diehl. théodora, impératrice de byzance. 1900

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    University of Ottawa

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    CHARLES DIEHL

    THODORAIMPRATRICEDE BYZANCEQuatrime ditiot

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    THEODORAIMPRATRICE DE BYZANCE

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    PARISIMPRIMERIE .1. DUMOULIN

    5, rue des Graiids-Augustiiis, 5

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    H?

    GH. DIEHLCurrespoadanl de l'Institut

    Charji de cours lu Faiult des lettres de l'Universit de Par

    THODORAIMPRATRICE DE BYZANCE

    PARISDITION H. PIAZZA ET C"EXJCNE REY. LIBRAIREs, BOULF.VARD DES ITALIENS, H 01

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    INTRODUCTION

    L'avenltire de Thodore, impratrice de Byzance, qui descoulisses de l'Hippodrome monta sur le trne des Csars, aeu le privilge en tout temps de piquer la curiosit et d'exciterl'imagination. De son vivant, sa prodigieuse fortune tonnasi fort les contemporains, que les badauds de Constantinopleinventrent pour l'expliquer les plus incroyables histoires,tout ce lot de commrages cjiue Procope, dans THistoireSecrte, a soigneusement ramasss pour la postrit. Aprssa mort, la lgende s'empara d'elle davantage encore :Orientaux et Occidentaux, Syriens, Byzantins et Slavesembellirent l'envi de dtails romanesques sa romanesquedestine ; et grce cette tapageuse renomme, de nos joursmme, seule parmi tant de princesses qui passrent sur letrne de Byzance, Thodora demeure connue et presquepopulaire.A Saint-Vital de Ravenne, dans l'abside solitaire o

    flamboient les mosaques d'or, plus d'un visiteur s'essaye dchiffrer l'nigme de son ple et immobile visage. AParis, o elle apparut, voil vingt ans, sur les planches dela Porte-Saint-Martin, o, hier encore, elle reparaissaitcomme en une apothose, elle pique galement la curiosit

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    b IXTRODUCTIOXdes articles et des auteurs dramatiques, des historiens etdes indiffrents mme. Jadis, raconte Procope assez sotte-ment, les honntes gensoe Constantinople s'cartaient d'elleavec soin quand ils la l'encontraient sur leur rouie, de peurde se souiller ce contact impur. Nous n'avons plus, en notresicle, les mmes craintes ni les mmes prjugs : le lgerparfum de scandale qui flotte autour de Thodora nousattirerait vers elle plutt. Elle a tent tour tour le pinceaud'un Benjamin Constant et d'un Clairin, hant l'imaginationcratrice d'un Sardou. sduit la fantaisie gniale d'une Sa-rah Bernhardt. Il n'y a pas longtemps, pour lafaire revivre nos yeux en un cadre digne d'elle, on prodiguait toutesles magnificences de la mise en scne la plus attentive etla plus somptueuse, et ce fut pendant huit jours un sujetde conversation trs parisien de discuter la vertu deThodora.

    Est-ce dire pourtant que nous connaissions trs exac-tement cette impratrice fameuse, en cpii tant de gensne voient qu'une illustre coureuse d'aventures? Et faut-ilcroire qu'elle serait, si elle pouvait parler, pleinementsatisfaite de certains traits un peu bien romanesquesdont on a, jadis comme aujourd'hui, orn trop souventson portrait? Je n'en suis pas entirement assur. Il y adeux Thodora, celle de /'Histoire Secrte, et celle de l'his-toire, sans pithte. La premire est la plus connue, et sona}'enture, bien prendre les choses, est banale, pour peuqu'on lui retire cette grandeur de perversit presque pique,dont Procope l'a entoure : histoire de danseuse qui, ayantbeaucoup vcu, a cherch un tablissement durable, etayrnit trouv un homme srieu.T, s'est range dans le mariageet dans la dvotion. Cette Thodora. rhe: Ludovic Halvy,s'appelle Virginie Cardinal. Il y en a une autre, que l'on

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    INTRODUCTIOX /connat moins, et qui est tout mUvement uitressante etcurieuse ; une grande impratrice, cjui tint aux cts deJustinien une place considrabte et qui joua souvent dansle gouvernement un rle dcisif, une femme d'esprit sup-rieur, d'intelligence rare, de volont nergique, une craturedespotique et hautaine, violente et passionne, compliqueet souvent dconcertante, mais sduisante toujours infini-ment.

    Cette remarque faite, j'ai tuile d'ajouter qu'e je n'-prouve, on le peut croire, nul dsir, trop voisin du para-doxe, de peindre ici, contre toute vraisemblance, Thodoratrs honnte et trs vertueuse. J'ai fait, on le verra, tout enles accompagnant des rserves ncessaires, large place ence livre aux anecdotes pittoresques de THistoire Secrte,et je suis si loin de leur refuser crdit, cpi'il me sembleau contraire qu'on peut de leur attentive tude dgager,plus compltement qu'on ne l'a fait encore, la psycho-logie de Thodora au temps de son orageuse jeunesse.Mais il faut bien se rendre compte qu'il n'y a pas que/'Histoire Secrte. On a, en ces dernires annes surtout,retrouv d'autres documents, assez nouveaux, qui permet-tent de dessiner plus pleinement la figure de la clbresouveraine. Outre la biographie, rcemment dcouverte,qu'un pieux moine du neuvime sicle crivit de Thodore,abb de Chora, qui fut le propre oncle de Thodora, lesVies des bienheureux Orientaux, que raconta l'crs lemilieu du sixime sicle un des familiers de l'impra-trice, l'vque Jean d'Ephse, des fragments indits dela grande Histoire ecclsiastique compose par le mmeauteur, la chronique anonyme mise sous le nom de Zachariede Mytilne, d'autres ouvrages, et pareillement contempo-rains, comme les biographies du patriarche Svre et de

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    INTRODUCTION 9Ce n'est point en un mot le roman de Tftodora que j'aivoulu conter : d'autres l'ont fait, et fort brillamment. Maiseu tchant de reconstituer les milieu.r successifs o ellevcut, l'Hippodrome turbulent o se passa son orageusejeunesse, le Palais crmonieux et magnificpie on rgna sonambitieuse maturit, l'Eglise pittoresque et trouble dont lesouci l'occupa jusqu' sa pieuse mort, en esquissant lesfigures des personnages principaux qui vcurent autourd'elle, de son mari Justinien, de ses favoris Pierre Bctrsymsou Narss, de sa confidente Antonine, de ses adversairesJean de Cappadoce ou Blisaire. de ses protgs Anthimeou Svre, Jean l'Egyptien ou Jacrjues Barade, il m'asembl qu'on pouvait faire revivre, dans son cadre vraiet sa ralit historique, l'nigmaticiue et complexe cratureque fut Thodora.

    Sans doute, dans cette trange existence de danseusepasse impratrice, dans ce caractre ondoyant et multi-forme de courtisane devenue, par son intelligence et par sonambition, le plus minent des hommes d'Etat, il subsisteratoujours une part d'inconnu et de mystre, etje ne me flattepoint d'avoir rsolu toutes les incertitudes et dissip toutesles obscurits. Mais, quoi qu'il en soit, la femme vraimentsuprieure qui, aprs avoir su charmer le peuple etconqurir Justinien, rgna pendant vingt ans en matressesur Byzance, mritait d'tre connue autrement et mieux quepar des commrages de pamphltaire ou de contestableslgendes, nes d'une trop tapageuse clbrit. Non que jeveuille, encore une fois, tenter ici une rhabilitation deThodora. C'est l, en histoire, une entreprise oh il entretoujours quelque part d'erreur e( de ridicule. Et aussi bien,telle quelle fut, actrice applaudie, courtisane fameuse,avant d'tre la souveraine absolue du plus grand empire de

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    10 INTHODUCTIONson temps, Thodora fait mieux sentir tout le pittoresqueattrait du monde si curieux o elle vcut, tout l'intrtDuissant que pourrait offrir, pour l'tude de cette socitdisparue, ce dont j'ai tent ici de donner un exemple : unesrie de portraits d'impratrices byzantines.

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    PREMIERE PARTIE

    HODORA LA DANSEUSE

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    PREMIERE PARTIE

    THODORA LA DANSEUSE

    I

    LES DBUTS DE THODORAVers les premires annes du sixime sicle,

    Thodora, mime et danseuse, remplissait Cons-tantinople de sa tapageuse clbrit.

    D'o elle sortait, on ne sait trop. Parmi leschroniqueurs postrieurs, d'aucuns la font natre Chypre, au pays passionn et brlant d'Aphro-dite ; d'autres, avec plus de vraisemblance, luidonnent la Syrie pour patrie. Quoi qu'il en soit,tout enfant elle vint Byzance avec les siens etc'est dans la capitale tumultueuse et corrompue

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    14 TIlODOnA LA DAXSKLSEde l'empire qu'elle grandit et fut leve. Mais,par un phnomne d'atavisme assez remarquable,toute sa vie elle garda l'empreinte et l'amour deson pays d'origine : tandis que Justinien, ndans les rudes montagnes de la haute Macdoine,tait profondment pntr de l'esprit romain,Thodora demeura toujours une pure Orientale,imbue de toutes les ides, de toutes les croyan-ces, de tous les prjugs de sa race.De quelle famille elle tait issue, on ne le

    sait gure mieux. La lgende, par une sorte derespect du rang imprial o elle s'leva, luifabriqua plus tard une gnalogie illustre, ou dumoins prsentable, et lui donna pour pre unsnateur bien pos et bien pensant. Au vrai, sanaissance paraitavoir t plus humble. Son pre,s'il en faut croire V Histoire Secrte, tait un pau-vre homme nomm Acacios, qui de sa professiontait gardien des ours l'amphithtre ; sa mretait une femme peu svre, comme il s'en trou-vait beaucoup dans ce monde assez ml descoulisses et du cirque. De ce mnage d'artistes,trois fdles naquirent : Comito, Thodora, Anas-tasie ; la seconde, la future impratrice, vint aumonde probablement vers l'an 500 environ.

    Les vieux habitus de l'Hippodrome se souve-naient encore des circonstances o, pour la pre

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    LES DBUTS DE THKODORA 15miie iois, Thodora parut en public. Acaciostait mort, laissant en grande dtresse sa veuveet ses trois filles, dont l'ane n'avait pas sept ans.Pour conserver l'emploi du dfunt, seul gagne-pain de la famille, la mre ne vit d'autre moyenque de se mettre avec un autre homme qui,recueillant la succession du gardien des ours,prendrait soin tout ensemble de la maisonneet des animaux. Mais, pour que la combinaisonrusst, il fallait l'agrment d'Astrios, le rgis-seur en chef de la faction verte et Astrios avaitreu de l'argent pour favoriser un autre candi-dat. Pour triompher de cette mauvaise volontvidente, la mre de Thodora se flatta d'int-resser le peuple sa cause, et un jour que lamultitude tait rassemble au cirque, elle parutdans l'arne poussant devant elle ses trois fil-lettes couronnes de fleurs, et qui tendaient versla foule leurs petites mains suppliantes.Les Vertsne firent que rire de cette touchante prire ;heureusement l'autre faction du cirque, celledes Bleus, toujours empresse faire pice sesadversaires, se hta d'accueillir la requte queceux-ci repoussaient, et d'accorder la familled'Acacios un emploi pareil celui qu'elle per-dait. Tel fut le premier contact de Thodoraavec ce peuple qu'elle devait plus tard charmer.

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    16 THODORA LA DAXSF.USF.puis gouverner : jamais elle n'en perdit la m-moire, et l'impratrice fit durement expier auxVerts l'injurieuse indiffrence avec laquelle ilsavaient jadis repouss ses supplications d'enfant.

    Ainsi Thodora grandit, avec ses surs, sousla surveillance d'une mre assez dpourvue descrupules, dans le monde assez interlope quifrquentait les coulisses de l'Hippodrome, etainsi elle se trouva tout naturellement prpare sa future destine. La veuve d'Acacios, femmepratique, voyant ses filles jolies, successivementles poussa au thtre. Comito donna l'exempleet russit brillamment ; Thodora suivit. Debonne heure elle accompagna sa grande sursur les planches, jouant auprs d'elle des rlasde petite femme de chambre ; elle l'accompagnasurtout dans les runions mondaines, o l'onapprciait fort la beaut de l'actrice ; et mleainsi trs jeune une socit de viveurs fortcorrompus, elle subit, dans la promiscuit desantichambres, bien des contacts impurs et d'in-discrtes familiarits. Quand elle fut son touren ge de monter sur la scne, elle cherchadonc logiquement la fortune l o le reste de safamille l'avait rencontre.

    Elle tait fort jolie. Ses pangyristes affirmentqu'elle tait d'une beaut souveraine, si rare que

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    LES DBUtS DE THEODOUA 17ni les paroles ni les uvres d'art ne la sauraientpleinement exprimer. Ses dtracteurs mmesreconnaissent quelle tait, dans sa petite taille,d'une grce incomparable, et que son charmantvisage, au teint mat un peu ple, s'clairait degrands yeux pleins d'expression, de vivacit etde flamme. De ce charme tout-puissant par oelle devait faire tant de conqutes, il reste bienpeu de chose dans le portrait oHiciel qu'on voit Saint-Vital de Ravenne. Sous le lono- manteauimprial, la stature parat plus rigide et plushaute ; sous le lourd diadme qui cache le front,sous la perruque pesante qui laisse peine devi-ner les cheveux noirs, le visage menu, dlicat,avec son ovale un peu amaigri, son gr-and nezdroit et mince, a une gravit solennelle, presquemlancolique ; un trait seul subsiste dans cettefigure fltrie : ce sont, sous la barre sombre dessourcils qui se joignent, les beaux yeux noirsdont parle Procope, qui illuminent encore etsemblent manger le visaoe. Si l'on veut doncaujourd'hui se faire quelque ide de ce qu'-tait en son clat cette beaut clbre, c'estailleurs plutt qu'il faudrait regarder, vers cesportraits o tels peintres modernes, un Clairin,un Benjamin Constant surtout, ont tent de fairerevivre l'image vanouie deThodora et, sinspi-

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    18 THEODOUA LA DANSEUSErant heureusement de la mosaque de Ravenne,ont rendu la froide et immobile figure quelquechose du charme disparu.Mais Thodora avait pour elle autre chose en-core que sa beaut. Elle tait intelligente, spi-rituelle, amusante ; elle avait une verve de cabo-tine, qu'elle exerait volontiers aux dpens desactrices qui jouaient avec elle, un tour d'espritplaisant et drle, par lequel elle s'attachaitinvinciblement les plus volages de ses adorateurs.Elle n'tait point toujours bonne, et son humeurrailleuse ne reculait point devant le mot dur, silfaisait rire ; mais elle savait aussi, quand ellevoulait plaire, dployer une irrsistible puis-sance de sduction. Avec cela, entreprenante,audacieuse, effronte, elle n'attendait pas queles hommages vinssent h elle, mais elle mettait les provoquer ou les encourager une hardiessedlure et joyeuse ; comme elle avait enfinpeu de sens moral on voit mal au reste o ellelet appris et par-dessus tout un rare etinfatigable temprament d'amoureuse, pour tou-tes ces raisons, elle russit promptement, etailleurs encore qu'au thtre.

    Elle fut donc actrice; mais elle ne voulut point,comme tant d'autres, tre joueuse de flte, chan-teuse ou danseuse; elle aima mieux figurer dans

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    20 THODORA LA DANSEUSEesquissait dans les coulisses, en costume fortlger, des faons de danse du ventre devantses camarades et ses familiers merveills, et elletait trs fre de la maestria qu'elle apportait cet exercice. Tantt, dans le relchement desfins de souper, elle risquait d'invraisemblablespropos et des attitudes plus invraisemblablesencore, et il faudrait ici le grec de Procopepour dire quelle fougue ingnieuse et savanteelle portait dans ses plaisirs, bienveillante toutvenant, matres ou domestiques, et n'hsitantpoint descendre l'office quand on tait un peufatigu au salon. Elle avait, a dit d'elle un histo-rien byzantin, l'esprit curieux et fertile en inven-tions : les anecdotes de VHistoire Secrfc mon-treraient, si on les pouvait conter en dtail, quecette rputation tait amplement justifie. II suf-fira de dire que, s'il fallait prendre la lettreces commrages, Messaline serait, auprs deThodora, une personne d'exigences modesteset de murs presque recommandables, et d'ajou-ter qu' ces jeux-l Thodora fut bientt si par-faitement compromise, que les honntes gens quila croisaient dans la rue s'cartaient d'elle, depeur de se souiller ce contact impur, et que leseul fait de la rencontrer tait considr commeun mauvais prsage.

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    LES DEBUTS DE THEODORA 21Je ne sais si Thodora s'inquitait beaucoup

    de l'opinion publique : mais courir ainsi lesaventures, elle prouva d'autres dsagrmentsqui lui furent plus sensibles. Malgr l'attentionqu'elle apportait viter un si fcheux accident,il lui arriva dtre enceinte, et toutes les tenta-tives qu'elle fit pour se dbarrasser avant termede sa malencontreuse progniture demeurrentsans effet. Elle eut donc un fils, qui fut appelJean; mais cet enfant gnant elle fit un si froidaccueil, elle se plaignit si vivement des entravesqu'il allait apporter sa carrire, que le prejugea peu prudent de lui en confier le soin : etcomme ce moment mme il tait oblig de par-tir pour l'Arabie, soit comme fonctionnaire, soitpour d'autres motifs, il aima mieux emmener sonfils que de le laisser Thodora. L'enfant devaitplus tard reparatre et causer l'impratricequelques ennuis; pour le moment, la courtisanefut ravie d'en tre dlivre. La leon pourtantne lui profita gure : nous savons avec certitudequ'elle eut encore une fille, dont elle parat aureste s'tre occupe avec plus de sollicitude.

    C'tait vers 517. Au moment oi, par sa beaut,son esprit, son entrain au plaisir, elle tait deve-nue l'une des toiles du demi-monde byzantin,Thodora n'avait pas dix-huit ans.

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    24 THEODOhA La DANSEtSsollicitations, beaucoup de femmes^ esclaves oulibres, cdaient, et dsormais prisonnires deleurs corrupteurs, souvent mme engages parcontrat ne point quitter le mtier auquel elless'taient condamnes, elles remplissaient Byzancede leurs scandales et de leur impudicit. Ce n'estpas tout. Les murs infmes, les vices contrenature, se maniiestaient presque en plein jour:Constantinople rappelait Sodome. Les mespieuses, qui craignaient la juste colre de Dieu,ne s'inquitaient pas moins de l'impit, desblasphmes et de la fureur du jeu. On jouaitpartout, jour et nuit, dans les lieux publics etprivs ; des parties normes s'engagaient, os'engloutissaient des fortunes, et le mal tait siuniversel que les gens d'Eglise eux-mmes entaient atteints. Des prtres frquentaient lesmaisons de jeux, jetant des regards cupides surles sous d'or qui roulaient, souillant en des con-tacts impurs leurs mains, leurs yeux et leursoreilles. Mais l'Hippodrome surtout et le thtretaient la grande cole de corruption.

    Il faut, disait Justinien, des spectacles pouramuser le peuple. L'un des grands soucis dugouvernement tait donc de fournir, par l'clatdes pompes et des ftes, un perptuel aliment la curiosit populaire. Courses de chars, chasses

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    26 THEODORA LA DANSEUSEmain, ne s'est plus pleinement que les Byzantinsdu sixime sicle intress aux choses de l'Hippo-drome. Les cochers vainqueurs sont les rois dujour : l'empereur en personne se fait gloire deles complimenter ; l'administration leur lvedes statues, les beaux esprits de la capitale s'in-gnient h clbrer en petits vers leurs mritesclatants ; les gens les plus grave? dclarent quesans eux la vie serait sans joie ; la multitude sepassionne et se partage selon la couleur de leurcasaque. Verts et Bleus se sont, pendant dessicles, injuris et battus en leur honneur, commes'il s'tait agi de sauver la patrie en danger.On conoit quel personnel innombrable taitncessaire pour la clbration de ces jeux. Ilfallait des potes pour composer les vers qu'encertains jours les factions chantaient en l'hon-neur de l'empereur, des nilistes pour les mettreeu musique, des organistes pour les accompa-gner, des chefs d'orchestre pour les faire excuter ;il fallait des employs pour maintenir l'ordre dansle cirque, des gardes des barrires pour les abaisser au dpart, des prposs au vestiaire qui veil-laient la conservation des casaques et des cou-ronnes d'or des cochers ; il fallait des danseurs,des mimes, des acrobates, des saltimbanques pourles intermdes, des gardiens d'curies, dos gar-

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    LE SPOHT ET l'hIPPODROME A BYZANCE 27diens des btes, des costumiers et des habilleu-ses ; il fallait enfin et surtout des cochers. Toutun peuple grouillait dans les coulisses et auxalentours de l'Hippodrome, compagnie naturel-lement fort mle, o se glissaient nombre d'a-venturiers et de viveurs, dans l'espoir de trouverl quelque occasion de plaisir ou de profit. Etcomme la meilleure socit de la capitale tenaith honneur d'appartenir l'une ou l'autre desdeux grandes socits, sortes de Jockeij-Chih,qui avaient pour but d'organiser les courses, lemonde le plus lgant se rencontrait aussi dansles coulisses du cirque, trangement confonduavec cette foule interlope de cochers, de clo^vns,de souteneurs et de prostitues.

    Le cirque tait l'ordinaire objet des conver-sations mondaines : tout Constantinople s'entre-tenait du cocher favori, de l'actrice la mode, etpariait sur les prochaines courses. Les gens lesplus srieux ne ddaignaient pas de discutersur l'origine des jeux et des couleurs que por-taient les cochers, d'en rechercher le sens sym-bolique, de dterminer la signification proph-tique qu'avait lu victoire de chaque parti. Chacunsavait que, le vert signifiant la terre, le triomphede cette couleur prsageait une anne fertile, etque le bleu symbolisant la mer, le succs de cette

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    28 THKODORA LA DAXSEUSEcouleur aiiBonait des navigations paisibles : etnaturellement, les agriculteurs tenaient pour levert, les marins pour le bleu.

    Le cirque donnait le ton la mode. Les jeuneslgants qui taient les habitus de l'Hippo-drome avaient, pour se distinguer du commun,adopt, comme chez "nous les muscadins du Di-rectoire, un costume particulier et des faonsexcentriques. Ils portaient, h la manire desPerses, la barbe entire et les moustaches trslongues ; comme les Huns, ils rasaient leurscheveux sur le devant de la tte et les laissaientpar derrire retomber en longues boucles surles paules. Ils arboraient des tuniques auxmanches trs troites sur le poignet, largementbouffantes aux paules, se flattant de donnerainsi, lorsque au thtre ou au cirque ils levaientles bras pour applaudir, l'illusion de robustesbiceps et de doubles muscles vigoureux ; ilss'habillaient de braies et de chaussures lafaon hunnique, d'amples manteaux richementbrods ; et ainsi accommods, portant laceinturede courtes pes h deux tranchants, ils couraientConstantinople la nuit, attaquant et molestantles passants paisibles, les dpouillant de leursbijoux et de leurs vtements, et parfois les as-sassinant, quand ils faisaient mine de vouloir se

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    LE SPOIiT ET l'hippodrome A IJYZANCE 29plaindre. Le parti l)leu, bien en cour depuis lamort de l'empereur Anastase et l'avnementd'une nouvelle dynastie, avait le premier mis la mode ces aimables amusements : et commeni la police ni la justice n'taient intervenuespour arrter des mfaits dont les Verts, adver-saires du gouvernement, taient gnralementles victimes, l'impunit assure aux coupablesavait enflamm l'ardeur de tout ce qu'il y avaitde coupeurs de bourses et de malandrins dansles bas-fonds de la capitale ; et comme enfin lesVerts, sans cesse malmens et nullement prot-gs, organisrent leur tour des bandes pourse dfendre, l'ordre et la scurit disparurentbien vite de Constantinople.

    Bientt les gens tranquilles n'osrent plussortir la nuit ; les gens riches, pour viter d'treattaqus, ne portrent plus que des vtements depauvres et des bijoux de pacotille. Cependant laterreur rgnait. On ne s'inquitait plus mainte-nant si l'on avait affaire aux Verts ou aux Bleus :les dbiteurs profitaient du dsordre pour sefaire donner quittance par leurs cranciers, lesesclaves pour se faire affranchir par leurs matres,les fils pour soutirer de l'argent leurs pres,les amants pour enlever leurs matresses, lesviveurs pour satisfaire leurs caprices. Avait-on

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    30 THODORA LA DANSEUSEquelque ennemi, aisment on trouvait pour s'endbarrasser des meurtriers gages ; on tuait desgens jusque dans les glises, au milieu del'ofTice, plus d'une fois sans mme savoir pour-quoi ; abattre d'un seul coup un homme sansdfense tait devenu un sport fort goit et passaitpour une preuve de force et de courage. Et commela police, quand elle se dcidait agir, ne frap-pait jamais que les Verts, comme les juges,tremblant pour leur vie s'ils ngligeaient lesordres des factions, en oubliaient toute quit,naturellement les incidents s'aggravaient chaquejour. Un jour, l'une des chelles de Byzance,une jeune femme s'embarquait avec son maripour passer sur la cte d'Asie ; quelques jeunesgens, la trouvant jolie, se mirent h sa poursuiteet, l'ayant rejointe, l'obligrent de force passerdans leur barque. Vainement le mari protestait,on lui rpondit par des hues. Pour sauver sonhonneur, la malheureuse n'eut d'autre ressourceque de se jeter au Bosphore, sous les yeux deson poux impuissant et dsespr : elle s'y noya.Plus d'une dut recourir des partis aussi tragi-ques, sans que jamais les survivants pussentobtenir justice.

    C'est qu'il fallait un rel courage aux fonction-naires pour agir contre des coupables, que prot-

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    32 THODORA LA DANSEUSEbler l'quilibre intellectuel et moral de la capi-tale. Un jour, la porte d'Or, une femme, saisiedu dlire prophtique, annonait qu'avant troisjours la mer, sortant de ses limites, allait noyerl'univers sous un nouveau dluge ; et la foule,saisie de panique, se ruait dans les glises, etprosterne au pied des autels, attendait conster-ne la terrible catastrophe. D'autres fois, desastrologues lisaient dans les cieux d'imminentscataclysmes; des devins gars couraient par lesrues, comme poursuivis par d'invisibles fantmes,et rvlaient aux passants pouvants que la findu monde tait proche. Et le peuple tremblant,croyant en leurs paroles, remplissait les basili-ques de ses prires et de ses lamentations. Lesuns entraient au couvent, renonaient leur for-tune et leurs dignits ; d'autres offraient leursbiens aux glises et se dpensaient eu uvres decharit ; chacun voulait mourir en tat de grce,et le dsarroi durait parfois des semaines, sansque l'empereur trouvt moyen de calmer uneterreur qu'il partageait. Les gens raisonnables, la vrit, estimaient qu'on aurait d, sans autreforme de procs, arrter ces agitateurs qui trou-blaient la capitale de leurs impostures ; mais lasuperstition tait profonde, la Crdulit univer-selle.

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    LE SPORT ET l'hIPPODROME A BYZAXCE 33Les femmes, naturellement, taient particuli-

    rement accessibles au merveilleux. Pour retenirleurs maris ou s'attacher leurs amants, ellesavaient moins confiance dans leur beaut ou leursduction que dans les philtres et les incantationsmagiques. En cela, comme pour le reste, Tho-dora tait de son temps : avec ses bonnes amiesIndaro et Chrysomallo, elle prparait des char-mes, des boissons merveilleuses, qui devaientlui assurer sur ses adorateurs un ternel et dia-bolique pouvoir ; elle croyait aux dmons, auxmagiciens, aux diseurs de bonne aventure, auxinterprtes de songes ; et, confiante dans l'avenir,elle attendait sa destine.

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    III

    LES AVENTURES DE THEODORA

    Thodora aimait le plaisir ; elle aimait l'argentaussi. Elle avait ramass dj une assez bellefortune, quand il lui advint une fcheuse aven-ture. Elle avait pour amant un Syrien du nomd'Hcbolos, employ dans les services de l'ad-ministration impriale. Ce personnage, assezconsidrable, fut nomm au gouvernement de laPentapole d'Afrique : Thodora se rsolut l'accompagner dans sa province lointaine ; dsce moment sans doute elle tait lasse des liaisonspassagres et cherchait un tablissement plusdurable. Malheureusement le roman dura peu :bien vite, on ne sait pour quelle cause, les amantsse brouillrent ; brutalement, avec force injures,

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    36 THl'ODORA LA DAXSKUSEHcbolos chassa Thodora, et sans argent, man-quant du ncessaire, la malheureuse dut, pendantquelque temps,, dit-on, traner la misre tra-vers tout l'Orient. On la vit Alexandrie, An-tioche, ailleurs encore, exerant partout, pourvivre, son triste et lucratif mtier : comme si,dit Procope avec une prudhommesque et navegravit, le diable avait voulu que nul lieu dumonde n'ignort Timpudicit de Thodora. C'taitenviron vers 521.

    Il semble bien que le sjour assez long queThodora fit alors en Egypte et en Syrie eutdans sa vie une importance assez diffrente etplus considrable.A ce moment, Alexandrie n'tait pas seule-ment une grande ville de commerce, dont lesmarchands allaient jusqu' Ceylan chercher lessoies de la Chine, les pices et les pierreriesde l'Inde, un entrept colossal d'o se rpan-daient par toute la INlditerrane les bls de lavalle du Nil et les produits du Levant. Ce n'-tait pas seulement une cit lgante et riche,facile et corrompue, terre d'lection des courti-sanes fameuses, des Thas et des Chrysis. De-puis le quatrime sicle, la capitale de l'Egyptetait une des capitales aussi du christianisme.Nulle part les luttes religieuses n'taient plus

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    LES AVENTUnES DE THEODORA 37pres, les disputes thologiques plus subtileset plus ardentes, le fanatisme plus excit ; nullepart non plus le souvenir des grands fondateursde la vie cnobitique, des Antoine, des Pacme,des Schnoudi, des Srapion, n'avait produit uneplus riche floraison de couvents, de mystiques etd'asctes. La banlieue d'Alexandrie tait peuplede monastres, le dsert de Lybie tait si pleinde solitaires qu'il mritait d'tre appel ledsert des saints .Au moment o Thodora y passa, l'Egypte

    tait plus trouble que jamais. C'tait le tempso l'empereur Justin, dsireux de rtablir l'u-nion avec Rome, avait dchan en Syrie la plusatroce des perscutions-. Tous ceux qiii refu-saient de souscrire aux croyances orthodoxesproclames par le concile de Chalcdoine, tousceux qui, l'exemple d'Eutychs, n'admettaienten Jsus qu'une seule nature, on les nommaitpour cette raison les monophysites, avaientt frapps impitoyablement. Les chefs les plusillustres de la secte. Svre, le patriarche d'Antio-che, Julien d'Halicarnasse, Jean de Telia, Pierred'Apame, plus de cinquante autres vques,avaient t chasss de leurs siges, anathmati-ss, exils : les communauts monastiques deSyrie avaient t disperses par la force, les

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    38 THODOnA LA DANSEUSEcouvents ferms, les moines rduits ii fuir, vio-lents, emprisonns ou massacrs. Beaucoup deces victimes avaient cherch un asile en Egypte,o le patriarche Timothe, confiant dans sonarme de moines fanatiques et dvous, demeu-rait obstinment fidle la doctrine monophy-site ; et d'Alexandrie, o il s'tait rfugi, S-vre, l'homme le plus remarquable du parti, lerocher du Christ, comme le nomment ses contem-porains, le gardien inbranlable de la vraie foi ,entretenait, par la fougue de ses prdicationset l'ardeur de sa propagande, une agitationpuissante dans tout le monde oriental.Dans les cavernes de la montagne libyque,dans les couvents perdus au milieu du dsert,des hommes de haute naissance, des femmeslgantes et dlicates, enflamms d'un mystiqueet puissant dsir de solitude, de renoncement etd'asctisme, venaient chercher par centaines lesalut et l'oubli. Le bienheureux Thomas appar-tenait une illustre famille ; il avait t levcomme un enfant de roi ; il avait de grandsbiens, des richesses, des serviteurs en foule ; iltait, dit le naf chroniqueur qui a clbr sasaintet, si magnifique et si ami du faste queplus de dix fois par jour il se lavait le visage etles mains. Quand le vent de la perscution souf-

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    LES AVENTUnES DE THEODORA 39fla sur la Syrie, il suivit en Egypte Maras, lesaint vque d'Amida ; pour vivre, ce grandseigneur travailla de ses mains, tressant avecdes feuilles de palmier des corbeilles qu'il ven-dait ; pour faire son salut, cet lgant voulutmourir au monde, et dans la caverne qu'il choi-sit pour retraite, il vcut des annes, mortifiantsa chair, priant sans cesse et pleurant ses pchs.

    A la fin, son corps tait noir, brl par lesoleil, et comme dessch ; de longs cheveux endsordre hrissaient sa tte ; des haillons sordi-des le couvraient; ses amis eux-mmes le recon-naissaient peine. Mais Thomas tait heureux : Qu'importe, disait-il, la ruine de ce corpsprissable, pourvu que l'me, souille de tant depchs, chappe ce prix au feu ternel.

    C.iesaria la patricienne tait, elle aussi, degrande race, apparente la famille de l'empe-reur Anastase. Elle aussi avait abandonn samaison et ses biens pour aller h Alexandrie vivredans la retraite, et cette femme leve dans leluxe et la splendeur difiait tout le monde parsa pit et ses austrits. Elle s'abstenait mmede manger du pain, se contentant et encoretous les deux jours de quelques lgumesgrossirement assaisonns de sel et de vinai-gre, et de quelques grappes de raisin ; elle

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    40 THODORA LA DAXSEUSEcouchait dans un sac, tendue sur la terre nue.Les prtres eux-mmes blmaient l'excs de sesmacrations et l'engageaient ajouter parfois, ledimanche, un peu d'huile ses aliments ; ils luifaisaient craindre que la maladie ne la rendttrop tt incapable de remplir ses devoirs reli-gieux. Mais Casaria rpondait : Je voudraisque Dieu me donnt d'tre, durant ma vie en-tire, malade dans mon corps, pourvu que monme ft sauve ; et elle s'obstinait dans la p-nitence. Fort instruite, elle lisait jour et nuit lescrits des Pres, et volontiers elle discutait surles questions de morale et de dogme, trs hum-ble devant les plus modestes moines, avide de re-cevoir de leur bouche l'cho del parole divine.Mais surtout, elle aspirait fuir le monde, vivre au dsert, et elle tait toute triste lorsqueses conseillers lui objectaient son ge et sa fai-blesse. Et pendant quinze ans elle difia Alexan-drie par sa pit, ses uvres charitables, sonhumilit ; dans le monastre qu'elle avait fond,elle voulut tre la dernire des surs, donnant toutes l'exemple de la modestie et de la soumis-sion.

    Beaucoup d'autres vivaient ainsi. Maras le soli-taire s'tait de bonne heure entran l'asctisme,jenant, veillant, priant sans cesse, accordant

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    LES AVENTURES DE THODOHA 41 la nature une heure peine ou deux de repos.Quand la neige atteignait presque la hauteurd'un homme, il s'en allait, les pieds nus, couperdu bois sur la montagne et on pouvait le suivreaux traces du sang qui coulait de ses blessures.Finalement, pour chapper aux reprsentationsdes siens, il s'en vint en Egypte et se mettant l'cole des plus illustres solitaires, l encore ilexcita par la sublimit de ses murs l'admirationuniverselle. Mais les femmes surtout taient in-comparables. La bienheureuse Suzanne refusaitles aliments les plus communs, demandant qu'onlui apportt seulement une cruche d'eau tousles dimanches et tous les deux jours un peu depain, et elle passait des annes au dsert, soute-nant contre les dmons des luttes formidables,et toujours victorieuse, ce point que les dia-bles criaient qu'elle n'tait point une femme, etqu'elle avait une pierre au lieu de cur, du feren place de chair. Le visage toujours enveloppde voiles, qui laissaient peine voir le bout deson nez, elle ne voulait apercevoir nul visagehumain ni induire elle-mme personne en tenta-tion : elle disait ceux qui la venaient visiter lafaiblesse de la chair, la vanit du monde, lesmenaces du terrible jugement de Dieu ; elle gu-rissait les corps et rconfortait lsmes, exaltant

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    Li;S AVKXTIIES DK THEODOliA 43ses leons sans doute qu'elle prit cette connais-sance des questions religieuses dont elle devaitplus tard donner tant de preuves. En tout cas,elle garda toute sa vie au grand docteur mono-plvsite un fidle et respectueux attachement,une admiration sans bornes. Si de bonne heureelle apparut comme la protectrice naturelle desdissidents perscuts, comme l'impratricesuscite par Dieu, selon le mot d'un contempo-rain, pour soutenir les alHigs contre les rigueursde la tempte ; si elle mit ouvertement soncrdit au service de Svre et de ses amis, lesrecevant au palais^ favorisant leur propagande,s'efforant d'imposer leurs ides Justinien ; sielle se jeta avec tant d'ardeur dans les contro-verses thologiques de son temps, ce ne fut pointseulement, on le verra, par esprit politique, parun sens trs juste et trs fin des ncessits dugouvernement ; ce fut sans doute aussi par unsouvenir de la crise religieuse qu'elle avait tra-verse Alexandrie, par une tendre reconnais-sance pour les hommes qui avaient accueilli,instruit, relev la courtisane perdue.

    Mais Thodora tait femme, partant mobileautant que passionne ; elle tait ambitieuseaussi, avide de refaire sa situation et sa fortune.A Antioche, o elle alla en quittant l'Egypte,

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    44 THIiODORA L\ DANSEUSEdans la erande ville svi'ienne o le ot des ftes,ramoiir du luxe et du bien-tre, les rivalits in-cessantes du cirque et du thtre formaient letrain ordinaire de la vie, elle semble avoir fr-quent moins les glises que les coulisses del'Hippodrome, et la compagnie des prtres moinsque la socit des diseuses de bonne aventure.Une danseuse, Macdonia, appartenant commeelle la faction des Bleus, s'intressa elle, con-sola sa dtresse, lui promit pour l'avenir debrillantes destines. Doucement, Thodora selaissait bercer ces esprances : et la nuit ellervait que, revenue a Constantinople, elle allaitdevenir la favorite du prince des dmons, qu ellerussissait se faire pouser par lui, et qu'ellepossderait dsormais toutes les richesses dumonde.

    La bonne INIacdonia connaissait, parat-il,Justinien, et, avant eu l'occasion de lui rendredes services, elle avait la cour quelque crdit.En usa-t-elle pour recommander l'hritier pr-somptif de l'empire son amie Thodora? Je nesais. Il semble en tout cas qu'en rentrant By-zance, sur le thtre de ses premiers exploits,Thodora, assagie, mrie, lasse de sa vie erranteet de ses folles aventures, dsireuse aussi peut-tre de se fixer en quelque tablissement dli-

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    LKS AVENTURES DE THEODOR.V 43nitif, s'appliqua, sincrement ou non, menerla vie la plus retire et la plus chaste. Une tra-dition, qui au onzime sicle encore avait coursclans la capitale, aflfrme qu' son retour d'Asie,elle habitait, correcte et discrte, une modestepetite maison, gardant le logis et filant de lalaine, comme les matrones du bon vieux tempsromain. Lalgende ajoute que plus tard, devenueimpratrice, Thodora, loin de chercher faireoublier cette partie de sa vie, voulut au contraireen perptuer le souvenir. Sur l'emplacement duportique, o de ses mains elle avait lll pourvivre, de la maisonnette qui l'avait abrite hum-ble et pauvre, elle fit lever une glise en l'hon-neur de saint Pantlimon. Le nom de ce saintsignifie le misricordieux : il mritait ce titre, sic'est h sa protection que Thodora dut de ren-contrer Justinien.

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    IV

    THODORA ET JUSTIXIENAu moment o Justinien rencontra Thodora,

    vers l'an 522 sans doute, le futur matre del'empire tait un homme de trente-huit qua-rante ans. Avec son teint clair et fleuri, ses che-veux boucls et sa fine moustache qui dj com-menait grisonner, sa tournure lgante et sataille bien prise, il avait fort bonne mine ; sesfaons obligeantes, son ton aimable et doux, lagrce simple de son accueil achevaient de le ren-dre sympathique et sduisant. Il tait bien lev,fort riche ; en outre, grce l'intrigue de pa-lais qui avait mis son oncle Justin sur le trne,il tait ds ce momept l'un des premiers person-?

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    48 THODORA LA. DANSEUSEnages de l'Etat. Revtu des titres de comte etde patrice, commandant en chef des troupes quiformaient la garnison de Constantinople, il ve-nait d'occuper avec un extraordinaire clat lacharge de consul, et chaque jour la bienveillancedu souverain l'approchait davantage des mar-ches du trne. C'tait pour une Thodora unebelle conqute faire.Ambitieux et habile, Justinien semblait surtout

    occup pousser sa fortune. Il avait su, non sansquelque perfidie, carter les rivaux qui pouvaientgner sa route, et, non moins adroitement, seconcilier la faveur de toutes les classes de lasocit byzantine. Trs dvot, et svrementorthodoxe, il s'tait par le zle de sa pit faitbien venir de l'Eglise ; par son faste et ses prodi-o-alits, il tait l'idole de la multitude ; il plaisaitenfin au snat et l'aristocratie. Comme il avaitpar surcrot une relle exprience des affaires,une capacit de travail prodigieuse, un attentifsouci des choses de l'administration, son crdittait grand chez l'empereur, et il passait ajustetitre pour tre, bien plus que le vieux et mdiocresouverain, le chef vritable du gouvernement.Trs calme, trs matre de lui en apparence, devolont assez despotique, il semblait avoir l'espritmr, le caractre form. Cet homme srieux, ce

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    50 THODOnA LA DANSEUSEamoureux, ne refusa-t-il rien h ses exigences.Elle aimait l'aro^ent : il la combla de richesses.Elle tait friande d'honneurs et de considration :il obtint pour elle de la faiblesse de son oncle lahaute dignit de patricienne. Elle tait ambi-tieuse, avide d'influence : il se laissa gouvernerpar ses conseils, se fit le serviteur docile de sessympathies et de ses rancunes. De sa jeunessepasse l'Hippodrome, elle avait tenacementgard la haine du parti vert : Justinien, pour luiplaire, se fit, jusqu'au scandale mme, le protec-teur des Bleus. De ses voyages, de son sjour Alexandrie, elle avait conserv une tendre recon-naissance pour les monophysites perscuts :Justinien, pour lui plaire, consentit h relcherla rigueur de son orthodoxie et s'employa pourles dissidents.

    La liaison de l'hritier du trne tait bien viteen effet devenue publique. Bientt, en dehorsmme de la capitale, dans les contres lointainesde Syrie et d'Egypte, on apprit, avec quelquetonnement sans doute, que la petite courtisaned'autrefois, la pnitente deTimothe et de Svre,tait devenue patricienne et qu'elle tait la ma-tresse en titre de Justinien. Dans cet vnementinattendu, les mes pieuses n'hsitrent point voir la main de Dieu, dsireux de susciter son

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    O' THEODOnA LA DAXSEtSK faire juger la qualit crame et h apprcier lamoralit de Justinien. Ni le snat, ni l'arme, nil'Eglise ne firent entendre un mot de protesta-tion, et le peuple, qui se souvenait d'avoir ap-plaudi la comdienne, prodigua sans hsiter seshommages et sa tendresse la souveraine.

    Associe ds lors officiellement la vie del'hritier de l'empire, fort apprcie par le vieuxJustin qui semble l'avoir prise en grande affec-tion, Thodora se mla chaque jour plus hardi-ment des affaires publiques. Parmi bien des d-fauts, elle avait une qualit rare : elle demeuraitfidlement attache ;i ceux qu'elle aimait. Lesmonophysites en firent bientt l'exprience. Sen-tant ds ce moment le danger qu'il y avait pourla monarchie perptuer en Orient d'inutilesquerelles religieuses, habilement elle employason crdit prparer la fin de la perscution.Elle tait en relation avec le patriarche Svre,avec le grand prdicateur hrtique Jean deTelia ; elle se proccupait de connatre les hom-mes minents qui, dans les chrtients dissi-dentes, semblaient capables de prparer pourleurs frres un meilleur avenir. Parmi eux l'undes plus connus tait Jacques Barade, l'aptrefutur et le restaurateur de l'Eglise monophysitc.On vantait sa science, sa pit, l'austril de ses

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    THKODOU.V KT JLSTIXIEX 57sades de perles et de pierres prcieuses, quiretombaient sur ses paules en cascades blouis-santes, le diadme en tte, Thodora, parecomme une icne, partageait le triomphe de sonpoux ; et aprs avoir t avec lui solennellementcouronne dans la basilique, la nouvelle Augustavenait, selon l'usage des souveraines de By-zance, recevoir les acclamations du peuple danscet Hippodrome qui avait vu ses dbuts. Sonrve tait ralis.

    Lorsque, quelques mois plus tard, Justinmourut, le l^"" aot de l'anne 527, Justinien nerencontra nulle difficult h recueillir son hri-tage, et Thodora partagea le pouvoir avec lui.Pendant vingt et un ans, de 527 548, elle allaitrgner en souveraine matresse sur le plus belempire qu'il y e\U alors dans le monde civilis.

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    LA LEGENDE DE THEODOUA 61sur son compte? Comment, en cette scne inou-bliable de la sdition de 532, o le peuple soulevjeta la face de Justinien les plus sanglants ou-trages, n'entendit-on, ainsi qu'il ressort du pro-cs-verbal que nous avons conserv de ce prodi-gieux entretien entre le prince et ses sujets,aucun mot malsonnant l'adresse de Thodora?et comment enfin Justinien, que ses dtracteursmmes reprsentent comme un homme rflchiet matre de lui, et-il t, je ne dis pas prendrepour matresse, mais pouser publiquement unefemme dont chacun se dtournait dans la rue ?c'et t jouer sa popularit, compromettre toutesses chances de parvenir au trne : et il n'taitplus, quand il rencontra Thodora, un enfant,seul capable de pareilles imprudences.

    Si justes que soient en apparence ces remar-ques, et si fort que je me dfie des commragesde Procope, je ne me risquerais point pourtant vouloir trop blanchir celle qu'il a noircie sioutrageusement; et quoique, ds le siximesicle, il se soit rencontr des pangyristes qui,pour plaire Justinien, ont fait entrer sa femmetout droit au paradis, je craindrais de tomberdans le paradoxe la vouloir faire trop vertueuse.Il est fcheux (|Ue Jean, vque d'Ephse, quiapprocha et connut bien Thodora^ ait omis, par

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    62 THHODOIiA LA DANSEUSErespect pour les grands de la terre, de nous rap-porter au long les injures dont de pieux moines,gens de rude franchise, accablrent, ce qu'ilnous dit, plus d'une fois l'impratrice : du moinseit-il certain que, parmi les contemporains,d'autres encore que Procope trouvaient glosersur son compte et que les gens de l'entourageimprial, le secrtaire Priscus, le prfet Jean deCappadoce, savaient en elle des points faiblespar o l'on pouvait la frapper. Je ne sais si vrai-ment elle eut en sa jeunesse le fils que lui attribueProcope, et dont la naissance lui fut, parat-il,un si malencontreux accident : il est certain, entout cas, qu'elle avait une fille, et qui, incontes-tablement, n'tait point de Justinien, sans qued'ailleurs ce souvenir d'un pass un peu troublesemble avoir, si j'en juge par la fortune que fit la cour le fils de cette fille, beaucoup gn l'im-pratrice ou importun l'empereur. Certainstraits enfin de la psychologie de Thodora, lasollicitude qu'elle tmoigna aux pauvres fillesque, dans sa capitale, le besoin perdait plussouvent que le vice, les mesures qu'elle prit poursauver ces malheureuses et les affranchir, commedit un auteur du temps, du joug de leur hon-teux esclavage , la duret un peu mprisanteaussi qu'elle marqua toujours aux hommes, s'ac-

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    LA LGENDE DE THODORA 63cordent assez bien avec ce qu'on rapporte de sajeunesse. Et si l'on admet tout cela, qui est ind-niable, ne faut-il point se rsoudre ne pointrejeter en bloc tout ce que VHistoire Secrtenous a racont ?Assurment c'est un problme dlicat, et

    d'ailleurs malais rsoudre, de vouloir dter-miner jusqu'o Thodoa a pu tomber et queldegr d'infamie elle n'a point dpass. Deuxremarques peut-tre permettront pourtant d'ap-procher un peu plus de la vrit et d'expliquerquelques obscurits de cette histoire. L'une, c'estque beaucoup de choses, qui nous paraissent au-jourd'hui fort scandaleuses, semblaient aux gensdu sixime sicle infiniment moins rprhensi-bles. On lit dans un document officiel de l'poqueque de fort honntes personnes n'hsitaientpoint, par charit pure, dlivrer h prix d'or desmalheureuses enfermes dans des maisons lou-ches, et pouser ensuite en justes noces cesfemmes singulirement compromises, et il sem-ble bien que l'opinion publique tait plus porte admirer qu' blmer des actes dont l'intentiondlicate nous parat quelque peu excessive. Onconoit qu'en de telles conditions, Justinien aitpu pouser Thodora sans tonner beaucoup niscandaliser ses contemporains. Il est certain

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    LA. LKGKNDF DE THEODORA 65amours sans lendemain, et ayanttrouv l'hommesrieux qui lui assurait un tablissement durable,se rangea dans le mariage et la dvotion; uneaventurire, si l'on veut, mais intelligente, dis-crte, assez adroite pour sauver quelques appa-rences, et qui put se faire pouser, mme par unfutur empereur, sans scandale clatant.

    Quoi qu'il en soit, le coup de fortune qui mitThodora sur le trne frappa profondmentl'imagination populaire. Ds son vivant, sa prodi-gieuse destine tonna quelque peu ses contem-porains. Aprs sa mort, la lgende s'emparad'elle bien plus encore. Orientaux et Occidentaux,Syriens, Byzantins et Slaves illustrrent l'envide dtails romanesques sa romanesque destine,et ainsi se transmit jusqu' nous, embelli outransform d'ge en ge, tour tour indulgentou svre, le souvenir prestigieux de la femmede Justinien.Ds le neuvime sicle, la tradition byzantine

    clbrait, outre la beaut de son corps et lecharme de son visage, la puret de son me,l'excellence de ses murs, la puissance de sonintelligence, par o elle l'emportait sur toutesles jeunes filles de son temps ; et ne craignantpoint de la comparer la pieuse mre de Cons-tantin, la sainte et bienheureuse Hlne, elle

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    66 THODORA LA DANSEUSEvoyait en Thodora, comme crit un vnrablehagiographe, le rceptacle vritable de tous lesdons de Dieu . Pareillement les traditionsslaves des douzime et treizime sicles, noncontentes de vanter sa merveilleuse beaut,racontaient qu'elle avait t la plus distingue,la plus cultive, la plus savante des femmes.Les traditions syriennes taient plus flatteusesencore. Dans leur dsir d'exalter la grandeprotectrice de leur glise, les monophysites dudouzime sicle donnaient pour pre Tho-dora, au lieu du pauvre diable qui gardait lesours l'Hippodrome, un pieux vieillard, peut-tre un snateur, fort attach aux croyances desa secte, et ils ajoutaient que lorsque Justinien,attir par la rputation de beaut et d'intelligencede la jeune fille, vint demander sa main, ce bonpre ne consentit la marier l'hritier du trne,qu' la condition qu'on ne contraindrait jamaisThodora accepter les canons maudits du concilede Chalcdoine. Enfin, jusque dans les monas-tres lointains de l'Occident, se propagea l'chode sa tapageuse renomme. Le chroniqueurAimoin de Fleury, qui vivait au onzime sicle,rapporte que Justinien et Blisaire, jeunes tousdeux et lis d'troite amiti, rencontrrent unjour deux surs, Antonia et Antonina, issues

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    LA LEGENDE DE THKODORA 67 de la race des Amazones , et qui, devenuesprisonnires des Byzantins, avaient t rduites exercer dans une maison louche le plus dshon-nte mtier. Blisaire aima l'une, Justinien pritl'autre ; et celle-ci, qu'un prsage avait avertiedes destines futures de son amant, lui fit pro-mettre que si jamais il devenait empereur, ill'pouserait en justes noces. Puis la liaison serompit, non sans que Justinien et, comme gagede sa promesse, donn une bague Antonia. Desannes passrent, le prince devint empereur ; etun jour, aux portes du palais, on vit apparatre,demandant audience, une femme en riches atours,d'une incomparable beaut. Introduite devant lesouverain, Antonia n'en fut point d'abord recon-nue ; mais elle montra l'anneau, rappela les ser-ments d'autrefois et Justinien, ressaisi par lapassion d'antan, proclama sans plus tarder labelle amazone impratrice. Le peuple et le snat,ajoute le chroniqueur, furent quelque peu surprisde ce mariage impromptu ; des excutions firenttaire les mcontents et Antonia partagea sansconteste le trne de Justinien.

    Il est ais de reconnatre dans cette histoirel'aventure de Thodora, et l'on entrevoit par cesrcits tout ce que la prodigieuse fortune de l'im-pratrice dut inspirer de contes aux badauds

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    L'IMPRATRICE THODORAI

    LE PALAIS SACR DE BYZANGE

    A l'ouest de Sainte-Sophie, entre l'Hippodromeet la mer, sur le sommet et les pentes de la col-line qui s'abaisse jusqu'au rivage de Marmara,s'levait au sixime sicle le palais des empereursde Byzance. Ce n'tait point, comme nos moder-nes rsidences royales, un difice plus ou moinssomptueux, dveloppant sur quelque place pu-blique les lignes symtriques d'une pompeusefaade ; comme le Vieux Srail des sultans otto-mans, comme le Kremlin des tsars moscovites, le

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    LE PALAIS SACRK DM HYZAXCK yol'avait fait reconstruire, tait une merveille d'ar-chitecture savante et de somptueuse dcoration.Sous la haute coupole qui couvrait la rotonde, lesmarbres multicolores et les mosaques d'or m-laient leurs tons blouissants; sur le sol, les por-phyres, les jaspes, les serpentines, les onyx et lesnacres, s'enroulant en ingnieux replis, sem-blaient couvrir la terre de tapis prcieux, o desfleurs de pourpre taient semes dans l'paisseurdes gazons; sur les murailles, de grands tableauxde mosaques reprsentaient les victoires imp-riales, les gnraux prsentant au basileus les roisvaincus et les trsors conquis, et parmi les cour-tisans et les snateurs en habit de fte, adorantleur matre comme un dieu, Thodora en grandcostume de cour, debout aux cts de son poux.Plus loin, au del des salles des gardes, le grandConsistorium n'tait pas moins splendide. C'taitla salle du trne, o l'empereur donnait les au-diences solennelles, recevait les ambassadeurs etles cadeaux des souverains trangers. Trois por-tes d'ivoire y donnaient accs, garnies de mer-veilleuses portires de soie, auxquelles corres-pondaient, sur l'autre muraille, trois portes debronze cisel. Les parois resplendissaient del'clat des mtaux prcieux, le sol tait couvertde tapis somptueux ; au fond de la pice, dress

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    LK PALAIS SACRK Di: BYZAXCE /Oexcitent l'admiration, rachetaient la pente natu-relle du terrain et supportaient le somptueuxdifice. L se trouvaient installs, au rez-de-chausse, les nombreux services de la maisonimpriale : au premier, des salons d'apparat ou-vraient sur de longues galeries dcores de sta-tues, d'o l'il dcouvrait le merveilleux tableaudes jardins et de la mer. Plus loin enfin, pluscompltement isols encore dans la solitude etla fracheur des grands arbres, se trouvaient lesappartements privs des souverains, le gyncemystrieux, peupl de femmes et d'eunuques,o se cachait la vie intime de l'impratrice. Lse nouaient les intrigues compliques de l'amouret de la politique, l se jouaient dans l'ombred'obscures et tranges aventures, et l'empereurlui-mme bien souvent ignorait ce qui s'y pas-sait. Lorsque les Pres du concile de 536 dpo-srent, comme suspect d'hrsie, Anthime,patriarche de Constantinople, et que Justinienmenaait de sa colre le prlat excommuni,c'est l que Thodora, pour soustraire son pro-tg ses perscuteurs, ne craignit pas de luidonner asile. Pendant douze ans, Anthime vcutau palais, ignor de tous, sauf des deux cham-bellans que la souveraine avait prposs sonservice : tout le monde, et Justinien lui-mme, le

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    I.K PALAIS SACRF. Pi: nY/.AXCi:la garde-robe, les silentiaires qui font faire lesilence sur le passage du basileus, les chartii-laires qui prparent les promotions, les rfren-daires qui reoivent les suppliques, les secr-taires qui ont le soin de la correspondance,tout un monde bicarr de fonctionnaires etd eunuques, voluant sous les ordres du grandmatre de la chambre. C tait la maison de 1 im-pratrice, dirige par la grande matresse dupalais, et troitement dpendante de la souve-raine, qui remettait elle-mme h ses serviteurs,femmes et eunuques, les insignes distinctifs deleurs charofes. C'tait le service des curies im-priales, obissant au comte des curies, et lafoule des employs civils qui travaillaient dansles bureaux de la chancellerie sous la haute auto-rit du matre des offices. C'taient les soldatsdes gardes, domestiques et protecteurs, scholai-res et candidats, troupes d'apparat l'uniformesplendide, qui, avec leurs beaux habits, leurslongues tuniques blanches sur lesquelles bril-laient des colliers d'or, leurs boucliers d ortimbrs du monogramme du Christ, leurs cas-ques d'or la rouge aigrette, leurs lances incrus-tes d'or, leurs longues et spleudides pes,faisaient dans les crmonies un effet prodigieux.C'taient les spathaires, cuyers de l'empereur,

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    LF- l'Ai.AI S SACIiK Di; I5YZAXCR 79les flicitations du snat, les pangyriques desrhteurs, il regardait le long et silencieux dfildes fonctionnaires de cour; et tous il distri-buait les vases d'argent cisel, les diptyquesd'ivoire, les pices d'or entasses ses piedsdans des corbeilles, les gratifications proportion-nes chaque grade et chaque dignit. Puis, l'appel des hrauts, se formait la pompe consu-laire, et travers les appartements, dans l'tin-cellement des uniformes et l'blouisscment desarmes, la procession se droulait jusqu' l'Augus-ton, jusqu' la Grande Eglise, jusqu'au Capitole,o, parmi les applaudissements du peuple et leschants rythms des factions, le basileus, montmaintenant sur le char triomphal, se rendait parles rues jonches de verdure, tendues de soiescarlates et de tapisseries prcieuses.

    D'autres fois c'taient les audiences solennelleso, dans le grand consistoire, l'empereur conf-rait les dignits nouvelles, annonait les promo-tions, remettait les insignes des grades. C'taientles rceptions des rois barbares, qui venaient,souvent accompagns de leurs enfants et de leursfemmes, rendre hommage Justinien, et dont lestranges et pittoresques costumes excitaient fortla curiosit du populaire. C'taient les visites desflmbasgadevirs trangers, porteurs des cadeau.x

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    80 l'impratrice thodorade leurs princes; et pour blouir tous ces bar-bares, pour graver dans leurs rudes cerveauxl'impression profonde et formidable de la puis-sance byzantine, on dployait tous les raffine-ments du luxe, toutes les complications de l'ti-quette. De la porte de la Chalc au grand Con-sistorium, les soldats des gardes faisaient la haieen tenue de parade, et parmi le flottement destendards multicolores, dans l'tincellement despe's nues et des lances dresses, travers l'immensit des salles splendides, lentement dfilaitle cortofe des ambassadeurs. Dans la salle d'au-dience, environn de gardes, d'eunuques, degrands dignitaires, assis sur le trne entre lesdeux Victoires qui suspendent sur sa tte des cou-ronnes de lauriers, l'empereur attendait, immo-bile et solennel. Brusquement, un signal, les ri-deaux de soie sont tirs ; les orgues chantent, ac-compagnant les churs des factions; humblement,par trois fois, les ambassadeurs se prosternent surla terre, jusqu' ce que le basileus les invite serelever. Puis les cadeaux, prcieux ou bizarres,apports par l'ambassade, sont prsents au sou-verain ; et en de courtes formules, rgles par lecrmonial, l'entretien commence, banal, officielet hautain. Puis ce sont les festins d'apparat,o la cave impriale tale ses richesses pour les

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    LE PALAIS SACR DH BYZAXCE 81htes exotiques de l'empereur, Avars aux rudesvisages, aux longues tresses ondoyant comme descouleuvres, Huns aux cheveux pendants, auxmoustaches normes, aux braies collant sur lescuisses. Abyssins demi-nus pars de bijoux bar-bares, Arabes bruns ou souples Ibres. A tousle souverain prodigue les cadeaux, les dignits,les politesses, particulirement heureux quandil peut les convertir l'orthodoxie et complterles rceptions palatines par un baptme Sainte-Sophie, o l'empereur lui-mme ne ddaignepoint de servir de parrain aux nouveaux chr-tiens.

    Ainsi, dans le Palais Sacr, d'un bout l'au-tre de son existence, minutieusement le crmo-nial rglait toute la vie publique d'un souverainbvzantin. Parfois pourtant, dans cette strictetiquette, des incidents inattendus, et moinsconformes au protocole, venaient mettre un pit-toresque imprvu. Maras le solitaire tait unde ces moines gyptiens, fanatiques et vision-naires, que nul respect humain n'arrtait quandils croyaient sentir l'inspiration divine. Chassde sa cellule par la perscution, il s'en vint Constantinople, et hardiment il se prsentadevant Justinien et Thodora. Son costume djaurait sufi h faire sensation au palais : il portait

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    82 L'iMPRAtmC 'niODttAun vtement rapic de mille morceaux de tontescouleurs grossirement cousus de fils multicolo-res, un manteau de mme faon, le tout si cras-seux, si sordide, que le plus pauvre diable, ditle contemporain qui raconte cette histoire, n'enaurait point voulu, mme s'il n'avait rien eu semettre sur le corps. Plus encore que son habit,le langage de Maras tonna : il se mit en effet invectiver les souverains avec une telle violence,que le chroniqueur n'ose, par respect des grandsde la terre, reproduire ses audacieuses et outra-geantes paroles, si brutales et si grossires, quedes gens de rien les auraient peine supportes.Le beau de l'aventure, c'est que Justinien etThodora coutrent avec une patience admi-rable cet homme que ne troublait ni l'clat de lacouronne, ni la splendeur de la pourpre; etpleins d'estime pour ce moine parfait qui s'ex-primait en de si libres critiques, ils dclarrentque vraiment c'tait un philosophe spirituel.Bien plus, l'empereur promit, parat-il, de dfrer ses conseils et l'impratrice voulut le garder aupalais pour s'entretenir avec lui des choses deDieu.

    Zooras aussi tait un moine et, comme Maras,perscut pour sa loi. Lui aussi crut de son de-voir d'aller avec quelques disciples dans la capi-

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    Le PALAtS SACin DE BVZAN'CE 83taie pour braver en face le tyran. Bien accueillipar Justinien, invit s'expliquer devant uneassemble d'vques, il se rpandit naturelle-ment en injures contre le prince qui perscutaitl'Eglise de Dieu, versait le sang des fidles etsoutenait le concile impie de Chalcdoine. Tousles tourments, criait-il, que les chrtiens ontsubis, Dieu t'en demandera compte au jour dujugement. L'empereur tait furieux ; il n'osaitfaire arrter le moine, mais des paroles mena-antes s'chappaient de sa bouche: C'est vous,rpliquait-il, qui tes des sditieux, des pertur-bateurs ; le concile est juste, et je n'admettraipas qu'on me parle plus longtemps sur ce ton.Si vous dites vrai. Dieu me le manifestera parun signe ; sinon, quiconque maudira le concilesera condamn mort. Sans se troubler. Zoo-ras ripostait : Les ano-es du ciel mme dtes-tent ton concile. Pour croire, les vrais fidlesn'ont pas besoin de signe. Mais sois tranquille,Dieu te donnera un signe, et sur toi-mme. Et il sortit. Le lendemain, dit le chroniqueur,Justinien tait fou ; il ne voyait plus, il avait peine forme humaine. Heureusement^ l'adroiteet prudente Thodora tait l : elle enferma lemalade dans un appartement secret du palais,et de crainte que le bruit de sa mort ne se r-

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    88 l'impkiiatiuce tukodoraprsentaient devant l'empereur, les patriciens,mettant la main droite sur leur cur, se bor-naient s'incliner trs profondment pour rece-voir le baiser du basileus ; les autres membres dela haute assemble se contentaient de flchir legenou droit ; aucun honneur spcial n'tait ac-cord l'impratrice. Maintenant, devant Justi-nien, et mme devant Thodora, les gens du plushaut rang durent se prosterner jusqu' terre, labouche colle au sol, les mains et les pieds ten-dus, et baiser pleines lvres le brodequin depourpre des souverains. Respectueusement ontraita le prince de Majest, en se nommant soi-mme son humble esclave, et Thodora, en par-ticulier, se montrait sur ce point fort intransi-geante, faisant congdier comme un malappris,au milieu des rires et des hues de son entouraffe,quiconque manquait au moindre rite du crmo-nial. Dsormais aussi, avant d'tre introduit, ilfallut faire longuement antichambre, et Thodorase plut tout particulirement prolonger ceshumiliantes attentes, heureuse de transformer,comme dit un contemporain, en une honteuseservitude hi libre constitution de l'Etat. On n'entait au reste que plus assidu lui venir faire sacour : on la savait autoritaire, vaniteuse, toute-puissante ; on n'ignorait point non plus qu'une

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    94 l'impratrice thodoraginait des facties de cabotine, qu'elle mettait enscne avec un talent extraordinaire.Un patrice, homme g, et qui avait rempli de

    hautes magistratures, devait une forte somme al'un des serviteurs de l'impratrice : incapabled'acquitter sa dette, il demanda audience Tho-dora, esprant l'apitoyer sur son sort. La souve-raine tait dans un jour de gaiet ; elle ordonna ses eunuques de se ranger autour d'elle pourla rception, et leur distribua les rles dans lacomdie qu'elle prparait. On introduisit alorsle patrice dans le gynce, et le pauvre homme,tout en larmes, s'tant prostern aux pieds del'impratrice, conformment l'tiquette, com-mena en un long discours expliquer sa peine : C'est une terrible chose, Majest, pour un pa-tricien d'tre pauvre. Chez le commun des hom-mes une telle situation inspire la compassion ;pour un homme de haut rang, sa misre n'estqu'une occasion d'outrages. Un pauvre diable,s'il est ruin, peut avouer sa dtresse soncrancier; un patrice, s'il ne peut payer sesdettes, rougit d'un tel aveu, et d'ailleurs, il nepersuadera personne qu'un homme de sa nais-sance puisse tre rduit la pauvret ; ou, s'il yparvient, il s'en trouve parfaitement dshonor.0r, Majestj j'ai des cranciers, et aussi des dbi-

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    LA VIR IMPERIALE DE THEODORA 93teurs. Mais mes cranciers, par respect de monrang, je ne puis les vincer, et mes dbiteurs,qui ne sont point patrices, se drobent sousmille prtextes leurs obligations. Je suis doncfort embarrass et je te demande en suppliantde venir mon secours et de me dlivrer de mesmaux. Thodora le laissait aller ; puis, d'unevoix suave : Mon cher patrice , commen-t-elle ; et achevant la phrase, le chreur des eunu-ques s'exclama : Vous souffrez d'une grossehernie l'aine. Et chaque fois que le malheu-reux reprenait ses supplications, Thodora et sescourtisans reprenaient en chur la rponse.Finalement, le misrable, s'tant protocolaire-ment prostern, quitta la place. Et l'on s'amusafort, dit-on, au palais de la bonne farce que lasouveraine avait faite un importun.De telles plaisanteries pourtant, qui nous sem-

    blent au reste assez peu plaisantes, n'taientpoint frquentes chez Thodora. Si elle se sou-venait de son pass, elle ne tenait point outremesure h le rappeler aux autres, et elle n'etpoint admis volontiers qu'on s'en souvint autourd'elle trop ouvertement. C'est pourquoi, intelli-gente et pratique, et d'ailleurs naturellementorgueilleuse, elle se drapa attentivement danssa frache majest, et c'est pour cela aussi que^

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    96 l'impkatiuce thodohaquoi qu'on en ait dit, elle n'eut garde de conipromettre en des aventures d'amour et en devaines galanteries la position qu'elle avait suconqurir. Autant la danseuse avait pu jadis trehardie et libre, autant Timpratrice fut toujoursrserve, correcte, prude et irrprochable.

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    LES BAVARDAGES D'UNE CAPITALEChaque jour, sous les arcades du. Portique

    royal, se tenait Constantinople le grand marchaux nouvelles. Parmi la foule oisive des badauds,des hommes, qui se paraient du beau nom dephilosophes, dissertaient dans les boutiques deslibraires qui peuplaient ce quartier, discutantde toutes choses, thologie et mdecine, poli-tique et religion, commentant les menus vne-ments de la ville et de la cour. Par leurs grandsairs, leur parole pompeuse et facile, les hautesquestions qu'ils abordaient, la faon dont ilsexpliquaient tout, ils imposaient au vulgaire quiles coutait complaisammcnt ; et quoique ce fus-sent en gnral d'assez pauvres sires, sans in-

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    LES BAVAIDAr.ES d'iNK CAPITAI.F, 99salent annuellemenl sur la grande ville cVoisifs,de gens sans aveu, de voleurs et de mendiants.Dans cette foule inoccupe, agite et frondeuse,tout commrage trouvait bon accueil, toute his-toire, pourvu qu'elle ft piquante, merveilleuseou trange, tait crue sur parole et prestementcolporte de bouche en bouche. Quand Anth-mios de Tralles, le grand architecte, avait ima-gin quelque plaisanterie nouvelle aux dpensde son voisin l'avocat Zenon, l'histoire faisait letour de la ville et excitait la joie du populaire.Tout Byzance savait comment l'minent savant,pour jouer un tour son adversaire, avait eu unjour l'ide de disposer dans une chambre bassedes vases remplis d'eau recouverts de tubes encuir, dont l'extrmit aboutissait entre les poutresde la maison de Zenon, et comment, ayant allumdu feu sous les vases, il avait, par le dgagementde la vapeur, produit chez son voisin une faonde tremblement de terre ; et tout Byzance riaiten pensant h la mine effare de l'avocat, se pr-cipitant dans la rue et demandant tout venantsi la catastrophe avait fait d'autres dsastres. Onne s'tait pas moins diverti quand, une autre fois,Anthmios avait, ii l'aide de miroirs projetant debrusques rayons de soleil et de corps sonoreschoqus les uns contre les autres, fabriqu pour

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    100 L IMPKRATRICE TIIEODORAson voisin, un jour qu il avait du monde, un vraiorage de thtre ; et l'on avait trouv assez drleaussi la riposte de Zenon, s'allant plaindre ;l'empereur et dclarant que lui, simple mortel,n'tait point de force lutter la fois contreZeus foudroyant et tonnant et contre Posidonbranlant la terre.La superstition populaire ne commentait pas

    moins avidement tous les vnements qui sem-blaient prsager l'avenir. Constantinople, vri-table muse o Constantin avait entass lesmerveilles des sanctuaires paens, tait peuplede statues. A chacune la foule attachait deslgendes merveilleuses ou de miraculeuses vertus.oChacun savait, par exemple, que si le grand bufd'airain plac prs du cirque venait mugir,quelque grand malheur menaait la ville, et quetelle inscription mystrieuse, grave sur unestatue de l'Hippodrome, annonait d'effroyablescatastrophes. Nul n'ignorait que, sur le Forum,une srie de figures dresses sur des colonnescontenaient le secret de l'avenir, et qu'Apollo-nius de Tyane, le fameux astronome, y avait lules noms des futurs empereurs. Aussi les astro-logues taient-ils fort nombreux ettrs consultsdans la capitale; et .lustinien, qui s'en dfiait,trouvant qu'ils excitaient bien inutilement une

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    102 l'impkratiuck thodoratout ce qui touchait la cour et la personne dessouverains. De leur mystrieuse existence, peineentrevue dans l'blouissement des grandes cr-monies, on savait peu de chose en somme : onimaginait d'autant. Des anecdotes couraient surl'empereur, qui le montraient alternativementen rapport avec les anges et avec les dmons.Peu enclin au sommeil, dvor d'activit, Justi-nien se couchait tard, se levait avec l'aurore,souvent mme quittait sa couche au milieu de lanuit pour se remettre au travail. Sur ces prome-nades nocturnes, l'imao-ination de la Ibule brodaitotout un roman. On disait que lorsque le basileuserrait la nuit par les appartements, c'tait uncorps sans tte qui parcourait interminablementles salles dsertes, et que tout coup, traversles airs, on voyait, revenant on ne sait d'o, latte rejoindre brusquement le corps qu'elle avaitsi trangement quitt. On disait que les gens del'entourage imprial, debout aux cts du matre,voyaient parfois inopinment son visage changerd'aspect, ses sourcils s'efticer, ses yeux dispa-ratre, tout aspect humain s'vanouir sursafiice,et j'ai cont la lgende d'aprs laquelle Zoorasle moine avait guri par ses prires une de ceseffrayantes mtamorphoses. On disait encore quesaint Sabas, le fameux ascte de Palestine,

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    104 L IMPERATRICE THEODOBAhaiter. Le lendemain, comme de nouveau leprince inspectait les travaux, le mme personnagelui apparut : Donnez-moi quelques hommes deconfiance, lui dit-il, et allons. Etonn de cetteinsistance, Justinien dlgua Stratgies, ministredu trsor, le questeur Basilids, Thodore Ko-lokynths, prfet de la ville et patrice, avec unesuite nombreuse et vingt et un mulets robustes.oL'eunuque les emmena hors de la ville, et tout coup apparut leurs yeux un palais admirablequi ne semblait pas fait de main d'homme. Leurguide invita les dignitaires h descendre de che-val, il les introduisit dans une salle toute rempliede pices d'or ; puis, prenant une pelle, le mys-trieux personnage chargea sur chaque muletquatre cents livres d'or, qui quivalent quatrecent cinquante mille francs de notre monnaie.Ayant ainsi entass sur les mulets environ neufmillions, il renvoya ses compagnons vers l'em-pereur, disant qu'il allait lui-mme refermer lasalle. Quand Justinien vit tout cet or, il se fiten grand dtail raconter l'aventure ; et commel'eunuque ne revenait pas, il l'envova chercher.Mais la place o s'levait le palais tait mainte-nant dserte, l'homme avait disparu. Aussi l'em-pereur n'hsita point reconnatre un miracledans l'afTaire et en attribuer la gloire Dieu.

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    106 l'impratrice thodoraterribles se chargeaient bien vite d'accomplir lesvengeances de la souveraine. Sur ce qui se pas-sait derrire les impntrables murailles dugynce, les badauds de la capitale en avaientlong raconter. Il y avait l, disait-on, d'immensescachots souterrains, des prisons silencieuses etredoutables o Thodora faisait emprisonner,battre et torturer ses victimes ; l, dans de per-ptuelles tnbres, enchans de si court qu'ilspouvaient peine se baisser, des malheureuxdemeuraient enferms des mois et des annes ;comme aux btes, on leur jetait quelque vaguenourriture ; et quand par hasard ils sortaient decet enfer, ils taient fous, aveugles ou briss jamais par leur atroce captivit. Encore ceux quichappaient vivants de cette pouvantable g-henne, labyrinthe obscur l'entre duquel onlaissait toute esprance, ceux-l pouvaient s'es-timer heureux. D'autres disparaissaient sanslaisser de traces. Des gens racontaient qu'unjour tait revenu au palais ce fils que Thodoraavait eu en sa jeunesse. Le pre, son lit demort, lui avait rvl son origine, et l'enfant taitparti pour Constantinople pour retrouver sa mre.L'impratrice, fort inquite, craignant que Justi-nien ne prt mal, s'il l'apprenait, cette aventurede son trouble pass, reut le jeune homme et

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    LES BAVARDAGES d'lXE CAPITALE 107le confia l'un de ses serviteurs, ordinaire ex-cuteur de ses desseins secrets. Et jamais plus,depuis lors, on ne revit le malheureux.

    Il faut bien se garder de prendre la lettretoutes ces anecdotes. Procope lui-mme, qui asoigneusement recueilli ces commrages, nousdit quelque part que Thodora tait une personnefort mystrieuse, et que, lorsqu'elle voulait qu'unde ses actes demeurt cach, nul, si habile qu'ilput tre, n'arrivait en pntrer le secret. Onvoit donc mal comment l'crivain a pu savoir ceshistoires terrifiantes, et de leur nature minem-ment confidentielles, d'assassinats nocturnes, deprisons souterraines, de tortures clandestines etterribles. 11 faut ajouter que, de son aveu mme,on s'chappait sans trop de peine, et parfois plusieurs reprises, de ces redoutables cachots, etque, d'autre part, quelques-unes des plus illus-tres victimes de l'impratrice se portrent ensomme assez bien, et firent, malgr de passag*-res disgrces, une assez belle carrire. Assur-ment, dans ce Palais Sacr, plein de dtours etde mystres, d'tranges choses pouvaient sepasser, et l'aventure du patriarche Anthime, quej'ai raconte, donne penser sur ce que pouvaitcacher l'ombre du gynce imprial. Et, assur-ment aussi, lorsque Thodora hassait, elle tait

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    108 I.'lMPnATRICE TH^IODOUAlemme, je crois, ne reculer devant rien, ni de-vant le scandale d'une injuste disgrce, ni peut-tre mme devant l'clatd'un assassinat. Elle avaitla rancune tenace : toute sa vie elle se souvintdes injures dont les Verts avaient abreuv sajeunesse ; jamais elle ne pardonna au prfet Jeande Cappadoce d'avoir un moment balanc sonpouvoir. Pour garder l'autorit suprme, ellebrisa tous les obstacles qui se dressrent sur saroute, carta toutes les ambitions qui tentrentde ruiner son crdit. Pour perdre un adversaire,tous les artifices lui furent bons, la perfidiecomme la violence, le mensonge comme la corrup-tion. Ruse, brutale, cruelle mme, quand sesintrts taient en jeu, elle n'eut pas plus descrupules sur le choix des moyens que sur celuides instruments qui servaient ses desseins. Mais,de l'aveu mme de Procope, cette femme impla-cable et passionne tait capable de piti pourses ennemis, et c'est un fait que ses plus dange-reux adversaires ne pavrent que de l'exil leursinsultes ou leurs complots. 11 est galement cer-tain que cette vindicative souveraine accordatoute sa faveur des gens qu'elle avait d'aborddtests et que, si elle eut l'me despotique etdure, en revanche, elle demeura, nous le ver-rons, obstinment attache a ceux qui l'aimaient

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    LES nAVAHDAGKS D UNK CAPITALE 109OU qui la servaient bien. Et c'est lui faire enfingratuitement injure, de lui attribuer la dispari-tion de son fils ; sa fille, en effet, qui rappelait Justinien d'aussi fcbeux souvenirs, ne la gnaitgure, et elle n'pargna rien pour faire ouverte-ment la fortune de son petit-fils Athanase.

    Les badauds de Constantinople ne s'inqui-taient ofure de tout cela. Si Tliodora exeraitsur l'esprit de Justinien une action si profonde,c'et t trop simple vraiment d'expliquer pardes causes naturelles cette prodigieuse influence.Peu importait qu'elle et t jolie, que son intel-ligence ft de premier ordre : si elle gouvernaitl'empereur son caprice, il y avait certainementquelque diablerie l dedans. On avait beau sedire que Justinien avait l'me faible, la volontplus inconsistante que la poussire que le ventemporte ; on aimait mieux croire que par desmalfices l'impratrice assurait sa puissance; etpour que nul ne doutt qu'elle tait un supptde l'enfer, on aflrmaitqu'au temps de sa jeunesse,les dmons mmes se disputaient ses faveurs etchassaient de sa chambre ses amants.

    Tout cela, assurment, se rptait assez discr-tement. La basilissa, dit-on, entretenait des es-pions partout, et il ne faisait pas bon s'exposer ses haines. On peut croire toutefois que, si l'im-

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    110 i.'iMPi':n.\ iRici: tiikodouapralrice avait continu sur le trne la vie passa-blement dissolue qu'elle avait mene auparavant,ses aventures galantes auraient fourni amplematire aux commrages d'une capitale peu res-pectueuse de ses souverains. On glosait volon-tiers Constantinople sur la vertu des femmes,sur celles du plus haut rang tout part iculiremenl : preuve l'anecdote assez piquante que voici.Dans le quartier du Zcugma, au bord de la

    Corne d'Or, il y avait, sur une colonne, une sta-tue clbre de Vnus. Elle couvrait de sa pro-tection l'une des maisons pul)liques les plusfameuses de la capitale ; elle avait une autre qua-lit encore, plus surprenante celle-l et plus sin-gulire. Quand un mari doutait de la vertu de safemme: Allons, disait-il. ii la statue de Vnus; situ es reste pure, la preuve se fera d'elle-mme. Seules, en effet, les femmes honntes pouvaientsans encombre passer devant l'image de la desse ;le^ autres, au moment o elles s'approchaient,se trouvaient, on ne sait par ([uel sortilge, brus-quement dpouilles de tous leurs vtements. 11arriva mme de ce fait une assez fcheuse ms-aventure a une nice de Thodora. Elle passait cheval dans le quartier, allant aux Blachernes,lorsqu'une onde subite l'obligea changer doroute; sans rflchir, elle se dirigea du ct tle

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    LES n.WAliDAGES d'uNK CATITAI.E 111la slatiic, et tout coup elle se trouva fort pu-bliquement et compltement dshabille. Trshumilie, plus irrite encore, elle fit jeter bas lastatue dnonciatrice; mais les bons badauds deByzance s'taient normment divertis.

    Si, dans ces conditions, la chronique n'a prtnulle galanterie Tliodora depuis son mariage,si elle ne semble gure avoir srieusement misen doute la correction de sa vie prive, c'estqu'apparemment la souveraine se conduisit irr-prochablement. Et puisque ce fut en ces dernierstemps une question presque la mode de discuterce point, examinons une fois encore ce qu'il fautpenser de la vertu de Thodora.

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    IV

    LA VERTU DE THEODORA

    Depuis que Saidou, daus sou drame, nous amontr Thodora amoureuse et coureuse d'aven-tures, on admet volontiers que l'impratrice,gardant sur le trne les libres allures de sa jeu-nesse, ne se priva point, en courtisane qu'elletait reste, de retourner ses vieux pchs. Jene voudrais point me donner le ridicule de mefaire le champion trop rsolu de la vertu deThodora aprs son mariage. Outre que, selon unmot connu, il est toujours assez malaise d'tresr de ces choses-l, je ne tiens pas plus qu'ilne faut, ou le pense bien, ce que l'Augusta aitt irrprochable. Je crois volontiers qu'elle fit,

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    114 l'impratiuce thodoraau temps de sa jeunesse, la fte trs librement,et ne m'en choque point : elle et continu plustard que je n'prouverais nul besoin de m'enscandaliser, et Justinien seul, aprs tout, auraitquelque droit de s'en plaindre. Mais les faits sontles faits; et leur examen attentif montre qu'ilsprouvent plutt en faveur de Thodora.

    C'est un fait tout d'abord qu'aucun des cri-vains qui furent ses contemporains, aucun his-torien non plus des sicles postrieurs et pour-tant, il en est parmi eux qui lui ont durementreproch son avidit, son humeur autoritaire etviolente, l'influence excessive qu'elle exera surJustinien, le scandale qu'elle donna par ses opi-nions htrodoxes n"a rien dit qui permettede mettre en doute, aprs son mariage, la cor-rection de sa vie prive. Procope lui-mme, quil'a tant calomnie, qui a si libralement prodigules aventures sa jeunesse, qui a racont, avecle luxe de dtails que