afars et somalis - numilog

36

Upload: others

Post on 22-Jun-2022

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 2: AFARS ET SOMALIS - Numilog

AFARS ET SOMALIS

Le dossier de Djibouti

Page 3: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 4: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Philippe OBERLÉ

AFARS ET SOMALIS

Le dossier de Djibouti

PRÉSENCE AFRICAINE 25 bis, rue des Ecoles

PARIS 5

Page 5: AFARS ET SOMALIS - Numilog

© Editions Présence Africaine, 1971

Page 6: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Un mouton dans son enclos, bien nourri et gras, s'étonne de voir la frêle gazelle préférer une vie libre et dangereuse.

Un mouton ne peut pas comprendre, lui répond la gazelle, mon cœur n'est pas un cœur de mouton.

(Sagesse somalie)

Page 7: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 8: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Introduction

Au cours d'un voyage à l'étranger, un Français de Djibouti se rendit dans un consulat pour demander le renouvellement de son passeport. « Monsieur, lui répondit le consul de Fran- ce, il m'est impossible de proroger votre passeport, puisque Djibouti n'est plus français. »

Cette anecdote que l'on se plaît à raconter à Djibouti témoigne, qu'elle soit authentique ou non, d'un état de fait fréquemment vérifiable : bien des Français, et parfois même des fonctionnaires de la République, ignorent l'existence de la dernière possession française en terre d'Afrique : la Côte française des Somalis (C.F.S.), nommée depuis 1967 Terri- toire français des Afars et des Issas (T.F.A.I.).

On pardonnera volontiers au Français, peu féru en his- toire coloniale, de ne pas connaître les origines de ce Terri- toire, fondé en 1884 dans l'indifférence générale par le gouverneur Léonce Lagarde. Avec la même discrétion, le Territoire échappa en 1958/60 au vaste mouvement de dé- colonisation qui allait amener à l'indépendance tous les autres territoires de l'Afrique française.

La littérature relative à Djibouti et à sa région est par- ticulièrement rare. Contrairement à d'autres pays d'outre- mer, la Côte française des Somalis n'a guère attiré ou ins- piré les voyageurs. Les quelques poètes, écrivains, ou hom- mes de science qui eurent l'occasion de passer par Djibouti, nous ont laissé de leurs voyages, plutôt que des descrip- tions détaillées, quelques impressions fugitives et succintes. Parmi les auteurs célèbres, citons des personnalités aussi diverses que Rimbaud, Pierre Loti, Jérôme et Jean Tharaud, Supervielle, Paul Nizan, Pierre Teilhard de Chardin, Joseph Kessel, qui ont séjourné à des titres divers dans la région, mais rarement pendant plus de quelques jours, excepté Rim- baud qui poursuivit en vain entre Harar et Aden, pendant plus de dix ans, une fortune qui toujours lui échappait. Il nous reste fort heureusement les œuvres d'Henry de Monfreid, qui

Page 9: AFARS ET SOMALIS - Numilog

sut mieux que quiconque décrire la secrète beauté de l'Afrique orientale, et évoquer avec talent la vie des nomades afars et somalis.

Eprouvés par la dure traversée de la mer Rouge, de Suez à Obock ou Djibouti, les passagers qui s'arrêtaient en Côte française des Somalis songeaient en général moins à étu- dier le pays qu'à se reposer des fatigues du voyage, avant de poursuivre leur route vers l'Ethiopie ou de reprendre la mer en direction de l'Extrême-Orient.

Carrefour entre l'Afrique, la péninsule arabique et l'Asie, Djibouti était et demeure avant tout un port d'escale. Le développement de sa vocation portuaire, avec son corollaire, la construction du chemin de fer vers l'Ethiopie, accaparèrent toute l'énergie des Français qui vinrent s'installer sur cette côte désolée.

Les populations nomades de la colonie inspiraient par leurs mœurs guerrières une réelle terreur aux Européens, qui pendant fort longtemps ne s'aventurèrent pas hors des limites d'Obock ou de Djibouti sans la protection d'une escorte bien armée. Au père Teilhard de Chardin qui désirait en 1929 visiter la région des monts Mabla entre Obock et Tadjoura, pour y étudier des vestiges préhistoriques, le gou- verneur Chapon-Baissac opposa une interdiction formelle, estimant que sa sécurité ne pouvait être assurée. Dans ses lettres de voyage, le père Teilhard, raconte, non sans malice, comment il s'embarqua néanmoins clandestinement pour traverser le golfe de Tadjoura, en compagnie d'Henry de Monfreid.

L'isolement de la colonie, la dureté du climat, les diffi- cultés d'accès et d'approche expliquent suffisamment la rareté des études relatives au Territoire et à ses populations. A l'écart des grands courants et des agitations de la politi- que mondiale, le peuple de Djibouti vivait hors du temps, méconnu de la métropole. Il ne participa à l'Histoire qu'en de rares occasions : par les quatre cents Somalis tués et les mille deux cents blessés, lors de la guerre de 1914/18, pour la liberté de la France, et par la cinquantaine de Somalis qui trouvèrent la mort au cours des événements de Djibouti en 1966/67, en revendiquant leur propre liberté. Singulier destin que celui de ce peuple qui n'émerge au premier plan de l'actualité et qui ne suscite l'intérêt de la métropole que lorsque coule le sang...

Aujourd'hui Djibouti apparaît aux yeux de beaucoup com- me un anachronisme, un Territoire que le législateur aurait oublié de décoloniser. Les choses ne sont pourtant pas aussi

Page 10: AFARS ET SOMALIS - Numilog

simples. Comme tous les Africains, les habitants du T.F.A.I. aspirent à l'indépendance ; mais ces aspirations sont contra- riées par les données de la situation politique internationale.

S'il accédait à l'indépendance, le T.F.A.I. constituerait un Etat lilliputien ne disposant pas de moyens de défense effi- caces, face aux convoitises éventuelles de l'empire d'Ethiopie ou de la république de Somalie. Pour que cette indépen- dance soit viable il conviendrait donc, à défaut d'un accord à ce sujet entre l'Ethiopie et la Somalie, que la France consente à signer avec le nouvel Etat un traité de défense garantissant son intégrité territoriale, comme elle l'a con- senti à ses autres territoires africains devenus indépendants.

Pour le moment, le gouvernement français ne semble pas disposé à s'engager dans une telle voie, dont l'issue paraît prématurée, du fait de la faiblesse économique du Territoire et de la divergence de vues entre ses habitants. En effet, si les Somalis désirent accéder à l'indépendance dans un avenir relativement proche, les Afars souhaitent au contraire par prudence retarder cette indépendance dont ils redoutent les conséquences éventuelles.

La France se montre d'autant plus favorable au maintien de sa souveraineté sur le Territoire, que son accession à l'indépendance risquerait de précipiter par contagion dans le même courant centrifuge les autres territoires d'outre- mer. Or deux d'entre eux au moins présentent un intérêt économique et stratégique considérable : la Nouvelle-Calédo- nie, par ses gisements de nickel, et la Polynésie française, par l'implantation du Centre d'expérimentation de l'armement atomique.

Victime de sa petitesse, de sa pauvreté, et de la faiblesse numérique de sa population, le Territoire de Djibouti n'est pas maître de son avenir. Le drame de Djibouti est celui d'une petite colonie créée au siècle dernier pour la seule satisfaction d'intérêts européens, et dont les frontières ont été artificiellement tracées, sans qu'il ne soit jamais tenu compte des intérêts des populations locales, ni des réalités humaines et ethniques de l'Afrique orientale.

Remarquable modèle de réussite technique de la coloni- sation, Djibouti, avec sa ville sortie du néant, son port, son chemin de fer, nous offre le tragique exemple d'un échec total sur le plan politique et humain.

L'imbroglio de la situation actuelle résulte directement de l'ineptie de la politique coloniale des puissances européen- nes en Afrique. C'est pourquoi cette situation et son évolution

Page 11: AFARS ET SOMALIS - Numilog

ne peuvent se comprendre qu'à la lumière des données histo- riques.

On ne disposait jusqu'à ce jour d'aucun ouvrage retraçant de manière circonstanciée l'histoire du Territoire (1). Les quelques travaux qui ont été publiés sont fragmentaires, et difficilement accessibles au public car éparpillés dans di- verses publications françaises ou étrangères, souvent ancien- nes. C'est pour combler partiellement une regrettable absence de documentation de synthèse que l'auteur, qui a eu l'occa- sion de séjourner deux ans à Djibouti, a estimé utile de publier ce livre. Ce travail ne prétend pas constituer une « Histoire de la Côte Française des Somalis » mais tout au plus un essai tendant à présenter les grandes lignes de cette histoire. L'auteur n'est pas historien de profession. Il s'est voulu simple témoin de son temps en même temps que cu- rieux du passé.

C'est dans cet esprit que nous avons essayé de retracer l'histoire et la politique locales. En témoin, nous avons assisté au déroulement des événements politiques locaux du- rant les années 1966 et 1967. Nous avons tenté de les com- prendre, et ceci nous a conduit tout naturellement à pénétrer plus avant l'esprit, la pensée, et l'histoire du peuple Afar et Somali.

Dans cette recherche, nous avons toujours rencontré la plus vive sympathie de la part de nos interlocuteurs et amis africains, et nous les en remercions. L'amitié qu'ils ont bien voulu nous accorder nous était d'autant plus pré- cieuse que les contacts humains entre Africains et Euro- péens sont rares et trop souvent superficiels à Djibouti, où ces deux populations se côtoient journellement tout en s'ignorant.

Nous sommes redevables à nos amis de Djibouti de tout ce qu'ils ont bien voulu nous enseigner : le mode de pensée de leur peuple, leurs traditions culturelles, leur connaissance du passé local. Nous avons tenté de traduire aussi fidèlement

(1) Il convient toutefois de citer le chapitre «Côte des Somalis », rédigé par le gouverneur Hubert Deschamps, de l'ouvrage Côte des Somalis, Réunion, Inde, éd. Berger-Levrault, collection « L'Union française », 1948, pp. 1 à 85.

Page 12: AFARS ET SOMALIS - Numilog

que possible ce que nous avons entendu et appris : la fierté de leur race, le cheminement de leurs espérances, les aspi- rations de la jeunesse, mais aussi l'amertume devant l'incom- préhension d'une métropole lointaine et indifférente, la ré- volte contre les injustices, ou encore la grande misère des nomades de la brousse.

Nous estimerons que ce livre n'aura pas été inutile, s'il parvient à susciter davantage d'intérêt et de sympathie pour les populations du territoire de Djibouti.

Paris, janvier 1969.

Page 13: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 14: AFARS ET SOMALIS - Numilog

PREMIÈRE PARTIE

LE POIDS DU PASSÉ

Page 15: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 16: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Chapitre I

Afars et Somalis, les populations du territoire

« A l'extrême horizon, du côté des terres, toujours ce même rideau de nuages et de montagnes bornant l'étendue désolée où nous sommes. Très hautes sans doute, ces montagnes qui se dessinent là-bas partout en silhouettes entassées, d'autant plus confon- dues avec les obscurités du ciel, d'autant plus noires qu'elles sont plus loin, dans ces zones intérieures où les hommes blancs ne vont pas. Quels hommes peut nourrir une terre pareille ? »

PIERRE LOTI, Obock en passant, 1887.

Page 17: AFARS ET SOMALIS - Numilog
Page 18: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Une terre ingrate et désolée

« Il y a dans cette aridité monotone, un emblème de mort qui dessèche l'âme et l'espérance. »

ROCHET D'HÉRICOURT.

Le « Territoire français des Afars et des Issas », nommé jusqu'en 1967 « Côte française des Somalis », est un terri- toire français d'outre-mer, situé sur les rives du golfe d'Aden, et en sa partie la plus septentrionale, de la mer Rouge. Sa côte borde le détroit de Bab-el-Mandeb, ou « Porte des La- mentations ». Cette situation stratégique privilégiée, entre Suez et l'Extrême-Orient, fut, avec le voisinage des riches provinces de l'Abyssinie, à l'origine de l'implantation fran- çaise.

Vers l'intérieur, le Territoire est limitrophe de l'Empire éthiopien (du nord-ouest au sud-ouest) et de la république d e S o m a l i e ( a u s u d - e s t ) . S a s u p e r f i c i e e s t d ' e n v i r o n 2 3 . 0 0 0 k m

ce qui, à titre de comparaison, représente un peu plus que l'ensemble des trois départements de la Bretagne.

La population du Territoire, évaluée en 1967 à 125.000 habitants, se répartit environ par moitié entre Djibouti, le chef-lieu, et les régions de l'intérieur. Les populations de l'intérieur sont essentiellement nomades ou semi-nomades. Les villages de sédentaires, tels que Tadjoura, Obock, Ali- Sabieh, Dikhil, comptent seulement de 500 à 2.000 habitants.

La caractéristique fondamentale du Territoire est sa ru- desse. Rude est le climat, rudes sont les conditions de vie, et rudes sont les hommes. Djibouti détient le privilège peu enviable d'avoir l'un des plus chauds climats du monde. La moyenne des températures y oscille tout au long de l'année

Page 19: AFARS ET SOMALIS - Numilog

entre 25 et 38°. En été souffle le « khamsin », ou « vent des cinquante jours », surchauffé et chargé de sable. La pluvio- métrie est à la fois très faible et irrégulière. En une année moyenne il tombe de 100 à 150 mm de pluie, répartis sur 20 à 30 journées. Les averses sont violentes mais de courte durée. On peut enregistrer plusieurs années consécutives très sèches, avec moins de 50 mm par an, suivies brusque- ment d'un orage qui déverse plus de 100 mm en 24 heures.

Il n'existe aucun cours d'eau permanent dans le Terri- toire. Les oueds ne coulent que quelques jours par an, après chaque orage. Ces crues brutales arrachent arbres et ar- bustes, comblent les puits, emportent parfois des troupeaux ou même des hommes. Ce sont les nappes souterraines qui assurent l'alimentation en eau des populations et du bétail. Les points d'eau, lorsqu'ils ne sont pas des puits creusés dans le lit des oueds, sont relativement espacés, situés en moyenne à vingt kilomètres l'un de l'autre ; mais dans son ensemble le Territoire est habitable et ne peut se comparer aux déserts du Sahara ou de l'Arabie centrale.

Le paysage offre cependant l'aspect d'une monotonie désolante. Des champs de pierres, de roches volcaniques noirâ- tres, s'étendent à perte de vue, avec çà et là quelques petits arbustes épineux, pauvre pâture que se disputent des trou- peaux de chèvres faméliques. On trouve en de rares lieux privilégiés, de modestes palmeraies, oasis de fraîcheur et de verdure.

Le relief est composé de vastes plateaux d'aspect chaoti- que et tourmenté, coupés de profondes failles et dominés par quelques massifs montagneux, tels ceux des monts Gouda, dont le sommet culmine à 1.750 mètres, et des Mabla (1). Sur le mont Gouda subsiste la seule forêt du Territoire (2), véritable relique qui témoigne de ce qu'était la végétation de cette région du globe, avant l'assèchement progressif du climat. Ses genévriers et ses conifères millénaires survivent en se nourrissant presque exclusivement des condensations de brouillard, très fréquent en altitude. La forêt « vit par les nuages ».

Au point de vue géologique, le Territoire se situe au cen- tre d'une vaste zone d'effondrement qui s'étend entre les plateaux d'Ethiopie et ceux de l'Arabie, englobant les deux

(1) Une très bonne description géographique du Territoire a été publiée en 1939 par E. Aubert de la Rüe, sous le titre La Somalie française (éditions Gallimard).

(2) Une petite forêt de buis existe toutefois dans les monts Mabla, à Gouyou.

Page 20: AFARS ET SOMALIS - Numilog

rives de la mer Rouge. Une grande ligne de fracture déchire le Territoire entre les monts Gouda, le Ghoubet-Kharab (1), les lacs Assal et Alol. Principale curiosité géologique — et touristique — du Territoire, le lac Assal, figé dans l'immensité de l'éblouissante croûte de sel qui l'entoure, repose à 156 mè- tres en-dessous du niveau de la mer. Depuis des temps im- mémoriaux, les populations des alentours viennent s'y ap- provisionner en sel. Des caravanes entières transportent la précieuse denrée jusque vers les hautes terres de l'Abyssinie. Le dur labeur des saulniers du lac Assal, qui parcourent à pied, derrière leurs chameaux, des centaines de kilomètres sous une chaleur accablante, a été évoqué dans les ouvrages de Henry de Monfreid, et dans Fortune Carrée, de Joseph Kessel.

Excepté le sel, les ressources minérales du Territoire semblent très pauvres. On a bien décelé la présence de cui- vre et de manganèse en différents endroits, mais la dispersion et la faible teneur n'en permettent pas l'exploitation. Quant au prétendu charbon, signalé à maintes reprises par des voyageurs du XIX siècle, il n'est autre que de l'obsidienne, verre volcanique noir, absolument incombustible. Toutefois, aucune étude systématique et complète du sous-sol du Ter- ritoire n'a été réalisée. La Côte française des Somalis recèle peut-être des richesses insoupçonnées. Il faut cependant se garder d'un optimisme que rien ne justifie, dans l'état actuel des connaissances.

A une centaine de kilomètres au sud-ouest du lac Assal se situe la seconde curiosité naturelle du territoire, le lac Abbé, « lac pourri », autour duquel le volcanisme se mani- feste encore par des émanations de gaz sulfureux, des résurgences d'eaux saumâtres et bouillonnantes. Des ali- gnements de gigantesques travertins aux profils déchiquetés et torturés confèrent au paysage un aspect lunaire et fan- tastique.

Dans une nature aussi stérile et inhospitalière, l'homme vit pourtant depuis les époques les plus reculées, luttant sans cesse pour sauvegarder son droit à l'existence, tirant avec ténacité sa maigre subsistance de cette terre ingrate à laquelle son sort est indissolublement lié.

(1) On entend par Ghoubet-Kharab l 'extrémité du golfe de Tadjoura.

Page 21: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Au pays de Pount : une race de contact entre l'Afrique et le monde blanc

Sur les 125.000 habitants du Territoire, on dénombre, selon l'estimation officielle de 1967, environ 10.000 Européens, 8.000 Arabes, 58.000 Somalis, et 48.000 Afars ou Danakil (1). Parmi les Somalis, 40.000 appartiennent aux tribus issa, et 18.000 aux tribus gadaboursi, issaq ou darod (2). Les véritables auto- chtones, installés depuis toujours dans le Territoire, sont les Afars et les Issas. Ils forment la totalité de la population nomade de l'intérieur. Les Arabes et les autres Somalis, exclusivement citadins, se sont implantés à Djibouti au mo- ment où le développement de la ville et du port provoqua un fort appel de main-d'œuvre.

Différentes hypothèses ont été émises quant à l'origine des noms « Somali » et « Danakil ». Somali, ou Somâl, qui signifie « aller traire » en langue somalie, est une allusion au mode de vie pastoral de ce peuple. Somali a aussi pu être le nom d'un ancien chef de tribu ou patriarche. Danakil provient du nom d'une fraction Afar ainsi nommée, qui vivait et vit encore sur la côte. Les marchands et navigateurs arabes eurent des contacts fréquents avec eux et donnèrent leur nom par extension à l'ensemble des Afars. En langue éthio- pienne le mot danakil signifie « la mer », et peut désigner par extension « les gens proches de la mer ».

Les Afars, qui se distinguent des Somalis par une organi- sation sociale et une langue différentes, en sont toutefois très proches, de par leurs origines, leurs caractères physi- ques, leur mode de vie (3).

(1) Les membres de ce peuple se nomment eux-mêmes Afars. Danakil (au singulier : Dankali) est le nom que leur donnèrent les arabes, et cette appellation fut longtemps seule usitée, même par les Européens.

(2) Ces chiffres indiquent la population totale par ethnie. Mais ces populations, bien que résidant en territoire français, ne possèdent pas toutes la nationalité française. Le nombre de citoyens français est de 3.000 pour les Arabes, 46.500 pour les Afars, 23.500 pour les Issas, et 6.000 pour les autres Somalis. Au total, sur 125.000 habitants, on dénombre 87.000 personnes de nationalité française, les autres étant considérées par l 'administration comme étrangères.

(3) On trouvera de précieux renseignements ethnologiques sur les Afars et les Issas dans l'ouvrage : Mer Rouge, Afrique Orientale, Cahiers de l'Afrique et l'Asie, Peyronnet, Paris 1959 ; l'ouvrage com- porte notamment trois études intitulées : « Les populations de la Côte française des Somalis », « Les Danakil du cercle de Tadjoura », et « Le destin des Somalis ».

Page 22: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Somalis et Afars se rattachent au même groupe anthropo- logique des Chamites. Race de contact entre l'Afrique et le monde blanc, on les a nommés « Chamites orientaux » pour les distinguer de ces autres Chamites que sont les Egyptiens et les Berbères. On les désigne parfois aussi sous le nom de Kouchites du Sud (1). Ils sont généralement grands, plus d'un mètre soixante-dix en moyenne pour les Somalis, maigres, très élancés, musclés et vigoureux. Le visage est fin, le nez droit, la chevelure frisée, ou parfois lisse. Hommes et femmes ont une allure fière et noble, une incontestable élégance natu- relle. Leur couleur est nettement moins foncée que celle des nègres. Par leurs traits physiques, ils ressemblent davantage aux sémites qu'aux négroïdes.

C'est à une époque que l'on peut situer à plusieurs millé- naires avant notre ère, que se produisirent les premières migrations amenant des populations kouchitiques en Afrique orientale. Ces immigrants furent suivis dans une phase ulté- rieure par des populations sémitiques originaires de l'Arabie. Par vagues successives, les envahisseurs refoulèrent les élé- ments autochtones nègres en direction du Kenya, se mélan- geant toutefois à une certaine proportion de noirs, pour don- ner naissance aux races actuelles de la « Corne de l'Afrique ». Cette hypothèse rejoint l'antique tradition éthiopienne selon laquelle Ménélik I fondateur de l'Empire abyssin, aurait été fils du roi Salomon et de la reine de Saba.

Une théorie différente a été proposée par Herbert S. Le- wis (2). Selon cet auteur, des populations originaires des environs du lac Abaya, du nord du Kenya et du sud de l'Ethiopie, auraient progressé vers le nord et l'est de l'Afrique orientale.

Quoi qu'il en soit, la situation de la côte orientale de l'Afri- que, lieu de passage entre l'Egypte, le Soudan, l'Arabie, et l'Asie moyenne, amena des brassages de population qui ren- dent plausibles les suppositions les plus diverses. Dès l'aube dè la civilisation, voyageurs et géographes ont laissé des do- cuments qui font état de rapports entre le monde civilisé d'alors et la Corne de l'Afrique.

Au cours des troisième et second millénaires avant notre ère, l'Egypte connaissait déjà la région sous le nom de « pays de Pount ». Les vaisseaux des marchands égyptiens, descen-

(1) La Genèse nous enseigne que Noé eut pour fils Sem, Cham et Japhet ; de Kouch qui fut l 'un des fils de Cham, descendent aussi les Ethiopiens, « Kouchites du Nord ».

(2) Herbert S. Lewis « The origins of the Galla and Somali », Journal of African History, 7, 1, 1966 (pp. 27-46).

Page 23: AFARS ET SOMALIS - Numilog

dant la mer Erythrée, cherchaient au pays de Pount l'or, l'encens et la myrrhe. Les annales égyptiennes donnent même des chiffres précis sur les produits que rapporta l'une de ces expéditions envoyée par le pharaon Sahure. Le témoignage le plus riche est le récit gravé dans la pierre sur les murs du temple de Deir el-Bahari, près de Thèbes, qui a trait à une expédition organisée par la reine Hatshepsout, en l'an 1493 avant notre ère. Un oracle du dieu Amon enjoignit à cette reine d'envoyer chercher au pays de Pount des matériaux précieux destinés à la construction d'un temple. Un bas-relief représente le prince de Pount, au nez aquilin, à la barbe pointue, le pagne tenu par une ceinture sous laquelle passe un poignard (1).

Les Phéniciens établirent, à partir du X siècle av. J.-C., des comptoirs sur les côtes de la mer Erythrée, le fait est rapporté par Hérodote. Le célèbre Périple de la mer Erythrée, ouvrage rédigé au cours du premier siècle après J.-C. par un auteur inconnu, pour servir de guide aux navigateurs, nous donne une liste détaillée des ports qui étaient encore prospères à cette époque. Sur la côte des Somalis on relève les noms d'Adulis (dans la baie de Zulla, et qui donna nais- sance à l'actuelle Massaoua), Avalitès (Zeila), Malao (Ber- béra), Mundus (Bender Hais), Mosyllum (Ras Hantara) et enfin le cap Gardafui, connu sous le nom de « cap des Aromates ». Un comptoir dont la localisation n'a pu encore être déterminée avec précision, Arsinoë, pourrait être situé aux environs d'Obock ou d'Assab.

Selon certaines sources, les éléments autochtones d'Afri- que orientale auraient également reçu des apports de l'Inde et de la Perse, ce qui n'est pas contredit par ce que nous a p p r e n d l ' h i s t o i r e . L o r s q u e D a r i u s I r o i d e s P e r s e s , e u t

é d i f i é s o n v a s t e e m p i r e q u i s ' é t e n d a i t d e l ' E g y p t e à l ' I n d e , i l

o r g a n i s a u n e g r a n d e e x p é d i t i o n m a r i t i m e d a n s l e b u t d ' é t u d i e r

l e s p o s s i b i l i t é s d e l i a i s o n s c o m m e r c i a l e s e n t r e c e s d e u x p a y s .

L e s P e r s e s e u r e n t a i n s i d e s c o n t a c t s a v e c l e s c ô t e s d e l a m e r

R o u g e e t d e l ' o c é a n I n d i e n . P r è s d ' u n m i l l é n a i r e p l u s t a r d ,

a u v i e s i è c l e a p r è s J . - C . , l e s I r a n i e n s o c c u p a i e n t l ' A r a b i e e t

t e n a i e n t e n t r e l e u r s m a i n s l e c o m m e r c e d u Y é m e n a v e c l a

c ô t e a f r i c a i n e . L e s A f a r s p a r l e n t e n c o r e a c t u e l l e m e n t d e p o -

p u l a t i o n s « f u r s i e s » , q u i é t a i e n t a u t r e f o i s v e n u e s d a n s l e p a y s .

C e s « F u r s i s » p e u v e n t a v o i r é t é d e s P e r s e s .

U n l i n g u i s t e d u s i è c l e d e r n i e r , l e R . P . L a r a j a s s e , q u i p u b l i a

l a p r e m i è r e g r a m m a i r e d e l a l a n g u e s o m a l i e , d é c o u v r i t d e s

(1) Auguste Toussaint, Histoire de l'océan Indien, Paris, 1961, p. 14.

Page 24: AFARS ET SOMALIS - Numilog

analogies entre la langue somalie et l'hindoustani. Il crut même reconnaître près de Berbéra des ruines d'anciens tem- ples hindous et émit une hypothèse selon laquelle une colonie indienne aurait été installée là, se fondant peu à peu avec les indigènes. Les Indiens entretenaient d'ailleurs depuis fort longtemps des relations commerciales suivies avec l'Afrique. Dans les ports de la mer Rouge et du golfe d'Aden vivent encore de nos jours de prospères colonies de « banyans » ori- ginaires de l'Inde.

Le royaume islamique d'Adal et l'expansion des Somalis

Un événement capital pour l'histoire de la Corne de l'Afri- que fut la naissance de Mahomet et l'avènement de l'Islam. Au VII siècle la marée arabe déferle sur l'Asie antérieure et l'Afrique du Nord, propageant avec elle la religion du Pro- phète, qui ne tarde pas à atteindre l'Afrique orientale, du vivant du Prophète, selon les uns, un ou deux siècles après l'Hégire, selon d'autres auteurs.

Les Somalis et les Afars, lorsqu'on les interroge sur leurs origines et leur histoire ancienne, déclarent se rattacher aux Arabes. Comme beaucoup de peuples africains touchés par l'Islam, ils datent leurs origines de l'époque de leur conver- sion. Particulièrement chez les Somalis, les généalogies con- vergent toutes vers des ancêtres communs qui auraient vécu aux VIII et IX siècles, époque présumée de l'arrivée de la re- ligion islamique en Afrique orientale.

Les Somalis issas se disent descendants de Cheikh Isé Ibn Ahmed, ou Cheikh Issa, originaire du Yémen, venu s'éta- blir sur la côte d'Afrique où il épousa une femme du pays, sans doute de race galla. Certaines tribus danakil racontent sur leurs origines la légende suivante qui a pour cadre la région située au nord de Tadjoura. Un jour, une jeune esclave d'un nommé Ali Abliss, chef de la fraction des Ablés, vint puiser de l'eau au puits d'Adaylou. A son grand étonnement, elle vit dans l'eau l'image d'un beau jeune homme vêtu de riches habits. Prise de peur, elle rentra au campement et raconta son histoire. Intrigués, les gens d'Ali Abliss se ren- dirent au puits et découvrirent, assis dans un arbre sur-

Page 25: AFARS ET SOMALIS - Numilog

plombant le puits, un beau jeune homme. Il déclara qu'il était envoyé de Dieu et refusa de descendre de l'arbre tant qu'on n'aurait pas jonché le sol de tapis et de peaux. On s'em- pressa de satisfaire son désir. L'homme descendit alors et à l'instant où son pied toucha le sol, le désert se mit à verdir, et les oiseaux à chanter. Cet envoyé du ciel fut appelé Hadal- Mahis (« celui qui était le matin sur l'arbre »). Il épousa la fille du chef de Ablés et de son arrivée date la foi musulmane ardente des Danakil. Il est curieux de noter que cette légende se retrouve exactement, avec tous ses détails, dans les contes de la côte sud-est de Madagascar, région qui a reçu autrefois des immigrants arabisés (1).

Toutes les populations de la côte africaine furent islami- sées. Entre les différentes tribus, la religion nouvelle devint le ciment d'une unité de pensée inconnue jusque-là. La pro- pagation de la langue arabe parmi les chefs facilita échanges et communications. Les rivalités héréditaires entre ces noma- des confinés dans leurs déserts et les riches habitants des plateaux d'Ethiopie se doublèrent bientôt d'une opposition implacable entre la religion musulmane des premiers et l'an- tique christianisme des seconds. « Habitant un pays déshé- rité entre tous, écrit R. Cornevin (2), les populations danakil et somalie devaient apprécier une religion qui leur apportait, outre des promesses pour la vie éternelle, la perspective d'aller piller les seigneurs méprisants des riches terres chré- tiennes. »

Une ambition commune anima les peuples de la côte : envahir l'Ethiopie et imposer la foi du Prophète. Les chroni- ques des rois d'Ethiopie font état d'affrontements incessants entre musulmans et Abyssins. Un puissant Etat musulman, le royaume d'Adal, se développait autour du port de Zeila.

C'est au début du XVI siècle, sous Ahmed Ibrahim, dit « Gragne » (c'est-à-dire « le Gaucher » (3), d'abord chef de la cité de Harar, puis maître de Zeila, que ce royaume attei- gnit l'apogée de sa puissance. Les forces musulmanes auto- chtones dont il disposait, appuyées par les Arabes et les Turcs qui venaient d'occuper l'Arabie, donnèrent naissance à une formidable armée. Gragne, entouré de l'auréole des saints et des prophètes, appela ses troupes à la guerre sainte

(1) Cité pa r Huber t Deschamps, Côte des Somalis, Berger-Levraut, 1 9 4 8 .

(2) R. Cornevin, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, 1 9 6 4 .

(3) Les Somalis nomment Ahmed Ibrahim « Gourey », nom qui si- gnifie également « gaucher ».

Page 26: AFARS ET SOMALIS - Numilog

et les lança à l'assaut de l'Ethiopie qu'elles ravagèrent pres- que totalement. L'empereur Lebna-Dengel dut se réfugier dans la province du Tigré, d'où il lança un pressant appel à une nation chrétienne et amie, le Portugal. Une expédition portugaise, conduite par le commandant Christophe de Gama, fils du célèbre Vasco de Gama, débarqua sur la côte africaine de la mer Rouge et combattit aux côté des Abyssins. Gragne fut tué au combat en 1542 ; les musulmans, privés de leur chef, abandonnèrent les positions conquises et se replièrent en désordre.

Quelles étaient les populations africaines du royaume d'Adal ? Le terme d'Adal désigne de nos jours une importante fraction du peuple afar. Mais les Ethiopiens appliquaient la dénomination d'Adal à l'ensemble de leurs voisins musul- mans, de même que les Français appelèrent longtemps « sé- négalais » tous les noirs de l'Afrique occidentale. Le royaume d'Adal comprenait à la fois des Afars, des Somalis et des Hararis (1).

Les références aux Somalis et aux Afars sont peu fré- quentes dans la littérature de l'époque. On trouve la première mention de Tagura (Tadjoura) dans la Géographie d'Idrisi au XII siècle. Les Afars ou Danakil sont mentionnés au XIII siè- cle par un autre géographe arabe, Ibn Saïd, qui cite les « Dan- kal » comme occupant la côte depuis un point assez proche de Sawakin (Suakin) jusqu'au détroit de Bab-el-Mandeb (2).

Au XIV siècle, le voyageur arabe Ibn Batoutah parle de Zeila, « capitale des Berberahs », peuple de noirs dont le pays s'étend de Zeila à Makdachaou (Mogadiscio). Cette dénomination de « Berbérahs » pour les Somalis subiste dans le nom de l'actuelle ville de Berbéra. Et de nos jours encore, les Egyptiens désignent souvent les Somalis par le terme de « Barbaroui » ou « habitants de Berbéra ». Au XV siècle apparaît pour la première fois le mot « somali », dans un hymne en langue amharique, célébrant la gloire du Négus a b y s s i n Y e s h a q , q u i e u t à c o m b a t t r e l e s S o m a l i s . A u X V I

siècle Sihab-ed-Din, dans le Futuh-el-Habasa, ou histoire de la conquête de l'Abyssinie (3), mentionne à plusieurs re-

(1) Au sujet des populations du royaume d'Adal, voir la remar- quable étude de R. Ferry, « Quelques hypothèses sur les origines des conquêtes musulmanes en Abyssinie au x v r siècle », Cahiers d'études africaines, vol. II-I, 1961.

(2) Cité pa r E. Chedeville, « Quelques faits de l 'organisation so- ciale des Afars », International African Institute, vol. XXXVI N° 2, Londres, 1966.

(3) Une traduction en langue française du texte arabe a été pu- bliée par René Basset ; Leroux, 1897.

Page 27: AFARS ET SOMALIS - Numilog

prises les tribus somalies, dont il précise qu'elles avaient mis d'importants effectifs à la disposition de l'Imam Gragne.

A la faveur des conquêtes de Gragne eurent lieu d'impor- tants mouvements de population. Les Somalis purent déve- lopper leurs positions et consolider une expansion déjà amor- cée au cours des siècles précédents. En direction du sud ils dépassaient Mogadiscio, et vers le nord, ils atteignaient au- delà de Zeila la rive sud du golfe de Tadjoura. Selon I.M. Lewis (1), le peuple galla repoussa les populations négroï- des primitives vers le Kenya, avant que les Somalis n'exercent à leur tour une forte pression sur les Gallas et les Abyssins Les Somalis et Afars actuels attribuent aux Gallas certains tumuli, et des vestiges de constructions en pierres appareil- lées qui jalonnent d'antiques voies de passage. En Côte française des Somalis on peut citer les ruines d'une cité nom- mée Handoga ou Gallagota, à proximité de l'oued Cheikheti (près de Dikhil). Les nomades des alentours affirment : « C'est le grand-père de mon père qui lui a dit que ce village a été construit autrefois par les Gallas. » Les puits de Daou- daouya, au solide soutènement de pierres, technique inconnue des Somalis et des Afars, sont aussi attribués par ces derniers aux Gallas.

La répartition des différents groupes ethniques de la Corne de l'Afrique se stabilisa vers la fin du XVI siècle et ne s'est guère modifiée depuis lors. Des pressions plus ou moins fortes s'exercent toujours entre tribus voisines, et les limites des zones de parcours peuvent évoluer, mais il n'y a pas eu de grand bouleversement de l'équilibre établi.

Les géographes européens du XVI au XVIII siècle, s'inspi- rant surtout des auteurs arabes, continuèrent à mentionner sur leurs cartes le « royaume d'Adal », au sud du « royaume dankali (2). Mais l'Adal ne survécut pas longtemps à la dé- faite de Gragne et ne tarda pas à éclater. Ses populations dana- kil se réfugièrent dans le sultanat de l'Aoussa, sur la rivière Aouache, où réside encore de nos jours le plus puissant des sultans danakil. Les Somalis se regroupèrent autour de Zeila et Berbéra. La ville de Harar reprit son indépendance. Mas- saoua devint une possession turque.

(1) I.M. Lewis, Peoples of the Horn Africa : Somali, Afar and Saho, London 1955. Les thèses de cet auteur ne concordent pas avec celles de H.S. Lewis, cité plus haut.

(2) La carte de l'Afrique, de Gastaldi, dessinée à Venise en 1561, mentionne du nord au sud « regno de Dangali », « regno de Adel », « regno de Soali » (Somalis). (Voir Albert Kammerer, La mer Rouge, l'Abyssinie et l 'arabie aux X V I et X V I I siècles, et la cartographie des portulans du monde oriental, Le Caire, 1952.)

Page 28: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Au XIX siècle, ces diverses cités furent rassemblées sous la domination de l'Egypte, héritière des Ottomans. Mais l'em- pire africain du vice-roi de l'Egypte fut éphémère. Les am- bitions du Khédive se heurtèrent à l'opposition des tribus autochtones, et malgré son ardent désir d'envahir l'Abyssinie, le Khédive ne réussit pas à rééditer l'exploit de l 'Imam Gragne.

Mode de vie des nomades afars et somalis

« Magnifiques corps cuivrés, vraiment in- corporés au cadre et à la faune, ils surgissent mystérieusement, armés de leur lance et de leur couteau. »

P. TEILHARD DE CHARDIN (Lettres de voyage) (1)

La vie matérielle des nomades somalis et afars n'a guère évolué depuis des siècles. L'existence d'une famille se passe tout entière en pérégrinations, derrière le troupeau de chèvres et de chameaux qui constitue sa seule richesse. Les campements, dispersés dans la « brousse », groupent chacun les quelques huttes d'une famille. Les huttes sont consti- tuées d'éléments facilement démontables qui peuvent être transportés sur le dos d'un chameau. L'armature de bran- chages est couverte de nattes tressées avec des fibres de palmier. Dans les régions où le palmier est rare, les femmes somalies recueillent une écorce d'un arbre qui, bouillie puis longuement mâchée, est étirée en lanières que l'on peut

! tresser. Les objets mobiliers se réduisent à trois ou quatre nattes,

des ustensiles et récipients (en bois chez les Somalis, en fibres tressées et imperméabilisées à la fumée chez les Afars), des outres en peau de chèvre pour la conservation de l'eau, et quelques armes telles que lance, hache, bouclier.

L'économie est exclusivement pastorale. Les nomades mé-

(1) Pierre Teilhard de Chardin, Lettres de Voyage, 1923-1939, re- cueillies et présentées par Claude Aragonnès, Grasset 1956.

Page 29: AFARS ET SOMALIS - Numilog

prisent le travail manuel, l'artisanat se limite à la vannerie et à la confection de quelques objets en bois ou en cuir. La poterie est inconnue. La fabrication des poignards et le travail du fer en général sont la spécialité d'une petite tribu somalie, les Toumal, qui possèdent l'art de transformer une ferraille quelconque (actuellement on emploie surtout les vieilles lames de ressorts de camions) en redoutables armes au tranchant effilé. Les Toumals sont aussi sorciers ou coiffeurs.

Le commerce est pratiqué dans les petits centres, mais Somalis et Afars se montrent moins habiles que les Arabes, qui depuis des siècles exercent cette activité dans les localités côtières. La pêche, pratiquée par des Arabes et par quelques Afars, n'est pas très développée, les nomades répugnant à consommer du poisson.

La nourriture de base est constituée par les produits du troupeau. On boit le lait des chèvres et des chamelles. Lorsque survient la sécheresse et que les bêtes ne produisent presque plus rien, on réserve le lait aux enfants. On consomme peu de viande, pour ne pas appauvrir le troupeau. Ce n'est que dans les grandes circonstances qu'on sacrifie une bête, géné- ralement pour célébrer un événement familial ou honorer un hôte de passage. D'un naturel frugal, Somalis et Afars man- gent peu et ne prennent qu'un repas par jour. En période de disette, ils recueillent les baies de certains arbres. Les no- mades tirent de menues ressources du trafic caravanier entre la côte et l'intérieur, de la vente en ville de laitages, de peaux, de charbon de bois, ou de bois mort ramassé en brousse. Ces maigres revenus leur permettent d'acheter quelques tis- sus, des cigarettes et des allumettes qui sont leur seul luxe, ou encore du doura, sorte de mil cultivé en Ethiopie, qui se consomme bouilli, mélangé à du lait ou cuit en galettes. Beaucoup de familles nomades reçoivent régulièrement des subsides de la part de ceux des leurs qui ont pu trouver un emploi en ville.

Les nomades ne sont pas chasseurs et ne recherchent pas le gibier, pourtant fort abondant en certaines régions (anti- lopes, outardes, phacochères). Ceci s'explique par des in- terdits religieux (phacochères), par des difficultés matériel- les (le nomade, s'il a presque toujours un fusil, possède tou- tefois un nombre très limité de cartouches, parfois moins d'une dizaine, et ne les utilise qu'en cas d'absolue nécessité) et aussi par un certain respect naturel qu'éprouve le nomade pour des animaux aussi inoffensifs et gracieux que la ga- zelle ou le « dig-dig », sorte d'antilope naine.

Page 30: AFARS ET SOMALIS - Numilog

Le nomade ne manifeste pas une telle tendresse pour ses semblables, lorsqu'ils se hasardent à franchir une limite de pâturage ! D'incessantes et âpres guerres eurent lieu entre tribus, de toute éternité, pour la possession des puits ou des pâturages qui ne sont d'ailleurs que des steppes arides cou- vertes d'une végétation clairsemée d'arbustes épineux. Les mœurs guerrières et souvent cruelles de ces populations sont le produit d'un milieu naturel ingrat et hostile, au sein du- quel ne peut survivre que l'homme fort et habile, qui doit constamment tuer pour affirmer son propre droit à l'exis- tence. Tuer le fauve qui la nuit rôde autour du troupeau, tuer l'ennemi qui empiète sur ses terres ou lui vole un cha- meau. C'est une implacable loi de la nature, sur une terre aux ressources très limitées.

Dès sa tendre enfance, le garçon est soumis à la rude école de la vie en brousse. A l'âge de trois ou quatre ans on lui confie la garde d'un petit agneau pour qu'il apprenne à prendre soin des bêtes. A cinq ou six ans il court déjà derrière le troupeau, et apprend à tuer d'une pierre le serpent ou l'oiseau de proie. Il se familiarise ensuite avec le ma- niement de la fronde et de la lance. Entre 13 et 15 ans il devient un homme et possède son premier poignard, qui ne quittera plus sa ceinture. Il doit alors être capable de se défendre comme un homme. Il sait piéger et tuer les ani- maux nuisibles : guépards, panthères, hyènes, chacals, cara- cals, permanente menace pour les troupeaux (1).

Entre 25 et 30 ans, le nomade fonde un foyer. S'il doit savoir défendre sa famille en toute occasion, il lui faut égale- ment être capable de subvenir à ses besoins. Très jeune, on lui enseigne l'utilisation des divers produits de la nature. Les plantes n'ont pas de secrets pour lui, il connaît toutes leurs vertus et sait soigner chaque maladie. La chaleur et le feu sont aussi des thérapeutiques très employées. Pour cicatriser les petites plaies on les couvre de sable brûlant. Les malades

: des bronches respirent la fumée d'un feu de bois. Pour guérir certaines douleurs on applique un fer porté au rouge.

Le chef de famille fabrique lui-même les ustensiles en bois nécessaires au ménage, et taille dans le cuir d'un cha- meau ou d'un bœuf les sandales pour les membres de sa

(1) Quelques guépards vivent encore dans le Sud-Ouest du Terri- toire, et quelques panthères dans les monts Gouda et Mabla. Le lion a complètement disparu mais se rencontre parfois en Somalie ou en Ethiopie. Les chacals et les hyènes sont pa r contre très nombreux et causent d ' importants dégâts aux troupeaux. Le caracal est de- venu rare.

Page 31: AFARS ET SOMALIS - Numilog

famille. Comme il n'arrive pas fréquemment que l'on tue une bête, il faut économiser les sandales. On ne les chausse que pour cheminer le long des sentiers difficiles et caillouteux. La plupart du temps, on marche pieds nus, et les sandales sont accrochées au bâton que le nomade porte en travers des épaules.

Au chef de famille appartient la décision des déplace- ments. Il connaît la localisation de tous les puits de la région ; constamment, il se renseigne auprès des autres membres de la tribu pour apprendre où sont tombées les dernières pluies, et à quel endroit il trouvera des pâturages abondants. Il vérifie que les puits ne sont pas à sec, et que la route est sûre. C'est seulement lorsque ces divers éléments d'informa- tion sont réunis, que le chef donne l'ordre de démonter les huttes et gagne avec sa famille une contrée voisine. Quand la route présente des dangers et que des heurts sont suscepti- bles de se produire avec des tribus ennemies, les divers foyers d'une région s'assemblent pour voyager en sécurité.

Les mouvements de transhumance sont liées au cycle des pluies. En ce climat aride, arbres et plantes sont générale- ment gris et secs. Mais dans les jours qui suivent une pluie, surgissent de tendres pousses vertes. Les nomades sont à l'affût de cette verdure que les chèvres affamées broutent aussitôt. Aucune parcelle n'est perdue. Les branches qui sont hors de portée des bêtes sont frappées à coups de bâton. et les petites feuilles tombent à terre. On place ensuite les chevreaux dans les branches, où ils achèvent de consommer tout ce qui peut l'être.

R e l i g i o n e t sagesse p o p u l a i r e

« En temps de paix, le lait est doux »

(Proverbe somali.)

La religion musulmane, fondement de leur unité spiri- tuelle, conditionne d'une manière sensiblement identique, de la naissance à la mort, la vie du Somali ou de l' Afar. Dans la vie quotidienne, l'observation des règles prescrites par l'Islam est tempérée par les conditions locales. Le jeûne du Ramadan, observé par les populations citadines de Dji- bouti et des petites agglomérations, n'a guère de sens parmi les populations de la brousse qui pratiquent jeûne et ascé- tisme à longueur d'année... D'autre part les anciennes lois

Page 32: AFARS ET SOMALIS - Numilog

tribales, parfois en contradiction avec le Coran, sont encore respectées davantage que celles de l'Islam.

La pauvreté du pays a dépouillé l'Islam de tout faste. Les mosquées de Djibouti, construites à l'aide des contri- butions de la population, sont bâties en pierre mais sans somptuosité. A Tadjoura, Obock, Ali-Sabieh et Dikhil existent des mosquées encore plus modestes dont le badigeon à la chaux constitue le seul luxe

Partout ailleurs les prières se font en plein air, parfois à l'intérieur d'une enceinte figurée par un alignement de cailloux en forme de quadrilatère, avec sur l'un des côtés un demi-cercle figurant le mihrab. Les nomades effectuent leurs prières en n'importe quel lieu où les mènent leurs randonnées. Lorsqu'ils voyagent, ils portent sur l'épaule un rectangle de peau de chèvre dont ils se servent comme tapis de prière.

Bien que les lettrés soient rares, des écoles coraniques existent dans chaque bourgade. Les enfants y apprennent par cœur des versets du Coran, plutôt que la pratique de l'écri- ture arabe. Les Cheikh et marabout capables de réciter tout le Coran jouissent d'un immense prestige. On fait appel à leur science dans les occasions les plus diverses : naissances, funérailles, maladies, mais aussi lorsque la sécheresse sévit car certains d'entre eux sont réputés comme « faiseurs de pluie ».

Les routes du pays somali et afar sont jalonnées de tombes, monticules de pierre entourés d'une enceinte de trente à quarante centimètres de hauteur. Une pierre, plantée verticalement dans le sol, porte le signe de la tribu du mort. Le nomade ne passe jamais à côté d'une tombe sans adresser une prière à Dieu, mais il ne craint pas la mort. L'image de la mort est toujours proche de lui, tout au long de sa vie, par la présence de ces innombrables tombes, et aussi parce que la mort frappe souvent. Les guerres, les déplorables conditions d'hygiène, déciment les familles. Lorsque la mort survient, on l'accueille avec sérénité. L'homme a conscience de sa petitesse face à la nature et face à Dieu. Né parmi les pierres, il passe sa vie à errer dans un horizon de pierres, et sait qu'il retournera à la pierre. Son cadavre sera enterré, figure tournée vers La Mecque, et la tombe recouverte de pierres pour empêcher que les hyènes ne déterrent les restes.

A côté des éléments d'origine musulmane, le patrimoine culturel des Somalis et des Afars comporte un important fonds de contes, légendes, proverbes et chants guerriers qui témoignent des caractères propres à la race. On y trouve

Page 33: AFARS ET SOMALIS - Numilog

une grande sensibilité, une sagesse à la fois africaine et orientale, avec de délicieux contes d'animaux, et d'autres qui évoquent les Mille et Une Nuits. Les histoires tracent de brefs tableaux de la vie des nomades, avec leurs soucis quotidiens, leur lutte pour l'existence. La hantise de la faim et de la soif est permanente. La bravoure constitue un thème de prédilection. Le poltron par contre est raillé sans pitié et tourné en ridicule. Les contes enseignent aussi la pru- dence : prudence devant la force brute, devant l'inconnu, devant les puissants de ce monde, et devant les forces oc- cultes. La Sagesse populaire prône des vertus telles que la reconnaissance, la persévérance, le travail, l'indépendance. Elle flétrit les envieux, les orgueilleux, les ingrats.

Chez les Somalis et les Afars on rencontre un indéniable sens de l'humour. La moquerie est un trait typique du So- mali : il aime se moquer de tout et de tous, et extériorise ses sentiments. L'humour se double d'une grande franchise et d'une perpétuelle fantaisie qui déconcerte parfois l'étran- ger par des sautes d'humeur apparemment inexplicables.

A défaut de tradition écrite, contes et récits se transmet- taient par voie orale. Dans la brousse, le soir, réunis au cam- pement, les enfants écoutaient les vieux conteurs leur répéter les histoires qu'ils avaient eux-mêmes apprises autrefois. Actuellement, en milieu urbain, les récits ne se transmettent plus ; mais en brousse ils constituent encore le fondement de l'enseignement familial.

Paraboles et proverbes demeurent employés très volontiers dans le langage courant. Voici quelques proverbes et contes reproduits d'après l'ouvrage de Duchenet (1).

Proverbes et contes somalis :

« Celui qui se loue soi-même ressemble à une chèvre qui suce- [rait son propre lait. »

« Qui creuse un fossé pour son frère risque d'y tomber [lui-même. »

« Celui qui ne se venge pas est un vil poltron. »

« L'homme qui salue beaucoup est un mendiant, ou un dévot, [ou un esclave, ou un hypocrite. »

(1) Edouard Duchenet recueillit à Djibouti de nombreux contes somalis, qui furent publiés sous le t i tre Histoires somalies, Maison- neuve et Larose, Paris, 1936.

Page 34: AFARS ET SOMALIS - Numilog

« Parole de vieillard n'est jamais mensonge. »

« Le mensonge a d'abord le goût du miel, puis celui de la [myrrhe. »

« Parole n'est que travail de gorge. » (On ne peut se fier uni- [quement aux paroles)

« N'entre jamais dans l'abri du serpent. »

« Toute nourriture devient déchet. » (Vanité de la gourman- [dise)

« En temps de paix, le lait est doux. »

« Où il y a une femme, un feu s'allume. »

« La langue d'une femme est semblable à une épée qui ne [rouille jamais. »

Le serpent, l'homme et le vautour.

Un serpent, un homme qui était chef somali et un vautour voyageaient dans la brousse. Un soir, fatigués et mourant de faim, ils trouvèrent un campement somali. « Nous sommes tes hôtes », dirent-ils au chef de famille. En bon musulman, le Somali les traita bien et les voyageurs repartirent en disant : « Tu nous trouveras, si tu as besoin de nous. »

A la suite d'une grande sécheresse, tout le troupeau du Somali mourut. Pauvre et n'ayant plus rien à manger, il son- gea à demander secours à ses obligés. Il trouva le serpent. « Je n'ai rien, lui répondit le serpent, mais je vais te faire donner quelque chose. » Ils allèrent dans le village du chef de la région qui avait autrefois été reçu par cet homme avec le serpent et le vautour. Le serpent pénétra dans la case du chef et saisit sa fille unique. Il l'enroula des pieds à la tête en dardant sa grande langue fourchue dans les yeux de la pauvre fille, qui poussait des cris horribles. Tous les guerriers accoururent, mais aucun n'osa rien faire. Le chef cria : « Qui sauvera ma fille ? — Moi, dit le Somali, si tu me donnes cinquante moutons. — Tu en auras cent, si tu la sauves. » Le Somali s'approcha, déroula le serpent et le traîna hors du village. Le sauveur reçut le prix convenu. Mais le chef se dit : « Il va continuer à m'ennuyer parce qu'une fois

Page 35: AFARS ET SOMALIS - Numilog

il m'a rendu service. » Il décida de s'en débarrasser, et sous prétexte de lui montrer un paysage, le fit monter' sur un rocher d'où il le poussa dans le vide. Le vautour était là. Il fondit d'un coup d'aile, se plaça sous l'homme et amortit sa chute. « Je ne pouvais rien te donner, lui dit-il, mais je t'ai sauvé la vie. » Les animaux sont quelquefois plus re- connaissants que les hommes.

L'éléphant, la chamelle et l'écureil.

Une chamelle avait un petit qui se jeta en jouant sous les pattes d'un éléphant. Cette brute, sans même le voir, l'écrasa. La chamelle s'en fut trouver le lion, roi des animaux, et lui demanda de venger la mort de son petit. « Je ne puis me battre contre pareille masse de graisse », lui répondit le lion. Elle alla trouver le léopard, l'hyène et le chacal, mais aucun ne voulut l'aider. Elle s'en retourna chez elle, triste, lorsqu'elle croisa un écureil. « Qu'as-tu à pleurer ainsi ? lui demanda l'écureil. — L'éléphant a tué mon petit et personne ne peut le punir parce qu'il est trop fort. » Entendant cela, l'écureil bondit vers l'éléphant. Celui-ci le regarda arriver, méprisant : « Que viens-tu faire ici, toi qui n'es pas plus gros qu'une souris ? — Si tu n'as pas peur, accepte donc de te battre contre moi » répondit l'écureil. A ce mot, l'élé- phant se mit à rire en ouvrant sa grande bouche. Prompt comme l'éclair, l'écureil sauta dans sa bouche et se roula en boule au fond du gosier. L'éléphant tomba, étouffé, et mourut. Alors l'écureil sortit de la gorge, et se campa sur l'éléphant mort : « Est-il un pays où les bébés battent les hommes ? Un couteau peut-il couper la pierre à aiguiser ? Où le lion n'ose pas attaquer, un écureil a pu vaincre », proclama-t-il.

On raconte cette histoire aux enfants pour leur enseigner la bravoure.

Chant d'un guerrier issa :

« Je suis Samouth, frère de Hassen Farah Had, chef des Issas-Fourlaba. Je suis jeune. Je suis fort. J'ai entendu les chocs de la bataille. J'ai suivi les ravisseurs. Leurs campe- ments sont à Gagadé. J'ai veillé toute la nuit. Je suis resté à l'affût. Houmed Moussa, ce chien de Debné, est sorti. Je l'ai suivi. J'ai rampé. Je l'ai tué de ma lance. J'ai ouvert son

Page 36: AFARS ET SOMALIS - Numilog

ventre. Voici son couteau. Voici son fusil. Voici ses vête- ments . Voici ses bracelets. Il a tué quinze Issas. Je l 'ai tué. Je suis le plus fort. Ma t r ibu est la plus grande. Les hommes de m a t r ibu sont des guerriers . Le lait de mes trou- peaux m 'a donné le courage et la force. »

Chant d 'un guer r ie r a fa r :

« J 'ai fait la guerre dans qua t r e villes. Je suis le b r a s droit du sultan. Sur le champ de batai l le m a présence fait t r emble r les ennemis. Je s t imule la foi guerr ière de mes hommes. J 'ai pa rcouru de vastes pays. De mes victimes, j 'a i r appo r t é ce qui faisait l 'orgueil. J 'ai b u leur sang. Sur m o n passage l 'eau des oueds rougit , les a rb res se r édu i sen t en cendres. Je n ' abandonne jamais le combat . Si mes pieds se refusent , m o n cheval m e porte. Si je n 'ai p lus de lance ni de fusil, m o n poignard me suffira (1). »

Chanson d ' a m o u r a f a r :

« Mon a m a n t e ressemble à la chamelle du Hara r , à la fou tah de soie d'Aden, au collier de Bella. Elle a les dents pointues, les gencives noires. Sa bouche a le goût du miel, ses yeux sont luisants. Ses j ambes sont droi tes comme la lance du bédouin. Son cou est aussi long que celui d 'une girafe. Elle marche aussi vite que la gazelle. Elle ne c ra in t pas les combats . A t ravers mille autres , j e la reconnais . » (1)

Proverbes afars :

« Si tu je t tes une montagne sur u n diable, il te renvoie un caillou ; si tu lui je t tes u n caillou, il te renvoie une montagne . »

(Les réact ions des mauvais génies sont imprévisibles.) « Si les vaches meuren t , c 'est la guerre ; s'il y a la guerre,

ce sont les hommes qui meurent . » « Si tu viens au pays des aveugles, fe rme u n œil. » « On f rappe les bêtes qui ma rchen t derr ière , a lors que

ce sont celles en tê te qui re fusent de marcher . »

(1) Mer Rouge, Afrique orientale, cité, p. 156.