accélérer leur démocratisa-tion, élaborer de nouveaux critères degestion afin de répondre d’abord auxbesoins du plus grand nombre. C’est vraique la mobilisation, plombée en partiepar des illusions déçues, n’a pas atteintalors le niveau nécessaire.

UN BESOIN DE SERVICE PUBLICSuit une période où la droite et la gaucheplurielle égarée dans « la respiration duservice public » et « la mixité du capital »rivalisent dans le nombre de privatisa-tions. Cela n’a pas emporté le besoin deservice public. La moindre catastrophenaturelle, économique, financière le faitrevenir. Si certains demandent égalité,solidarité, sécurité d’autres rêvent de luitransférer des pertes avant le retour dela privatisation des bénéfices.

Nous l’avons vu, les nationalisations ontbesoin de la mobilisation du peuple surle terrain économique, idéologique, poli-tique afin de tenir leur meilleur rôle. Dansles conditions d’aujourd’hui, à nous deconstruire cette intervention pour lesdéfendre, les étendre, en faire des leviersdurables de notre émancipation.En Europe et dans le monde, les peuplesont les mêmes besoins que nous, quelespace possible de coopération ! n

*Alain Gautheron est syndicaliste. Il estmembre de l’Institut d’histoire sociale de laCGT.

AVOIR LE COURAGE DE NATIONALISERENTRETIEN AVEC JACKY HÉNIN*

Léo Purguette : Les salariés de Petroplus revendiquent la nationalisation de leur entre-prise. Les règles de l’Union européenne l’interdisent-elles  ?Jacky Henin  : D’abord, ce que les salariés réclament est une très bonnechose. Ils proposent ni plus ni moins de rendre à la France sa capacité àêtre en permanence indépendante. Dans la situation actuelle, c’est tout lecontraire : le raffinage dans notre pays est entièrement tributaire du privé.Les salariés savent que face aux décisions des grands groupes déconnec-tés des intérêts de la population et du pays, des nationalisations doiventintervenir. Quant à l’Europe qu’elle soit d’accord ou pas, le fond du pro-blème n’est pas là. Serait-elle prête à engager un bras de fer avec la France,pays fondateur, important contributeur, peuplé de 65 millions d’habitants ?Il faut avoir du courage et de l’ambition pour notre peuple  !

L. P.  : Selon vous, l’Union européenne serait donc l’alibi d’une gauche timorée  ?J. H.  : C’est plus qu’un alibi puisque la gauche social-démocrate tout enprétendant arrondir les angles, admet, prolonge, renforce les logiques d’aus-térité prônées sur le plan européen. Cette gauche-là doit comprendre qu’ellemène la France dans le mur en poursuivant sur cette lancée. L’Europe tellequ’elle a été conçue permet un double profit aux capitalistes  : en déloca-lisant les productions hors du continent où elles seront finalement consom-mées et en domiciliant leur siège dans un pays de l’Union à la fiscalitéminime. Résultat  : chômage, perte des savoir-faire, dégradation du pou-voir d’achat, désertification industrielle… C’est cela qu’il faut combattre defront, cela implique d’en avoir l’ambition et de s’en donner les moyens. Lesnationalisations en font partie.

L. P.  : Cela suppose-t-il de changer les statuts de la Banque centrale européenne (BCE)pour mobiliser l’argent au service d’une nouvelle politique  ?J. H.  : Il ne s’agit pas de modifier quelques méthodes de travail à la marge.Il faut mettre complètement à plat les règles qui régissent la BCE, à com-mencer par son indépendance. C’est une fumisterie de ceux qui veulentutiliser l’Europe comme une garantie de leurs politiques libérales. La BCEdoit être placée sous la responsabilité des politiques et l’ensemble de sonaction tournée vers l’objectif de soutenir un développement porteur dejustice sociale, fiscale et environnementale.

L. P.  : Comment imaginez-vous les relations entre les secteurs nationalisés de chaquepays dans une Europe profondément transformée  ? Coopération  ? Mise en réseau  ?Intégration  ? Y a-t-il des secteurs qu’il faudrait «  européaniser  » ?J. H.  : Le secret de la réussite réside dans le principe de coopération.Travaillons, réfléchissons ensemble, c’est ça la clef. Airbus, Ariane Espace,tout ce que l’Europe a produit de mieux c’est dans la coopération qu’ellel’a fait. Si on veut – non pas faire un maximum de fric – mais satisfaire lesbesoins de 500 millions d’hommes et de femmes qui habitent ce continent,c’est, me semble-t-il, la seule voie.Assurer à chacune et chacun une vie digne et sortir nos peuples de la criseactuelle qui est celle du système capitaliste, cela passe par la prise decontrôle, dans l’industrie notamment, d’entreprises stratégiques.Nous sommes dans une situation comparable d’une certaine façon à 1789.Il est temps d’abolir les privilèges qui existent aujourd’hui. n

*Jacky Hénin est député européen (PCF), membre de la comission Industrie,recherche et énergie du parlement européen.

Réagissez à ce dossiercontactez-nous !

[email protected]

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page12

Page 13: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

1313

PAR YANN LE POLLOTEC*

La révolution numérique se développedans un mouvement contradictoire :elle a donné naissance à des géants

du capitalisme comme Apple, Microsoft,Intel, Google, qui n’ont de cesse de vou-loir privatiser les connaissances et deverrouiller l’accès au savoir, et en mêmetemps la libre circulation et le partagedes informations et des savoirs consti-tuent son moteur. Ce mouvement contra-dictoire s’appuie sur une caractéristiquemagique de l’information : on peut la par-tager avec autrui à l’infini sans en êtredépossédé. Avec la révolution numériqueet le « passage des bits aux atomes », nonseulement les « machines objectivent cer-taines fonctions du cerveau » mais grâceà l’effet réseau il devient possible à unnombre illimité de personnes de contri-buer à développer un projet sanscontrainte de lieux et de temps.

LOGICIELS LIBRES ET FAB-LABSL’une des évolutions les plus prometteusesde la révolution numérique est l’opensource hardware, c’est-à-dire l’applica-tion du principe des logiciels libres et deslicence creative commons (licences pourla mise à disposition d'œuvres en ligne)à la conception et la production d’objetsmatériels. Le logiciel libre et l’open sourcehardware ne sont pas des technologiesmais des modes d’organisation socialepour créer, produire, utiliser, modifier unlogiciel ou un objet matériel. Les objetsde chacun sont créés collectivement etsouvent à partir des plans numériquesd’autres objets. Tout en gardant la pater-nité de son œuvre, on partage sa créationen mettant en ligne sur le réseau les plans,et tout ce qui permettra de reproduirel’objet, de le réutiliser, de l’améliorer, dele détourner.Plus un projet est librement partagé, plusil se développe, car il s’enrichit et s’amé-liore au contact des autres via les réseaux.Pour le créateur, la reconnaissance et laprotection de la paternité de son travailsont d’autant plus fortes qu’elles sont pré-sentées et exposées à tous.Au cœur de cette nouvelle manière de pro-duire et de créer on trouve des acteurs :

• les hackers (un hacker n’est pas unméchant pirate mais quelqu’un qui s’ap-proprie une technologie pour la trans-gresser), les makers,... (les fabricants) desbriques technologiques – impression 3D,découpeuse laser, scanner 3D et circuitélectronique libre Arduino

• un concept – les machines auto-répli-cables des machines dont les plansseraient accessibles à tous, via Internet,et qui permettraient de produire lamajeure partie de ses propres pièces (ceconcept s’est concrétisé en 2006 avec leprojet international « RepRap » de concep-tion et fabrication libre d’imprimantes3D, des lieux de partages, d’échanges, decréativité et de production connectés enréseau : les Fab-Labs. Les LABoratoires deFABrication, sont des ateliers locaux, met-tant gratuitement à disposition de tousdes logiciels libres de création numérique,connectés à de petites machines outils.Ils combinent l’efficacité des technolo-gies industrielles et le sur-mesure de laproduction artisanale.

FAIRE, PARTAGER, APPRENDRE, DROIT ÀL’ERREUR, GRATUITÉLes Fab-Labs s’inscrivent dans deslogiques de biens communs, de coopé-ration et de valeur d’usage. Les mots-clefsqui définissent un Fab-Lab sont : faire,partager, apprendre, droit à l’erreur, gra-tuité. Le fonctionnement d’un Fab-Labse fonde sur quatre pratiques : « créer plu-tôt que consommer », « l’apprentissagepar les pairs », « faites-le vous-même »,« faire avec les autres ».Dans ce monde, celui qui est le plus socia-lement utile est celui dont les créationssont les plus partagées, modifiées, trans-gressées. Les acteurs des Fab-Labs sontdonc confrontés à la nécessité de dépas-ser le carcan que constitue pour leur acti-

vité la propriété privée des moyens deproduction, que cela soit sous la formede copyright ou de brevets. Nombre d’en-tre eux revendiquent de « hacker le capi-talisme » : version hacker du dépassementdu capitalisme ? Les hackers ne limitentpas l’appropriation sociale des moyensde production à la seule question de lapropriété. Il s’agit d’ouvrir le capot, pourse rendre maître de la technologie, de lamodifier, de la détourner, de la transgres-ser. L’open source hardware pose les ques-tions de la rétribution sociale des créa-teurs-producteurs et du dépassement dusalariat pour entrer dans une société derevenu universel dissocié du revenu dutravail, rejoignant ainsi la thèse de Marxdans les grundisse : « la distribution desmoyens de paiement devra correspondreau volume de richesses socialement pro-duites et non au volume de travail fourni »

DES LIEUX DE POLITISATIONCertes, on peut crier à l’utopie technicisteet ironiser sur ces « marginaux » quiauraient la prétention de changer lemonde avec des imprimantes 3D. Mais defait, les Fab-Labs se multiplient de par lemonde. Ils deviennent des lieux de poli-tisation, comme l’avaient été les cafés etles salons au XVIIIe siècle. On ne secontente pas d’y interpréter le monde, ona l’ambition de le hacker ici et maintenant.Ainsi, en 2012 un rapport d’HEC compor-tait l’avertissement suivant : « Si l’onpousse encore plus loin la logique d’oreset déjà présente dans les Fab-Labs, onpeut même imaginer ce que signifieraientces mini-usines de proximité pour le sys-tème capitaliste. Outre le retour de l’idéede propriété collective de moyens de pro-duction – car c’est bien de cela dont ils’agit quand une université ouvre un ate-lier équipé de machines-outils –, les Fab-Labs pourraient ainsi aller à l’encontre decertaines grandes tendances du capita-lisme du fait de la dispersion du capitalinduite par ces petites unités de produc-tion localisée. Par ailleurs, [...] la démo-cratisation de la connaissance techniquedans le cadre des Fab-Labs pourrait signi-fier la fin de l’équivalence entre techniqueet concentration du pouvoir et des res-sources ». n

*Yann Le Pollotec est responsable du secteurRévolution numérique du Conseil nationaldu PCF.

QUAND LE « PASSAGE DES BITS AUX ATOMES » APPELLE L’APPROPRIATION SOCIALE DES MOYENS DE PRODUCTIONLes Fab-Labs, laboratoires de fabrication, s’inscrivent dans deslogiques de bien commun, de coopération et de valeur d’usage.

Grâce à l’effet réseau il devient possible à un nombre

illimité de personne de contribuerà développer un projet

sans contrainte de lieux et de temps.

“”

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:43 Page13

Page 14: La revue du projet n°27

14

Nationalisations : l’intérêt généralLE DOSSIER

PAR SYLVIE MAYER*

L’ économie française est composéed’un tissu d’entreprises et de ser-vices de formes et de tailles diverses.

Si de très grandes entreprises d’utilitépublique doivent être nationalisées, si degrands services publics doivent êtredémocratisés et modernisés, il reste unréseau multiforme et multitailles d’entre-prises petites et moyennes dont il est inté-ressant de regarder l’avenir.Beaucoup de ces entreprises sontaujourd’hui sous-traitantes, étrangléespar des grands groupes, par des taux d’in-térêt bancaires exorbitants. Elles ne sontpas forcément vertueuses dans leurs rela-tions avec leurs salariés, mais la plupartdes dirigeants propriétaires des petites etmoyennes entreprises (PME), petites etmoyennes industries (PMI) et très petitesentreprises (TPE) sont attachés à la bonnemarche de leur entreprise, ce qui passepar l’intérêt que les salariés portent euxaussi à l’entreprise et à leur implication.Un rapport du Conseil économique etsocial de 2004 a mis en évidence les consé-

quences pour l’emploi du fait que la moi-tié des chefs d’entreprise partiront à laretraite dans les dix ans, soit 700 000. Prèsde trois millions de salariés sont concer-nés par ces départs.

Que vont devenir ces entreprises ? Seront-elles absorbées par de grandes entreprisesmultinationales, ou par les enfants dupropriétaire de l’entreprise ? Seront-ellespurement et simplement fermées ?

LA FORMULE COOPÉRATIVE, UNEALTERNATIVE D’AVENIR EN MATIÈRE DETRANSMISSION La reprise d’entreprise par les salariés encoopérative est appelée à se développeravec la conjugaison de deux phénomènesprincipaux : le prochain départ à la retraite

de milliers de dirigeants de PME et TPE,et la nécessité de trouver des alternativesà la pression de la finance et de la concur-rence mondiales qui fragilisent de plusen plus de PME et PMI. La formule coo-pérative est une alternative d’avenir enmatière de transmission : elle permet lamise en œuvre d’une dynamique collec-tive où les salariés sont plus impliqués etplus motivés, elle favorise la constitutionde fonds propres solides et durables, l’an-crage local des décisions et des savoir-faire sans risque de délocalisation. Desrelations saines de coopération peuvents’établir entre des secteurs nationaliséset un tissu de coopératives de productionet de services d’intérêt général.

La transmission en société coopérativeparticipative (SCOP) peut répondre auxenjeux des territoires et de l’emploipérenne. Les salariés repreneurs sécuri-sent leur emploi et prennent leur destinen main ; l’entreprise continue avec dessalariés impliqués, source de motivation,de cohésion ; le banquier, les prestataires,les clients poursuivent leur collaborationavec l’entreprise ; les élus locaux assurentle développement de leur bassin d’em-ploi.Dans la SCOP, forme particulière desociété anonyme (SA) ou société à res-ponsabilité limitée (SARL), les salariéssont associés majoritaires à au moins 51 %du capital, les résultats bénéficientd’abord aux salariés et à la consolidationfinancière de l’entreprise, les réserves res-

La vraie prospérité s’y fonde sur l’équilibre entre

la gratification du court terme et la sécurité sur le

long terme.“

L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE : UNE AUTRE MANIÈRE DE FAIRE SOCIÉTÉLes formules de reprise d’entreprise par les salariés, société coopé-rative participative (SCOP) et société d’intérêt collectif (SCIC) sontdes alternatives d’avenir.

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

Au regard des enjeux du secteur énergétique, le PCF proposede créer un pôle public de l’énergie qui pourrait être un acteurimportant de la politique de coopération de la France, enEurope et dans le monde. À travers cette proposition, le PCFsouhaite mobiliser dans une même dynamique et de manièreefficace tous les acteurs industriels, publics comme privés,pour la mise en œuvre d’une politique énergétique visant leprogrès social et répondant aux grands défis écologiquesposés en ce début de troisième millénaire et ainsi contraindretous les acteurs industriels de ce secteur à mettre en œuvredes critères de gestion, allant dans le sens du service public etde l’intérêt général.Il s’agit de favoriser l’enclenchement d’un processus de coopé-rations industrielles et d’harmonisation sociale qui sesubstituerait à la concurrence économique et au dumpingsocial. Ce pôle public serait fondé sur un objectif central  :concrétiser le droit à l’énergie pour tous dans le cadre d’unepolitique respectueuse de l’environnement. Il porterait unmodèle d’entreprise en rupture avec les logiques libérales. Ildevrait favoriser le développement des filières industrielles.

Ce pôle public pourrait se décliner sur le plan régional, pourfavoriser la participation des élus et des usagers et permettrede valoriser toutes les potentialités en matière de développe-ment des énergies renouvelables et de maîtrise de la demande.Cela passe également par de nouveaux droits d’interventiondes salariés dans les stratégies d’entreprises et un statut dehaut niveau pour tous les salariés du secteur.Par ailleurs, l'Union européenne couvre ses besoins énergé-tiques à 50  % à partir des produits importés et si rien n'estentrepris, d'ici 2020 ou 2030, ce chiffre s'élèvera à 70  %. Laproposition de la création d’une agence européenne de l’éner-gie a tout son sens. Le principe de base doit être celui de lacoopération des opérateurs. C’est la meilleure approche pourrépondre aux besoins dans les conditions les meilleures et enfinir avec la guerre économique visant à conquérir des partsde marché et à absorber le concurrent adversaire. Elle pourrafavoriser la notion de groupement d’achat à long terme et lasécurité d’approvisionnement notamment. n

Valérie Goncalves est responsable du secteur Énergie du Conseilnational du PCF.

ÉNERGIE : SERVICE PUBLIC ET INTÉRÊT GÉNÉRAL

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page14

Page 15: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

1515

> SUITEPAGE 16

tent toujours le patrimoine commun del’entreprise pour la pérenniser, les déci-sions en assemblée générale sont prisesselon le principe « 1 personne = 1 voix » .Les SCOP et les sociétés d’intérêt collec-tif (SCIC) sont présentes sur tous les sec-teurs. Le fonctionnement coopératifs’adapte à toutes les tailles d’entreprise.Ainsi, nous trouvons des SCOP et SCICde moins de 10 et de plus de 1 000 sala-riés. 56 % des coopératives ont plus de 50salariés. En 2010, les SCOP et SCIC ontgénéré un chiffre d’affaires cumulé de3,7 milliards d’euros et créé 1,7 milliardd’euros de valeur ajoutée.La SCIC est une formidable innovationpour la gestion des biens collectifs où seretrouvent collectivités publiques, sala-riés, usagers et personnalités diverses. Ontrouve des SCIC dans de très nombreuxdomaines, de la production agricole auservice pour les sourds, de la santé à laculture, de la presse au logement coopé-ratif…

UN EXEMPLE, LA GESTION DE L’EAU Il y a quelques années, le Parti commu-niste avait déposé une proposition de loi« relative à la création d’une Agence natio-nale de l’eau ». Nous préconisions alorsla création de cette agence prenant encharge la recherche, la préservation de laressource nationale, la prévention des pol-lutions, et un réseau de régies territorialespour la production et la distribution del’eau aux populations. Une régie remetface à face un directeur délégué par lesélus et des salariés sans pouvoir.Aujourd’hui, ne faut-il pas plutôt penserà des SCIC de l’eau qui réuniraient les élusreprésentant les collectivités, les salariés,les usagers grands et petits ? Chacun seraitainsi partie prenante, décideur et respon-sable de la bonne marche du service dansl’intérêt de tous, y compris de la ressourcenaturelle.

Ni substitutive du service public ni cura-tive des dérives d’un modèle économiqueen crise, l’économie sociale et solidaire(ESS) s’affirme comme une économied’utilité sociale au service de l’intérêt col-lectif et de la cohésion sociale. Il s’y inventeune autre façon d’œuvrer, d’autres rap-ports au travail et entre les gens. La vraieprospérité s’y fonde sur l’équilibre entrela gratification du court terme et la sécu-rité sur le long terme. Il s’agit bien là d’uneautre manière de faire société. n

*Sylvie Mayer est responsable du secteurÉconomie sociale et solidaire du Conseilnational du PCF.

PAR OUSMANE SARR*

Marx propose dés les Manuscrits de1844 une théorie basée sur l’idéed’une nature perdue à retrouver.

Ainsi, il est naturaliste car demeurantconvaincu que quelque chose préexisteà l’ordre social et dont pourtant un telordre dépend. Le terme « naturalisme »est utilisé pour désigner une positionthéorique forte et différente du matéria-lisme, une forme de vie souhaitable, le« communisme », dans laquelle la pertede la nature disparaîtrait. [...]

Durant son séjour parisien, Marx plongédans la lecture des économistes etn’ayant visiblement pas encore acquisde connaissances économiques assezrigoureuses, essaie de montrer que l’in-dustrialisme moderne naissant conduità la négation de la nature humaine, dela nature en général. Il met ainsi en placeun dispositif conceptuel assez critiquepour ne pas sortir de la thématique natu-raliste fondée sur l’idée de la souffrance,de la douleur de l’homme. Et, développeà partir d’une telle thématique la problé-matique de l’aliénation considéréecomme cause principale de la perte dela nature. Le concept d’aliénation estalors systématisé en trois grandsmoments qui reflètent diversesinfluences : les influences feuerba-

chienne, bauerienne et hessienne. Del’analyse feuerbachienne de l’aliénation,Marx en tire l’idée de l’aliénation commeperte de l’essence générique del’homme ; de celle de Bauer, il en tire laconception de l’aliénation comme domi-nation ou oppression de l’homme parDieu et enfin de celle de Hess, il en héritela conception de l’aliénation commeinversion du rapport du sujet et de lafin. « C’est en ce sens de la perte de soiet du devenir étranger à soi, de la domi-nation par le produit de son activité, etde l’inversion des moyens et des fins qu’ilsera question de travail aliéné ».- Dans le premier moment, l’aliénationconsiste dans la perte de l’expression (cequi est rendu en allemand parEntäusserung et non par Entfremdung),dans le fait que le produit du travailleurest accaparé par autrui qui, du fait qu’ildispose des moyens de production, s’ap-proprie naturellement le produit du tra-vail. L’ouvrier ne disposant pas desmoyens de production, de travail, ils luisont extérieurs, s’objective certes dansun objet mais une telle objectivation esten même temps désobjectivation, le pro-duit lui échappe et lui devientétranger « l’objet que le travail produit,son produit vient lui faire face commeun être étranger, comme une puissanceindépendante du producteur. Le produitdu travail est le travail qui s’est fixé dansun objet, qui s’est fait chose ; ce produit

NATURALISME ET ALIÉNATION DANS LESMANUSCRITS DE 1844 DE KARL MARX.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page15

Page 16: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

16

LE DOSSIER Nationalisations : l’intérêt général

SUITE DE LAPAGE 15 > est l’objectivation du travail. La réalisa-

tion du travail est son objectivation. Cetteréalisation du travail apparaît, dans lasituation de l’économie nationale,comme déréalisation du travailleur, l’ob-jectivation [apparaît] comme perte del’objet et asservissement à l’objet, l’ap-propriation [apparaît] comme aliénation(Entäusserung, c’est nous qui traduisons),comme perte de l’expression »L’accent est mis sur l’idée de perte, dedessaisissement et non sur les conditionsde production, de travail. L’homme esttout simplement aliéné parce qu’il estprivé de son produit, de son objet enri-chi. Le produit du travail devenant ainsiétranger au travailleur ne peut l’enrichircomme ce serait le cas s’il lui revenait :c’est le versant subjectif de l’aliénation,le moment où les produits s’autonomi-sent. « L’objectivation apparaît à un pointtel comme perte de l’objet que le travail-leur est dépouillé non seulement desobjets les plus nécessaires à la vie, maisaussi des objets du travail. Oui : le travaillui-même devient un objet dont [le tra-vailleur] ne parvient à s’emparer qu’au

prix des efforts les plus grands et enconnaissant les interruptions les plusirrégulières. L’appropriation de l’objetapparaît à ce point comme aliénation(nous traduisons par Entäusserung) queplus le travailleur produit d’objets, moinsil peut posséder et plus il tombe sous ladomination de son produit, le capital ».Marx souligne deux idées fondamentalesqui rendent possible cette premièreforme d’aliénation. Il faut, d’une part,pour que cette première manifestationde l’aliénation soit possible, que lesmoyens de production, les moyens quirendent l’activité de l’ouvrier possible,ne puissent pas appartenir à ce dernier,ils doivent nécessairement venir dudehors. En un mot, il faut qu’il y ait uneséparation de l’ouvrier avec les moyensde l’activité (idée qui sera davantagedéveloppée dans Le Capital). D’autrepart, il faut aussi que les produits du tra-vail soient appropriés par le détenteurdes moyens de production à savoir lecapitaliste qui par le seul fait de possé-der les moyens de production, devientl’individu à qui reviennent les produits

du travail. Ces deux conditions à savoirla séparation de l’ouvrier avec les moyensde production et la dépossession de l’ob-jet ont pour ultime conséquence l’auto-nomie de l’objet par rapport au travail-leur, les conditions qui pouvaientpermettre à l’ouvrier de reconnaître l’ob-jet comme sien étant absentes, l’objetdevient non seulement l’objet d’un autremais il lui devient même étranger. « Laperte de l’expression du travailleur dansson produit a la signification, non passeulement que son travail devient unobjet, une existence extérieure, mais queson travail existe en dehors de lui, indé-pendant de lui et étranger à lui, et qu’ildevient une puissance autonome lui fai-sant face, que la vie qu’il a prêtée à l’ob-jet vient lui faire face de façon hostile etétrangère ». n

Extraits de Le problème de l’aliénation,L’Harmattan, 2013, publiés avec l’aimableautorisation de l’auteur.

*Ousmane Sarr est philosophe. Il est docteurde l’université de Paris-Ouest Nanterre-LaDéfense.

PAR KARINA KELLNER*

Quand on aborde la réappropriationsociale des enjeux de l’eau, il estimportant de prendre le sujet dans

sa globalité car au-delà de la gestion duservice par les collectivités compétentesil existe un champ de revendication etde conquête beaucoup plus grand.

UNE INÉGALITÉ SOCIALE ET TERRITORIALEDans un contexte d’aggravation des iné-galités sociales, l’accès à l’eau ne fait pasexception, au contraire. La moyenne duprix de l’eau en France est basse et la fac-ture pèse 0,8 % du budget des ménages.Pour autant tout le monde n’est pas logéà la même enseigne. L’Observatoire desusagers de l’assainissement en Île deFrance (OBUSASS) a ainsi montré queles familles vivant des minima sociauxvoient le poids de leur charge d’eau pren-dre des proportions inquiétantes. Àl’échelle internationale un seuil de 3 %du budget des familles consacré à l’eau

est communément admis. Ce seuil estlargement dépassé pour une partie gran-dissante de la population qui se porte àdeux millions selon les derniers chiffresdu Comité d’analyse stratégique. Si l’onprend en compte les allocataires du RSA,on s’aperçoit qu’une grande partie d’en-tre eux voit leur budget consacré à l’eaudépasser allègrement ce seuil de 3 %. Sil’on rajoute à cela les dépenses d’éner-gie, on comprend vite que c’est toutl’équilibre de l’accès aux biens les plusfondamentaux que sont l’eau, l’énergie,le logement, qui est en jeu.Surtout qu’à cette inégalité sociale liéeau prix de l’eau s’y ajoute une deuxième :celle liée au territoire. En effet la mêmeétude a montré que le prix de l’eau peutparfois doubler, voire tripler d’un terri-toire à l’autre. Les raisons de ces diffé-rences sont nombreuses – typologie duterritoire, état des réseaux, état de la res-source, mode de gestion… – mais, danstous les cas elles créent une inégalité ter-ritoriale qui n’est pas négligeable, d’au-tant plus pour les familles les plus pré-

caires. Comme la tendance du prix del’eau n’est pas à la baisse et que le niveaudes minima n’est pas à la hausse, il estévident que les inégalités en matièred’accès à l’eau s’aggravent et représen-tent un enjeu fondamental.

CONCRÉTISER LE DROIT À L’EAU Il est donc important de promouvoir etconcrétiser le droit à l’eau pour toutes ettous. Si le principe est arrêté dans la loi,sa mise en œuvre reste difficile. Bienentendu, les opérateurs d’eau et d’assai-nissement agissent sur le problème desimpayés d’eau. Des mesures dites cura-tives, qui arrivent une fois l’impayéconstaté, existent par l’intermédiaire des« chèques eau » ou grâce à la possibilitédonnée aux services d’eau et d’assainis-sement d’abonder le volet eau des fondsdépartementaux de solidarité pour lelogement (FSL). Mais ces mesures neconstituent pas un véritable droit, uni-versel et automatique.Pour répondre à cette nécessité de créerun nouveau droit social à l’eau, une idée,reprise par une proposition de loi des par-lementaires communistes en 2010 – quifut d’ailleurs largement reprise et débat-tue par les principaux acteurs de l’eau –consisterait en une allocation versée par

POUR UN SERVICE PUBLIC NATIONAL DÉCENTRALISÉ DE L’EAU !En matière de politique de l’eau et de l’assainissement, nous sommesface à un enjeu immense : la conquête d’un véritable droit à l’eau etl’interrogation du système actuel de financement

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page16

Page 17: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

1717

> SUITEPAGE 18

les CAF et déclenchée pour toute familleconsacrant plus de 3 % de son budget àsa facture d’eau afin de maintenir ce seuilpour tous les usagers. Tenant compte duprix réel de l’eau et de volumes consom-més de référence, cette allocation, cal-quée sur l’APL, permettrait de résorber ladouble inégalité sociale et territoriale liéeau prix de l’eau. Concrétiser ainsi le droità l’eau pour tous demande bien sûr delégiférer mais surtout d’imaginer un modede financement ne reposant pas obliga-toirement sur le seul usager.

Car c’est l’autre enjeu fort d’une réap-propriation des enjeux de l’eau : imagi-ner un autre mode de financement desservices d’eau et d’assainissement quel’actuel qui repose à plus de 90 % sur lafacture acquittée par l’usager. Ce modèleest actuellement questionné car les ser-vices font face à une baisse des volumesconsommés et donc facturés alors mêmeque les coûts inhérents au respect desnormes (pour l’épuration des eaux uséesnotamment) et à l’entretien des réseauxaugmentent. Cette équation impossiblemet en lumière le fait que l’usager est leprincipal financeur de l’eau par le biaisde sa facture, et ce, aussi bien pour payerle service que la préservation et la ges-tion du milieu aquatique.La perspective d’un service public natio-nal décentralisé de l’eau et de l’assainis-sement s’appuie sur ces constats et cesréflexions. Il est l’outil d’une maîtrisepublique des enjeux de l’eau qui doit per-mettre à terme d’envisager une réappro-priation des outils de recherche, desfilières de formation et des brevets tech-nologiques nécessaires pour répondreaux défis quotidiens et à venir de pro-duction d’eau potable, de transport etd’épuration des eaux usées. C’est ce ser-vice public national qui doit s’appuyersur des régies publiques partout où celaest possible à l’échelle des collectivitéset qui doit faire vivre une nouvelle soli-darité nationale. n

*Karina Kellner est maire adjointe (PCF) deStains. Elle est membre du secrétariat del’Association nationale des élus commu-nistes et républicains (ANECR).

Imaginer un autre mode de financement des services

d’eau et d’assainissement quel’actuel qui repose à plus de 90 %

sur la facture acquittée par l’usager.

“”

ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ : LA QUESTION DES NATIONALISATIONS TEMPORAIRESUne nationalisation temporaire des entreprises en difficulté doit pou-voir être décidée, dès lors qu’un redressement durable est possibleet qu’il nécessite une intervention financière des pouvoirs publics.

PAR JACQUES RIGAUDIAT*

F lorange, Heuliez, Petroplus, PSA ettant d’autres… Des entreprises, cer-taines en difficulté, d’autres pas, mais

des fermetures à chaque fois et des licen-ciements au total par milliers. Pourtant,le 5 janvier 2011, François Hollande, alorscandidat à la présidence de la République,avait déclaré aux salariés de Petroplus :« Où est l’État ? Où est le gouvernement ? ».Rompant ainsi avec les propos de LionelJospin (« l’État ne peut pas tout »), il lais-sait ainsi augurer d’un changement radi-cal de politique sur ce terrain. Aujourd’hui,deux années après ces propos de cam-pagne, une année après son arrivée à l’Ély-sée, force est de constater que tout resteà faire.

LA DÉSINDUSTRIALISATION, UN DÉSASTREÉCONOMIQUE ET SOCIALEn effet, sur ce terrain, celui des entre-prises en difficulté, que celles-ci soientdues à l’incurie des dirigeants, à une stra-tégie hasardeuse, ou, plus simplement, àune réalité économique difficile face àlaquelle il suffirait d’un coup de pouce –ou de main – pour passer une mauvaisepasse passagère, rien de tangible n’a étéfait. Rien.L’automne dernier, Arnaud Montebourg,le ministre du Redressement productif,avait pourtant parlé d’une nationalisa-tion temporaire à propos du site deFlorange. Un membre du gouvernementavait ainsi rouvert le débat. Mais bien vite,le couvercle avait été remis sur le sujet etle ministre réduit au silence. Aujourd’hui,Florange ferme et il n’est plus, plus dutout, question qu’une nationalisation dusite permette le maintien d’une activité,dont on sait pourtant combien, s’agissantde la production d’aciers de très hautequalité, elle est nécessaire. Résultat : ungâchis humain – le licenciement de cen-taines de travailleurs très qualifiés –, éco-nomique – une filière qui disparaît – etcomme l’acier est indispensable, un dés-équilibre accru du commerce extérieurde la France. Mittal peut ainsi, au mépris

de tous ses engagements, profiter dudumping social qu’il est ainsi autorisé àpratiquer, en délocalisant sa productionvers d’autres sites plus rentables pour lui.Après 18 mois de liquidation judiciaire etl’espoir d’un repreneur pour Petroplus,le tribunal de commerce de Rouen vientde trancher et a refusé les deux proposi-tions de reprise. Par les voix conjointes deMichel Sapin et d’Arnaud Montebourg,le gouvernement en « prend acte » etaffirme que « rien n’aurait été pire qu’unesolution précaire, qui aurait finalementnui aux salariés et à leurs familles ».Résultat : 648 licenciements, une raffine-rie de plus qui ferme, alors que la France,certes en surcapacité sur le super, doitimporter du diesel, essentiellement deRussie. Un coup de pouce financier despouvoirs publics pour la transformeraurait permis d’en assurer la viabilité…Il faut prendre la pleine mesure du désas-tre économique et social que représentela désindustrialisation de notre pays.L’industrie, c’était un quart de notre pro-duction et de notre richesse en 1980 ; c’estun huitième aujourd’hui ! C’étaient5,7 millions d’emplois en 1974 ; moins de3,3 millions aujourd’hui. Une saignée de2,4 millions d’emplois en l’espace demoins de quarante ans ! Aujourd’huiencore celle-ci se poursuit : 30 000 emploisde moins dans l’industrie pour la seuleannée 2012, et des perspectives 2013 quisont plus sombres, pour cause de réces-sion européenne généralisée… Cela doitêtre impérativement stoppé.

POURQUOI DES NATIONALISATIONSTEMPORAIRES ?Notre programme, L’humain d’abord,parle de la maîtrise publique du secteurde l’énergie, des transports publics ou del’eau et, bien sûr, du pôle public financieret de la nationalisation de banques et decompagnies d’assurances. Mais il ne traitepas directement du soutien à un tissuindustriel aujourd’hui en pleine dérouteet abandonné par ce gouvernement, telun chien crevé, au fil de la « concurrencelibre et non faussée ». L’État se doit doncde tout mettre en œuvre pour maintenir

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page17

Page 18: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

18

LE DOSSIER Nationalisations : l’intérêt général

SUITE DE LAPAGE 17 > l’activité industrielle existante et l’emploi.

Il doit mettre l’argent du financementpublic aussi au service du maintien defilières industrielles viables et de la sécu-risation de leurs emplois. De plus, commel’indique L’humain d’abord, les salariéset leurs représentants doivent, à cet égard,pouvoir disposer d’un droit de saisine.C’est pourquoi une nationalisation tem-poraire des entreprises en difficulté doitpouvoir être décidée, dès lors qu’unredressement durable apparaît possibleet qu’il nécessite une intervention finan-cière des pouvoirs publics.

Nationalisation, parce que cette interven-tion n’est pas analogue à celle d’unebanque privée ; il ne s’agit pas, en effet,de prêter pour réaliser un profit, fût-il aubénéfice de la puissance publique. Il s’agitde redresser, de consolider et d’accom-pagner un processus. Il faut donc un sou-tien public à l’investissement, comme àla formation et à la requalification dessalariés. C’est pourquoi cette interven-tion publique doit se traduire par uneprise de participation stratégique (mino-ritaire de blocage ou majoritaire) au capi-

tal et ouvrir un droit de regard particulierdes salariés sur la gestion.Temporaire, parce qu’il ne s’agit ici, nide biens communs – tels l’eau, l’énergieou les réseaux de transports publics –, nide services collectifs, mais de produc-tion de biens marchands. Les pouvoirspublics, État ou collectivités territoriales,n’ont pas vocation à être durablementimpliqués dans la gestion de ces entre-prises. Dès lors que l’activité est redeve-nue viable, la participation publiquecesse d’être nécessaire et peut être reti-rée. Mais il ne s’agit bien sûr pas d’ainsi« socialiser les pertes et de privatiser lesprofits », c’est pourquoi ce retrait doitêtre conditionnel et s’accompagner decontreparties de la part du repreneur :droit des salariés sur la gestion, perma-nence et qualité des emplois, politiquede formation…Aujourd’hui, en dépit des promesses decampagne, rien n’est prévu pour celadans les dispositifs existants. LeProgramme des investissements d’ave-nir investit dans l’amont de filières quirestent à construire ; le Fonds stratégiqued’investissement – particulièrement mal

nommé – est tout sauf stratégique car nevoulant pas aller au-delà de simples par-ticipations minoritaires et refusant des’impliquer dans la gestion. Outre qu’elleest ridiculement sous-dotée financière-ment au regard des besoins, ce n’est pasnon plus la Banque nationale d’investis-sement qui vient d’être créée qui com-blera cette absence, le directeur généralde la Caisse des dépôts et consignationsayant déclaré qu’elle n’avait « pas voca-tion à sauver les canards boiteux ».Aucun dispositif donc n’existe, ni n’estprévu, pour accompagner des processusde redressement économique d’entre-prises industrielles en difficulté et per-mettre d’éviter les licenciements. Voilàpourquoi il est nécessaire que les moyensdu pôle public financier que nous vou-lons construire soient mis au service dela préservation d’un tissu industriel quise défait. Voilà pourquoi des nationalisa-tions temporaires sont indispensables. n

*Jacques Rigaudiat est économiste. Il estconseiller référendaire à la Cour descomptes, membre du bureau de la FondationCopernic

PAR AYMERIC SEASSAU*

Avec la violence de la crise, la faiblessevoire l’absence des solutions propo-sées a fait revenir le mot « nationali-

sation » dans le vocabulaire des luttes, desarticles de presse, et même parfois dansles rapports ministériels.En Loire-Atlantique, au cœur de la troi-sième région industrielle de France, nosfleurons industriels sont menacés. ÀArcelor Basse-Indre, c’est l’affaiblissementdu site par le transfert de ses activités prin-cipales qui a été préféré à la « solutionnationale » pour Florange, pourtant pré-conisée par le rapport Faure remis àArnaud Montebourg.La navale, elle, vit au chantier STX deSaint-Nazaire au rythme des errementsdu marché des paquebots de luxe et deschoix financiers de l’actionnaire coréen,au rythme donc, du chômage partiel et

de l’affaiblissement du nombre d’emploiset des savoir-faire.La solution résiderait-elle dans la natio-nalisation des sites ? Répondre ne peuts’extraire de deux problématiquesmajeures : l’ampleur de la crise financièreet l’absence de politique nationale indus-trielle cohérente et efficiente.

LA CRISE DE L’INDUSTRIE EST AUSSI UNECRISE DU FINANCEMENTL’exemple de l’entreprise STX est criant :il concerne les 2 200 salariés du chantieret plus du double de salariés chez les sous-traitants. En janvier 2010, Sarkozy annon-çait triomphalement une « bonne nou-velle imminente ». Il aura fallu attendrejuillet 2010 pour le voir arriver à Saint-Nazaire signer en grande pompe unecommande avec l’armateur MSC, parte-naire historique du chantier nazairien.Six mois, dans les cycles longs de la navale,ce sont des dizaines de milliers d’heures

de chômage partiel… Et la direction deSTX s’est attachée dans la période à sup-primer près de 300 emplois. En réalité, lacompagnie italo-suisse MSC, aux reinspourtant solides, ne parvenait pas à bou-cler son tour de table financier sur quelque5 % d’une commande s’élevant à pasmoins de 500 millions d’euros.En 2011, avec le conseil régional des Paysde la Loire, nous sommes venus en aideau Chantier Baudet, un agenceur histo-rique de la navale bénéficiant d’un savoir-faire reconnu. Il aura fallu une opérationimmobilière de rachat des murs de l’en-treprise par la collectivité locale et lorsquenous avons voulu mobiliser un « prêtrégional de redéveloppement industriel »(P2RI, mesure défensive destinée auxentreprises en difficulté), nous n’avonstrouvé aucun partenaire bancaire alorsque le crédit était garanti à 70 %.En 2012, deux contrats signés aux chan-tiers de Saint-Nazaire par l’armateurViking Cruise ont été « cassés » par défautde financement en France ; ils serontconstruits en Italie, dans les chantiersFicantieri… nationalisés à 100 %.Autant d’exemples pour un seul constat :la défaillance de la place bancaire auxbesoins de financement précipite la criseindustrielle. L’urgence première est doncà nationaliser des banques regroupées

QUELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE DANS LES PAYS-DE-LA-LOIRE ? Le mot nationalisation revient sous forme de question, au passé ouau présent, et le plus souvent à l’échelle d’une entreprise ou d’unsite : faut-il… fallait-il nationaliser ?

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page18

Page 19: La revue du projet n°27

1919

> SUITEPAGE 20

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

dans un pôle public, avec des créditssélectifs pour l’industrie, seul capabled’engager l’effet de levier nécessaire pourentraîner l’ensemble des banques à finan-cer l’industrie. Une Banque publique d’in-vestissement sous-dotée (et du reste limi-tée à un regroupement et à uneamélioration de dispositifs existants) nepourra qu’agir à la marge.

LA CRISE DE L’INDUSTRIE EST AUSSI UNECRISE POLITIQUE.Navale toujours et un autre cas d’école :fruit de la bataille des salariés et de nom-breux élus locaux, communistes en tête,Sarkozy était revenu au capital de STXFrance à hauteur de 33,3 % via le Fondsstratégique d’investissement (FSI) pourdisposer d’une minorité de blocage. Sil’actionnaire coréen devient défaillant,comme une série de mauvais indicateurspeuvent l’annoncer, l’État devra s’enga-ger à nouveau pour défendre et dévelop-per le dernier chantier naval de France.Pas uniquement parce que des milliersd’emplois sont en jeu, mais parce qu’unepolitique industrielle nationale doit pou-voir s’appuyer sur des filières stratégiquesparmi lesquelles une filière maritimecohérente, de la construction à la décons-truction.D’une part, l’État possède déjà un capi-tal lui permettant d’agir ; d’autre part, s’ils’agit de conduire la même politiqueindustrielle refusant la diversification et

prolongeant la dépendance de la mono-production de paquebots qui mène lechantier de crises en crises, la nationali-sation serait sans effet. Voilà pourquoinous ne sommes pas favorables aux« nationalisations provisoires » qui enten-dent socialiser les difficultés avant de pri-vatiser à nouveau lorsque l’entrepriseredevient viable.

LA NATIONALISATION, À ELLE SEULE, NERÉPOND PAS À LA PROBLÉMATIQUE DANSSON ENSEMBLEIl faut donc lever l’hypothèque de la« concurrence libre et non faussée » quientrave toute construction nationale enengageant les rapports de forces néces-saires, sur tout le territoire pour gagnerles coopérations industrielles nationales,à commencer par les entreprises à capi-taux publics.C’est ce que nous faisons, de Bastia àSaint-Nazaire en passant par Marseille enmenant de front la bataille pour la SNCM,pour la défense et la qualité du servicepublic de continuité territoriale entre laCorse et le continent… Et jusqu’aux com-mandes de renouvellement de la flottequi doivent aller à Saint-Nazaire.La SNCM doit commander des Car-Ferries, GDF des gaziers, France Telecomdes câbliers, une quinzaine de bateauxde tourisme affrétés pour beaucoup pardes collectivités locales ont plus de trenteans… Et nous ne pourrions pas les

construire à Saint-Nazaire ? Ce serait uneinsulte de plus faite aux travailleurs dupays au nom du libre-échange.Les organisations syndicales sont por-teuses de propositions alternativesconcrètes et responsables. C’est le cas àArcelor avec les salariés de Basse-Indrequi ont gagné dans la lutte un audit indé-pendant démontrant les dangers de l’ac-cord Mittal/gouvernement. Avec la sidé-rurgie c’est toute l’industrie française quiest concernée et la solution doit aller bienau-delà d’une « nationalisation provi-soire » du site de FlorangeLa « nationalisation » n’est ni un gros mot,ni un slogan, ni la solution miracle s’ap-pliquant à tous les sites et toutes les situa-tions. Pourquoi ne pas pousser les débats,jusqu’à parler de circuits courts de la pro-duction, jusqu’à dresser des pistesconcrètes à ce que nous appelons « pla-nification écologique » ?Pour desserrer l’étau financier qui étran-gle nos industries et gagner dans la lutteet dans l’action, la politique industriellenationale nécessaire au pays, il y aurabesoin de nouveaux pouvoirs pour lessalariés et leurs organisations, de pôlespublics sous contrôle citoyen, il y aurabesoin, donc, de prises de capital publicet de nationalisations. n

*Aymeric Seassau est secrétaire de la fédéra-tion du PCF de Loire-Atlantique, membre duConseil national du PCF, conseiller régionaldes Pays-de-la-Loire.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page19

Page 20: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

20

LE DOSSIER Nationalisations : l’intérêt général

PAR ROBERT MENCHERINI*

Les réquisitions – ces prises de contrôlepar l’État - sont fréquentes en tempsde guerre. Celle de quinze entreprises

à Marseille, décidée, en septembre-octo-bre 1944, par le commissaire régional dela République (CRR), Raymond Aubracn’a rien de surprenant en soi : la guerrequi continue en Europe jusqu’en mai 1945nécessite le rétablissement de moyens decommunication très détériorés. La grandemajorité des entreprises réquisitionnéesappartient au secteur des transports(réparation et construction navales,manutention portuaire, réparation etconstruction de matériel ferroviaire).

Liées à l’effort de guerre, les réquisitionsde Marseille permettent aussi, par leursmodalités, l’intervention des salariés etdes syndicats ouvriers dans la vie de l’en-treprise par l’intermédiaire d’un comité

consultatif de gestion où le personnel estreprésenté et de directeurs nommés enaccord avec les syndicats. C’est cette situa-tion qui conduit la CGT et le Parti com-muniste à parler d’une « gestion ouvrière »qui concerne quinze mille ouvriers.

DES CIRCONSTANCES DE LA PREMIÈRERÉQUISITION AU CONTEXTE GÉNÉRALLa manière dont a été prise la décision deréquisition n’est pas sans conséquencesur le contenu de celle-ci. Pour la pre-mière d’entre elles, celle des Aciéries duNord (ADN), deux mouvements se ren-contrent. D’une part, dans l’entreprise,dès la fin des combats, la relance de laproduction (ici les réparations de loco-motives), à l’initiative de la CGT et ducomité local de Libération, alors que lesdirigeants de l’usine sont en état d’arres-tation. De l’autre, la décision du CRR etde son cabinet juridique. L’arrêté de réqui-sition du 10 septembre 1944 transformeun état de fait en état de droit en lui don-nant un cadre juridique.Au-delà de l’effort de guerre, les réquisi-tions de Marseille sont représentatives dela volonté générale de transformation

sociale qui touche la France à laLibération. Le programme du Conseilnational de la Résistance (CNR), adoptéle 15 mars 1944, prône, en particulier,« l’instauration d’une véritable démocra-tie économique et sociale, impliquantl’éviction des grandes féodalités écono-miques et financières de la direction del’économie […] et la participation des tra-vailleurs à la direction de l’économie »Cette poussée sociale ne se traduit pasuniquement par les quinze réquisitionsde Marseille. Des « comités de gestion »apparaissent aussi dans l’Allier, le Sud-Ouest, à Lyon (Berliet)… Même àMarseille, le phénomène est plus largeque ces quinze réquisitions et beaucoupd’autres entreprises, de moindre impor-tance, sont mises sous séquestre.L’ampleur du mouvement dans lesBouches-du-Rhône, s’explique sans doutepar le renforcement très important desorganisations ouvrières à la Libération etpar leur action. L’Union départementaleCGT rassemble, en 1945, près de 160 000syndiqués, plus qu’en 1936. Elle est domi-née par le courant communiste qui a su,par son action dans la Résistance, dépas-

LES RÉQUISITIONS DE MARSEILLE (1944-1948)Une expérience, restée excep-tionnelle par son ampleur et saradicalité.

Les scandales sanitaires sont liés avant tout  à la rechercheobsessionnelle du profit. Nous voulons mettre un terme à cesystème de collusions et de conflits d’intérêts manifestes.Nous sommes pour la transparence mais également pour lamise en place d’un réel contrôle démocratique assuré parun pôle public. Il sera composé de plusieurs collèges  :l un comprenant les entreprises pharmaceutiques dumédicament ;l un comprenant les professionnels de santé notamment lecorps médical ;l un comprenant les usagers, les ayant droit à la santé ;l un comprenant les représentants de l’Assurance maladie ;l un comprenant les élus de la population (territoriaux etparlementaires).Nous voulons mettre en place au moins une entreprisepublique de la recherche, de la production et de la distribu-tion du médicament. La pharmacie centrale des hôpitauxde Paris assurait à son échelle ces trois missions. C’estdonc possible.Nous voulons peser sur les axes et les priorités desrecherches médicales pour répondre aux besoins sani-taires et non aux profits des actionnaires comme c’est lecas actuellement.Nous voulons sortir le médicament de la sphère du profitpour en finir avec les conflits d’intérêts, y compris au plushaut niveau de l’État.

Nous voulons que le médicament corresponde auxattentes de la médecine. Nous tenons à ce que son condi-tionnement corresponde aux prescriptions communémentreconnues plutôt qu’à la recherche du profit avec desconditionnements imposant l’achat supplémentaire et legaspillage dans la logique du marché. Nous voulons assurer une information collective de qualitésur le médicament. Nous voulons assurer l’indépendancede la formation médicale et professionnelle à l’égard del’industrie pharmaceutique.Sortir le médicament du marché, c’est indispensable sur leplan éthique ; c’est utile du point de vue scientifique et del’innovation de la recherche ; c’est bon pour la santépublique, pour l’économie du pays et pour la protectionsociale solidaire. Un médicament utile doit être rembourséà 100 % par la Sécurité sociale ; s’il n’est pas utile, il ne doitpas être considéré comme médicament.Nous voulons faire du médicament un bien commun universel !Nous considérons que ce pôle public doit trouver des pro-longements à l’échelle européenne ainsi qu’au plan mon-dial par une nouvelle politique de coopération internatio-nale à construire. n

Jean-Luc Gibelin est responsable du secteur Santé-Protectionsociale du conseil national du PCF.

UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENT

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page20

Page 21: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

2121

R

> SUITEPAGE 22

ser à son profit la scission de 1939 : en1944, les militants communistes ont étéà l’origine des deux grandes vagues degrèves qui touchent les entreprises de larégion, en mars et mai 1944. Et Marseilleest entrée en grève insurrectionnelle enaoût 1944.

UNE GESTION OUVRIÈRE SOCIALE,EFFICACE, MAIS PROVISOIRELa gestion ouvrière se traduit par desavantages sociaux pour les salariés : colo-nies de vacances, jardins et logementsouvriers, etc. La culture et l’éducationouvrière sont prises en compte : aux ADN,développement du centre d’apprentis-sage et création du centre éducateurCharles-Nedelec. La gestion est rationa-lisée, la transparence est de mise pour lagrille des salaires. Le bilan économiqueest d’ailleurs nettement bénéficiaire etdégage des profits qui sont versés à l’Étatlors des déréquisitions, en 1947.Au fil des mois, la gestion ouvrière ne peutse perpétuer sous sa forme première. Lesréquisitions sont liées à l’état de guerre etle Conseil d’État, saisi par les représen-tants des actionnaires, annule, en 1946-1947, plusieurs arrêtés de réquisition. Lesdirections provisoires, soucieuses demaintenir les acquis de la gestion ouvrière,essaient de définir – sans succès - une troi-sième voie entre entreprise capitaliste etentreprise nationalisée, les deux solutionsétant également critiquées. La loi du 3 sep-tembre 1947, « régularisant la situationdes entreprises placées sous réquisition »,sonne la fin des réquisitions de Marseille.

La page tournée, la mémoire des réquisi-tions de Marseille s’est effilochée au fil dutemps. Le film récent de Sébastien Jousseet Luc Joulé, Les réquisitions de Marseille(mesure provisoire), a le mérite de fairerevivre cette expérience, restée exception-nelle par son ampleur et sa radicalité. n

*Robert Mencherini est historien. Il est pro-fesseur émérite d’histoire contemporaine àl’université de Provence.

PAR FRÉDÉRIC CHERASCO*

C’est la fin de la raffinerie de PetitCouronne ! Aucune offre n’a étéjugée satisfaisante par le tribunal

de commerce. Et on fait quoi maintenant ?On s’assoit et on regarde la destructionde l’emploi, d’une ville, de notre écono-mie ? Où va-t-on aller chercher notregasoil ? On va construire des bacs sur nosports pour recevoir les produits dont nousavons besoin, que nous savions produiremais dont nous avons laissé détruire l’ou-til de fabrication ?

LE COMBAT SYNDICALDès l’annonce de la cessation de paie-ment et durant plus de 18 mois, l’inter-syndicale de Petroplus s’est fortementengagée pour sauver le site de Petit-Couronne. Afin de construire le rapportde forces, et dans un moment difficile, ilsont de haute lutte réussi à bloquer lesstocks de carburant. Cela a permis designer un accord commercial avec Shell,précédente société mère, afin de relancerl’activité de raffinage jusqu’à fin 2012.Ainsi les salariés ont maintenu en sécu-rité et de façon autonome l’activité d’unsite « Seveso seuil haut » durant un an.Leur lutte a également entraîné l’adop-tion par le parlement d’une « loiPetroplus » destinée à empêcher le détour-nement d’actifs de l’entreprise défaillante.Enfin, ce travail syndical a permis dedémarcher de nombreux candidats à lareprise de la raffinerie et de préparer lesdossiers afin de les présenter au tribunal

de commerce. Le combat syndical a étémené et de la meilleure des manières.

NATIONALISER LES ACTIVITÉS CLÉS POURNOTRE ÉCONOMIEMaintenant c’est un combat politique quidoit être mené. Nos élus peuvent et doi-vent agir. Nous ne voulons pas de com-bat de petites phrases dont se nourrissentles média. Ceux-ci les auront digérées àpeine ingurgitées. Nous ne voulons pasnon plus de la politique de l’autruche.Nous ne pouvons pas en même temps neplus vouloir d’usine devant chez nous etdéplorer la hausse du chômage.Ce dont nous avons besoin, ce sont desélus qui travaillent à faire converger lesluttes, afin d’empêcher le retour du that-chérisme trente ans après. FlorangeLyondellBasell, Kem one, Petit-Couronne :la liste est longue. Après les promesses ilfaut des actions. Le gouvernement doitprendre ses responsabilités. Les solutionsexistent : nationaliser les activités cléspour notre économie, contraindre ceuxqui veulent vendre des produits à avoirune activité de production locale…Sur ce dernier point, des expériences ontété menées avec succès dans d’autrespays : le Brésil a contraint Apple àconstruire une usine dans son pays s’ilsouhaitait y vendre ses produits. Le gou-vernement chinois a indiqué l’an passéqu’il retirait son soutien à l’investissementétranger dans l’industrie automobile afinde réserver les nouveaux projets auxmarques locales. De plus, les importa-tions mais aussi les productions locales

PRENDRE SES RESPONSABILITÉSAlors, que la nationalisation a permis la relance d’entreprises, mêmeaux Etats-Unis, pourquoi ne serait-elle pas une solution ?

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page21

Page 22: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

22

LE DOSSIER Nationalisations : l’intérêt général

SUITE DE LAPAGE 21 > des entreprises non-chinoises sont

contrôlées et régulées.Quant à l’Amérique du Sud, elle cumuleles exemples de nationalisations réussies.L’Argentine avec un des distributeurs decarburant, une compagnie aérienne et unfonds de pension. Le Venezuela avec lepétrole afin de financer leurs programmessociaux contre l’illettrisme ou la malnu-trition. La Bolivie avec la production depétrole et de gaz. (Voir la contributiond’Obey Ament, dans ce numéro NDLR).

NATIONALISATION DE GENERAL MOTORSET DE AIG AUX ÉTATS-UNIS Même les États-Unis ont nationaliséGeneral Motors en 2009. Cette histoirepourrait être celle de tant d’autres entre-prises. Les actionnaires ont fait la preuvede leur incompétence dans la gestion del’entreprise : surendettement en raisondu désinvestissement au profit de retourssur capitaux tout à fait délirants. Un tri-bunal a alors exproprié les actionnaireset les créanciers. L’entreprise au bord dugouffre a dû supprimer un tiers des effec-tifs et supprimer quatre de ses marques.Passé cette période difficile de sauvetage,la nationalisation s’est avérée une réus-site. Deux ans après, l’entreprise a recom-mencé à embaucher. Depuis, elle est rede-venue première entreprise de productionautomobile au monde.Un autre grand symbole de la nationali-sation américaine, celle de l’assureur AIG.L’entreprise mal gérée en était arrivée àperdre 49 milliards d’euros en un trimes-tre. Jugée société trop grosse pour fairefaillite, elle est nationalisée. Quatre ansaprès la nationalisation, qui nécessita l’ap-port de 182 milliards de dollars, l’entre-prise est redevenue bénéficiaire et l’Étata récupéré plus qu’il n’a injecté.Plus localement le département de l’Eurea « départementalisé » sa papeteried’Alizay. Après le licenciement de plusieurs centaines de salariés et la fer-meture programmée du site, la « dépar-tementalisation » et le soutien du dépar-tement ont permis de redémarrer le siteet de réembaucher une grande part dessalariés. Ce que l’État n’a pas voulu faireavec Florange, un conseil général l’a réa-lisé. La démonstration de réussites d’expé-riences de nationalisations a été faite ycompris dans des États considérés commechantres du capitalisme.Alors, un peu de courage, et à défaut d’in-nover, copiez les recettes qui marchent ! n

*Frédéric Cherasco est syndicaliste. Il estdélégué central Shell.

LES NATIONALISATIONS EN AMÉRIQUELATINE, INSTRUMENT DE SOUVERAINETÉ ET DE DÉVELOPPEMENTLe Venezuela, la Bolivie, l’Équateur ont fait des nationalisations uninstrument clef de leur politique visant l’émancipation.

PAR OBEY AMENT*

L’arrivée des forces politiques degauche au gouvernement des paysde l’Amérique latine ont signifié un

coup d’arrêt à deux décennies de poli-tiques néolibérales d’ajustement struc-turel inspirées par le Fonds monétaireinternational (FMI). Ces politiques ontlivré les ressources naturelles de ces pays,jusque-là sous contrôle de l’État, aux com-pagnies transnationales.

LE VENEZUELAC’est le Venezuela qui a eu le plus recoursaux nationalisations de secteurs trèsdiversifiés : d’abord le pétrole, qui for-mellement n’avait jamais cessé d’êtresous le contrôle de l’État, a été livré auxtransnationales qui ont pris en main l’exploration et l’exploitation. La nou-velle Constitution de 1999 et les lois pro-mulguées en 2001 ont redonné à la com-pagnie nationale PDVSA son statutd’entreprise publique à part entière.Actuel lement, PVDSA exploite en parte-nariat avec des transnationales les res-sources pétrolières du pays, l’État quidétient 51 % des entreprises mixtes et lestransnationales payent des royalties de20 % pour l’exploitation du gaz et de 30 %pour le pétrole en plus d’un impôt de50 % sur leurs revenus. Ces contributionsservent au financement direct des diffé-rents projets de développement humainet contribuent au budget de l’État. Aprèssa réélection en 2006, Hugo Chavez anationalisé les raffineries installées dansla frange de l’Orinoque, puis des entre-prises dans la sidérurgie et dans la dis-tribution d’électricité. Il a pris 90 % desactions de CANTV (télécommunications)et, en vue des grands projets de construc-tion de logements, il a nationalisé l’in-dustrie du ciment. Certaines industriesde production d’aliments sont passéessous le contrôle de l’État en réponse auxrétentions et hausses injustifiées des prix.

LA BOLIVIELa Bolivie a pris le contrôle de ses hydro-carbures (gaz) en 2006 après des grandesluttes qui ont contribué à mobiliser le pays

en faveur de la candidature d’Evo Morales.Les compagnies étrangères qui, jusque-là, laissaient au pays 18 % des profits réa-lisés laissent aujourd’hui 82 % des profits.La gestion des pensions a été reprise àBBVA ainsi que la distribution d’électri-cité contrôlée par REE et Iberdrola, troiscompagnies espagnoles.

L’EQUATEUREn Équateur, le pétrole apporte plus d’untiers du budget de l’État. Comme dans lesautres pays, l’exploitation des hydrocar-bures était formellement contrôlée parl’État mais la Constitution de 1998 a ouvertla possibilité de privatiser les services etles biens publics. L’élection en 2006 deRafael Correa à la présidence de laRépublique a redonné un rôle central àl’État et les ressources pétrolières ont étéconsidérées comme stratégiques pourl’économie et doivent être sous le contrôleexclusif de l’État. Comme dans les autrespays progressistes des Andes, les res-sources naturelles sont protégées par la

Constitution et ne peuvent en aucun casêtre privatisées. Leur utilisation et exploi-tation sont soumises aux décisions duparlement. En 2007, le gouvernement ataxé à 99 % les transnationales qui dépas-saient les quotas accordés dans lescontrats. L’espagnole Repsol a résisté pen-dant deux ans et a fini par payer les444 millions dus en impôts. La françaisePerenco a préféré céder ses actifs à uneautre compagnie. En 2010, le gouverne-ment a transformé les contrats de parti-cipation signés avec les transnationalesen contrats de prestation des services.Elles ne tirent plus un bénéfice direct dupétrole et sont payées, selon les servicesrendus, à un tarif unique laissant à l’État100 % de la production. En échange ellesont vu leurs impôts passer de 44 % à 25 %.

Les nationalisations sont un acte politique fort de

souveraineté populaire face auxgrandes puissances.“

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page22

Page 23: La revue du projet n°27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

2323

L’ARGENTINEEn Argentine, les nationalisations ne fontpas partie des politiques menées par ungouvernement qui se donne pour objec-tif la mise en place d’un capitalisme natio-nal et moderne. Pourtant, le présidentNestor Kirchner n’a pas hésité à nationa-liser les transnationales qui ne respec-taient pas les contrats signés, soit en refu-sant de réinvestir dans le pays leursbénéfices, soit parce que les services ren-dus n’étaient pas de la qualité promise.Ainsi, Thales (spectre radio-électrique) adû quitter le pays de même que Suez quiavait la distribution de l’eau et l’assainis-sement du grand Buenos Aires. En pleine

crise financière, Cristina Fernandez, quilui a succédé, a fait voter par le parlementle transfert des 26 milliards de dollars desfonds de pension privés vers un systèmepublic de retraites mettant sous protec-tion 5 millions de retraités. En 2012, l’Étata pris la majorité des actions de YPF, filialede Repsol, sous les protestations du gou-vernement espagnol qui a exigé de l’Unioneuropéenne des mesures de rétorsion.

Les nationalisations font partie de formesnouvelles d’appropriation qui existentdans les pays d’Amérique latine et quicontribuent à la diversification de leurséconomies : propriétés communales

comme en Bolivie, coopératives et usinesrécupérées par leurs salariés au Venezuela.

Les nationalisations sont un acte poli-tique fort de souveraineté populaire faceaux grandes puissances. Elles apportentdes moyens pour le développementhumain. Pour autant, elles posent la ques-tion de la diversification des matricesénergétiques et le défi de l'industrialisa-tion pour que ces pays ne soient plus lespourvoyeurs de matières premières despays dominants. n

*Obey Ament est responsable Amériquelatine du secteur International du Conseilnational du PCF.

La nationalisation des grandes banques de dépôt (et de laBanque de France) avait été une des clés de l’issue à la crisedes années trente et de la croissance après-guerre. À partirdes années soixante, l’appareil étatique de financement del’économie française n’a toutefois pas été en mesure deremédier à l’apparition d’une nouvelle crise durable de surac-cumulation du capital, et il a été balayé par la prise de pouvoirdes marchés financiers. La privatisation des banques a donnéle signal de la financiarisation de l’économie, contribué auxchoix de gestion des entreprises qui ont fait remonter la partdes profits dans les richesses créées au détriment dessalaires… et conduit à la crise financière, économique, sociale,politique, morale où l’Europe est en train de sombrer. Sortir de cette crise exigera donc des transformations struc-turelles plus profondes encore que celles qu’avaient permisesla Résistance et la Libération. Il s’agit de retourner contre lesmarchés financiers le pouvoir de création monétaire desbanques et des banques centrales, et de le mobiliser au ser-vice des êtres humains. Ainsi, la constitution d’un pôle finan-cier public prend place dans un vaste projet de réorientationdu crédit bancaire en faveur des investissements favorables àla sécurisation de l’emploi et de la formation, à la création de

valeur ajoutée dans les territoires, à la transition écologique.Cela passe par la mobilisation des institutions financièrespubliques existantes, en réseau avec les services de Bercy etles banques et assurances mutualistes, et par la nationalisa-tion de réseaux bancaires privés. Mais il ne s’agira pas simple-ment, cette fois-ci, de mettre à la disposition de l’État un «bras séculier » monétaire et financier. Il s’agit, pour lescitoyens, de conquérir des pouvoirs directs, en instaurant unetransparence sur le comportement local de toutes les institu-tions financières, et en mobilisant les instruments de la poli-tique économique (bonifications d’intérêts, garanties d’em-prunts) pour obliger les banques à financer les projets soute-nus par la population, au moyen de Fonds régionaux et d’unFonds national pour l’emploi et la formation. Il sera indispen-sable de s’appuyer sur ces institutions et ces pouvoirs nou-veaux pour changer radicalement l’action de la Banque cen-trale européenne (BCE), et pour que l’Europe contribue à unautre ordre monétaire international, libéré de l’hégémonie dudollar avec une monnaie commune mondiale. n

Denis Durand est membre du secteur Économie et finances duconseil national du PCF.

NATIONALISATIONS : BANQUES ET INSTITUTIONS FINANCIÈRES

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:28 Page23

Page 24: La revue du projet n°27

Toutes les mesures qui seront prises dans les jours à venir par ce gouvernementne serviront qu'à distraire le peuple et l'empêcher de voir ce que révèle réelle-ment l'affaire Cahuzac. Cet homme, ce ministre, qui était censé nous faire com-prendre que  l'austérité était la meilleure des politiques était en même temps unfraudeur qui se mettait des millions à gauche. Et il serait le seul  ? un cas isolé  ?Cahuzac est le symbole de la politique organisée par les gouvernants européens.Une politique acceptée et défendue par une grande partie de nos journalistes. Unepolitique dirigée contre les peuples d'Europe pour les saigner au maximum… etenrichir les plus riches.

FC

Distraire le peuple

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

2424

FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Caroline Bardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, AmarBellal, Marine Roussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, MichaëlOrand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Franck Delorieux, Francis Combes - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page :Sébastien Thomassey - Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim(12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : mai 2013 - N°27 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Nouvel abonné, j'ai lu avec intérêt l'article sur le droit à l'information.En attendant que les transformations proposées se réalisent l'informa-tion reste entre les mains des propriétaires des grands groupes. En ce quiconcerne la radio, j'écoute régulièrement France Inter et je constate qu'ensemaine nous avons droit à l'opinion des Échos (Dominique Seux), lelundi Nicolas Beytout, le samedi Laurent Joffrin et au directeur de l'Express(dont l'écharpe est plus rouge que ses opinions). Pour la rubrique éco dusamedi, il y a un petit équilibre avec la confrontation entre Alternativeséconomiques et Valeurs actuelles mais, pour le reste, c'est pensée uniqueou quasiment. L'ensemble des rédactions n'est certainement pas acquisà la droite ; serait-il possible de lancer un mouvement pour la démocra-tie de l'information en demandant que les invités tournent à tour de rôleafin que Patrick Le Hyaric et d'autres puissent s'exprimer ? On va répon-dre que c'est faire une place au FN, et alors ! il serait possible de le contre-dire. En effet, cette équivalence entre le Front de gauche et le FN est une« astuce » pour priver le Front de gauche de toute expression. Je crois qu'ilfaut des petites revendications (petites si l'on peut dire) pour faire avan-cer les plus grandes. Je ne suis pas physiquement de la nouvelle généra-tion, (j'ai 83 ans), mais moralement je le suis et je me réjouis des trans-formations confortées par le dernier congrès. Bon courage à tous.

JEAN LISMONDE

Droit à l’information

La lutte (que dis-je  ?) la guerre des classes avait disparu  ? je ne m'en étais pasrendu compte ! Rien que la formulation de votre présentation témoigne de la dérivesociale-démocrate du parti depuis des années.

MARCEL ANDRIEUX

Pourquoi NOUVELLE conscience de classe ?

Dans l’article « Une lutte des classes sans “classe ouvrière” » ?de Paul Bouffartigue la première phrase me fait réagir :« L’extension de l’exploitation a diversifié les formes de sonexpérience concrète, et mobilise des formes d’oppression –qu’elles soient liées au genre, à la race, l’âge – qui ne se rédui-sent pas à la domination de classe. » l'auteur parle de race...celle de mon chien, la race humaine ? Ou veut-il parler de la

couleur de la peau des gens ? Je croyais acquis par tous (auPCF) que les hommes et les femmes étaient tous de la mêmerace… ça aurait changé ?

GÉRARD CALVINHAC

À signaler sur ce sujet l’article « Race », paru dans le dossier « Lesmots piégés », La Revue du projet, n° 24, février 2013.

Notre potentiel est immense

À propos de race

Changer d’échelle implique que chacun, que chaqueindividualité (communiste, prolétaire/citoyen)puisse jouer pleinement son rôle, là où il se trouveet là où il peut agir. [...] Les gens ne fonctionnentpas comme on le croit. Il faut bien mesurer qu’ilssont totalement libres. Ils font ce qu’ils veulent etce qu’ils peuvent en fonction de ce qu’ils compren-nent. Ils ne voient de nous, qu’un Parti qui fonc-tionne comme les autres. Notre façon de conduireles luttes politiques, nous mène à la pire des solu-tions. Elle ne permet pas à l’individu en fonctionde ce qu’il est, de se saisir de sa propre dimensionpolitique. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.Si nous voulons que le prolétaire/citoyen acquièrede la connaissance politique, il nous faut avoir lecourage de lui donner les armes et les outils de laDémocratie communiste.

MA CONCEPTION COMMUNISTE DE LA DÉMOCRATIE[...] S’APPUIE SUR QUATRE AXES ESSENTIELS :la transparence, [...] la désignation par reconnais-sance, des élus, des représentants des personnels,des dirigeants [...], la conquête et la maîtrise de ladémocratie à l’entreprise (démocratie salariale) [...]la démocratisation de la finance. [...] L’urgence c’estde changer notre façon de lutter, notre façon defaire de la politique. [...] Il y a urgence à mettre enpleine lumière le communisme de notre temps etsa démocratie, car le déballage nauséabond va sepoursuivre. [...] Il nous faut sortir du régime despartis, tout le monde peut participer à l’intelligencecollective pour peu que nous sachions capter lesintelligences individuelles les mettre en cohérenceet les mettre au service du mieux-être et du mieuxvivre de chacun. L’humain d’abord, c’est d’abordreconnaître la valeur de chaque individualité, dansson rapport à la politique et à la société. [...]

ALINE BÉZIAT

(Bul

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page24

Page 25: La revue du projet n°27

ABONNEZ-VOUS !À LA REVUE DU PROJET

(Bulletin à découper ou photocopier et à renvoyer à : Association Paul-Langevin – 6, avenue Mathurin-Moreau - 75167 Paris Cedex 19)

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page25

Page 26: La revue du projet n°27

26

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

LE GRAND ENTRETIEN

TRAVAIL DE SECTEURS

Quelle est votre analyse de la décision de l’euro-groupe pour Chypre  ?On ne peut comprendre l’actuelle situationde Chypre sans la replacer dans le contextehistorique de ces dernières décennies. Cepays subit en 1974 une invasion turque enréponse à la tentative des colonels grecsde rattacher Chypre à la Grèce, ce quiconduit à la partition de l’île en deux par-ties. La partie Nord, sous occupation mili-taire turque. Le Sud constitue la Républiquechypriote. Cette partition a profondémentdéstabilisé l’économie de l’île, au point dedétruire l’essentiel de ses capacités indus-trielles et agricoles. Pour tenter de com-penser la perte de la moitié de son terri-toire, l’économie de la République esttournée vers la financiarisation au momentoù les institutions internationales et euro-péennes promeuvent la « liberté de circu-lation des capitaux  », et favorisent «  l’in-dustrie financière  » comme source derevenus. La position géographique de l’île,au carrefour du continent européen et del’Orient, son administration peu regardantesur l’origine des fonds va permettre l’arri-vée d’importants flux financiers venantd’abord du Liban après la guerre, d’Israël,de Syrie, puis de l’ancienne Yougoslavie,du Royaume-Uni qui y dispose de basesmilitaires et enfin de Russie dont les nou-veaux oligarques cherchent à mettre à l’abrileurs capitaux.Ainsi s’explique le choix de la stratégie definanciarisation de l’économie chypriotequi a abouti à l’accumulation d’un capitalfinancier dans l’île, équivalant à huit foisla valeur de la richesse produite en uneannée. En dépit de cette situation, connue

de tous, rien n’a été demandé aux diri-geants chypriotes au moment de l’adhé-sion à l’Union européenne. A fortiori, aucuneaction, aucune aide n’ont été proposéespar les instances européennes afin de favo-riser la réunification de Chypre et le déve-loppement de ses bases productives, pourlui permettre le retour à une économiesaine. La crise bancaire s’est développéeà partir de 2009, aggravée pour l’île par laforte implication des banques chypriotesdans le système bancaire grec.Au lieu de répondre de manière solidaireaux appels de l’ancien président de Chypre,Demetris Christofias, les instances euro-péennes lui ont à chaque fois opposé l’obli-gation d’appliquer un plan d’austérité etde privatisation de la fameuse troïka –Commission de Bruxelles, Banque centraleeuropéenne, Fonds monétaire internatio-nal. L’ancien président s’est opposé à leurchantage et a refusé que son peuple soitmis à contribution. Les droites européenneet chypriote ne le lui ont pas pardonné,mettant tout en œuvre pour que son orien-tation progressiste soit battue aux élec-tions. Quinze jours seulement après l’arri-vée de la droite à la présidence, un planviolent de privatisations, de diminution dessalaires et des retraites était imposé, avecen plus une tentative d’impôt forcé sur tousles comptes bancaires, dès le premier euro.C’est la loi du talion de cette fameuse troïkadésormais légalisée par ce que l’on appellele Two-Pack voté récemment par le parle-ment européen sans les voix des députésdu groupe de la Gauche unitaire euro-péenne. Face aux mouvements de la popu-lation, à l’inquiétude et la solidarité des

autres peuples européens, ils ont dû recu-ler et ne prélever que les comptes qui vontau-delà de 100 000 euros, après avoir étécontraints d’imposer un contrôle des fluxde capitaux. Démonstration qu’on peuttenir tête à la troïka et faire sauter desnormes prétendument intangibles des trai-tés européens. Ce que confirme l’arrêt dela Cour constitutionnelle du Portugal contrela cure d’austérité dans ce pays, après lespuissants mouvements qui s’y dévelop-pent. Il existe bien de nouveaux champsd’action commune des peuples à exploitercontre les mesures actuelles.

Une coalition hétéroclite a rejeté le budgetcommunautaire au Parlement européen.Comment comprendre ce fait  ?C’est le cadre financier couvrant les années2014-2020 qui a été critiqué par le parle-ment européen dans une résolution, sansêtre encore formellement rejeté. Le votedéfinitif n’aura lieu qu’à partir de juin.Le parlement a désormais un pouvoir decodécision avec le Conseil européen surce cadre budgétaire qui prévoit une baisseprogressive de chaque budget annuel. Alorsque le budget de l’Union européenne estde seulement 150 milliards d’euros sur l’an-née 2013, soit 1,13 % des richesses produitesdans l’Union européenne, le projet de bud-get pluriannuel prévoit de le faire descen-dre aux alentours de 1 %, ce qui équivautà une baisse supérieure à 10 %.Choix lourd de conséquences au momentoù il faudrait au contraire augmenter tousles crédits de solidarité et ceux d’investis-sements pour le futur, notamment ceuxdédiés à l’éducation, la recherche, ou encore

Tandis que l’Europe s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise Patrick LeHyaric, directeur de l’Humanité, député européen et chargé de la dimension euro-péenne du projet communiste, répond à La Revue du projet sur l’actualité ducontinent et ses perspectives d’avenir.

La transformation de l’Europene peut qu’être l’œuvredes peuples eux-mêmes

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:46 Page26

Page 27: La revue du projet n°27

27

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

Hollande pouvait lors du Conseil européenopposer son veto à ce cadre en utilisantl’article 312 du traité de Lisbonne. Il ne l’amalheureusement pas fait.Nous nous inquiétons du fait qu’un accordpourrait se dessiner sur ce programmebudgétaire aux conditions d’y ajouter une« clause de flexibilité » permettant de sim-ples redéploiements budgétaires et unesimple «  clause de révision  ». Nos conci-toyens doivent donc d’une manière oud’une autre se mêler de ce débat qui lesconcerne. À ceci j’ajoute l’enjeu de nou-velles ressources pour que l’Union euro-péenne dispose des moyens nécessairespour impulser de vraies politiques ambi-tieuses et solidaires.

L’euro est de plus en plus fortement perçu parles peuples comme un instrument de domina-tion. Faut-il en sortir  ?Le combat émancipateur pour révolution-ner l’Union européenne, ne peut se laisserenfermer dans un piège consistant soit àaccepter la monnaie unique telle qu’elleexiste, ou au contraire croire qu’en sortant,on améliore de facto la situation des payset celle des individus.La monnaie est un instrument d’échange.Elle devrait selon moi devenir un bien public,à partir d’une valeur d’usage et d’échange.Elle devrait être considérée pour son uti-lité et non pas à partir d’une valeur mar-chande déterminée pour favoriser sa repro-duction dans la spéculation, ou pour ses

capacités à attirer des capitaux circulants ;en rivalité avec d’autres monnaies, princi-palement le dollar. L’euro a été créé à par-tir des demandes allemandes dans les négo-ciations du traité de Maastricht, et géréeselon les normes allemandes, avec unebanque centrale qui non seulement estindépendante des pouvoirs politiques, maisqui est devenue elle-même un pouvoir poli-tique qui utilise la monnaie à sa guise. Pourattirer les capitaux spéculatifs, elle jouesur les taux d’intérêt ou les taux de changeau détriment de la production et du déve-loppement humain. Dès lors que toutes lesmonnaies préexistantes, ont été «  fon-dues  » dans ce type de monnaie unique,sans travailler à une harmonisation desdroits sociaux, de la fiscalité, et des capa-cités productives, la concurrence entreentreprises, entre producteurs s’est exa-cerbée avec une violence inouïe. C’est cequi explique les délocalisations et l’exploi-tation de travailleurs de pays tiers qui dansune spirale infernale lamine les droitssociaux dans l’ensemble de l’Union euro-péenne. La compression des crédits publicsdétruit quant à elle les services publics etaffaiblit les États. Telle qu’elle est construite,l’union monétaire sous domination du capi-tal allemand reproduit et amplifie les iné-galités qui existaient entre les économiesde l’Europe élargie.L’alternative n’est donc pas entre l’euroactuel, et sa disparition qui conforterait ledollar comme monnaie mondiale de domi-nation. Elle est dans la transformation del’euro, un changement profond des mis-sions et de la gestion de la Banque cen-trale européenne tout comme du systèmedes banques centrales pour en faire desbiens publics, au service de la satisfactionsolidaire de besoins humains.En même temps il faut transformer le« mécanisme européen de stabilité » (MES)en un fonds de développement européensocial, écologique et humain. Car l’autregrand enjeu est celui de la justice, de l’éga-lité, du progrès social et humain à l’inté-rieur de l’Union européenne, avec de néces-saires politiques de rattrapage pour lespays en retard, en utilisant autrement lesfonds structurels, le Fonds social européenet l’utilisation de moratoires sur certainesdettes d’États ou d’institutions publiques.Cela impliquerait aussi d’être autrementplus audacieux pour une vraie taxe sur lestransactions financières, une fiscalité surle capital, harmonisée vers le haut, desdroits et des pouvoirs nouveaux des sala-riés partout dans leurs entreprises.La monnaie est le reflet du type de

à l’investissement coopératif pour des infra-structures communes dans des secteurstels que les transports, l’énergie, le numé-rique, ou encore de nouveaux projets indus-triels. Ajoutons qu’il est totalement anti-démocratique de décider aujourd’hui d’unbudget européen pour le figer jusqu’auxannées 2019-2020, alors que personne n’estcapable de produire des prévisions de crois-sance fiables à un an  ! Personne ne saitnon plus quelle sera alors la compositiondu parlement et qui dirigera les États del’Union en 2018. Remarquons que nombrede ceux qui ont refusé ce cadre budgétaire,refusent aussi par exemple de chiffrer desprojets d’avenir, ce qui est plus révoltantpour moi, refusent de s’engager pour lenouveau « fonds d’aide au plus démunis »que nous discutons en ce moment.

Aujourd’hui, les chefs d’État et de gouver-nement qui ont approuvé lors du Conseileuropéen de février ce cadre financier fontpression sur les députés de leur pays pourqu’ils cèdent. À ce propos, François > SUITE

PAGE 28

4,8 - 6,2

6,2 - 8,1

8,1 - 10,8

10,8 - 14,2

14,2 - 26,3

Données indisponibles

Les prochaines électionseuropéennes seront d'autant plus

importantes que nous allons être àla croisée des chemins, tant la

contestation de l'actuelle Europeest devenue majoritaire.

“”

Taux de chômage harmoniséLe taux de chômage représente le pourcentage de chômeurs dans la population active,

sur la base de la définition de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page27

Page 28: La revue du projet n°27

minimum garanti, une harmonisation fis-cale sur les grandes sociétés européenneset le capital, des pouvoirs étendus pour lessalariés dans la gestion des entreprises,banques et groupes industriels, descontrôles étendus pour s’assurer que lesdroits des travailleurs détachés – nouvellecatégorie de travailleurs qui est amenée àse développer et devant laquelle les ins-pections nationales du travail sont maléquipées – soient bien respectés.Le troisième bloc de propositions devraitconcerner la question des biens publics etles missions qui en découlent. Notam mentles services publics, dont des servicespublics européens, à inventer pour pro-mouvoir d’abord le développement humain,à l’opposé de la marchandisation de tout.Par exemple, des services publics euro-péens dans des secteurs aussi décisifs quel’énergie de demain, les transports, l’indis-pensable création d’un service de l’envi-ronnement, la coopération dans larecherche, la dépollution ou le numériqueou encore un service public dit d’aide à lamobilité assurant un niveau de protectionminimale lorsqu’un citoyen européen esten déplacement. Ceci pourrait être sou-tenu par la transformation du mécanismeeuropéen de stabilité en un fonds euro-péen pour le développement humain, socialeuropéen. Ce dernier, en lien avec unebanque centrale transformée, pouvant uti-liser son pouvoir de création monétairepour les biens publics et non pour lesbanques privées. Pourraient être octroyésdes crédits sélectifs d’autant plus avanta-geux qu’ils servent un nouveau dévelop-pement durable, le progrès social et éco-logique. Dans ce cadre, l’Union européennedevrait se fixer l’objectif d’être une formeavancée d’un nouveau modèle de dévelop-pement économique avec des change-ments dans les processus de production,les modes de consommation, dans le cadred’une mutation écologique.Le quatrième bloc doit concerner l’impul-sion de la coopération avec d’autres conti-nents, particulièrement le Sud, le Maghreb,et l’Afrique, remplaçant l’actuel choix de laconcurrence de nos systèmes agricoles,industriels et de nos industries culturelles.De ce point de vue, un grand combat doitêtre mené contre le projet de marché trans-atlantique. Il faut également inventer desmécanismes de protection aux frontièresbénéfiques pour le travail et l’environne-ment des pays d’où nous importons commepour les salariés européens.C’est tout l’enjeu d’une Europe de coopé-ration et d’une Europe active sur la scèneinternationale pour la sécurité, le désar-mement et la paix. n

28

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

TRAVAIL DE SECTEURS

construction à l’œuvre. On l’eût choisie dif-férente de l’euro actuel si l’ambition avaitété celle de l’Europe solidaire, avec unemonnaie commune européenne favorisantce nouveau projet portant en son cœur ceprocessus démocratique de progrèshumain.

Le gouvernement ne veut plus d’un retour à unecirconscription unique pour les élections euro-péennes. Qu’en dites-vous  ?Nous sommes l’un des rares pays où lesparlementaires européens sont choisisselon un tel mode de scrutin inventé parl’UMP. Il est fait pour minorer les forces decontestation de cette Europe ultralibéraleet particulièrement le Front de gauche. Lescrutin le plus juste est la proportionnellenationale. Les partis du consensus euro-péiste n’en veulent pas car ils ont fait etaccompagné tous les traités européens,

l’ouverture systématique à la concurrence,les normes austéritaires contre la dépensepublique. Ils ne souhaitent ni un débatsérieux sur une autre construction euro-péenne, ni l’émergence des volontés etaspirations populaires. Les prochaines élec-tions européennes seront d’autant plusimportantes que nous allons être à la croi-sée des chemins, tant la contestation del’actuelle Europe est devenue majoritaire.La question démocratique y devient pre-mière. De leur côté les institutions euro-péennes vont-elles vouloir ouvrir le chan-tier du changement des traités européens.Au nom d’une mutualisation plus ou moinspartielle de la dette, des interventionsencore plus directes de la Commission dansla rédaction des budgets nationaux serontsûrement avancées. Un grand débat citoyensera nécessaire sur le type d’Europe quenous voulons. Nous devrons nous y engouf-frer de toute notre énergie.

Europe des nations  ? Europe fédérale  ? Quelleest la conception du niveau régional portée parle PCF  ?Je commence à me méfier des mots utili-sés pour qualifier un projet européen. Lesmêmes concepts recouvrent des projetsquelquefois totalement différents.Il est urgent que les forces progressistes

réfléchissent ensemble à l’échelle du conti-nent à un nouveau projet institutionnel quiconjugue le respect de la souverainetépopulaire avec des partages de souverai-neté consentis pour un vrai projet de coo-pération et de solidarité avec comme objec-tif premier « L’humain d’abord » en Europe.

Comment penser la transformation sociale àl’échelle européenne  ? Vous parlez d’une autreEurope, à quoi ressemblerait-elle  ? Comment yparvenir  ? Comment les communistes peuvent-ils y contribuer  ?C’est l’avenir de l’idée européenne qui obligeà une transformation sociale, écologiqueet démocratique de l’Union européenne.Sans transformation profonde, c’est l’Unioneuropéenne qui risque d’exploser, avec desconséquences dramatiques pour les peu-ples. Une telle transformation ne peutqu’être l’œuvre des peuples eux-mêmesdans un processus populaire de débats, deco-élaboration, d’actions communes surun certain nombre d’objectifs. Le moyendu changement ne peut qu’être un proces-sus démocratique. Le but doit aussi êtrela souveraineté populaire et la démocra-tie. Il n’y a pas de changement sans sortirdes carcans des directives et traités euro-péens qui donnent le pouvoir à des ins-tances non élues. Celles-ci conduisent àdes choix économiques, politiques, sociauxau seul service des puissances financièreset industrielles multinationales dans lecadre du principe de «  marché ouvert oùla concurrence est libre et non faussée ».Les enjeux de la transformation démocra-tique des institutions, d’un nouveau rôledu parlement européen, d’un renforcementdu comité économique et social, de la créa-tion d’un Forum européen des peuples quiévite que le parlement continue de n’êtrequ’une chambre d’enregistrement, ou lechangement total des statuts et des mis-sions de la Banque centrale européenne,sont décisifs. De ce point de vue un auditpublic européen sur la nature des dettesdes États est lui aussi indispensable. Uneconférence européenne sur la qualifica-tion des déficits publics et leurs originesainsi que sur l’évasion fiscale devrait êtrecréée sans attendre. À partir de cet auditdes décisions doivent être prises pour annu-ler certaines dettes, repousser le rembour-sement d’autres, ou modifier les taux d’in-térêt et rapatrier l’argent des paradis fiscauxavant de les fermer.Le deuxième bloc de ce débat concerneles pouvoirs réglementaires dont disposel’Union européenne sur les projets concer-nant le droit du travail  : l’harmonisationvers le haut des conditions du travail, lamise en place d’un revenu et d’un salaire

Un grand débat citoyen sera nécessaire sur le type d'Europe

que nous voulons. Nous devronsnous y engouffrer de toute

notre énergie.

“”

SUITE DE LAPAGE 27 >

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page28

Page 29: La revue du projet n°27

29

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

LGBTÉGALITÉ DES DROITS : CONTINUER LE COMBAT Le projet de loi sur le mariage pour tous, même s’il com-porte des insuffisances, constitue une belle victoire pourles combattants de l’égalité des droits. Dès 1998, BernardBirsinger, alors député PCF de Seine-Saint-Denis et porte-parole du groupe communiste à l’Assemblée nationale surle PACS, se prononçait en faveur du mariage et de l’adop-tion pour les couples de même sexe. Il nous reste mainte-nant à travailler sur deux enjeux majeurs.

D’abord, rendre effectifs les droits prévus par la loi. Une foisque la loi sera adoptée, il faudra se battre pour qu'elle s'ap-plique bien partout. L'homophobie ne doit en aucun casêtre une clause de conscience pour tel ou tel maire réac-tionnaire. Et on voit bien que dans certains endroits, cer-tains élus de droite feront tout pour éviter que la loi ne s'ap-plique. Pour ce qui concerne l'adoption, il faudra veiller àce que les personnels des conseils généraux, chargés dedonner l'agrément, soient formés et maîtrisent les évolu-tions de la loi.

Ensuite, conquérir de nouveaux droits. Et en premier lieu,la procréation médicalement assistée (PMA). Le présidentde la République a donné l'impression d'enterrer cet enga-gement. Pour ce qui nous concerne, nous n'attendons pasla loi « famille » pour aborder cette question : Marie-GeorgeBuffet a déposé des amendements pour ouvrir la PMA auxcouples de femmes, et il en est de même au Sénat. Deux :continuer le combat contre l'homophobie, au moment oùles politiques d'austérité limitent considérablement l'ac-tion des associations et des pouvoirs publics. Alors que lescollectivités locales sont confrontées à une baisse des dota-tions de l'État, il faut être extrêmement vigilant sur ce point,d'autant qu'elles financent nombre d'associations LGBT.Trois : obtenir la liberté de choix de son genre à l'état-civilpour les personnes transgenres. C'est désormais le cas enArgentine. Depuis mai 2012, sous l'impulsion de ChristinaKirchner, les citoyens argentins sont autorisés à déclarer lesexe de leur choix, et ainsi de changer d'état civil selon leurbon vouloir, sans nécessiter l'accord d'un médecin ou d'unjuge. L'identité de genre ne dépend plus que du « vécu inté-rieur et individuel du genre, tel que la personne le perçoitelle-même ». C'est donc possible en Argentine. Pourquoiserait-ce inenvisageable en France ?

Pour faire avancer ces exigences, le collectif « Fier-e-s etRévolutionnaires » entend multiplier les initiatives. Commechaque année, nous avons tenu un stand au Printemps desAssoces LGBT le week-end des 4 et 5 avril. Pierre Laurent,secrétaire national du PCF, a participé au débat organisé àcette occasion par l’Inter-LGBT. Nous participerons auxmarches des fiertés organisées dans tout le pays et sommesà la disposition des fédérations départementales du PCFpour donner un coup de main si nécessaire. Enfin, nousorganiserons le 16 mai, comme chaque année, un débat surles combats LGBT à venir, à l’occasion de la journée mon-diale contre l’homophobie.

IAN BROSSATLGBT

République, démocratie etinstitutionsDES ÉTATS GÉNÉRAUX ET UNE NOUVELLE CONSTITUANTE Quel crédit accorder à l’action publique après qu’un minis-tre qui a été en charge des comptes publics, de la lutte contrela fraude fiscale et de la mise en œuvre de l’austérité a lui-même choisi l’évasion fiscale, avec des fonds qui pourraientêtre liés à des rétributions de laboratoires pharmaceutiquespour services rendus ? Et quel crédit accorder à la parolepublique lorsqu’elle a été autant dévaluée par les promesseset les serments insincères ? La politique servirait donc à seprotéger soi-même de ce que l’on impose à la majorité…La crise de confiance est profonde, elle a franchi un palieret conduit à un dégoût de la politique.

Il ne s’agit pas pour nous de défendre la thèse que tout seraitgangrené et tous seraient vérolés, en alimentant le fantasmedu « tous pourris ». Nous devons y voir surtout une nou-velle manifestation de la crise de la démocratie et de la poli-tique. Une crise liée à l’emprise de la finance sur la poli-tique, car nous sommes au cœur de cette lutte. Il y a uneaccélération de l’accumulation financière accompagnéepar les pouvoirs publics au lieu qu’elle soit combattue. Ladictature des marchés financiers s’exprime sous des formesmultiples. Les marchés composent plutôt bien avec le dis-crédit de la politique. C’est en cela que les affaires succes-sives font système : elles sont la manifestation régulière del’intervention permanente de la finance pour acheter toutce qu’il est possible d’acheter et étendre le champ du pro-fit, y compris frauduleux. Des cercles de pouvoir existent,hors de tout contrôle. Les liens de ces cercles de pouvoiravec des élus de la République conduisent à rendre légaleset parfois même constitutionnelles des politiques qui consis-tent purement et simplement à voler le peuple et les sala-riés. Les institutions sont aujourd’hui dépassées par la vio-lence et l’ampleur des attaques de la finance.

D’urgence, au parlement, des mesures doivent être prisespour lutter contre l’évasion fiscale, rendre impossibles lesconflits d’intérêts, renforcer l’indépendance et les moyensde la justice, créer un statut de l’élu pour déprofessionna-liser la politique, organiser un contrôle citoyen de l’utilisa-tion des fonds publics… Mais, plus, il faut refonder le pactedémocratique. Il faut une VIe République. La Ve Républiqueest une république à souveraineté populaire limitée. Cenouvel épisode de la crise démocratique, exige un retourau peuple, une refondation, un ressourcement. Il exige ungrand débat citoyen pour construire ensemble un nouveaubien commun, une République nouvelle. Il faut des Étatsgénéraux et une nouvelle Constituante.

PIERRE DHARRÉVILLERÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

BRÈVES DE SECTEUR

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page29

Page 30: La revue du projet n°27

D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste,

Par GÉRARD STREIFF

préoccupée par les questions écono-miques et sociales, doutant fortementdu politique et divisée sur les solutions.Une opinion aussi en attente et disponi-ble  : l’étude de Médiascopie signale parexemple que les sondés «  se montrentimpatients devant la promesse du chan-gement », que « l’attente du changementperdure ». L’étude d’Opinionway rappellede son côté que l’engagement solidairereste important (59 % des Français sontadhérents d’une association) ; que la com-bativité persiste  : 59 % (+8 en trois ans)se disent prêts à manifester, 21  % (+1)estiment efficace de faire grève, 41 % (+1)sont pour réformer «  en profondeur lecapitalisme ». Ifop - La Croix, enfin, éta-blit que seuls 20 % des Français pensentque «  le capitalisme est un système quifonctionne plutôt bien et qu’il faut leconserver ».Ce qui est souvent problématique dansces travaux, c’est l’interprétation que lescommanditaires en font, comme s’il s’agis-sait de montrer des Français rongés parla peur, crispés et résignés, optant ou pourle statu quo, le pas-de-vague – et le pou-voir en place – ou le « repli populiste ». Letraitement par le journal Le Monde de l’en-quête IPSOS/CEVIPOF/Fondation Jean-Jaurès « France 2013 » est de ce point devue «  exemplaire  » (25  janvier 2013).L’enquête disait que les sondés sont essen-tiellement soucieux du chômage (56 %  ;68  % à gauche) et du pouvoir d’achat(41 %) ; que les questions d’insécurité, d’in-tégrisme, d’immigration étaient relative-ment marginales ; que l’image des fonc-

tionnaires apparaissait majoritairementbonne (une majorité relative de 42  %)  ;que la critique de l’argent-roi était mas-sive (82  %)  !  ; que pour établir la justicesociale, il fallait aux yeux des sondés pren-dre aux riches et donner aux pauvres(58 %). Or toutes ces dimensions ont étésinon gommées, du moins fortement mino-rées dans le compte-rendu qu’en fait lejournal. Sur deux pleines pages, l’ensem-ble est déjà surtitré « Enquête sur le popu-lisme  ». Page de gauche, la manchetteannonce : « Les crispations alarmantes dela société française. Un sondage exclusifmet en évidence la très forte demanded’autorité et la tentation du repli natio-nal ». Et la page de droite déclare  : « Lesingrédients du populisme sont là et dépas-sent l’électorat de Marine Le Pen.  »  Unentretien avec l’historien en vogue MichelWinock est censé installer ces idées. Ainsitout se polarise sur les « enjeux » du déclinfrançais, de l’autorité, de l’immigration,des religions, et de Le Pen ! Les graphiquesqui accompagnent les articles vont biensûr dans le même sens : la démonstrationserait faite que la France se droitiserait,que l’intolérance triompherait, que le FNaurait de beaux jours et que le pouvoir enplace, les conditions étant ce qu’elles sont,ferait ce qu’il peut.

L’IDENTITÉ DU FRONT DE GAUCHEPourtant, à y regarder de plus près, l’étudesignale que les sondés ne se bornent pasà hésiter entre résignation ou populisme.Le désir d’une politique alternative, lechoix de faire autrement figurent aussi

Les enquêtes d'opinion sont autant des outils de connaissance que desarmes de propagande. Plus exactement, leur interprétation est l'objet d'uneguerre d'idées incessante.

es temps-ci, il s’agit souventd’insister sur le pessimisme français, larésignation ambiante, le poujadismelatent. Mais la lecture médiatique est unechose, la réalité des chiffres en est uneautre. Celle-ci montre que s’il y a dansl’opinion des crispations, demeure tou-jours une forte attente de changement.On observe aussi que l’électorat du Frontde gauche est à la fois le plus à gaucheet bien au cœur de la gauche. N’endéplaise au journal Le Monde  !

Une batterie de sondages, avec des panelsimportants de 1 000 - 1 500 personnesinterrogées, a été publiée durant l’hiver2012/2013. Il s’agit notamment du « baro-mètre de la confiance politique » (15 jan-vier 2013) du Centre de recherches poli-tiques de Sciences Po (CEVIPOF) avec leConseil économique, social et environ-nemental, réalisé par Opinionway  ; del’enquête «  Les mots de 2012  » de l’ins-titut Médiascopie pour Le Monde etFrance Inter (janvier  2013)  ; de l’étudeIPSOS « France 2013 : les nouvelles frac-tures » pour le CEVIPOF et la FondationJean-Jaurès (janvier 2013)  ; du sondageIfop – La Croix, réalisé dans six pays surla mondialisation (février 2013). C’est untravail d’ampleur et utile  ; on y voit uneopinion sous pression de la crise, d’abord

C

Une société entrecrispations et attentes

30

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page30

Page 31: La revue du projet n°27

n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

dans leurs réponses. IPSOS termine sonenquête (près d’une centaine de pages)en identifiant d’ailleurs, à partir de l’en-semble des questionnaires, cinq familles,cinq courants de pensée : les « libertaires »(12  %, voir ci dessous), les « bobos »(15  %), les « ambivalents » (27  %), les« crispés » (27  %) et les « populistes »(19 %). Ces qualificatifs et ce classementsont tout à fait approximatifs  ; pourtanton y retrouve, grosso modo, une sorted’éventail politique de gauche à droite.Les « libertaires » à la mode IPSOS évo-quent assez bien le courant Front degauche : attachement à l’État social, refusde la xénophobie, critiques du systèmemédiatique, tolérance, laïcité, ouverturecritique à l’Europe et au monde. Les« bobos » sont pareillement favorables àl’État social, antiracistes, plutôt confiantsdans l’état de la démocratie, de l’avenirde France, dans l’ouverture au monde. Les« ambivalents » sont partagés sur l’im-migration, sur les média, sur l’ouvertureau monde, sur tout, en fait. « Les crispés »sont hostiles à l’immigration, à l’idée deredistribution, au système politico-média-tique, ils croient au déclin français et aurôle de la nation. « Les populistes » rejet-tent l’immigration, se défient du systèmeet sont pour la sortie de l’euro. On voitdonc apparaître une opinion plus diver-sifiée, plus riche que la caricature qu’onfait d’elle. Dans sa lecture de l’enquête,Le Monde prétend, contre toute évidence,identifier Front de gauche et « popu-lisme », et insiste sur «  des points d’ac-cords entre l’extrême droite et l’extrême

gauche  ». Pure manipulation alors queles chiffres disent que l’électorat Front degauche est à la fois très à gauche(condamnation de l’argent, attachementà l’État social, refus de la xénophobie) eten même temps sa proximité avec l’élec-torat socialiste sur tous ces enjeux estsystématique : 82 % des sondés Front deGauche pensent qu’il faut prendre aux

31

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

riches, ce qui est le cas de 83 % des son-dés proches du PS, alors que seuls 29 %des sondés UMP, 36 % des sondés Modemet 52  % des sondés FN sont de cet avis.Ou encore 57  % des sondés PS pensentqu’il n’y a pas trop d’étrangers en Francecomme 54  % des proches du Front degauche mais ils ne sont que 38  % auModem, 17 % à l’UMP et 1 % au FN. n

Ils se montrent, comme les « bobos »,très favorables à l'immigration : 90 %estiment que pour réduire le chômage,il ne sert à rien de réduire le nombred'immigrés, tandis que 99 % pensentque les immigrés font le travail que lesFrançais ne veulent pas faire et 73 %jugent qu'on se sent autant chez soien France qu'avant. Ils sont par ailleurs78 % à considérer que les immigrés,pour s'intégrer en France, font desefforts, et 98 % à trouver grave detenir des propos racistes. Comme les « bobos », ils sont attachésà l'État social : 74 % déclarent qu'il fautprendre aux riches pour donner auxpauvres, 35 % considèrent préoccu-pant l'état de la santé et la qualité dessoins et 33 % les inégalités sociales.En revanche, à la différence des bobos,mais à l'image des crispés et des popu-listes, ils apparaissent très critiques àl'égard du système médiatique. 71 %pensent que les média font mal leur

travail et 84 % que les journalistes sontcoupés des réalités. Ils se montrentassez permissifs vis-à-vis de certainscomportements : 45 % estiment qu'iln'est pas grave de frauder dans lestransports en commun – un niveausupérieur de 15 points à la moyenne –et 17 % pensent qu'il n'est pas gravenon plus de voler dans un magasin –un score qui représente le double dela moyenne. Facteur discriminant, c'estle seul groupe qui se montre hostile àl'ensemble des religions […]. Ils fontpreuve d'ambivalence sur leur degréd'ouverture au monde : si 68 % s'ac-cordent avec l'idée que la France doits'ouvrir au monde, ils n'en sont pasmoins 60 % à voir la mondialisationcomme une menace. Catégories supé-rieures, diplômées, très à gauche, trèsintéressées par la politique.

EXTRAITS DE L'ENQUETE IPSOS« FRANCE 2013 »

« LES LIBERTAIRES »

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page31

Page 32: La revue du projet n°27

MOUVEMENT RÉEL

PAR GEORGES LABICA*

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelonscommunisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellementexistantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

32

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

obespierre nous offre lapremière pensée philosophique de laRévolution, la première pensée réelle, nonmétaphorique, d’un objet réel, sa premièresystématisation ou théorisation.[...] Lasituation de Robespierre est privilégiée,parce qu’il fut le principal protagonistede la Révolution française au moins depuis1791, et même son chef incontesté bienau-delà des quelques mois de sa présenceau Comité de salut public. N’a-t-on pasfréquemment parlé de sa « dictature »,fût-elle « d’opinion » ? Ira-t-on jusqu’àvoir en lui l’incarnation de ce philosophe-roi (mot bien impropre !) dont avait rêvéPlaton et, à sa suite, reconnaissons-le,toute une tradition de penseurs, désireuxde servir de conseillers aux princes ?Pourquoi pas, sauf que, dans son cas, iln’y eut ni désir préalable, ni préparation.Et en quoi serait-il inférieur à ces chefsd’État, dont on vante, à l’envi, les trou-vailles théoriciennes, en matière d’actionpolitique, les Lénine, Mao, Nkrumah, Castroou… de Gaulle ? [...]Apparaît alors une autre singularité, savoirque Robespierre, qui sut cependant, àdiverses reprises, se montrer pragmatique,et même, selon Michelet, « calculateuropportuniste », fut exclusivement un

homme de pensée, un politique de prin-cipes, et point un homme d’action. [...]La Révolution et la figure de Robespierre,symbole du jacobinisme, comme vient dele montrer avec éclat D. Losurdo, ont nourril’idéalisme allemand, lui fournissant sonobjet de choix et sa plus sûre incitation àpenser.

UNE PRATIQUE POLITIQUEAvec Robespierre, nous n’avons affaire nià une philosophie politique, au sens consa-cré du terme, élaboration d’une doctrineen vue du gouvernement, ou secteur d’unephilosophie concernant les affaires de laCité, dont la démarche a priori ne présup-pose pas nécessairement un passage à lapratique ; ni à une philosophie de la poli-tique, qui informerait préalablement l’ac-tion, ou s’en déduirait a posteriori ; ni à uneutopie, pas plus au sens où Spinoza dénon-çait les utopies philosophiques, au débutde son Traité politique, qu’au sens blochiendu Principe Espérance. Il ne s’agit pas, nonplus, d’une morale, quoi qu’on en ait dit etqu’il paraisse, qui tenterait de guider etmême de prendre le pas sur la politique ;ni, moins encore, d’une « mystique », mal-gré la récente thèse développée brillam-ment par Henri Guillemin, retournant lejugement d’Aulard, qui qualifiait Robespierrede « mystique assassin ». Sans doute cha-cun de ces jugements comporte-t-il unepart de vérité, mais ils ne prennent signi-fication entière, me semble-t-il, que sousla condition de voir dans le robespierrismeune politique de la philosophie. Je m’ex-plique. Robespierre, si l’on accepte de tenirà l’écart les jugements passionnels qui ontsurchargé sa mémoire (du « fou » au« monstre assoiffé de sang », la liste défie

le recensement), fut un politique, dans lapleine acception du terme, vingt-quatreheures sur vingt-quatre, un homme de déci-sion, attentif à l’événement, le décryptant,mesurant ses conséquences, sachant appré-cier le rapport des forces et affirmant sesconvictions avec la plus grande fermetéet, souvent, avec une exceptionnelle clair-voyance.

Mais – l’a-t-on assez pris en compte ? – cepolitique, qui devient chef de gouverne-ment, est brutalement confronté, par lescirconstances, à une double inauguration :celle d’un pouvoir à inventer, celle de sespropres responsabilités à y prendre, l’uneet l’autre le contraignant à endosser pré-cisément ce rôle du politique. Sans prépa-ration, ni références. Robespierre n’est niMachiavel, qu’il détestait, ni Lénine, niquelque Bonaparte, ni l’un de nos énarques.Gardons-nous de le percevoir au traversdes catégories que nous ont enseignéesles deux siècles qui nous séparent de luiet de lui coller nos étiquettes. Dérangeons-les, au contraire. Pouvait-il prendre appuisur une classe, fût-elle la sienne, la petitebourgeoisie libérale, avant que les diffé-rents groupes sociaux antagonistes aientdéterminé leur homogénéité et affirméleur conscience de soi ? Sur une doctrineéconomique, dans un marasme qui avaittant de mal à formuler, de façon cohérente,les intérêts des uns et des autres, libreéchange, redistribution de la propriété,égalitarisme, dirigisme ? Sur un parti, quandon dispute encore pour savoir s’il en a fondéun, le premier, celui des Jacobins ? Sur la« dialectique de l’histoire », dont il ne savaitpas un traître mot, mais dont, par sonaction, il allait suggérer le concept à

*GEORGES LABICA (1930-2009) était philo-sophe. Il était professeur émérite de l’uni-versité Paris-X Nanterre.

Robespierre, itinéraire philosophique

R

Robespierre fut un politique, un homme de décision, attentif à l’événement, ledécryptant, mesurant ses conséquences, sachant apprécier le rapport desforces et affirmant ses convictions avec la plus grande fermeté et, souvent,avec une exceptionnelle clairvoyance.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page32

Page 33: La revue du projet n°27

33

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

quelques penseurs allemands ? Sur uneidéologie, dans le temps même où, au jourle jour, il bricolait celle qui, pour d’autres,était promise à devenir la sienne ? Robespierre a fait feu de ce dont il dispo-sait. Tout d’abord, un profond sentimentde l’injustice qui demeure, après tout, lapremière motivation individuelle de la « sen-sibilité de gauche », comme on ditaujourd’hui. En témoigne, par exemple, saplaidoirie dans l’affaire Déteuf (août 1782),où il réussit à s’attaquer à une puissantecommunauté de moines, tout en ména-geant l’Église. De ce point de vue, il est, dèsle départ, l’homme d’une seule antinomie,qui donne lieu à une seule alternative : cellequi existe entre les quelque 98 % du tiersétat et le nombre infime des privilégiés,entre la monarchie et la démocratie, où,plutôt la république, terme qui a d’abordsa faveur. D’une part, l’immense majorité,de l’autre, une minorité ; d’un côté, l’éga-lité qui fonde la citoyenneté, de l’autre, latyrannie. Sans doute affinera-t-il son ana-lyse, découvrant d’autres lignes de clivage,au sein même du tiers entre possédantset non possédants, entre citoyens « actifs »et citoyens « passifs », entre révolution-naires et contre-révolutionnaires, mais ilne reniera jamais son sentiment de départ.« Je suis du peuple, dit-il, je ne suis quecela » (2 janvier 1792).

Comme tous ses contemporains, il estégalement imbu des idées du siècle. Ilconnaît Locke. Il a lu Mably. Il admirel’Esprit des lois, et le juridisme deMontesquieu transparaît souvent dansses discours. Sa philosophie, on le sait, etil l’a assez proclamé, tout au long de sonexistence, est celle de Rousseau, dont tousles thèmes sont présents chez lui, de lacritique sociale, à la souveraineté popu-laire et à l’Être suprême. Peut-on, pourautant, parler d’un « corpus », qui seraitsa base arrière et l’armerait dans toutesles situations ? Il ne semble pas et touteexplication de la pratique politique deRobespierre, à partir de ses supposés prin-cipes, apparaît insuffisante, séduisante,mais facile, et, de surcroît, contradictoireavec l’inouï de la situation. Écoutons lebon Laponneraye qui, dans son enthou-

siasme, rend un fier service aux adver-saires de son idole, quand il écrit, en têtedes Mémoires de Charlotte Robespierre,pour présenter son « homme-principe »: « Les principes sont tout, les hommesne sont rien ; périssent donc mille fois leshommes, périssent les générations, péris-sent les empires, pourvu que les principessurvivent à tous les naufrages et à toutesles destructions. » Ses principes,Robespierre ne les a trouvés nulle partailleurs que dans l’alchimie historique dela Révolution.

Il avait de quoi les lire, mais ils se sont impo-sés à lui, comme des évidences concrètes.C’est ainsi qu’il était convaincu que les lois,les institutions et la Constitution (il fit paraî-tre, de mai à août 1792, Le Défenseur dela Constitution) assureraient le bonheurpublic ; que le droit avait un caractère sacréet que les droits civils devaient prendre lerelais des droits naturels, dont ils devien-draient enfin l’expression. Que vaut toute-fois ce légalisme, à l’heure des violencesqui forcent à reconnaître l’illégalité de laRévolution (5 novembre 1792) ; Robespierresait bien qu’il est intenable.

Il partage entièrement là-dessus l’opinionde son ami Saint-Just et celle de Marat,dont le radicalisme le choquait. Saint-Just,plus attaché que lui aux principes juridiques,plus proche de Montesquieu, pensait que« la Révolution doit s’arrêter à la perfec-tion du bonheur et de la liberté publiquepar les lois » (Institutions républicaines),mais convenait que « ce n’est guère quepar le glaive que la liberté d’un peuple estfondée » (Rapport à la Convention, 26février 1794). Marat, en revanche, beau-coup moins formaliste, s’écrit : « Non, jene cesserai jamais de m’élever contre ladoctrine du respect superstitieux renduaux lois », tout en affirmant : « Nous nedevons respect qu’aux lois sages, et sou-mission qu’aux lois justes » (L’Ami du peu-ple, 25 avril 1792). L’hostilité de Robespierreà toute forme de violence est patente etconstante. Jeune avocat, il se prononcecontre la peine de mort ; il réaffirme cetteposition au moment même du procès deLouis XVI. Il est, fin 1791, opposé à la guerre,

en ce qu’elle ruine les peuples et ne pro-fite qu’aux généraux et aux contre-révolu-tionnaires. Il est opposé à toute dictature,y compris la sienne. Il n’aime pas la Terreur,tente d’en limiter les effets, et désapprouve,à plusieurs reprises, la loi de prairial, éla-borée par Couthon, qui refuse toute assis-tance aux suspects, et engage la GrandeTerreur. Or, il a guillotiné le roi, approuvéet conduit, avec quel talent, la guerre contreles puissances, exercé la Terreur à l’encon-tre de ses meilleurs amis eux-mêmes(Danton, Desmoulins, etc.) et, de fait, la dic-tature. Il a voté la loi de prairial. Paradoxe? Contradiction ? Reniements ou faiblesse? Nullement. Mais une logique qui contraintles principes, les soumet au réel et les gau-chit. Qu’aurait fait un Montesquieu auComité de salut public? Quelle aurait étél’attitude d’un Rousseau en face de Marie-Antoinette ? Questions sans réponses, maisqui sont celles de Robespierre; d’où le rous-seauisme, assurément, mais un rous-seauisme épuré, radicalisé, converti de larêverie à l’histoire et, en fin de compte,bien différent de celui du Contrat social.Le jugement d’Engels : « Le Contrat socialde Rousseau avait trouvé sa réalisationdans l’ère de la Terreur », ou la formule deKorngold : « Robespierre peut être appeléun “Rousseau au pouvoir” », doivent êtreentendus avec les plus grandes réserves,sauf à préciser que « Robespierre a tra-duit les hypothèses politiques abstraitesde Rousseau dans la langue rigoureuse del’action révolutionnaire » (Manfred), car,Rousseau n’était pas, à proprement par-ler, un révolutionnaire. Voilà qui est déter-minant, une philosophie qui « devient vérité», qui passe des abstractions à la pratique,où elle se régénère, en redéfinissant sespropres concepts. Robespierre est bien «la sentinelle de la Révolution » (Massin),d’une révolution produisant sa politique,elle-même gouvernée par une seulemaxime : assurer, en toutes circonstances,le salut de la Révolution, qui n’est autreque celui de son acteur, le peuple, et de safinalité, la liberté. n

Extraits de Robespierre. Une Politique de laphilosophie, La Fabrique (1e éd. 1990, PUF),publiés avec l’aimable autorisation de l’édi-teur.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page33

Page 34: La revue du projet n°27

34

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

« L’argent est le crottin duDiable » ? L’Église, l’argent etl’usure au Moyen ÂgeDès ses origines, l’Église dénonce sévèrement l’avarice et l’usure. « L’argent estle crottin du diable » dit François d’Assise au début du XIIIe siècle.

es discours sur l’argent ont faitl’objet de nombreuses interprétationscontradictoires par les historiens, allantde la condamnation sans appel de l’enri-chissement, à la formation d’une théorieéconomique chrétienne contenant soit lesgermes du capitalisme, soit les barrièresmorales à ses néfastes effets. Mais les ana-lyses des historiens sont souvent inspi-rées par des problèmes qui travaillent lasociété occidentale depuis le XIXe siècle,comme la moralisation de l’économie, laplace de l’Église dans la société, les ori-gines du capitalisme et l’avènement de labourgeoisie. Tentons de faire le point surune longue tradition à laquelle l’Églisepuise encore de nos jours pour parler d’éco-nomie.

L’ARGENT ENTRE VICE ET VERTUL’Évangile enseigne que le bon adminis-trateur ne thésaurise pas les biens de sonmaître mais les fait fructifier, et que lesfidèles doivent faire de même avec Dieupour obtenir des richesses dans les cieux.Les textes fondateurs de la doctrine chré-tienne utilisent ainsi des métaphores éco-

nistrateur des biens d’Église. Cette asso-ciation entre acquisition des vertus, cir-culation de la richesse et salut fait del’Église la dispensatrice à la fois de la grâcedivine, des sacrements et de la richessede la communauté.

USURE ET ADMINISTRATION SACRÉEÀ partir du XIe siècle, les discours contrel’usure et les «  gains honteux  » se mul-tiplient dans le contexte de profondesréformes du gouvernement de l’Églisequi visent à soustraire les affaires ecclé-siastiques à l’influence des laïcs et à affir-mer l’autorité pontificale. Ils sont insé-rés dans des débats qui opposentdifférentes factions au sujet de l’inalié-nabilité des biens d’Église, la valeur dessacrements, l’élection des évêques, lesmœurs du clergé. Désignant alors lespéchés de la faction adverse, l’usure nequalifie pas forcément le prêt à intérêtchez des auteurs comme Pierre Damienet Humbert de Moyenmoutier, mais despratiques jugées condamnables dans lechamp à la fois de la vie religieuse, de lagestion matérielle et de l’administrationdes sacrements, essentiellement parcequ’elles sont le fait de ceux qui refusentla réforme. D’ailleurs l’usurier typique,c’est Judas, le traître, le faux disciple quivendit le sang du Christ pour trentedeniers parce qu’il était incapable de com-prendre la vraie valeur des choses et lesmystères de la foi. Cette comparaisoncrée un lien inextricable et durable entreaptitude à utiliser l’argent et obéissanceà l’Église.L’argument anti-usuraire définit, a contra-

PAR CLÉMENT LENOBLE*

HISTOIRE

C

nomiques qui expliquent le salut éternelen le comparant au commerce et en décri-vant la relation entre Dieu et le pécheurselon les termes du crédit et de la dette.Sur cette base, les Pères de l’Église (IIIe-VIIe siècle.) distinguent le bon riche del’avare par sa capacité à assurer son saluten investissant utilement ses richesses.L’argent en soi n’est ni bon ni mauvais :c’est un instrument dont la valeur dépendde son utilisation. Cette conception quifait de l’argent un objet vide reste valablependant tout le Moyen Âge. Bien utilisé, ilconstitue un investissement céleste  ; safructification peut devenir «  une bonneusure  ». Dieu lui-même est parfois quali-fié d’usurier et l’évêque Ambroise de Milan(†397) enseigne à ses ouailles « commentdevenir de bons usuriers ».Le placement idéal, c’est l’aumône auxpauvres, souvent appelés « les banquiersdu Seigneur » parce qu’ils multiplient dansl’au-delà la richesse qu’ils reçoivent, assu-rant ainsi le paradis à leurs bienfaiteurs.Augustin enjoint donc à tous les fidèlesde devenir de bons commerçants qui nethésaurisent pas leurs biens, mais font oureçoivent l’aumône. Ainsi, au moment oùse définissent le dogme chrétien et l’iden-tité des membres de la communauté desfidèles, les bons usuriers sont les chré-tiens qui comprennent les règles du salutet de la foi.Utilisé pendant tout le Moyen Âge, ce lan-gage métaphorique établit un lien étroitentre l’acquisition des vertus chrétienneset la capacité de produire et de faire cir-culer la richesse à l’intérieur de la com-munauté, sous l’autorité de l’évêque admi-

*CLÉMENT LENOBLE est historien. Il estcchargé de recherche en histoire médiévale àl'université de Pékin où il enseigne l'histoiredu Moyen Âge.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page34

Page 35: La revue du projet n°27

35

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

rio, le bon usage de la richesse sacréepar les clercs, et sert à le distinguer despratiques communes des laïcs. Il est doncpolymorphe et frappe tout ce que leclergé réformateur considère comme uneatteinte à la vocation universelle de l’ins-titution ecclésiale à dispenser la richesseet la grâce. Par extension, l’usure est lecontraire de l’administration qui est aucontraire une compétence supérieure.Le profit est usuraire et inutile s’il n’estpas intégré aux échanges officiels, publics,qui se développent sous le contrôle del’Église et des pouvoirs laïcs, et qui sontjugés par eux productifs.

Dans cette perspective, au tournant duXIIIe siècle, en plein développement deséchanges monétarisés auquel participeactivement l’Église, les traités anti-usu-raires et les interdictions canoniques sontmoins une réaction morale qu’une des-cription et une codification des nouvellestechniques commerciales et administra-tives utilisées aussi par les clercs, avecles lexiques et les bases conceptuellespuisées dans la tradition ecclésiastique.Le mot «  usure  » désigne un contre-modèle ou une exception à partir de quoicommencent à être décrites la multipli-cité et la complexité des pratiquescontractuelles et des usages de l’argent.

L’ÉCHANGE ET LE CRÉDIT SOCLES DE LASOCIÉTÉTout en restant synonyme, au sens large,d’accaparement abusif, compulsif et illé-gitime des biens d’Église, l’usure est alorssouvent définie plus strictement commele fait de vendre l’argent. Ce faisant, l’usu-rier commet l’erreur de donner à celui-ci un faux prix alors qu’il a déjà une valeurintrinsèque invariable et une valeur quidépend de son usage et qui ne peut êtrefixée a priori. L’usurier est parfois accuséaussi de donner une valeur au temps

(séparant le prêt du remboursement) quiest divin et ne peut être mesuré que parles experts du temps sacré. Sa fauteconsiste donc à s’octroyer illégitimementle droit de fixer la valeur des choses, l’ar-gent et le temps, qu’il n’est pas habilitéà évaluer. C’est pourquoi ses pratiquessont jugées subversives pour la sociétéet pour les autorités.Mais cela ne signifie pas que le prêt àintérêt est condamné en général. Aucontraire, les théologiens et les juristesdes XIIIe-XVe siècle définissent un trèsgrand nombre de formes de crédit en lesdistinguant de l’usure. Ils estiment quesi le prêteur court le risque que son argentsoit perdu par l’emprunteur dans un mau-vais investissement ou en raison d’aléasdivers comme l’instabilité des prix, il adroit à une compensation. Ces concep-tions ne sont pas une adaptation de lamorale aux nouveautés économiques.Elles participent de la complexité crois-sante des usages de l’argent. De fait, ellesen font de plus en plus l’apanage d’ex-perts dont la crédibilité est fondée sur lamaîtrise technique et sur la reconnais-sance des autorités, et dont les profitssont justifiés par leurs compétences etpar leur utilité pour la communauté.Comme elles sont toujours liées auxmodalités de l’administration desrichesses terrestres et célestes parl’Église, la démultiplication et la com-plexité des formes de contrats licites pla-cent le clergé, qui est expert de ces ques-tions, en position de déterminer qui estcoupable ou non d’usure. Tout le pro-blème est celui de la capacité des laïcs àimiter les pratiques des clercs. Ainsi, lesqualités attribuées aux marchands capa-bles de distinguer les bons des mauvaisusages sont celles traditionnellement cul-tivées par les moines dans leurs activi-tés pastorales et administratives. Et leprofit du marchand est utile et juste sicelui-ci collabore aux tâches de l’Égliseet des pouvoirs «  laïcs ». C’est pourquoiles grands banquiers qui prêtent de l’ar-gent à l’Église, qui assument pour elle leprélèvement des dîmes et approvision-nent les cités par le grand commerce nesont pas des usuriers. En revanche, sontde plus en plus visés par les accusationsd’usure des membres des gouvernementsurbains, issus des petits milieux mar-chands et artisanaux, qui revendiquentleur autonomie politique en contestant

parfois le pouvoir des évêques, desmonarchies ou des factions locales alliéesà la papauté. Leurs pratiques écono-miques sont nécessairement la consé-quence de leur dissidence et de leur « per-fidie  » (manque de foi) qui les associeaux ennemis traditionnels de l’Église.En effet, l’usure qui était déjà un signed’infidélité et d’incompréhension desrègles du salut et de l’économie devient,entre le XIIIe et le XIVe siècle, une formed’hérésie, c’est-à-dire une rébellion enversl’autorité de l’Église, une des pratiquescaractéristiques des ennemis intérieursde la chrétienté. Presque tous ceux quis’opposent à l’Église en sont accusés.Autrement dit, elle signale la frontièremouvante, laissée à l’appréciation desclercs, de l’orthodoxie et de l’apparte-nance à la communauté.

À la fin du XVe siècle, le théologien ConradSummenhart peut donc affirmer qu’ilexiste une grande différence entre l’usureet le prêt à intérêt en s’appuyant sur unelongue tradition qui fait de l’usure le crimedes «  étrangers  » au sein de la commu-nauté ou du peuple «  vil et abject  » despetits artisans, des serviteurs et desinconnus. Cette accumulation progres-sive de sens fait qu’au début de l’époquemoderne, le mot «  usure  » qualifie unensemble de dispositions à la rébellion,d’inaptitude à l’économie et à la viesociale, de manque de foi et d’intelligence.Il désigne une figure sociale menaçanteet marginale. Et c’est bien sûr dans cecontexte que se forme le stéréotype del’usurier juif incarné par Shylock, censéen synthétiser tous les aspects  : obscurgagne-petit, infidèle, dangereux, incapa-ble de voir que ses affaires iraient mieuxen pratiquant des taux moins élevés.Par extension, les usuriers, ce sont doncaussi potentiellement tous ceux dontl’économie est peu rentable, en dehorsdes réseaux officiels des grands circuitsde la richesse et de la finance, parce quel’on considère qu’ils n’en comprennentpas les règles, et qu’ils méconnaissent,de ce fait, celles du salut. La condamna-tion de l’usure et de l’argent sert àconstruire les fondements de la commu-nauté, en identifiant ses ennemis à ceuxqui portent atteinte au « Bien commun »confié aux experts officiels de l’adminis-tration et de la gestion des biens maté-riels et spirituels. n

La condamnation de l’usure et de l’argent sert à construire

les fondements de la communauté,en identifiant ses ennemis à ceux

qui portent atteinte au « Biencommun » confié aux expertsofficiels de l’administration

et de la gestion des biens matérielset spirituels.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page35

Page 36: La revue du projet n°27

PRODUCTION DE TERRITOIRES

Par JEAN TRICART*

ersonne ne vient frapper chez les géo-morphologues pour leur demander leuravis sur une question pratique. [...] Lesautres branches de la géographie physique,biogéographie, hydrologie, climatologie,sont largement utilisées ; seule la géomor-phologie reste à l'écart des luttes du siè-cle. C'est un indéniable indice du retard deson développement méthodologique, dela large persistance dans ses concepts fon-damentaux d'une idéologie bourgeoisefuneste. Il est essentiel de tracer les grandeslignes de ce que pourrait être une géomor-phologie constructive, une géomorpholo-gie marxiste, pour souligner les insuffi-sances de la géomorphologie spéculativeactuelle dans nos pays, infestée qu'elle estpar les faux concepts bourgeois.

L’OBJET DE LA GÉOMORPHOLOGIEL'objet de la géomorphologie est d'étudierles aspects du relief terrestre et leur éla-boration. Or, le relief est un élément capi-tal du milieu physique qui sert de substra-tum au développement des sociétéshumaines. De ce fait, les géomorphologuesbourgeois n'ont eu qu'une vue bornée. Poureux, une description imprécise du modelésuffit. L'explication de sa formation est dudomaine de la science pure : elle ne four-nit qu'une satisfaction intellectuelle, celui

Pourquoi une géomorpho*Le grand géographe JEAN TRICART (1920-2003) disparaissait il y a dix ans. Ce nouvelextrait d’un de ses premiers articles : « Lagéomorphologie et la pensée marxiste », LaPensée, n°45, 1953, complète celui paru dansLa Revue du projet, n° 26 avril 2013.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

d'une jonglerie irresponsable avec les idées.Qu'une pénéplaine soit éocène ou créta-cée n'a généralement guère d'importancedirecte pour le paysan qui l'habite. Aussi l'utilisation – très réduite – de la géo-morphologie bourgeoise est-elle presquetoujours indirecte. C'est ainsi qu'elle peutservir au géologue et au pédologue. Telreste de topographie ancienne porte unsol particulier, qui ne se forme plus actuel-lement et dont l'extension est limitée auxfragments de cette topographie anciennequi sont conservés. Tel est le cas de l'ar-gile à silex du bassin de Paris, qui offre desconditions de mise en valeur très diffé-rentes de celles des régions voisines for-mées par le même substratum crayeux,mais où elle manque. La connaissance del'évolution morphologique permet, dansdes cas semblables, un levé plus rapide etplus précis des cartes géologiques et pédo-logiques. Il en est de même, dans le domainede la géologie, pour l'étude des gites miné-raux alluviaux. La géomorphologie peut

aider à trouver le prolongement de tellenappe de cailloutis contenant des subs-tances utiles. Voilà à quoi se borne, dansles pays capitalistes, l'utilisation pratiquede la géomorphologie. C'est bien peu, etcela explique que cette discipline se rangeparmi les sciences les plus « pures ».

LES APPLICATIONS DE LAGÉOMORPHOLOGIEL'étude de la genèse du relief terrestre metcependant le savant en face d'une combi-naison de forces naturelles dont l'impor-tance est essentielle pour la société. Laterre cultivée est soumise à l'érosion. Durythme de cette dernière dépend le main-tien de sa fertilité. Que l'érosion s'accélère,et la couche superficielle du sol, celle quicompte pour l'agriculture, est détruite.L'érosion du sol a abouti à la ruine de l'agri-culture. Devant l'énorme destruction dessols par l'érosion, provoquée par l'exploi-tation rapace du capitalisme, les idéologuesbourgeois prônent le malthusianisme. Un

36

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

Le relief est un élément capital du milieu physique qui sert de substratum audéveloppement des sociétés humaines.

PHAUTES-PYRÉNÉES – Le village de Gavarnie assailli par une avalanche. (d’après le croquis de M. Béraud)

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page36

Page 37: La revue du projet n°27

orphologie marxiste ? W. Vogt se lamente que la dernière guerremondiale n'ait pas réussi à enrayer l'ac-croissement de la population du globe. Lefait est lié, indirectement, à l'insuffisancede la géomorphologie bourgeoise. Dansune société socialiste, la protection dessols est un devoir primordial. [...] Or la géo-morphologie peut contribuer à une telletâche. Elle doit être à même d'évaluer l'éro-sion qui résultera de la mise en culture detel terroir, d'indiquer les espaces que l'onpeut défricher sans risque et ceux que l'ondoit laisser couverts de végétation. Dansles pays déjà mis en valeur, la géomorpho-logie, par la connaissance des lois de l'éro-sion, doit aider à l'aménagement des ter-roirs. Elle doit pouvoir conseiller de mettreen prairie tel versant, afin de sauvegarderle sol qu'il porte ; de conserver tel autre,moins sujet à l'érosion, en labours ; de plan-ter un bois ici ; de couper telle pente pardes rideaux ou des bandes gazonnées.

La géomorphologie doit aussi trouver desapplications dans la lutte contre de nom-breuses catastrophes. La protection contreles avalanches, les glissements de terrain,les écoulements ne peut que gagner à unemeilleure étude du mécanisme de tous cesphénomènes. Lorsque la science sera plusdéveloppée, on pourra recourir à une luttepréventive. Aujourd'hui, on attend que lephénomène soit menaçant pour entrepren-dre des travaux de protection. La défensede tel village contre les avalanches ou lesglissements de terrain ne commence, dansles pays capitalistes, que lorsque desravages se sont déjà produits. Le rôle dela géomorphologie est de discerner dansquels endroits les conditions requises pourle déclanchement du phénomène sont réa-lisées. Si ce dernier menace une richessenationale, on peut alors lutter contre sondéclanchement. Dans l'état actuel des tech-niques, nos moyens sont généralementinsuffisants pour combattre le fléau unefois en marche. Par contre, ils suffisent sou-

vent à empêcher son déclanchement. Leproblème de la lutte préventive est donccapital. L'aménagement des fleuves et des litto-raux est également du domaine de la géo-morphologie. La tâche de cette dernièreest de faire le bilan des forces naturellesqui s'exercent, afin de déterminer quelledoit être au juste l'action de l'homme. Elledoit aussi prévoir les perturbations que lesmodifications apportées à la nature par lestravaux auront sur les régions voisines. [...]

LE RÔLE DES SAVANTS PROGRESSISTESEst-ce à dire que personne n'ait vu l'impor-tance de toutes ces applications pratiquesde la géomorphologie ? Assu rément pas.Dans les pays capitalistes, de nombreuxtechniciens se préoccupent de ces pro-blèmes. Les agronomes s'intéressent àl'érosion des sols, les ingénieurs aux modi-fications des lits fluviaux et des littoraux,parfois aux éboulements et aux avalanches.Mais cette action est très bornée. Il y a àcela deux séries de raisons. D'abord la rapa-cité du système capitaliste, qui ne vise quel'exploitation immédiate : en A.E.F. [Afriqueéquatoriale française], pour récolterquelques tonnes de coton, on ruine irré-médiablement des dizaines d'hectares ; enA.O.F. [Afrique occidentale française], l'ara-chide a transformé la moitié du Sénégalen un désert. Le capitalisme détruit desrichesses séculaires accumulées par lanature pour les dilapider sous forme dedividendes distribués à une poignée d'ex-ploiteurs. Contre ce fait, qui paralyse toutepossibilité d'utilisation rationnelle desconnaissances scientifiques, l'homme nepeut lutter que par la révolution sociale etpolitique, par le remplacement du capita-lisme par le socialisme. Le rôle des savantsprogressistes est de dénoncer cette inca-pacité du capitalisme dans tous lesdomaines. Lorsqu'il étudie l'érosion, le géo-morphologue ne doit pas oublier qu'elledépend en partie des systèmes écono-

miques. L'érosion des sols est maxima làoù le capitalisme a instauré les spécula-tions agraires les plus effrénées ; le sud etl'ouest des États-Unis, l'Afrique coloniale,les plantations de café du Brésil en sontdes exemples frappants. En Afrique duNord, c'est démesurément que l'érosions'est accrue à la suite de l'implantation ducapitalisme français.

Mais il est une autre raison, idéologiquecelle-là. C'est la séparation presque com-plète de la recherche scientifique et de lapratique. Les quelques esquisses faitesdans les pays capitalistes en vue d'appli-cations pratiques de la géomorphologiesont l'œuvre de techniciens, d'ingénieurs,formés à d'autres disciplines, et qui n'ontguère de contacts avec lès géomorpho-logues professionnels, presque tous uni-versitaires. Ces praticiens occasionnels uti-lisent les techniques mathématiques del'ingénieur, mais ne s'attaquent pas auxproblèmes fondamentaux : ils n'en ont nile temps ni le désir, car leur formation neles a pas orientés dans cette direction. Ilsne dominent généralement pas la com-plexité des questions et n'apportent sou-vent que des solutions de détail, insuffi-santes, voire dangereuses par leursconséquences indirectes, qui n'ont pas étéétudiées. De leur côté, les géomorpho-logues professionnels restent à l'écart deces travaux, qu'ils ignorent souvent, etdédaignent ces expériences pratiques pourse lancer dans des spéculations plus éthérées. Ilsn'ont pas grand chose à apporter aux pra-ticiens et méprisent ce que les réalisationsde ces derniers pourraient leur fournir. Iln'est donc pas étonnant que la géomor-phologie classique repose en grande par-tie sur des bases idéologiques fausses, dontnous devons faire la critique. n

Extrait reproduit avec l’aimable autorisationde La Pensée.

37

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page37

Page 38: La revue du projet n°27

38

LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2013

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*VINCENT BORELLI est mathématicien. Il estmaître de conférences à l'université Lyon 1 etdirecteur de la Maison des mathématiques etde l’informatique de Lyon.

Revue du projet : Pour Diderot, les mathéma-tiques étaient comme « finies », sans avenir, etle flambeau allait passer à la chimie et auxsciences naturelles. Le public pense un peu lamême chose aujourd’hui. Que reste-t-il à décou-vrir en mathématiques ?Vincent Borrelli : Évidemment, avec le recul,ce jugement de Diderot peut faire sourire…mais il n’est pas complètement erroné  !Diderot a parfaitement perçu l’émergencede la chimie moderne et de la biologie, quiont envahi notre quotidien. En revanche,pour les mathématiques, il s’est fourvoyé.Au XIXe siècle, elles vont connaître une véri-table explosion avec des hommes d’excep-tion comme Cauchy, Gauss ou Riemann.Elles vont aussi montrer au monde touteleur puissance avec la découverte par LeVerrier d’une nouvelle planète, Neptune,par la seule force du calcul. En réalité, lesmathématiques n’ont jamais cessé de gran-dir que ce soit avant ou après Diderot. Àl’heure actuelle, la croissance de l’activitémathématique semble exponentielle et lenombre de résultats importants obtenusdonne le vertige. Le lecteur curieux desciences se souviendra certainement de larésolution par Andrew Wiles du théorèmede Fermat en 1994 ou de celle de la conjec-ture de Poincaré par Grigory Perelman en2003. Bref, les mathématiques sont plusvivantes que jamais. Que reste-t-il à décou-vrir  ? Ma foi, je n’en sais rien  ! Mais j’ai laconviction très forte qu’en dépit de plusde deux mille ans d’effort, l’exploration ducontinent des mathématiques n’en est qu’àses premiers pas.

ENTRETIEN AVEC VINCENT BORELLI* RÉALISÉ PAR PIERRE CRÉPEL

RDP : Tu as obtenu avec quelques collègues unedécouverte qui fait la une des magazines scien-tifiques.V. B.  : En 1955, le mathématicien et futurprix Nobel d’économie John Nash résoutune question de géométrie d’une impor-tance conceptuelle cardinale : le problèmedes plongements isométriques. Il montreà cet effet qu’il existe des objets géomé-triques paradoxaux qui sont à la fois lisseset grumeleux. Comment est-ce possible ?Nash ne le dit pas vraiment. Notre but étaitdonc d’en réaliser une visualisation afinde percer le mystère de leur géométrie etde résoudre ainsi le paradoxe qu’ilsposaient. Les fractales, ces objets infini-ment fracturés quelle que soit l’échelle oùon les observe, fournissent l’archétyped’une situation grumeleuse, rugueuse. Àl’opposé, les surfaces comme la sphère oula bouée forment le monde des objets bienlisses. Nous avons découvert que la géo-métrie des objets de Nash se situe à l’in-terface entre ces deux mondes. C’est laraison pour laquelle nous leur avons donnéle nom de fractales lisses.

RDP : Finalement, cette idée est assez simple àexpliquer. Comment se fait-il qu’on ne l’ait pasdéjà eue avant ? Et quel avenir a-t-elle  ?V. B.  : Le grand mathématicien JacquesHadamard disait qu’en mathématiques«  les idées simples arrivent en dernier ».Un tropisme puissant conduit notre cer-veau à préférer le compliqué faussementincontournable à l’audace libératrice dusimple. Lorsque je me heurte à un pro-blème mathématique et que toutes mestentatives échouent – c’est-à-dire la plu-part du temps – il me vient systématique-ment la même image : celle d’une moucheenfermée dans un appartement et s’obs-

tinant à se projeter sur la vitre la plus lumi-neuse. Pourquoi répète-t-elle inlassable-ment la même trajectoire alors qu’il luisuffirait d’effectuer un petit crochet parl’entrebâillement de la fenêtre pour seretrouver libre  ? Peut-être parce que lalumière l’aveugle et l’empêche de voir quela fenêtre est ouverte. Au fond, c’est safaçon d’analyser le problème qui le rendinsoluble : ses forces dérisoires ne lui per-mettront jamais de briser une vitre.Pour revenir à l’idée des fractales lisseset de leur avenir, il est certain qu’en exhi-bant une nouvelle classe d’objets il devientpossible de les reconnaître ailleurs. Parexemple, il se pourrait que certaines struc-tures observées dans la nature et inter-prétées comme des fractales soient enréalité des fractales lisses.

RDP : Jusqu’au XXe siècle, les publications derésultats mathématiques étaient presque tou-jours signées par une seule personne  ; ensuite,parfois deux, mais jamais quatre ou cinq, commeici. Est-on en train de passer à un mode plus col-lectif de recherche comme dans d’autressciences ?V. B. : Je ne me risquerai pas à faire un pro-nostic quant à un éventuel passage à unmode plus collectif. Pour nos travaux, lasituation est un peu différente car il s’agitd’une collaboration interdisciplinaire met-tant en jeu un chercheur en informatique,Francis Lazarus, un enseignant-chercheuren mathématiques appliquées, BorisThibert, un doctorant, Saïd Jabrane et moi-même qui suis mathématicien. Cetteéquipe s’est complétée en 2012 avec unenseignant-chercheur spécialiste en syn-thèse d’images, Damien Rohmer. Nousavons eu un mode de fonctionnement trèscollégial. Quelle que soit la discipline, cha-

Les fractales lisses : un nouvel objet mathématique, fruit de nouvellesconditions de recherche ?Soutenue par la région Rhône-Alpes, une équipe interdisciplinaire a pro-duit les premières images des objets paradoxaux de Nash.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page38

Page 39: La revue du projet n°27

39

AVRIL 2013 - LA REVUE DU PROJET

cun a fait l’effort d’assimiler les techniquesqui étaient mises en jeu dans le projet.Ainsi, on se comprenait parfaitement eton pouvait interagir de façon équilibréeet constructive. En particulier, on a résoluensemble les problèmes qui ont surgi toutau long de nos recherches. C’était unecondition essentielle pour moi. Je neconçois pas l’activité mathématique sansune complicité totale avec mes collabora-teurs. D’une part, je dois être parfaitementà l’aise pour oser dire tout ce qui me passepar la tête. D’autre part, je trouve l’acti-vité de recherche suffisamment difficilesans qu’on y rajoute un environnementhumain indifférent voire hostile. Et puis,quel plaisir que vivre entre amis les milleémotions d’un projet de recherche ! Je nel’échangerais pour aucun théorème obtenuen solitaire, fût-il le plus important du siè-cle. Les mathématiciens sont en généralpayés par la collectivité. Au nom (ou sousle prétexte) du contrôle public et de l’ef-ficacité, les gouvernements de presquetous les pays vantent et imposent des finan-cements sur projets courts. Cela pourraitse révéler pernicieux à long terme. Larecherche peut parfois se tronçonner enportion de trois ans et dans ce cas ce typede financement peut avoir ses avantagesen fixant des contraintes raisonnables quipeuvent constituer un facteur de motiva-tion. Mais la plupart du temps il faut bienreconnaître que le chercheur se retrouvecontraint de découper artificiellement sontravail en sachant pertinemment qu’il estimpossible de programmer à l’avance unedécouverte. Certains s’en accommodent,d’autres s’en désespèrent, peu s’en félici-tent. Un effet collatéral indésirable est unecourse à la publication : il faudra bien moti-ver la prochaine demande d’argent…Dans notre cas, six ans d’effort ont éténécessaires pour produire les premièresimages des objets paradoxaux de Nash.Évidemment, au moment de rechercherdes financements, nous n’avions aucuneidée de la durée du projet, nous n’imagi-nions que très partiellement les difficul-tés que nous allions rencontrer et nousétions évidemment incapables de prévoirla découverte des fractales lisses. Nousavons fini par recevoir une bourse de lapart du CNRS, mais pour le reste, nosdemandes ont été rejetées. Nous avonsdonc dû sortir des circuits classiques etnous nous sommes adressés à la régionRhône-Alpes qui, heureusement, nous a

largement soutenus. Sans elle, le projetétait mort-né.

RDP : Comment peut-on alors résister ? Que pro-poser et que construire ?V. B.  : Il faut plus de souplesse, pour plusde confiance et pour plus d’audace. Lamathématique est une science plusieursfois millénaire qui a largement prouvé sonefficacité. Nous pouvons raisonnablementlui faire confiance, le retour sur investis-sement est assuré… sauf à vouloir forcerla machine. En particulier, il faut accepterle fourvoiement, l’échec, le temps perdu,bref une certaine forme de travail nonimmédiatement productif. La pensée selonlaquelle nous pourrions rationaliser larecherche, planifier cartésiennement lesdépenses pour engranger mécaniquementles fruits prévisibles des efforts consen-tis n’est à mes yeux qu’une idéologie. Laréalité n’est pas si sage, et la vie du cher-cheur non plus  ! Nous passons un tempsconsidérable à suivre de fausses pistes, ànous enfoncer dans de sournois dédalescalculatoires ou à croupir au fond de voiessans issue. Bref, au sens comptable, nous« gaspillons » du temps, donc de l’argent.C’est un fait irréductible qui est tout aussidifficile à accepter pour le chercheur quepour le citoyen. C’est pourquoi je parlaisde confiance. Nous avons besoin de laconfiance du citoyen, donc in fine de cellede l’État, pour oser les routes les moinsbalisées et découvrir du nouveau.

RDP : Tu es impliqué depuis des années dans cequ’on appelle de façon un peu condescendantela « vulgarisation des mathématiques ».V. B. : Notre activité n’est possible que grâceà l’argent public. Il est de notre devoir d’in-former le citoyen en lui présentant le pro-

duit de notre travail et en lui expliquantles tenants et aboutissants de nosrecherches. Le site internet Images desmathématiques, fondé par Étienne Ghysen septembre 2008, est exemplaire à cetendroit. Il y est régulièrement présentédes articles, des billets, des brèves, desdossiers traitant de la recherche contem-poraine sous tous ses aspects. Les inter-nautes sont systématiquement invités àparticiper au débat sous la forme de com-mentaires ajoutés aux articles. Une autrefaçon de s’adresser au citoyen est de passer par le truchement d’une manifes-tation. Ce fut le cas en 2006, avec l’expo-sition internationale Pourquoi les mathé-matiques  ? que nous avons accueillie aumusée Guimet, à Lyon, et qui fut un francsuccès. Ça l’est encore aujourd’hui au tra-vers de grandes conférences, d’interven-tions télévisées ou radiophoniques. À cetitre, le travail accompli par Cédric Villanidepuis 2010 est tout à fait exceptionnel.En partie grâce à lui, les mathématiquessont devenues moins distantes et plus cha-leureuses aux yeux du public. Enfin, depuisquelques mois, un nouveau projet est enroute  : celui de la Maison des mathéma-tiques et de l’informatique. Cette maison,sise à Lyon, est un lieu unique en France,entièrement dédié à la diffusion.Il y a mille bonnes raisons de transmettrela culture scientifique et toute personneengagée dans la vulgarisation a les siennes.Parmi les miennes, il y a notamment l’es-poir d’améliorer la place des femmes enmathématiques en luttant contre l’auto-censure et en encourageant les jeunesfemmes à s’engager vers les mathéma-tiques. Leur très faible proportion enmathématiques est indigne de nos idéauxrépublicains, j’en ai honte. n

Creative commons cc V. Borrelli, S. Jabrane, F. Lazarus, D. Rohmer, B. Thibert

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page39

Page 40: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

SONDAGES

Logement :une forte demandede mixité socialeL’IFOP a réalisé, cet hiver, à la demande du défenseur desdroits (Dominique Baudis) un sondage sur la perception desdiscriminations dans l'accès à un logement locatif. Pour 82% de la population française, les discriminations dans l'accèsà un logement locatif sont fréquentes. Les personnes ayantun revenu irrégulier (CDD, intérim) sont perçues comme étantles plus exposées à des différences de traitement.

On retiendra de cette enquête une forte exigence de mixitésociale. À la question « Selon vous, la mixité sociale, c’est-à-dire la cohabitation au sein d'un même quartier de personnesde catégories sociales et d'origines diverses, doit-elle être unepriorité des pouvoirs publics dans les années à venir ? », 68 %des sondés répondent oui (c'est le cas de 77 % des habitantsdes ZUS, zones urbaines sensibles) contre 32 % de non. n

40

PAGE RÉALISÉE PAR GÉRARD STREIFF

Assez fréquentes : 59 %

Très fréquentes : 23 %

Très rares : 3 %

Assez rares : 15 %

0

20

40

60

80

100

0

20

40

60

80

100

Oui, tout à fait: 23%

Oui, plutôt : 45 %

Non, plutôt pas, 20 %

Non, pas du tout : 12 %

LA MIXITÉ SOCIALE DANS LES QUARTIERS DOIT-ELLE DEVENIR UNE PRIORITÉ ?

32 %

68 %

59 %

82 %

3 %

15 %

23 %

0

10

20

30

40

50

60

70

80

SELON VOUS, LES DISCRIMINATIONS DANS L'ACCÈS À UN LOGEMENT LOCATIF SONT :

23 %

45 %

20 %

12 %

0

10

20

30

40

50

Total fréquentes : 82 %

Total rares : 18 %

18 %

Total oui : 68 %

Total non : 32%

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page40

Page 41: La revue du projet n°27

41

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

STATISTIQUES

200 000 Français vivent en coupleavec une personne de même sexe

(dont une sur dix avec un enfant)

La loi sur le mariage pour tous aura sans doute été adoptée parles deux chambres du parlement. Le débat houleux qu’aura sus-cité le projet de loi a vu apparaître, notamment du côté de sesopposants, des arguments témoignant, si ce n’est d’une mau-vaise foi troublante, d’une méconnaissance totale de la placedes homosexuels dans la société française. Il faut toutefoisreconnaître que l’appareillage statistique public a longtempsété en retard sur cette question. Heureusement, ce n’est désor-mais plus le cas, et l’INSEE, à travers par exemple son enquêteFamille-Logement, aborde désormais le sujet frontalement.

Il y a donc en France, d’après l’Insee, 200 000 personnes quidéclarent vivre en couple avec une personne du même sexe,dont environ 40 % de femmes et 60 % d’hommes. Les coupleshomosexuels représentent au total 0,6 % des 32 millions deFrançais déclarant vivre en couple. Pour les couples hétéro-sexuels, le mariage et le PACS sont les statuts majoritaires,concernant respectivement 73 % et 4 % des cas. L’institutiondu Pacs en 1999 a permis à 43 % des couples homosexuelsd’obtenir un statut légal, mais l’union libre reste toutefois lasituation la plus fréquente. En particulier, les couples defemmes déclarent à 62 % vivre en union libre, contre 38 % decouple pacsés.

Par ailleurs, il est intéressant de constater que le PACS, commealternative au mariage, a su convaincre bien plus largementqu’au sein des seuls couples homosexuels. Depuis son institu-tion en 1999, les couples homosexuels représentent en effetseulement 6 % des couples pacsés.

L’enquête réalisée par l’INSEE aborde également la questionde la présence d’enfants au sein des couples. On apprendainsi que près d’une personne sur dix étant en couple avecune personne du même sexe réside avec un enfant (y com-

pris si ce n’est qu’une partie du temps). Dans leur grandemajorité, ce sont des femmes qui sont concernées par cettesituation : un couple lesbien sur cinq vit avec un enfant. L’IN-SEE souligne que la plupart du temps, les enfants dans cettesituation sont nés avant l’union actuelle, et qu’ils partagentleur temps avec l’autre parent. Quoi qu’il en soit, cela prouveque, mariage ou pas, la problématique posée par la présencedes enfants au sein des couples homosexuels est aujourd’huiloin d’être marginale.

Qui sont ces personnes déclarant vivre en couple avec une per-sonne de même sexe ? Elles sont plutôt jeunes, plus diplôméeset plus urbaines. Ainsi, l’âge médian des personnes vivant encouple homosexuel est de 40 ans, contre 48 ans pour les per-sonnes en couple hétérosexuel. 48 % des personnes déclarantvivre en couple homosexuel sont diplômées du supérieurcontre 28 % pour les couples hétérosexuels. Plus des troisquarts des personnes en couple homosexuel vivent en ville(dont 30 % en Île-de-France), alors que c’est le cas d’un peu plusde la moitié seulement des couples hétérosexuels (dont 17 % enÎle-de-France).

La plus ou moins grande acceptation de l’homosexualité selonles milieux sociaux n’est sans doute pas la seule explication àcette surreprésentation de certaines catégories sociales parmiles couples homosexuels. La faible présence d’enfants peut parexemple en être une aussi : on sait en effet que l’arrivée d’unenfant au sein d’un couple augmente la probabilité de quitter unenvironnement urbain. Pour autant, et le débat sur le mariagepour tous l’a également mis en lumière, il est clair aujourd’huique l’idée selan laquelle l’homosexualité doit pouvoir se vivrenormalement et au grand jour n’est pas une évidence pour toutle monde.

Par MICHAËL ORAND

Couples hétérosexuels(31,5 millions de personnes) Couples d’hommes

(116 000 personnes)

Couples de femmes(82 000 personnes)

Source : INSEE, enquête Famille Logement 2011

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page41

Page 42: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

42642

Par ANTHONY MARANGHI

REVUE DES MÉDIA

Deux conceptions du journalisme se sont opposées, une nouvellepresse indépendante apparue avec Internet et un journalisme degouvernement qui manie l’amalgame et les effets d’annonce, et quine donne aucun écho aux propositions du PCF.

e 2 avril dernier, JérômeCahuzac finit par faire pénitence surson blog, en avouant l'existence d'uncompte à Singapour et en se disant«  dévasté par le remords  » alors qued’aucuns pleurent le «  meilleur desleur(re)s  ». La révélation de ce scan-dale politico-financier souligne le rôlenécessaire d'aiguilleur de consciencedes média venant dévêtir les respon-sables politiques de leur probité can-dide afin de mettre en lumière cer-taines opacités de la sphère politique.Cependant, dès le moment oùMediapart a mis en cause la respon-sabilité du ministre délégué au Budget,la presse dominante a poussé l'opi-nion publique à désavouer le site d'in-formation en ligne en soutenant quece journalisme d'investigation sortaitde son rôle – voire même de la léga-lité – et qu'il fallait laisser la justice,seul acteur légitime, s'occuper de cetteaffaire. Et pourtant, Mediapart connupour être ancré politiquement àgauche n'a pas hésité à mener uneenquête contre le gouvernement socia-liste mais, le journal en ligne s'estheurté à un écosystème de connivencereliant l'oligarchie politique à un jour-nalisme de gouvernement et d'indus-trie qui a besoin de ménager les puis-sants.

Les média dans l'affaire Cahuzac

DEUX CONCEPTIONS DU JOURNALISME Au cours de l'affaire, on a pu obser-ver que les média pouvaient fortementrefléter ce qu'ils critiquent. Ils traver-sent les mêmes jalousies, hostilités etluttes de concurrence acharnée quele monde politique comme le montreLibération dans sa course à l'informa-tion – ou plutôt à la désinformation –et surtout à toujours plus de scandaleafin de rafler la mise, au risque de res-sembler à un tabloïd. Mais avant tout,il faut replonger dans le feuilleton créépar quelques journalistes de salon. Cesderniers, défendant davantage leurcause que de réelles idées, n'ont pashésité à faire couler beaucoup d'en-cre et de tweets (gazouillis) en s'atta-quant violemment au révélateur duscandale. Parmi eux, Jean-MichelApathie – journaliste à RTL et au GrandJournal – n'a cessé d'accuser le média« d'affirmer sans prouver » et de trans-former la présomption d'innocencefrançaise en « présomption de culpa-bilité  ». Deux conceptions du journa-lisme se sont opposées dans ce débat :un journalisme traditionnel respec-tueux de l'ordre établi et une nouvellegénération de presse indépendanteapparue avec Internet et prête à inter-peller la justice au nom de la vérité.Quand Mediapart décide de publierles éléments dont il dispose, il ne faitrien d'autre qu'exercer sa mission d'in-formation. Mais, malgré la multiplica-tion des éléments fournis parMediapart, le gouvernement est restéimpassible. Pendant ce temps, l'opi-nion publique confuse s'est diviséeentre ceux qui croyaient encore enCahuzac ainsi qu'à la presse de l'idéo-

logie dominante et ceux qui – malgrétoutes les attaques subies par le jour-nal d'investigation – ont continué dese fier à ses informations.

MISE EN PARALLÈLE ÉHONTÉE DEL'EXTRÊME-DROITE ET DE CE QU'ILSQUALIFIENT « D'EXTRÊME-GAUCHE »Outre l'affaire Mediapart-Cahuzac, onpeut également réagir aux consé-quences politiques de l'affaire Cahuzac.Tout d'abord, on a pu noter au seindes média le terrible écueil d'une miseen parallèle éhontée de l'extrême-droite et de ce qu'ils qualifient « d'ex-trême-gauche ». Un des exemples lesplus flagrants est celui du journaliste-inquisiteur Patrick Cohen, lors de lamatinale de France Inter du 26 marsface à Jean-Luc Mélenchon. Il entamel'entretien in medias res en deman-dant à quoi servent les invectives enpolitique et poursuit en mettant dosà dos le Parti de gauche et le Frontnational en citant les mots de MartineBillard, co-présidente du Parti degauche  : «  on ne veut pas laisser leFront national être le seul à parlerfort  ». Patrick Cohen-Torquemadacontinue son inquisition en mettantles deux partis dans un même sac enles affublant d'une pseudo concur-rence rhétorique dans laquelle les deuxpartis se seraient lancés. Et dans laproduction de dangereux amalgames,les politiques s'y prêtent à cœur joieen étant de concert avec leurs jour-nalistes-godillots. Michel Sapin, invitéde l'émission du 7 avril Tous Politiquesde France Info, s'attaque ad hominemà Jean-Luc Mélenchon en ajoutantque « Mélenchon et Le Pen jouent dans

L

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page42

Page 43: La revue du projet n°27

43

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

43

la même arrière-cour ». Et il enchaînepar un « point Godwin » en reprenantdes accusations formulées par Jean-Michel Apathie et Harlem Désir à pro-pos de «  l'antisémitisme  » du leaderdu Parti de gauche à l'encontre dePierre Moscovici. Il surenchérit mêmesur ce buzz – créé par un journalistehargneux d'avoir été fraîchementhumilié – en clamant que cela lui « rap-pelle les pires années de la France  ».Une large frange politique tout commecertains présentateurs, ou plutôt fau-drait-il les appeler « organisateurs despectacles médiatiques  » comme lesouligne Acrimed, ne cessent de mar-teler que les extrémités de l'échiquierpolitique se rencontrent dans leurréactions «  populistes  » à l'AffaireCahuzac.

DES EFFETS D’ANNONCEOn a également pu percevoir un sou-dain intérêt médiatique pour la trans-parence, avec l'ouverture d'une brèchepour la droite et le centre auxquels lesmédia donnent une (sur)visibilité par lebiais de leurs «  propositions  » commel'exigence de la «  vérité  » clamée parFrançois Bayrou qui lance une pétitionen ligne pour une «  moralisation de lavie politique » dans la foulée de la sor-tie de son nouveau livre De La Véritéen politique. On peut difficilement nepas y voir un «  coup de com'  » oppor-tun de la part d'un parti en voie d'ex-tinction. Quid des réactions du pouvoiren place ? Si on salue la « fermeté abso-lue » du président au sein du Parti socia-liste, François Hollande n’a évoqué, dansson mea maxima culpa, que de vaguesmesures axées sur l'indépendance dela justice, la lutte contre les conflits d’in-térêts et l'interdiction de tout mandatpublic pour les élus condamnés : riende nouveau sous le soleil. Ces quelquesidées lancées en l'air afin de créer un «

In fine, on ne peut que remarquer l'in-différence totale des média vis-à- visdes propositions du PCF énoncées parPierre Laurent, lors de la conférence depresse du 8 avril dernier, et de ses deuxaxes principaux : un programme de luttecontre la domination de la finance, avecune réforme fiscale d'ampleur et unerefondation démocratique de nos ins-titutions par un processus constituantjusqu'à une VIe République. n

choc de moralisation » comme la déci-sion cosmétique de la publication dupatrimoine des responsables politiques.Ces effets d'annonce paraissent bieninsuffisants pour mettre fin aux perpé-tuels conflits d’intérêts qui relient lespuissances de l’argent à la sphère poli-tique. Ce n'est pas en utilisant une vieille« boîte à outils institutionnels » qui exis-tent déjà que l'on va régler le problème.Comme le souligne Jean-Luc Mélenchon,le réel problème « c'est la dérive d'uneinstitution monarchique de laRépublique, plus celle de l'argent roi »,et face à ce problème, François Hollanden'y répond qu'en entonnant ce célèbrerefrain : « c'est pas moi, c'est les autres ».

LE SILENCE SUR LES PROPOSITIONS DU PCF !Dans sa conférence de presse du lundi 8  avril, ce n’est pas uniquementau sujet de Jérôme Cahuzac que Pierre Laurent s’est exprimé, mais biencontre «  l’emprise toujours plus étouffante des […] forces de la financesur la vie sociale, économique et politique de la France  », condamnantl’évasion fiscale en général. «  L’urgence, a-t-il déclaré, est à un change-ment de cap global de la politique nationale […] pour une nouvelle poli-tique résolument de gauche  ». Ainsi, appelant à la mobilisation detoutes les forces citoyennes pour construire «  un programme de luttecontre la domination de la finance  » et «  une refondation démocratiquede nos institutions […] menant jusqu’à la VIe République », il réaffirmaitque «  l’ennemi, c’est plus que jamais la finance  ». Mais cet ennemi sem-ble moins digne d’intérêt que ne l’est Jérôme Cahuzac  : dans la pressedu 8 et du 9  avril, c’est silence radio. Il n’y a guère que le JDD qui titre«  Le PCF veut un “nouveau contrat politique” pour la France  », tandisque Le Monde avec l’AFP évoque la conférence de presse pour clamerque la proposition de Pierre Laurent de suspendre ce que le quotidiennomme «  la loi sur l’emploi  » – à savoir l’ANI soutenu par la droite et leMEDEF – et d’engager un débat sur la fraude fiscale, «  arrangerait lePCF  ». Marteler la moralisation de la vie politique sans s’en donner lesmoyens, et publier le patrimoine des élus et des ministres, est décidé-ment plus aisé et moins dangereux que de relier l’affaire Cahuzac à lapolitique d’austérité, la « domination du fric » sur les droits des salariés,et l’absence de démocratie.

CAMILLE ASCARI

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page43

Page 44: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

44644

CRITIQUES

LIREPAR IGOR MARTINACHE

La « crise » qui sévit depuis 2008 a remis à l'agenda poli-tico-médiatique la question de la désindustrialisation, aupoint que le Parti socialiste revenu au pouvoir décide dedédier un portefeuille ministériel au « redressement pro-ductif ». De licenciements collectifs en fermetures de sites,le tissu industriel français ne cesse de se déliter, avec lesconséquences sociales que l'on connaît. Une fatalité pourcertains commentateurs, qui expliquent doctement qu'ilfaut se diriger vers une économie sans industrie en misanttout sur les services. Une généralisation de la « vision » queSerge Tchuruk, l'ancien PDG d'Alcatel, qui entendait audébut des années 2000 faire de celle-ci une « entreprisesans usine », en se débarrassant en 18 mois de ses 120 sitesde production. Cette pseudo-stratégie s'est révélée plusque catastrophique, avec la destruction de 16 500 emploiset des pertes financières gigantesques pour le groupe – cequi n'aura pas empêché le principal (ir)responsable d'em-pocher près de 6 millions d'euros d'indemnités de départ.Cet exemple illustre les dangers qu'il y a à croire à une divi-sion internationale du travail où les économies les plusriches pourraient se spécialiser sur le seul secteur tertiaire: les services, quels qu'ils soient, ne peuvent se passer desproduits de l'industrie, pas plus que cette dernière ne peutfonctionner sans matières premières. Le vrai enjeu résidebel et bien dans la valorisation respective de ces activités,comme le résume le contraste saisissant entre les rémuné-rations réciproques des financiers et des ouvriers et pay-sans… Pour autant, le phénomène de la désindustrialisa-tion n'est ni nouveau, ni propre à l'Hexagone : d'après laCommission européenne, le nombre d'emplois dans l'in-dustrie manufacturière a ainsi diminué de 28,6 % enFrance entre 1991 et 2010, soit sensiblement autantqu'aux États-Unis (-28,7 %), et moins qu'au Royaume-Uni(-41,1 %) ou même dans la si louée Allemagne (-30,1 %).Preuve qu'il ne suffit pas de précariser l'emploi et en par-ticulier de baisser le coût du travail, autrement dit de sacri-fier la protection sociale, comme s'y emploient les gouver-nements des pays dits « industrialisés » et ne cessent de lepréconiser les commentateurs libéraux. Faut-il alors serésigner à cette évolution, qui ne serait en fait que la pour-suite du « déversement », ainsi qu'Alfred Sauvy avait bap-tisé le mouvement de transfert des emplois du secteur pri-maire vers le secondaire puis le tertiaire, sous l'effet duprogrès technique ? Non, répondent en substance plu-sieurs publications récentes, à rebours des chantres de lasociété postindustrielle, inverser la vapeur est possible,pourvu que l'on adopte une perspective large.

ASSOCIER DÉVELOPPEMENT DURABLE ET JUSTICE SOCIALEDans un ouvrage collectif publié sous l'égide de laFondation Jean-Jaurès, proche du PS, un groupe d'unequinzaine de cadres du privé, hauts fonctionnaires etuniversitaires formule une série de diagnostics et de pro-positions afin de saisir l'occasion qu'offre la crise encours pour opérer un véritable « changement de para-digme économique en associant développement dura-ble et justice sociale ». Un projet ambitieux s'il en est,mais nécessaire pour remettre en route un projet pro-ductif français véritablement cohérent que les auteursappellent de leur vœu. Celui-ci ne peut s'en tenir à un« catalogue de mesures », expliquent-ils. Et pourtant,c'est un peu l'impression que donne la lecture de leursréflexions. L'état des lieux qu'ils établissent s'avère ainsià bien des égards utile, en déplaçant le cadre de débatimposé par les éditocrates pour pointer la déformationdu partage de la valeur ajoutée et la montée corrélativedes inégalités. Loin d'incarner la solution nécessaire, ledétricotage de la protection sociale par la réduction descotisations sociales, improprement qualifiées de« charges », représente au contraire une voie suicidaire,expliquent-ils en substance, en minant les atouts queprésente l'économie française dans le contexte actuel.C'est en effet sur le terrain de la qualité et non celui desprix que les entreprises françaises peuvent lutter dans lacompétition mondialisée. D'où l'importance de renfor-cer les droits sociaux, dont celui à la formation. Maisaussi le soutien à la recherche de la part des entreprises.Un tel discours n'est finalement pas très alternatif à celuiqui se développe dans les cénacles néolibéraux, commel'OCDE, et illustre finalement toute l'ambiguïté d'unouvrage qui ne cesse d'osciller entre un niveau très(trop ?) général d'analyse et des préconisations empi-riques assez (trop ?) précises et surtout d'un antilibéra-lisme radical à des positions au contraire très libérales,qui culminent peut-être dans le chapitre sur la « respon-sabilité sociale des entreprises ». Une telle ambiguïté dudiscours, qui tient sans doute en partie à la compositionhétérogène de ce groupe, est surtout permise par lamanière dont le propos saute d'un thème à l'autre :finance, formation, recherche, énergie, décentralisation,écologie, dialogue social, etc. Tout en affirmant d'entréeque la désindustrialisation constitue un choix politiqueimplicite des gouvernements précédents, les auteurs nesemblent pas assumer leurs propres contradictions,lorsqu'ils critiquent par exemple la domination d'uneélite formée dans le même moule des « grandes » écoleset qui se retrouve à Bercy et dans les états-majors desgrands groupes, tout en appelant à soutenir ces derniers

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

Réindustrialisation : modes d'emploi(s)

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page44

Page 45: La revue du projet n°27

45

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

45

ou à « sensibiliser les élèves à l'esprit d'entreprise »(p. 61). La manière dont sont balayés d'un revers de maincertains débats pourtant centraux, portant sur le protec-tionnisme et la démondialisation, la sortie de l'euro ouencore la décroissance illustre également une posturequi ne s'éloigne finalement pas trop de la doxa. On peutdonc y piocher quelques idées, à commencer par lanécessité d'une approche systémique, mais l'architec-ture générale proposée ne convainc pas vraiment.

L'URGENCE DU LONG TERMEDe prime abord, la démarche de Gabriel Colletis, profes-seur d'économie à l’université de Toulouse 1, apparaîtassez proche dans son refus de la fatalité, la nécessitéd'une approche globale, l'appel à un changement deparadigme, mais aussi un souci pédagogique dans l'écri-ture. Ce dernier est même encore davantage poussé,avec par exemple un résumé des points clés en fin dechaque chapitre, mais aussi et surtout, une plus grandeprogressivité dans le propos et un meilleur équilibreentre constats et propositions. Lui aussi s'emploie ainsi àbattre en brèche un certain nombre d'idées reçues sur la« réalité industrielle », à commencer par la frontière,poreuse entre industrie et services, ou le prétendumanque d'attractivité du territoire français vis-à-vis desinvestissements étrangers. Lui aussi pointe le rôle centralde la financiarisation sur les stratégies des entreprises,notamment les plus grands groupes – même s'il insistebien sur le fait que la crise est économique et socialeavant d'être financière – mais, propose un diagnosticplus approfondi des facteurs de la désindustrialisation.Mais Gabriel Colletis diverge des auteurs précédents surbien des points. Il dénonce ainsi sans ambages lesmirages de la « croissance verte », qui consiste pour l'es-sentiel à habiller sous un discours écologiquement cor-rect la poursuite d'une fuite en avant dans l'exploitationcapitaliste des hommes et de la nature ; et le nouveaumodèle de développement qu'il appelle de ses vœuxs'appuie clairement sur un nouveau rapport salarial, lanécessité de partir des « besoins » sociaux (même si ladéfinition de ces derniers constitue un enjeu politique en

soi) et écologiques, et surtout la pénétration de la démo-cratie au sein des entreprises qui ne se limite pas au« modèle » de la codétermination à l'allemande. Il pointeégalement la nécessité d'ancrer davantage les activitésdans les territoires, ce qui ne va pas sans la réintroductiond'un certain protectionnisme. Mais un protectionnismequi ne représente toutefois pas une fin en soi, mais le «moyen d'un projet de développement », dont il s'agitdonc au préalable de définir les directions qui le consti-tuent. Ce projet doit selon l'auteur s'articuler autour detrois axes : une plus grande reconnaissance du travail etdes compétences, un souci écologique passant par l'éco-nomie de l'énergie et des ressources naturelles, et enfinun ancrage territorial des activités, qui réponde non seu-lement à l'impératif précédent, mais favorise égalementles synergies locales trop souvent oubliées. Si certainsaspects peuvent être discutés, ce cadre apparaîtra sansdoute plus parlant aux lecteurs à la gauche du gouverne-ment actuel, sans pour autant livrer clés en main les voiesd'un nouveau départ industriel. On peut néanmoinsregretter que, comme les auteurs de la fondation Jean-Jaurès, Gabriel Colletis laisse de côté la question nonmoins cruciale des conditions politiques de réalisationd'un projet aussi ambitieux, et en particulier les rapportsde forces qu'il s'agirait d'inverser, tant sur le plan nationalqu'européen et mondial. Or, on ne peut s'empêcher depenser que c'est bien par là que devra partir l'enraiementde la logique mortifère actuelle.

La guerre d’Algérie enAlsaceLa nuée bleue, 2013

YVES FREY

PAR SÉVERINE CHARRET

« Durant ces dix-huit ans qui s’échelonnent de la Libérationaux derniers affrontements de l’automne 1962, bien peu d’in-dividus, à part la police, savaient que la guerre d’Algérie tou-chait aussi l’Alsace. » Dans son ouvrage, Yves Frey entreprenddonc de donner à voir cette guerre en Alsace, à partir notam-ment de sources policières. Abondamment illustré et faisantla part belle à quelques acteurs, le livre est construit sur unva-et-vient entre les événements nationaux et leur déclinai-son locale selon un déroulement chronologique. Après unerapide évocation des débuts du nationalisme algérien enAlsace (1945-novembre 1954) où l’auteur présente ce qu’il

appelle les strates de l’immigration algérienne, dont les sol-dats des troupes coloniales arrivés après la Libération et peuperméables à l’activité politique, s’ouvre un chapitre consa-cré à la confrontation MNA-FLN (novembre 1954-1957).L’auteur y interroge, à travers l’exemple alsacien, le rempla-cement progressif du MNA par le FLN et conclut à une moin-dre violence en Alsace de cette lutte fratricide, attribuant àd’autres explications (ralliement de responsables locaux,insuffisante préparation du MNA à la clandestinité et à larépression policière…) le succès du FLN. La troisième par-tie est consacrée à la mise en place du nizâm (janvier 1958-mars 1959), organisation politico-administrative chargée del’encadrement et du contrôle de la population algérienne. Sicette organisation – dont Yves Frey décrit la structure enAlsace – se montre de plus en plus efficace, notamment pourla collecte des cotisations, elle échoue à ouvrir un secondfront en Alsace, les attentats commis visant essentiellementdes Algériens. Yves Frey évoque aussi le rôle de la frontièrepermettant la fuite de travailleurs algériens et l’évacuation

Bibliographie• Gabriel Colletis, L'urgence industrielle !, Le Bord del'eau, 2012.• Jean-Louis Levet (dir.), Réindustrialisation, j'écris tonnom, Fondation Jean Jaurès, 2012.

À voir également :• « Comment sauver l'industrie ? », Alternatives Éco-nomiques, hors-série n° 93, mai 2012.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page45

Page 46: La revue du projet n°27

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

46646

CRITIQUESdes fonds. Le chapitre suivant aborde la période 1959-été1961, durant laquelle le FLN connaît d’importantes difficul-tés du fait du renforcement de la lutte policière et de la las-situde de la population algérienne. Si le FLN revient en forceà partir de 1961, après s’être assuré le contrôle des foyers detravailleurs algériens, y compris par la force, la conclusiondes accords d’Évian se traduit par des déchirements en sonsein. Si cet ouvrage d’histoire régionale permet de nuancercertains aspects de la guerre d’Algérie en France, son origi-nalité réside aussi dans l’étude des spécificités des réactionsde l’opinion publique alsacienne, spécificités qu’Yves Freyexplique par la mémoire des Malgré-Nous qui ressurgit aumoment de la mobilisation des appelés, l’influence de la reli-gion notamment catholique et le poids de l’université deStrasbourg. La guerre d’Algérie marque aussi en Alsace ledéclin du MRP démocrate-chrétien au profit des gaullistesaprès le ralliement au général de deux figures locales, PierrePflimlin et André Bord. Une empreinte qui dure.

« Temps couvert pour lesprintemps arabes »Recherches internationales, n° 94

PAR ALEXIS COSKUN

Face aux analyses lapidaires qui ont actuel-lement cours dans les sphères politiques et médiatiques etqui résument les soulèvements dans les pays du Maghreb etdu monde arabe, enclenchés en 2011, à la montée des forcesislamistes, le dernier numéro de Recherches Internationalesfait œuvre salutaire. Le dossier de l'édition de janvier-mars2013 consacré aux printemps arabes analyse le phénomèneen détail mais surtout il multiplie les points de vue et lesregards en fonction des pays. Ainsi, sous la plume de JulienPorteilla et Julien Salingue, c'est la relation entre révoltesarabes et situation en Palestine qui est traitée tandis queMichel Warschawski s’intéresse aux « révoltes arabes vuesd'Israël » en développant son propos sur la situation de lasociété israélienne. Deux articles très pertinents sont consa-crés à l'Algérie et au Maroc, et aux différences qui peuventexister avec la Tunisie et plus particulièrement sur l'absencede révolution d'ensemble dans ces pays. À remarquer ici untrès bon article du journaliste de l'Humanité HassaneZerrouky, qui retrace deux ans d’événements politiques etsociaux en Algérie et au Maroc et présente les raisons du non-embrasement d'ensemble de ces sociétés et les rôles des dif-férentes forces politiques et les limites de leurs stratégies.Toujours sur l'Algérie, une contribution de la politologueYasmina Touaibia met en lumière un concept intéressantpour comprendre les évolutions du pays, « le traumatismehistorique », qui sert notamment au pouvoir en place à légi-timer sa politique au travers de la lutte pour l'indépendancenationale et des cendres encore brûlantes du terrorisme isla-miste et qui a servi à étouffer les mobilisations, pourtant mas-sives, qui ont suivi le soulèvement tunisien. Enfin, un texteglobal, qui trace le bilan depuis deux ans des printempsarabes du brillant Samir Amin doit être lu pour comprendreles processus à l’œuvre, pour ne pas les enfermer dans unelecture stérile, identitaire et centrée sur un pseudo-conflit de

civilisations. En plus du dossier, deux contributions particu-lièrement éclairantes. Tout d'abord celle de Claude Cartignyqui revient sur les quarante ans de l'accord SALT de démili-tarisation et qui nous offre une approche bénéficiant d'unrecul historique certain, mais surtout l'analyse est étayée desources nouvellement disponibles, ce qui en fait un texteprécieux. Enfin, le lecteur intéressé par la ligne politique duPCF sur les questions internationales pourra se référer à l'ar-ticle de Jacques Fath qui présente ici des pistes de réflexionpour un nouveau rôle de la France dans les relations inter-nationales. À l’encontre de l'idéologie dominante et du tempsmédiatique restreint, ce dernier numéro de RecherchesInternationales propose un approfondissement salvateurdes thématiques qui font l'actualité.

La Pensée libre : 1941-1942 : Aden, 2013

PAR AMBRE BLONDEAU

Après avoir publié (avec Georges Aillaud, en2008) les numéros clandestins des Lettresfrançaises et des Étoiles, François Eychart,sous l’égide de la société des amis de LouisAragon et Elsa Triolet, a entrepris de sortirde l’ombre La Pensée Libre – une des toutes

premières publications de la Résistance – aujourd’hui à peuprès inaccessible au grand public. Se trouve ainsi exhuméun symbole de vitalité intellectuelle durant cette périodesombre où la France est envahie par la propagande nazie.Dès la première parution en février 1941, le ton est donné :la pensée française doit redevenir légale. « Cette revue s'ap-pelle La Pensée Libre parce qu'elle est rédigée par des savants,des écrivains, des penseurs, et des artistes français libres detout lien matériel et idéologique avec les impérialismes quiont jeté les peuples pour la seconde fois au XXe siècle dansune guerre pour le partage du monde. » La revue dénonceainsi avec vigueur la volonté d'éliminer de notre héritageintellectuel la raison et la liberté. Le second numéro, publiéun an plus tard, est un peu plus étoffé et davantage orga-nisé. Des témoignages sur les nombreux assassinats et empri-sonnements des intellectuels français par la Gestapo y sont

Une nouvelle façon defaire de la politiqueLe Temps des cerises, 2012

JEAN LOJKINE

PAR MATTIA GAMBILONGHI

Révolution informationnelle, nouveaux mouvementscontestataires, communisme : est-il possible de trouver unlien politiquement vertueux entre ces éléments ? C'est ceque le dernier ouvrage de Jean Lojkine, Une autre façon defaire la politique se propose de faire. Le livre du sociologueet directeur de recherche au CNRS se développe à partir deson interprétation originale des transformations connuespar le capitalisme pendant les trente dernières années, larévolution informationnelle. Cette dernière est en fait mar-quée par une très forte ambivalence : à la fois support prin-

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page46

Page 47: La revue du projet n°27

47

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

47

publiés. Les rédacteurs y font aussi paraître des chroniques,dans lesquelles, encore une fois sans détour, ils proclamentleur lutte acharnée contre l'occupant. Yves Gallouedec (pseu-donyme de René Blech) s'insurge ainsi contre l'oppresseurnazi dans un vibrant poème : « Vous l'avez hissé noir sur l'arcet sur la tour/Votre pavillon de pirates du vieux monde/Vosmains dans notre ciel égorgeaient nos colombes/Vos doigtsensanglantés s'égouttaient sur nos jours ». De cette manière,alors que la position dans laquelle furent placés les com-munistes aurait pu engendrer un repli dogmatique, c'est lecontraire qui se produit, avec la réalisation dans la Résistancedu principe d'attention critique au patrimoine littéraire,comme à la création contemporaine. En republiant ces textesde l'édition originale, il s'agit aussi de rendre hommage àses principaux rédacteurs (l'écrivain Jacques Decour, le phi-losophe Georges Politzer et le physicien Jacques Solomon)et de saluer le courage de ces hommes qui furent à l'initia-tive de cette parution clandestine, en osant exprimer, nonseulement un point de vue communiste dans un contexteparticulièrement hostile, mais aussi et surtout, en osantdéfendre et affirmer, contre la perte d'identité du pays, toutl'héritage national dans ses dimensions culturelles. Ainsi, àla fin de l'ouvrage, plusieurs textes postérieurs – qu’ils soientsignés par Aragon, le romancier Claude Morgan, le philo-sophe Henri Lefebvre, ou encore, plus récemment, l’histo-rien Jean-Numa Ducange – rendent hommage et apportentun éclairage devant la force et la bravoure du parcours deces trois hommes, fusillés par les nazis, bien décidés à nepas abandonner la plume, pour préserver la liberté intellec-tuelle de la France.

« Chine : Regards croisés »La Pensée, n° 373

PAR PATRICK COULON

La Chine est devenue une puissance émer-gée, incontournable dans les relations inter-nationales, présente économiquement auxquatre coins du monde, investissant mêmedans les pays les plus développés. Pour

autant, – affirme Tony Andréani dans sa présentation – lesjugements n’ont guère changé : il s’agit toujours d’une dic-tature, qui ne joue pas vraiment le jeu de la « communautéinternationale » et dont le commerce est déloyal. Alors quesont parus de nombreux ouvrages de qualité, on ne s’in-terroge pas sur les raisons de son essor continu. On ne sedemande pas pourquoi elle a déjoué tous les pronosticsnégatifs, pourquoi elle est passée sans encombres à traversla crise asiatique de 1997-1998 et surtout la grande crisefinancière, puis économique et sociale, qui a secoué lespays occidentaux à partir de 2007, et qui n’est pas finie. Onprête peu d’attention aux réformes politiques qui y sont encours. On ne cherche pas à savoir pourquoi plusieurs paysdu Sud s’inspirent de son modèle économique. On ne faitque signaler quelques-unes de ses initiatives en matièreenvironnementale. Bref, on pense qu’il n’y a rien à appren-dre d’elle. La revue veut donc aborder le sujet sérieusement,en prenant le temps, sans a priori négatif ni positif, sansdissimuler les difficultés énormes que la Chine rencontre,sans mésestimer les efforts qu’elle fait pour les surmonter,sans cacher non plus que, derrière ce qui semble être unchemin assuré, plusieurs orientations sont possibles. Et,pour cela, elle a choisi la méthode d’un dialogue avec deschercheurs chinois, pour que le lecteur français ait un accèsdirect à leurs analyses et pour que le lecteur chinois sachequelles réflexions ces analyses nous inspirent. Ce partena-riat se traduira par une publication simultanée des articlesque La Pensée a commandés à ces chercheurs et des com-mentaires de La Pensée et dans la revue chinoise Marxismand reality. Trois grands thèmes sont explorés. Le systèmefinancier chinois à travers les articles : « Réforme et déve-loppement du système financier » et « Système financier etsocialisme de marché “à la chinoise” ». Les réformes poli-tiques sont traitées avec les points de vue « Domaines-clésde l’administration démocratique » ainsi que « Les voies dela Chine et l'humanité au XXIe siècle ». Le troisième thèmeabordé est celui des contradictions sociales et des conflitssociaux dans la Chine d’aujourd’hui avec « Les ouvriers chi-nois résistent à la mondialisation libérale ».

cipal organisationnel et idéologique de la dynamique mar-chande du néolibéralisme, et vecteur du développementd'une logique du partage intrinsèquement non marchand,à cause du rôle toujours grandissant occupé dans le capi-talisme actuel par les services de formation de l'humainpar « l'information ». Vis-à-vis de la nature ambiguë et ambi-valente du modèle d'accumulation d'aujourd'hui, le pro-blème devient donc de bouleverser la logique actuellementprédominante, c'est-à-dire la logique d'un usage privé etcapitaliste des nouvelles technologies de l'information,pour permettre aux potentialités non marchandes et anti-libérales inhérentes au capitalisme informationnel de selibérer et s'exprimer. Mais comment ? De quelle façon ?D'après Lojkine, en reliant profondément l'action politiquedes forces progressistes avec le contexte de la civilisationinformationnelle. D’un côté, on l’a dit la circulation infor-mationnelle est en son fond opposée à la philosophie néo-libérale, et donc en mesure de proposer un logiciel du par-

tage, de l'efficacité sociale et de la satisfaction des besoinscollectifs. De l'autre coté, si, développée jusqu'au bout, larévolution informationnelle peut fournir de nouvelles occa-sions démocratiques : Internet et le réseau permettraienten fait de renouveler l'enjeu autogestionnaire, en dépas-sant les limites des expériences historiques de démocratiedirecte – c'est-à-dire l'isolement et l'absence d'influencepar rapport à la pyramide des pouvoirs politiques centraux –et en permettant une « liaison dialectique » entre autoges-tion et représentation, démocratie directe et déléguée. Maispour réaliser tout cela, avertit Lojkine, la gauche et les com-munistes doivent nécessairement tirer les leçons des expé-riences (toutes les deux marquées du sceau de l'étatisme,selon l’auteur) du Front populaire et du Programme com-mun et rompre avec la matrice léniniste et sa conceptionavant-gardiste de l'action politique, en épousant pleine-ment la stratégie gramscienne et jaurésienne de l'évolutionrévolutionnaire.

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page47

Page 48: La revue du projet n°27

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

Marc Brynhole, Olivier Dartigolles, Jean-Luc Gibelin, Isabelle Lorand, Alain Obadia, Véronique Sandoval.

Pierre LaurentResponsable

national du projet

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Xavier Compain [email protected]

CULTUREAlain Hayot [email protected]

Jean-François Tealdi Média et [email protected]

DROITS ET LIBERTÉSFabienne Haloui Droits des personnes et libertés -Migrants - Racisme et [email protected]

Danièle Lebail Droits des personnes et libertés -Migrants - Racisme et [email protected]

Ian Brossat [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISMELaurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIEHervé Bramy [email protected]

Pierre [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Yves Dimicoli [email protected]

Catherine MillsÉconomie et [email protected]

ÉDUCATIONMarine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHEAnne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

MOUVEMENT DU MONDEJacques Fath [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICESAlain ObadiaIndustrie - Services [email protected]

Yann Le Pollotec Révolution numé[email protected]

TRAVAIL, EMPLOIVéronique Sandoval Travail - Droit du travail - Chômage, Emploi - Formation, insertion - Pauvreté[email protected]

Pierre DharevilleRéformes institutionnelles - Collectivité[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Annie MazetLaïcité et [email protected]

Fabien Guillaud BatailleSécurité, [email protected]

Nicole Borvo Cohen-Seat Institutions, [email protected]

SPORTNicolas Bonnet [email protected]

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Stéphane [email protected]

Pascal BagnarolRuralité[email protected]

Sylvie Mayer Économie sociale et [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALEJean-Luc Gibelin Protection sociale - Retraites et retraitésAutonomie, handicap - Petite enfance,[email protected]

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Côme SimienHistoire

Alain VermeerschRevue des

média

Guillaume Quashie-Vauclin

Rédacteur en chef

Nicolas Dutent Mouvementréel/Regard

Gérard StreiffCombat d’idées

Sondages

Michaël Orand

Statistiques

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Corinne LuxembourgProduction

de territoires

Florian GulliMouvement

réel

Frédo CoyèreMaquette/graphisme

Marine RoussillonCritiques

Amar BellalSciences

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

COMITÉ DE PILOTAGE DU PROJET

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

&

Léo PurguetteTravail de secteurs

Renaud BoissacPresse

Étienne ChossonRegard

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

RdP-27_V08_RDP 26/04/13 17:29 Page48