internet et politique aux etats-unis

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    Internet et politiqueaux tats-Unis

    __________________________________________________________________

    Franois Vergniolle de Chantal

    Juin 2010

    .

    PPoottoommaacc PPaappeerr 33

    Programme tats-Unis

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce textenengagent que la responsabilit de lauteur.

    Le programme tats-Unis de lIfri publie une collectionde notes en ligne, les Potomac Papers , qui prsententdes analyses de la politique amricaine au niveau national.

    Le programme tats-Unis reoit le soutien de :

    ISBN : 978-2-86592-724-1 Ifri 2010 Tous droits rservs

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    Executive summary /Ce quil faut retenir

    La pratique croissante dInternet remet en cause la maniretraditionnelle de faire de la politique aux tats-Unis. Parce que le cotde lquipement et de la connexion reste abordable, tout le mondepeut en thorie sexprimer sur la Toile.

    Internet pourrait donc, en redonnant une voix aux catgories

    souvent exclues de la politique, telles que les jeunes, les pauvres oucertaines minorits ethniques, rgnrer la pratique dmocratiqueamricaine. Par ailleurs, plusieurs exemples montrent que desoutsiders de droite comme de gauche ont utilis Internet pour se faireentendre (Howard Dean et le Parti dmocrate en 2003-2004 ; les TeaParties et le Parti rpublicain aujourdhui), avec comme consquencela mobilisation de bnvoles et de financements venus de la base.Internet permet aussi de porter sur la scne publique des sujets etdes opinions que les mdias traditionnels choisissent dignorer.

    Mais cette dmocratisation reste aujourdhui illusoire. Dunepart, lactivisme sur Internet tend rassembler les plus convaincus et

    nest pas reprsentatif de lensemble de llectorat. Il dformegalement le dbat dmocratique en amenant les internautes sexprimer de faon toujours plus radicale. Dailleurs, les effets demode sur les blogs ne traduisent pas toujours en victoires lectoraleset les partis traditionnels ont tendance instrumentaliser lesmouvements apparus sur Internet, au profit de la mcaniquepartisane habituelle. De mme, les mdias traditionnels restent unerfrence sur le Web par rapport au chaos de la blogosphre.

    Enfin, de graves limites sociales apparaissent dans la pratiquedInternet. Tous les citoyens nont pas accs Internet et surtout,tous ne matrisent pas les codes sociaux ncessaires poursexprimer

    et se faire entendre efficacement sur le Net. On voit en revancheapparatre, au travers de certains bloggers reconnus, une vritablelite de la politique sur Internet. Aids par le modle defonctionnement des moteurs de recherche, ils monopolisentlattention au dtriment du plus grand nombre.

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    Introduction

    Depuis quelques annes, lusage dInternet semble redfinir lesmodalits de la vie politique amricaine. En effet, lutilisation de cetoutil rduit considrablement les cots dorganisation et de commu -nication, ce qui multiplie les possibilits daccs lopinion publique.Comme on le voit nouveau depuis le printemps 2009 avec lephnomne des Tea Parties1, Internet semble remplir deux missions.Dabord, la Toile est devenue le vecteur par excellence des outsiders

    ceux qui mnent ce que lon appelle des campagnes insurgent.Lun des premiers exemples est celui de Howard Dean lors desprimaires dmocrates de 2003-2004. Lancien gouverneur du petittat du Vermont avait pris de court tous les consultants politiquesdmocrates en faisant le pari de la technologie Internet contre lesstructures traditionnelles du parti2. Sa campagne avait ainsi russi,contre toute attente, lever 52 millions de dollars en petites contri-butionsen moyenne de lordre de 70 dollars.

    Mais Internet est aussi un outil qui permet de complter lesmdias traditionnels lorsque ceux-ci ignorent un vnement. On sesouvient que cest le blog conservateurThe Drudge Reportqui avait

    lanc le scandale Monica Lewinski en janvier 1998. Depuis lors, touteune srie de scandales ont montr le pouvoir grandissant de lablogosphre. Ainsi, lorsque le chef de la majorit au Snat, TrentLott, a t accus davoir tenu des propos nostalgiques de lasgrgation dans son discours dadieu au snateur Strom Thurmond,en dcembre 2002, ceux-ci furent laisss de ct par les mdiastraditionnels, mais dclenchrent un dbat vhment dans les blogsde gauche, tel point que Trent Lott d dmissionner de son postede Senate Majority Leader.

    Internet remet donc en cause la manire traditionnelle de fairede la politique. Jerome Armstrong et Markos Zuniga, deux bloggeursde gauche connus, insistent dans leur livre-manifeste de 20063 sur le

    Franois Vergniolle de Chantalest matre de confrences luniversit de Bourgogne etcordacteur en chef de la revue Politique amricaine. Lauteur tient remercier M. DavidKarpf (Brown University) pour son aide dans la rdaction de ce texte.1 A.-L. Bujon de lEstang, Au cur de lAmrique ? Le mouvement des TeaParties, Potomac Papern2, fvrier 2010, Ifri.org.2 J. Trippi, The Revolution Will Not Be Televised, New York, Regan Books, 2004,p. 76.3 J. Armstrong, M. Moulitsas Zuniga, Crashing the Gates: NetRoots, Grassroots, andthe Rise of People-Powered Politics, Chelsea Green, White River Junction, VT,

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    concept de people-powered politics : le fait que les citoyens ont enfin leur disposition un outil pour participer pleinement la vie politique,en contournant les appareils traditionnels et leurs mthodes habi-tuelles. Les commentateurs parlent donc dun nouvel ge mdiatique,celui de la prise de contrle (empowerment), o les citoyens ne sontplus passifs devant leur tlvision mais peuvent devenir eux-mmesdes acteurs de la couverture mdiatique. En 1998, dans lune despremires synthses sur la question, Andrew Shapiro titrait : Comment Internet responsabilise les individus et change le mondetel que nous le connaissons 4.

    De ce point de vue, llection de 2008 a constitu un tournant.Tout comme celle de 1960 avait marqu larrive de la tlvisioncomme outil fondamental de communication politique, le scrutin de2008 a vu lentre dfinitive dInternet dans la comptition lectorale.Adam Nagourney, correspondant du New York Times, titrait ainsi le jour des lections prsidentielles sur le changement profond quavait

    introduit la campagne de 2008 dans la politique telle quelle taitconnue jusqualors, tandis que le Pew Reseach Center consacraitquelques mois plus tard une tude complte au rle dcisifdInternet5.

    Les principales nouveauts offertes par la Toile sont lapossibilit de cibler efficacement les lecteurs potentiels, surtout lesplus jeunes, do des gains en termes de mobilisation lectorale et definancement des campagnes, notamment pour la leve descontributions les plus modestes. Elle permet galement decommuniquer un message beaucoup plus rapidement ainsiYoutube, qui nexistait pas en 2004, a bien t un vecteur politique

    majeur en 2008.Avec le recul, il est facile de dire que la campagne de Barack

    Obama a synthtis tous les lments lis aux nouvelles techno-logies de linformation apparus de faon plus ou moins claire dans lesdix annes prcdentes, essentiellement en termes de mobilisation etde contestation. En 2007, Barack Obama ntait quun jeune snateurde lIllinois qui avait peu de chances de pouvoir contester la staturedu candidat anticip par tous les observateurs, Hillary Clinton. Orcest bien lui qui, sappuyant entre autres sur Internet, obtint lanomination du Parti dmocrate en juin 2008. La suite de llection aconfirm cette volution. Le site de campagne MyBarackObama.com

    a permis de recruter plus de 8 millions de bnvoles (volunteers) etdorganiser plus de 30000 vnements dans lensemble des 50

    2006. M. Moulitsas est le fondateur de DailyKos,Dailykos.com, et J. Armstrong deMyDD, Mydd.com.4 A. L. Shapiro, The Control Revolution, How the Internet is Putting Individuals inCharge and Changing the World we Know, New York, PublicAffairs, 1999.5 A. Nagourney, The 08 Campaign: Sea Change for Politics as we Know It , NewYork Times, 4 novembre 2008 :. Ltude du Pew ResearchCenter, rdige par A. Smith le 15 avril 2009, est elle aussi disponible :.

    http://www.nytimes.com/2008/11/04/us/politics/04memo.htmlhttp://pewresearch.org/pubs/1192/internet-politics-campaign-2008http://pewresearch.org/pubs/1192/internet-politics-campaign-2008http://www.nytimes.com/2008/11/04/us/politics/04memo.html
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    tats. Lquipe Obama est alle jusqu lancer lapplication Obama08 pour les iPhones quelques semaines avant le scrutin. Sommetde sophistication technologique, celle-ci permettait dobtenir lesinformations sur les vnements de campagne, allant des plansdaccs aux possibilits de bnvolat6. Certes, llection de BarackObama nest pas uniquement due Internet, mais son succs rsidedans une capacit de mobilisation de la base qui, elle, rsulte engrande partie du recours systmatique cette technologie. partir deseptembre 2008, les capacits de mobilisation de bnvoles et definancement de la campagne Obama se sont dployes avec succs.Si lchec de Howard Dean en 2004 avait conduit certainsobservateurs relativiser limpact dInternet, rien de tel ne sestproduit avec Barack Obama quatre ans plus tard. Lquipe decampagne russit lever 500 millions de dollars en petitescontributions en ligne et la liste dadresses de courriel constitue lorsde la campagne dmocrate dpasse les 13 millions de noms7.

    De lautre ct de lventail politique, le mouvementconservateur des Tea Parties repose galement en grande partie surlusage dInternet pour sorganiser. Apparu en 2009, ce mouvementinclut dans sa pratique de la Toile des techniques de communicationplus rcentes. Outre la gnralisation des blogs, les militants des TeaParties utilisent de faon systmatique la mise en ligne de vidos,ainsi que la communication virale grce aux groupes Facebook et Twitter. Ce dernier moyen permet galement dorganiser rapidementdes manifestations. Reste savoir si lutilisation dInternet par les TeaParties traduit la poursuite dune volution de la pratique politiqueamricaine entame dans les annes 1990, ou si des caract-ristiques particulires et significatives y sont attaches.

    En partant du constat selon lequel Internet redfinit le rapportentre citoyens et mdias faisant de chacun dentre nous un parti-cipant potentiel et pas seulement un consommateur, les cons-quences de la Toile sur la politique amricaine doivent tre analysesen termes de :

    reformulation des campagnes lectorales :Internet facilite lexpression des militants de base dansle cadre des campagnes (dites bottom-up ougrassroot) o la mobilisation nationale des lecteursest la cl du succs ;

    restructuration des partis politiques : autour durseau Internet se crent des communauts qui fontvoluer leparty-building;

    6 L. J. Sabato (dir.), The Year of Obama. How Barack Obama Won the White House,New York, Longman, 2010, p. 159.7 J. A. Vargas, Obamas Wide Web, Washington Post, disponible sur (consult le 6 juin 2010).

    http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/08/19/AR2008081903186.htmlhttp://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/08/19/AR2008081903186.htmlhttp://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/08/19/AR2008081903186.htmlhttp://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/08/19/AR2008081903186.html
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    renouveau de la participation politique : Internetpermet datteindre des segments de llectorat que lesoutils antrieurs ne parvenaient plus intgrer.

    Il semble quil y ait bel et bien une rvolution numrique enpolitique, mais elle demeure inaboutie, et il y a fort parier que denouveaux dveloppements lui donneront des significationssupplmentaires. Cette rvolution ne doit cependant pas trecomprise comme une rupture mais comme une manifestation deproblmatiques classiques. Elle constitue simplement un outilsupplmentaire dans la gestion de problmes traditionnels de la viepolitique mobilisation citoyenne, structuration des partis et parti-cipation lectorale sont en effet le cur du travail des consultantspolitiques. Et ce nouvel outil, bien loin de constituer une panace,pose en lui-mme de nouveaux problmes communication politiquengative, renouveau des slogans et amoindrissement du dbat,

    multiplication des rumeurs, et difficult contrler le message decampagne. La mise en uvre tant attendue et tant annonce denouvelles valeurs lies Internet dmocratie, transparence,responsabilit qui changeraient la nature de la vie politique, est bienlointaine. Le conseiller politique de Howard Dean et expert destechnologies de communication J. Trippi disait que la rvolution ne[serait] pas tlvise ; elle ne sera pas non plus en ligne8.

    8 J. Trippi, op. cit.

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    La rvolution Internet

    Depuis le milieu des annes 1990, ce sont tous les aspects de la viesociale qui ont t profondment modifis par Internet. MichaelWelsh, un professeur danthropologie luniversit du Kansas, dve-loppe le thme dune cologie mdiatique (media ecology),largement inspire de Marshall McLuhan. Pour ce dernier, les mdiasconstituent un vritable environnement, et non pas simplement unmoyen ou un outil de communication. Un mdia, comme son nom

    lindique, est un mdiateur, un intermdiaire qui donne une forme auxchanges quil permet. Ainsi, en passant par un autre mdia,lchange lui-mme se trouve modifi9. On ne parle pas des mmeschoses et de la mme faon la tlvision, la radio, dans la presseet sur Internet. Comme le disait M. McLuhan : nous faonnons nosoutils, aprs quoi ce sont eux qui nous faonnent . La questiondevient alors de savoir comment sopre le changement induit parInternet et quelles sont les consquences sociales de ce nouvel outil.

    La popularit immdiate dInternet est due la facilit daccs,dexpressionet dchanges quil permet. La Toile a rendu drisoire lecot de la publication et du transfert de donnes au niveau mondial.Un courriel ne cote rien dautre que lquipement informatique et laconnexion ou, plus prcisment, un courriel au voisin de limmeubleden face cote autant quun message lami qui vit en Australie ou 500 personnes disperses sur lensemble du globe. Cette quasi-gratuit a conduit une abondance dchanges, dinformation et dedonnes. Laccs au contenu est quasiment illimit sur la Toile. Pourreprendre lanalyse de Clay Shirky10, partir du moment o lchangedinformation et la communication ne cotent quasiment plus rien, onpeut distinguer trois effets dInternet sur la socit. Le premier esttout simplement le partage de linformation (information sharing)qui cre une conscience partage, un sentiment dappartenancecommune aux internautes. Ce partage dinformations stimule la prise

    de conscience (awareness) de son/ses appartenance(s). Le deu-xime effet est celui de la production collaborative (collaborativeproduction), sur le modle de sites comme Wikipedia, qui rsulte trslargement du partage dinformations, sans que lon puisse vrita-blement identifier un auteur individuel. Enfin, dernier effet, sans doute

    9 M. Welsh, propos de YouTube , prsentation au Personal Democracy Forum,juillet 2009, en ligne sur : .10 C. Shirky, Here Comes Everybody. The Power of Organizing Without Organization,New York, Penguin Press, 2008, p. 47-54.

    http://www.youtube.com/watch?v=09gR6VPVrpwhttp://www.youtube.com/watch?v=09gR6VPVrpw
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    le plus important, laction collective (collective action) qui cre cettefois non pas une conscience ou une production collectives, mais desresponsabilits collectives.

    Laccs linformationLe premier effet, celui du partage dinformation, est clbr partout etpar tous comme permettant enfin la cration dune sphre publiqueo lchange dopinions est libre de toute entrave. Internet sembleainsi donner une ralit aux espoirs du philosophe Jrgen Habermasquand lavnement dun espace public idal : Internet pourraitconstituer un outil dintgration (inclusiveness) permettant dlargir lasphre publique des ides nouvelles et des participants exclusdes autres formes de communication. Lcrasante majorit des

    commentaires sur Internet va dans cette direction. J. Trippi expliquedans son livre de 2006 qu Internet est linnovation la plus cratricede dmocratie que lon ait jamais vue, encore plus que linvention delimprimerie (p. 235). Ken Melhman, le directeur de la campagnerpublicaine en 2004, va dans le mme sens lorsquil dclare : Latechnologie a bris le monopole des chanes de tlvisions (). Aulieu de voir tout le monde obtenir linformation dune seule source, il ya maintenant des milliers de sources .

    Bien sr, cette dimension dInternet ne se limite pas auxcampagnes lectorales. Ds 2002, le prsident de la Commissionfdrale des lections (FEC), Michael Powell, utilisait largument de

    louverture et de la diversit sur Internet pour lgitimer une plusgrande drglementation des mdias audiovisuels. Les journalistesabondent leur tour dans ce sens. Ce nouveau mdia donnera unenouvelle voix aux gens qui sen sentaient dpourvus (A. Gillmore).Un journaliste radio et bloggeur, Hugh Hewitt, crit que le pouvoirquavaient les lites de dterminer ce qui est de linformation autravers dun systme de dissmination strictement contrl a vol enclats. La capacit et lautorit de distribuer des textes sont main-tenant rellement dmocratises . Lancien prsident de la chanepublique PBS, Lawrence Grossman, concluait ds 1995 quInternetdonne aux citoyens un degr de contrle quils nont jamais euauparavant . Concluons ces citations de professionnels avec celle,

    connue, du prsident de CNN, selon laquelle Internet donne trop depouvoir un type en pyjama assis dans son salon 11.

    La littrature de science politique ne fait pas exception. Ainsi,Arthur Lupia et Gisella Sin peuvent crire : Le World Wide Web()autorise des individus, y compris des enfants, mettre en ligne, pourun cot minime, des messages et des images qui peuvent tre vus

    11Toutes ces citations sont tires deM. Hindman, The Myth of Digital Democracy,

    Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 4-7.

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    linformation, la communication, etc. Pour ces professionnels ,qui attribuent plus dimportance au jugement de leurs pairs qu celuides usagers, il a dabord t difficile de comprendre que lama-teurisme de masse (mass amateurization)15 dvelopp par le biaisdInternet tait une vritable menace. Or, Internet nest pas simp-lement une concurrence nouvelle, mais une avance technologiquequi rend obsolte la vision du monde des professionnels. On peut parexemple dire que les journalistes daujourdhui sont dans la positiondes moines copistes au dbut du XVe sicle, lors de linvention delimprimerie. Ils ne sont pas simplement concurrencs, ils sontobsoltes. Larrive de USA Todaysur le march amricain en 1982reprsentait bien une concurrence nouvelle dans un systmetraditionnel ; mais Internet de nos jours reprsente en lui-mme unnouveau systme, qui bouleverse le fonctionnement traditionnel.Comme le dit C. Shirky, le paysage des mdias est transform,parce que la communication personnelle et la publication, autrefois

    des fonctions spares, se fondent dsormais lune dans lautre.Lancien systme, dans lequel les professionnels pouvaient filtrer lesbons lments des mdiocres avant publication, a disparu ; dsor-mais, ces filtres sont avant tout sociaux et interviennent aprscoup 16. Autrement dit, le filtrage ne sexerce plus au niveau de laproduction dinformation, mais au niveau de sa rception sociale. Lesgardiens traditionnels sont donc contourns. En revanche, le citoyenest en position dexercer lensemble de ses liberts simultanment.En effet, sexprimer en ligne est une forme de publication et publieren ligne tablit immdiatement des connexions ; ainsi, la libertdexpression, la libert de la presse et la libert de runion setrouvent runies dans la pratique dInternet17.

    Mais cette remise en cause de la professionnalisation pose son tour des problmes. Le premier est minemment social : quedeviennent les professionnels dont le statut dintermdiaire estmenac par un mode de communication qui dveloppe lamateurismede masse ? Les mdias sont les premiers concerns, au premierrang desquels la presse crite. Mais lindustrie des films et de lamusique le sont galement et derrire ces acteurs industriels, ce sontles crateurs eux-mmes qui sont fragiliss. Le deuxime problmeest plus gnral et porte sur certains quilibres globaux qui fontconsensus au sein dune socit donne. Par exemple, la plupart desdmocraties librales encadrent lactivit des mdias lapproche

    dun scrutin lectoral. Mais quelles sont les limites exactes delactivit mdiatique lorsque celle-ci passe par Internet ? Le blogging,par exemple, doit-il tre encadr ? Ce phnomne est dcri par denombreux analystes comme tant sensationnaliste, imprcis,partisan, en bref, pour certains trop dmocratique ! Et il est vrai que leDrudge Reporta fait circuler en 2004 des rumeurs infondes sur les

    15Lexpression est de C. Shirky, op. cit., p. 60.16Ibid., p. 80.17Ibid., p. 171.

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    supposes matresses de John Kerry ainsi que sur son passmilitaire. Le soir de llection, toujours en 2004, de faux rsultats ontcircul au cours de la soire lectorale, etc. Tout ceci a t rapi-dement corrig par les mdias traditionnels, mais peut-on se con-tenter dune raction ponctuelle en la matire ?

    Le dernier problme, le plus grave, est que la socit derseaux qui se cre avec Internet fonctionne aussi bien lavantagedes citoyens respectueux de la loi que des autres. Les dbats autourde la protection de la vie prive, des rumeurs, des prsentationserrones, des harclements, voire bien videmment dactivitstotalement criminelles, connaissent un nouveau dpart.

    Le renouveau de la mobilisationTroisime lment analys par C. Shirky, Internet renouvelle lespossibilits daction collective. Dans son livre de rfrence, LaLogique de laction collective (traduction franaise 1971), lesociologue amricain Mancur Olson a expos le paradoxe delengagement collectif: chaque individu fait un calcul en termes decots et de bnfices avant de se lancer dans des actions collectives.Celles-ci prsentent des cots pour l'individu (dcision, prise derisque, perte de temps, argent investi), mais aussi un espoir debnfice (meilleure protection sociale, augmentation de salaire,emploi). Or, il existe une tendance pour les membres d'un groupe profiter du bnfice d'une action collective, tout en cherchant payer

    le cot minimum, voire chapper au cot de cette action. Plusgrand est le groupe et plus cette tendance est importante. C'est lephnomne du passager clandestin (free rider). Ainsi, les grandsgroupes (que M. Olson dnomme les groupes latents ) peuventrester inorganiss et ne jamais passer l'action mme si unconsensus sur les objectifs et les moyens existe parmi sesmembres. Plus prcisment, plus un groupe est nombreux, plus laprobabilit quil passe lacte est faible. Dans la mesure o lesgroupes relativement petits savrent souvent capables desorganiser sur la base du volontariat et dagir en conformit avecleurs intrts communs tandis que les grands groupes en sontincapables, lissue du combat politique qui oppose les groupes rivaux

    nest pas symtrique Les groupes les plus petits russissentsouvent battre les plus grands qui seraient censs lemporter dansune dmocratie. Mais lirruption dInternet vient modifier cettequation en abaissant les cots dentre dans laction collective,rendant ainsi plus probable limplication individuelle des citoyens.

    Un grand nombre de travaux et de comptes rendusjournalistiques se sont faits lcho de lengagement politique croissantsur Internet (Internet-organized political activism). Non seulement lesgroupes de pression traditionnels ont utilis Internet trs tt, mais denouveaux groupes se sont constitus en ligne. Depuis les

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    manifestations de Seattle contre le sommet de lOrganisationmondiale du commerce (OMC) en 1999 jusquaux Tea Parties de2009, les exemples sont multiples dactivits politiques qui nauraientpas t possibles avant la gnralisation dInternet. Politiquement, lacampagne de Howard Dean est sans doute la premire avoir utilisInternet pour initier des rassemblements ( New York et Seattle en2003). chaque fois, il sagit de coalitions de citoyens disperss quisorganisent rapidement grce aux possibilits offertes par la Toile.En 2009 et 2010, des manifestations conservatrices contre les imptsse sont tenues le 15 avril, jour de la remise des dclarations fiscales.Une nouvelle marche sur Washington est prvue pour le12 septembre 2010 cette date symbolisant le renouveau de lunitnationale au lendemain des attaques terroristes de septembre 2001.Ces rassemblements sont organiss et relays sur Internet, par lebiais de blogs comme Teapartypatriots, Freedomworks.com,Oathkeepers ou The912project.

    Il semble donc quInternet soit bel et bien en train de modifierla vie politique aux tats-Unis : ouverture, change et rseauxdmocratisent la sphre publique. Mais comment peut-on dfinir ladmocratisation ? Le mot en lui-mme est pris gnralement dans unsens normatif et positif. Dire quInternet dmocratise revient direquInternet est une force bnfique. Mais le tableau est en ralit plusnuanc. Internet est certes un outil qui redistribue linfluence politiqueen largissant la sphre publique, en facilitant la participation cito-yenne et en remettant en cause les lites traditionnelles, notammentcelles des journaux. Il permet donc damplifier linfluence des citoyensdans le dbat public. Mais cette amplification est loin dtre galitaireet Internet reproduit des clivages que lon retrouve dans la viepolitique relle. Dans leur ouvrage, Voice and Equality, Sidney Verba,Kay Lehman Schlozman et Henry Brady expliquent que lide departicipation dmocratique ne prendra tout son sens que si les voixdes citoyens en politique sont claires, nettes et gales 18. cetteaune, les progrs enregistrs avec Internet, pour rels quils soient,ne peuvent effacer la permanence dingalits structurelles (voirchapitre 3).

    18 S. Verba, K. Lehman et H. Brady, Voice and Equality: Civic Voluntarism inAmerican Politics, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1995, p. 509.

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    Limpact politique

    Les superlatifs abondent quand on voque limpact lectoraldInternet. Dick Morris, un ancien conseiller de Bill Clinton, parle ainsidun cinquime pouvoir , celui des rseaux en ligne. Depuis lemilieu des annes 2000, les candidats se sont empars de toutes lespossibilits offertes par Internet : financement de leffort decampagne, commentaire lectoral par le biais des blogs, cration decommunauts en ligne, diffusion de clips vido et audio. Bien loin

    dtre un espace priv, Internet saffirme comme un espace devisibilit. Ainsi, en janvier 2007, John Edwards dclare sa candidatureaux primaires dmocrates par une vido sur YouTube, tandisquHillary Clinton annonce la sienne sur son site par le biais dunevido intitule Let the ConversationBegin.

    Comment les nouvelles caractristiques dInternet affectent-elles la vie politique amricaine ? Deux lments de la vie politiqueaux tats-Unis conditionnent largement lutilisation dInternet : dunepart la structure profondment dcentralise des partis, dautre partlimportance de la rpartition gographique dans la construction dunecoalition lectorale. On le sait, les partis politiques amricains sonthistoriquement faibles et dcentraliss, mme si la priode contem-poraine a vu un renforcement des structures partisanes, notammentsous linfluence prsidentielle19. Le mcanisme des primaires parti-sanes est aujourdhui gnralis dans la slection des candidats.Dans ces conditions, les partis sont essentiellement des outils decampagne pour gagner les lections. Leur dynamique interne est toutentire consacre la recherche de leaders. Ces derniers lempor-tent en mobilisant la base, extrmement partisane dans les deuxcamps, ce qui conduit valoriser la surenchre idologique ainsiquune rhtorique de type insurgent visant dnoncer lestablish-ment. Le second lment est le poids de la lgitimit territoriale dansla construction dune coalition lectorale. En tant qutat fdral, les

    tats-Unis nont quune seule lection qui se rapproche de la logiquemajoritaire et numrique des dmocraties parlementaires euro-pennes, cest leur prsidentielle. Mais mme cette lection estformule dans un cadre fdr et non pas entirement national lesprimaires se droulent tat par tat, de mme que le calcul desdlgus au collge lectoral. Il ne saurait tre question duneprimaire nationale ou dune lection prsidentielle au suffrage direct.

    19 Voir D. J. Galvin, Presidential Party-Building. From Eisenhower to Bush, Princeton,Princeton University Press, 2010.

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    La rpartition gographique des lecteurs compte donc autant queleur nombre. Cet obstacle gographique est particulirement probl-matique pour les candidats. Il demande une organisation solide, uneattention constante aux problmatiques locales et multiplie lesoccasions de drapage. Autrement dit, la contrainte gographiquecote du temps, de largent, et augmente les risques. Or Internet estpar dfinition a-gographique ; son usage abolit les distances. Ilconstitue ds lors une ressource essentielle pour la gestion dunecampagne. Il permet en effet dallger considrablement lappareildes militants, tout en assurant la fois une meilleure coordination ausommet et une mise en uvre plus efficace la base. Il rduit lescots en temps, en argent, tout en renforant la cohrence de lacampagne. Compte tenu des spcificits de la comptition lectoraleaux tats-Unis, cette ressource est devenue incontournable pour lesconsultants politiques amricains.

    Les tapes de lmergence dInternetdans la politique amricaineLapprentissage de la ressource Internet sest fait jusqu prsent entrois tapes principales. Une tape supplmentaire est peut-tre entrain de scrire sous nos yeux.

    1/ Les annes 1990 : une phase de dcouverteDans les annes 1990 commence la phase des exprimentations etde lexploration. Ds 1992, George H. Bush et Bill Clinton ont utilisInternet dans leurs campagnes. Avec le recul, leurs pratiquessemblent bien modestes. Le White House Communication Office aenvoy par courriel peu prs 200 discours et dclarations duprsident, tout en les faisant circuler sur des sites dactualit. Lacampagne dmocrate, en revanche, utilisa beaucoup plus le nouveloutil : une liste de campagne comportant les adresses de courriel debnvoles et de soutiens financiers fut tablie. Discours, prises deposition et informations biographiques circulrent beaucoup plus sans doute parce que les attaques ad hominem (dites characterassassination) constiturent une caractristique importante de cette

    lection. Bill Clinton rendit mme publique une adresse de courrielpour le contacter ! Mais bien peu de gens utilisaient alors Internetcomme moyen dobtenir de linformation politique. Tout ceci restaitrelativement confidentiel.

    La situation volue nettement partir du milieu de ladcennie. En 1995, le Republican National Committee enregistre lenom de domaine Rnc.org, suivi de peu par son quivalent dmocrate,qui acquiert le domaine Dnc.org (Democratic National Committee).Cest au mme moment que plusieurs candidats la prsidentielle de1996 mettent en place des sites en prvision des primaires. Mais les

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    sites des candidats finalistes Bill Clinton et Bob Dole neconnurent un certain succs quau moment des dbats tlviss.Toujours en 1996, la campagne de Bill Clinton leva 10 000 dollarsen ligne ! En 1998, les deux tiers des candidats au Congrs avaientdes sites de campagne qui, cependant, demeuraient limits. Ilsagissait de donner de la visibilit aux candidats ; les sites restaientfinalement de gigantesques dpts de brochures. Il ny avait pasdinteraction avec les usagers et les mises jour taient rares. Cesten 1998 galement que le candidat llection du gouverneur dans leMinnesota, Jesse Ventura, un indpendant, russit utiliser Internetpour mobiliser les lecteurs. Son rseau de 3 000 contacts lui permitdorganiser et de coordonner les vnements de sa campagne,dinciter les gens participer, et contribuer financirement (les deuxtiers de son financement provinrent de dons en ligne). Il lui permitaussi de contrer une rumeur qui avait circul selon laquelle il taitfavorable la lgalisation de la prostitution. Ce prcdent ne passa

    pas inaperu.

    2/ Llection prsidentielle de 2000 : la gnralisationLutilisation dInternet entre dans une phase nouvelle avec les prsi-dentielles de 2000. cette date, tous les candidats aux postesfdraux ont un outil Internet sophistiqu et qui nest plus nglig parrapport aux outils traditionnels. Lutilisation politique dInternet serpand aussi pour les lections au niveau local. Al Gore obtient2,7 millions de dollars en ligne et George W. Bush 1,6 million. Lessites sont beaucoup plus conviviaux et interactifs. Le site desdmocrates A. Gore et Joe Liebermann permettait de discuter en

    ligne (Instant MessageNet). En 2004, celui de George W. Bushpermettait de poser des questions en temps rel aux membres delquipe de campagne (State of the Race) et comportait mme un jeu,le Kerry Gas Tax Calculator, qui permettait aux internautes decalculer quel serait le cot pour eux dune mesure propose par J.Kerry visant augmenter de 50 cents le prix du gallon dessence.Cest donc le moment de la maturation dans lusage d Internet, et cetusage a des consquences dans quatre domaines diffrents.

    La tactique de campagneInternet fut utilis par les militants de chaque camp pour rassemblerdes informations qui pouvaient nuire aux candidats adverses, ainsi

    que pour suivre les volutions des sondages et des vnementspolitiques. LexisNexis, les moteurs de recherche et les mises jourdactualit par le biais des RSS (Really Simple Syndication) devinrentdes outils courants. Tout le processus de collecte et de transfertdinformations fut beaucoup plus facile et efficace. Un autre lmentde campagne a t la vente de matriel (affiches, T-shirts, vte-ments) : en 2000, les dmocrates avaient le Gore Store et en 2004 leKerry Gear; ct rpublicain, on pouvait chercher dans Wstuff.

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    La communication de campagneLes sites de campagne mettent en avant des informations sur leparcours professionnel des candidats puis leur vie de famille. En2000, par exemple, le site de Al Gore et J. Liebermann avait unesection Get to KnowUs. Les pages daccueil ont des informations decontact, des moteurs de recherche et permettent denvoyer un lien.Les sites prsentent gnralement des liens vers dautres sitesfavorables aux candidats ou une cause. Ils permettent aussidannoncer les vnements de campagne et de dissminer desinformations.

    Il y avait galement des sections traitant de groupes prcis,dits coalitions chez les rpublicains et communities chez lesdmocrates : les femmes, les Noirs, les catholiques, les Hispaniques(en 2004, les deux sites des candidats avaient des versions enespagnol), les personnes ges, les petits entrepreneurs, lestudiants, les vtrans, etc. Les sites prsentent aussi les positions

    des candidats, souvent disponibles en version pdf pour tlchar-gement. Par exemple, en 2003, le site de campagne de HowardDean prsentait un manifeste de 8 pages intitul Common Sense fora New Century. En mme temps, des sections expliquaient pourquoiil ne fallait pas voter pour lautre candidat. En 2004, le site de J. Kerryprsentait une section Bush-Cheney: Wrong for America et lesrpublicains avaient un Kerry Media Center dnonant les incoh-rences du candidat dmocrate.

    La communication par courriel se gnralise, notamment pourorganiser des vnements. Un simple courriel par un organisateurpeut mobiliser des milliers de militants et de bnvoles quasi

    instantanment et sans cot additionnel. Les courriels permettentaussi de tenir au courant des derniers vnements de campagne, etde contrer les rumeurs colportes par les adversaires et/ou lesmdias. Cest ainsi quau tout dbut des primaires rpublicaines,John McCain a pu demander chacun de ses contacts de tlphoner dix lecteurs inscrits comme indpendants ou rpublicains pourparticiper la primaire du New Hampshire, avec comme rsultat laparticipation de plus de 9 000 de ses partisans.

    Cest aussi partir de ce moment-l que les campagnesmettent au point des listes de contact. Les sites proposent auxinternautes de laisser leur adresse en sinscrivant. Ils peuvent aussi,

    sils le dsirent, donner des informations plus prcises (nom, adressepostale, numro de tlphone, ge). Michael Turk, le directeur desactivits Internet de la campagne Bush en 2004, a ainsi dclar que7 millions dadresses avaient t rassembles. Ce trsor de guerrepermet bien videmment de cibler ensuite les messages politiques etde contacter les gens de faon personnalise.

    La capacit de mobilisationLes messages Internet permettent non seulement dinformer les gensmais de les pousser agir sur la base de ces informations. Loutil derfrence ici est le blog qui constitue une arne au sein de laquelle

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    peuvent sexprimer les opinions. La campagne de Howard Dean estl aussi devenue une rfrence en multipliant les forums en ligne :Dean Nation, Change forAmerica, Howard Dean Call to ActionWeblog, et le principal, Blog for America. Au sein de ces blogs, lesinternautes taient parfois appels faire des propositions politiques,contribuant ainsi llaboration du programme. Interactivit et racti-vit taient au cur de la dmarche de la campagne de HowardDean.

    En 2004, les campagnes de J. Kerry et de George W. Bushavaient elles aussi des blogs, et, pour la prsidentielle de 2008,certains candidats les avaient mis en place ds mars 2007. Les sitesdes candidats permettent aussi aux gens intresss de participer leffort de campagne, surtout au niveau local. Ainsi, en 2000, le sitedAl Gore proposait une section intitule Take Action qui permettaitdidentifier les vnements auxquels un internaute pouvait participer.Mme chose en 2004 sur le site de J. Kerry avec une section surGetLocal. Ct rpublicain, la campagne de George W. Bush avait misen uvre une section dite Grassroots permettant de constituer desrseaux locaux de volontaires. Les bnvoles devenaient des teamleaders sils parvenaient recruter plus de 10 membres suppl-mentaires. Les quipes nationales encadraient et informaient cesleaders locaux. Au total, 1,4 million de bnvoles fut recrut de cettemanire.

    La leve de fondsLa mobilisation se dcline aussi financirement. Lors des primairesdmocrates de 2000, le snateur du New Jersey, Bill Bradley, fut lepremier dpasser le million de dollars en dons en ligne. Au mme

    moment, mais chez les rpublicains, J. McCain russissait un exploitsimilaire : arrivant quasiment sans argent la primaire du NewHampshire, il put cependant recueillir un demi-million de dollars dansles 24 heures qui suivirent sa victoire. Au total, il russit obtenir6,4 millions de dollars par des petites contributions en ligne, soit lequart du montant total de son budget de campagne. En 2004,Howard Dean tablit un nouveau record en obtenant 20 millions dedollars en ligne, soit 40 % de son budget de campagne total. GeorgeW. Bush obtint 14 millions de dollars en ligne, soit 5 % du budget totalde sa campagne ; J. Kerry, linverse, reut 89 millions de dollars enligne, soit un tiers de son budget de campagne20. Pour les lectionsde 2004, Internet a donc t un lment essentiel du financement

    des dmocrates face la machine de guerre rpublicaine.

    20 Ces chiffres sont tirs de ltude de J. Graf, G. Reeher, J. Malbin,C. Panagopoulos, Small Donors and Online Giving: A Study of Donors to the 2004Presidential Campaigns, Washington D.C., Institute for Politics, Democracy and theInternet, George Washington University, 2006.

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    3/ 2004 et 2008 : Internet modifie la donneLes donnes de base de lutilisation dInternet en politique sont doncen place pour les lections de 2004 et 2008. En 2008, par exemple,le site de campagne de Barack Obama, MyBarackObama.com,

    labor en collaboration avec le cofondateur de Facebook ChrisHughes, permettait aux internautes de sorganiser localement enentrant quelques informations personnelles. Son siteFightthesmears.com visait contrer les rumeurs et contre-vritscirculant sur son compte. En fait, depuis 2004, lutilisation dInternetsest ramifie et va bien au-del du seul site des candidats. Ce sonten effet les lecteurs les plus motivs et les plus intresss qui serendent sur les sites de campagne, et non le public gnral. Toute larflexion des consultants politiques vise donc dsormais atteindreles lecteurs qui ont un engagement politique moins marqu. Lesmoyens utiliss sont alls du plus familier, avec lutilisation des sitesdes mdias traditionnels, aux plus innovants, avec par exemple le

    recours aux sites communautaires.Ainsi, les tats-majors de campagne utilisent constamment la

    publicit en ligne sur les sites des mdias traditionnels (ABC News,Fox News, etc.). Les internautes qui se rendent sur ces sites sonttendanciellement intresss par la politique sans tre forcmentpartisans. Ils sont donc des cibles idales. Par ailleurs, la publicit enligne ne cote quune fraction de la publicit dans les journaux oudans les mdias audiovisuels. Les publicits politiques en ligne semettent donc pulluler lors des campagnes. Ds le printemps 2004,le Republican National Committee avait plac des publicits attaq-uant la crdibilit militaire de J. Kerry sur plus de 1 000 sites diff-

    rents. Outre les mdias gnraux, ceux daudience locale ainsi queles blogs les plus visibles sont particulirement viss (Daily Kos aainsi un demi-million de visites chaque jour). Certains blogs se fontdirectement le relais dun candidat, dune manire beaucoup plusdirecte que dautres journalistes. Et il est vrai que beaucoup de blogssont extrmement politiss, constituant un cho pour les candidatsles plus radicaux au dtriment des plus modrs.

    Par ailleurs, linnovation la plus marquante en 2004 et 2008est lutilisation des rseaux communautaires qui permettent de fairefacilement circuler un message grce ce que lon appelle lacommunication virale . La participation des usagers, lun desavantages incontestables dInternet, sest considrablement ren-force avec la pratique des sites sociaux ou communautaires qui font office de forum o chacun peut participer : Flickr, YouTube,MySpace, Facebook, etc. Le site de vidos en ligne Youtube, cr en2005, a t un succs immdiat, qui fut aussitt rcupr en poli-tique. Une section spcifique fut mme cre pour la prsidentielle de2008. Nanmoins, les vidos les plus populaires ne sont pas cellesqui font de la publicit pour un candidat, mais plutt celles qui font rire ses dpens : Hillary Clinton qui chante faux lhymne national ou J.

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    McCain qui dort pendant un discours au Snat. Cest ce que lonappelle le gotcha journalism21. En 2008, Mitt Romney, lun descandidats rpublicains, fut confront des vidos sur YouTubemontrant des dclarations publiques favorables au droit lavor-tement et au contrle des armes feu. Les vidos aux relentsracistes et/ou sexistes fonctionnent galement et sont parfois le faitdes quipes adverses. Un exemple est maintenant clbre : en 2006,lors de la campagne snatoriale en Virginie, un membre de lquipedu dmocrate Jim Webb se rend dans un meeting de ladversaire, lerpublicain George Allen. Ce dernier, en reprant le jeune hommedorigine indienne, linterpelle en utilisant le mot macaque (macaca) La vido, mise surYouTube, et dment envoye des journalistes professionnels22, devient un succs permettant desmillions dlecteurs de la visionner. La campagne de G . Allen najamais pu sen remettre.

    La dmocratisation et la transparence sont donc portes

    leur maximum, avec des risques de drapage permanents. Les sitescommunautaires sont particulirement utiles pour atteindre les plus jeunes (18-24 ans) et les mobiliser, de sorte que ds 2006 lescandidats se mirent explorer ces sites et y crer leurs proprespages. Les partisans multiplient aussi les initiatives : lorsque BarackObama a annonc sa candidature, Facebookavait dj plus de 500groupes qui discutaient et commentaient sa campagne. Ces initia-tives sont extrmement positives pour les candidats, mme sil estimpossible de contrler le message qui circule. Elles constituentgalement un moyen de sonder la popularit dun candidat. Au dbutde 2007, Barack Obama comptait 64 000 amis sur Facebook etHillary Clinton seulement 25 000.

    Ce rapide panorama ne saurait puiser le sujet : ainsi, les TeaParties qui se multiplient depuis le printemps 2009 semblent crire unnouveau chapitre dans la brve histoire dInternet en politique. Untravail danalyse srieux reste faire sur ce mouvement, mais lescaractristiques dInternet semblent premire vue particulirementbien adaptes ce mouvement qui se veut multiforme, sans hirar-chie, hors des partis et venu de la base (grassroots). Le mouvementa dailleurs dj sa propre mythologie sur le thme de la prise deconscience spontane dAmricains moyens qui dcident de sefaire entendre des dcideurs. Internet est donc videmment prsentet utilis comme loutil idal de mobilisation de la base par la base,

    fidle aux principes dmocratiques du pays.Les militants de ce mouvement ont recours aux toutes

    dernires techniques de communication en ligne et il ne fait nul doute

    21 Ces vidos en ligne sont une ressource dautant plus pratique que la FEC aadopt en 2006 des rgles extrmement souples sur leur utilisation, tout commepour celle des blogs.22 Jessica Van Den Berg, la directrice de campagne de J. Webb, la reconnu. Citp. 69 inA. Chadwick, Ph. Howard, Internet Politics, New York, Routledge, 2009.

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    que lhistoire dInternet en politique se poursuit avec eux. Parexemple, le Contract From America, directement inspir du ContractWith America des rpublicains en 1994, a t rdig partir decontributions en ligne des internautes23. Lors de la manifestation du15 avril 2010, loccasion de la date limite de renvoi des dclarationsdimpts (Tax Day), CNN rapportait que les sites des Tea Partiespermettaient de participer virtuellement aux vnements deWashington D.C. : un petit personnage apparaissait alors dans unereconstitution virtuelle du lieu de la manifestation.

    Si les nouvelles techniques utilises peuvent tre recenses, ilest encore trop tt pour apprcier leur impact rel sur la pratiquepolitique amricaine dans les 18 derniers mois.

    Internet, ou la manifestation permanenteAu terme de ce bref survol, on voit quInternet a dabord perccomme outil pour les campagnes de contestation. Internet nest pasfiltr au niveau de la production, et offre donc un accs plus largepour un candidat minoritaire ainsi quune possibilit de diffusion plusvaste de son message. En dautres termes, Internet a un puissanteffet galisateur de loffre politique. Ce sont donc des candidats oudes mouvances en marge qui ont utilis Internet avec succs, chezles libraux (au sens amricain de centre gauche ), puis chez lesconservateurs.

    Historiquement, le baptme politique dInternet sest dailleurs

    produit loccasion dune contestation des structures traditionnellesdes partis politiques. Les exemples de Bill Bradley et de J. McCainchez les rpublicains en 2000 lillustrent parfaitement, de mme queles candidatures de Howard Dean et de Wesley Clark chez lesdmocrates en 2004. Les campagnes en manque de structures etdargent ont trouv en Internet un moyen de se constituer une base etdes ressources.

    Les annes 2000-2006 indiquent galement que la montedInternet chez les dmocrates est lier au manque relatif deleadership au sein du parti. Aprs Bill Clinton, le parti a driv,perdant en substance et en crdibilit. Dans leur livre Crashing the

    Gates, J. Armstrong et M. Moulitsas reprennent leur compte unedclaration de Howard Dean en juin 2005 : Le Parti dmocrate atrop longtemps t un groupe dintrts locaux plutt quun parti . Etils poursuivent : Le Parti dmocrate () est un regroupementdintrts troits et particuliers, souvent en conflit les uns avec lesautres, travaillant rarement de concert pour avancer la causecommune. Les membres de chaque groupe dintrt cologistes,

    23 consulter sur Thecontract.org.

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    partisans de lavortement, libertaires, etc. avancent leurs intrtsavant celui des autres et ne montrent que peu ou pas de compr-hension des valeurs progressistes suprieures quils sont censspartager avec les autres 24. Le Parti dmocrate sous Bill Clinton etles New Democrats ont bien russi se financer au point de faireparit avec les rpublicains en 2004 , mais les chiffres sont trom-peurs. Malgr limportance des sommes, lidentit du Parti tait encrise, difficilement lisible. Il est alors peu surprenant que le Parti aitt doubl par un grand nombre dassociations parallles, qui ont faitdInternet leur outil de prdilection. MoveOn.org est un des plusconnus, ou encoreAmerica Coming Together(ACT) en 2004.

    Depuis lors, la situation sest renverse pour les dmocrates.En 2005, Howard Dean est devenu le nouveau prsident de lins-tance dirigeante du Parti dmocrate et sa stratgie des 50 tats (fifty-state strategy) a renforc le Parti lchelle nationale. Le Partidmocrate est alors devenu une machine extrmement efficace, une

    russite sur laquelle Barack Obama a capitalis pendant sa cam-pagne. En 2008, le dynamisme des groupes dmocrates sur Internetntait plus un symptme de laffaiblissement du Parti (comme ctaitle cas en 2004), mais un outil de plus pour renforcer la coordinationpartisane.

    On peut lgitimement se demander si une interprtationparallle ne peut pas tre faite aujourdhui au sujet du Parti rpu-blicain et du mouvement des Tea Parties. Lclosion de ce mouve-ment, qui se veut spontan et libre, semble illustrer une faiblesse duParti rpublicain, comparable celle du Parti dmocrate dans lesannes 2000-2005. En effet, la prsidence George W. Bush a certes

    marqu un sommet dans lorganisation du Parti rpublicain, maisdepuis lchec de 2008, le Grand Old Party (GOP) est en criseprofonde, notamment par manque de leader. Le mouvement des TeaParties peut tre analys comme un symptme de cette crise.

    Une rationalisation de la vie lectorale ?Au-del des relations complexes entre groupes politiques sur Internetet partis traditionnels, la Toile apparat comme un puissant moyen derationalisation des pratiques traditionnelles sur la scne publiqueamricaine. Ainsi, Internet permet de toucher les lecteurs les plusengags ; Internet modifie le financement des campagnes ; Internetfacilite la mobilisation dans les primaires.

    Lefficacit dInternet ne rside pas dans sa capacit atteindre les lecteurs mdians , non politiss, ce qui est le Graalde la plupart des consultants politiques. Si lon conserve cet objectif,

    24 J. Armstrong, M. Moulitsas, op. cit., p. 37.

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    alors Internet nest quun outil mineur, un complment par rapport auxoutils traditionnels de campagne. Il sinscrit dans leffort de mobili-sation des lecteurs que lon appelle le Get-Out-The-Vote effort(GOTV), mais il nest pas particulirement plus efficace que des outilsplus anciens comme le courrier personnalis (direct-mail). Il estsimplement moins cher25. Sa vraie singularit est en revanche demobiliser les citoyens les plus engags en gnrant des bnvoles etdes financements. Des sondages de 2008 indiquaient que leslibraux et les conservateurs sont prsents sur Internet en propor-tions peu prs similaires, mais que les libraux visitent plus les sitespolitiques que les conservateurs26. Cest chez les dmocratesquInternet a t un outil dterminant, notamment lors de la cam-pagne de Howard Dean. Ce dernier a t le premier comprendre lepotentiel pour mobiliser les militants, ce qui fut imit par les rpu-blicains, puis par Barack Obama et aujourdhui par la nbuleuseconservatrice. La Toile nest donc pas un moyen de communiquer

    avec le public en gnral, mais un moyen de communiquer entre lesleaders et les activistes qui, sans tre politiss ou professionnels ausein dun parti, ont des valeurs clairement affirmes.

    Lorganisation en ligne a permis des individus isols dagirdans leurs communauts. Pour revenir la campagne de HowardDean pour les primaires de 2004, quelques uns de ses conseillers ontutilis MeetUp, un site permettant des internautes partageant lesmmes centres dintrt de se runir. Ce site est devenu un desrseaux les plus importants de la campagne de Howard Dean car il apermis lorganisation de runions New York et dans quelque 600autres villes ds lhiver 2003. 40 % des 190 000 personnes inscritessur les sites de Howard Dean dans MeetUp se sont rendus cesrunions. Cest ainsi que sa campagne a pu recruter un grandnombre de bnvoles qui, et cest l une spcificit de la campagnede Howard Dean, taient des novices en politique. On estimegnralement que la prexistence de rseaux locaux est unecondition pour lancer et soutenir une campagne et quenviron 70 %des personnes travaillant pour un candidat dans des primaires ontdj de lexprience en la matire La technologie Internet a doncpermis Howard Dean dactiver des rseaux latents.

    Howard Dean a prouv quInternet largissait non seulementle rservoir de bnvoles, mais galement celui des financements. Lamoiti du financement de la campagne de Howard Dean sest fait en

    ligne 320 000 personnes ont contribu. 61 % de son financement

    25En utilisant les bases de donnes quils se sont constitues (ou auxquelles ils ontaccs), les partis sont capables de dfinir des profils extrmement prcis dlecteurs(cest ce quon dnomme le narrow-castingou le microtargeting) afin de les contacteret de faire passer un message de campagne. Cette technique est dans la ligne dudirect-mail et sinspire directement, comme son prdcesseur, des techniquescommerciales de segmentation du march.26 Les visites aux sites de gauche sont deux fois plus nombreuses que pour les sitesconservateurs. M. Hindman, op. cit.

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    est venu de dons de 200 dollars ou moins. Seuls 2 851 contributeurs moins de 1 % du total ont donn le maximum autoris par la loi,soit 2 000 dollars, apportant ainsi 11 % du budget total de lacampagne27. La campagne de Barack Obama en 2008 a suivi unelogique trs similaire. Le candidat dmocrate a rassembl750 millions de dollars, dont 88 % provenaient de dons individuels (comparer aux 370 millions levs par le rpublicain J. McCain dont54 % de dons individuels) 28. Les financements individuels ne se fontcertes pas tous en ligne, mais dans le cas dObama, il y a trslargement fusion entre financement individuel et en ligne.

    Ce financement par le biais dInternet a un profil relativementnouveau. Gnralement, les financements sont des moyens desassurer un accs la dcision politique. Plus la contribution estimportante, plus le message quelle dlivre est clair. Autrement dit, lecandidat qui en bnficie sait quelles sont les priorits de sonfinanceur, charge pour lui, une fois lu, den tenir compte ou pas en

    fonction des contraintes qui sont les siennes. linverse, le finan-cement par des petits dons sur Internet ne donne aucun messageclair au candidat. Il indique simplement un certain degr de popularitauprs dune partie de llectorat. Par ailleurs, linverse des finan -cements plus traditionnels et plus importants, ils ne sont pasdirectement lis aux rseaux sociaux du candidat et ses contactspersonnels. Gnralement, les amis dun candidat sont les premiers tre sollicits ! linverse, les petites contributions pour HowardDean furent spontanes, provenant de gens qui sont alls deux-mmes vers le candidat et sa campagne.

    Enfin, la perce de Howard Dean en 2003-2004 doit tre

    comprise comme une primaire avance auprs dun lectorat trs gauche. Howard Dean a bnfici de la primaire en ligne organiseparMoveOn en juin 2003 (o il remporta 44 % des voix) et de leffetboule de neige qui a suivi au travers de la couverture mdiatique etde lenthousiasme gnral. Mais cet effet reste dconnect de laralit de llectorat. Lemballement mdiatique et en ligne a conduitun grand nombre dobservateurs dire que Howard Dean avait unlarge soutien populaire, mais sans voir que ce soutien tait peu repr-sentatif de llectorat de gauche en gnral. Certes, lexemple deHoward Dean montre que le virtuel peut se transformer enressources politiques relles : bnvolat, couverture mdiatique,financement et, ce qui peut tre dterminant, une dynamique qui se

    met en place trs tt dans la course aux primaires. Mais Internet servle beaucoup moins utile dans llection gnrale, prcisment

    27VoirOpensecrets.org.Les petites donations sont celles en dessous de 200 dollars.

    Au-dessus, elles doivent tre dclares individuellement la FEC.28Voir sur ce point lanalyse mene par le Campaign Finance Institute, la BrookingsInstitution et lAmerican Enterprise Institute, Reform in an Age of NetworkedCampaigns, janvier 2010, en particulier p. 12-16. Le rapport est disponible sur : (consult le 6 juin 2010).

    http://www.opensecrets.org/http://www.opensecrets.org/http://www.opensecrets.org/http://www.cfinst.org/Press/PReleases/10-01-14/Reform_in_an_Age_of_Networked_Campaigns.aspxhttp://www.cfinst.org/Press/PReleases/10-01-14/Reform_in_an_Age_of_Networked_Campaigns.aspxhttp://www.cfinst.org/Press/PReleases/10-01-14/Reform_in_an_Age_of_Networked_Campaigns.aspxhttp://www.cfinst.org/Press/PReleases/10-01-14/Reform_in_an_Age_of_Networked_Campaigns.aspxhttp://www.opensecrets.org/
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    parce que celle-ci implique llectorat au sens large et pas seulementles lecteurs les plus motivs. Howard Dean a donc utilis Internetavec succs pendant les primaires, mais les leons tirer de sonexprience sont sans doute moins utiles lorsquil sagit dimpliquerllectorat au sens large29. Cette observation conduit aujourdhui uncertain scepticisme quant la capacit des militants des Tea Parties se transformer en un mouvement politique apte gagner deslections, quil soit rcupr ou non par le Parti rpublicain. Lesraisons de ce dcalage rsident dans les nombreux biais sociauxquillustre et renforcela pratique politique dInternet.

    29 C. Shirky, op. cit., p. 224.

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    Le foss numriqueLe potentiel dInternet ne permet pas deffacer totalement ce queDaniel Gaxie dnommait le Cens cach (1978) de la vie politique. Lesingalits structurelles de la socit amricaine demeurent et, debien de faons, Internet cre autant de problmes que de nouvellesopportunits.

    Durant les annes 1990, lAdministration Clinton avait fait dela prise en compte du foss numrique (digital divide) une de sespriorits31. Cass Sunstein pouvait crire qu un grand cart existepour certains groupes ethniques : les Africains-Amricains et lesHispano-Amricains sont quips 30 % et 33 % respectivement en1995, les Blancs tant bien au-dessus de 50 %. Mais cet cart serduit rapidement et lon sattend ce quil ait disparu en 2005 32.Les experts sattendaient ainsi une diffusion dInternet sur le

    modle traditionnel de la diffusion des innovations technologiques,une sorte de courbe en forme de s .

    Mais cette valuation optimiste ne sest pas ralise : 30 %des Amricains nutilisent toujours pas Internet en 200833. Les cartsdans la capacit utiliser Internet sont bass sur le niveau dtudes,le revenu, lappartenance ethnique et lge. De ce point de vue, laparticipation politique en ligne reproduit les clivages existants dans laralit, lexception des lecteurs les plus jeunes (18-24 ans).Internet ne modifie en rien lapathie politique des Noirs les pluspauvres, qui souffrent dune accumulation de problmes sociaux etculturels. Les Hispaniques souffrent du manque relatif de diplms au

    sein de ce groupe et de la barrire linguistique.Le portrait de linternaute type tel que dessin par les

    statistiques est celui dun homme blanc, jeune, avec un haut niveaude diplme. Les sites politiques, quant eux, sont plus frquents

    31 Les politiques fdrales entreprises ce titre ont essentiellement vis faciliterlaccs Internet dans les coles et les bibliothques publiques, notamment dans leszones socialement dfavorises. En revanche, le budget pour des formations et/oudes stages destins aux personnels reste trs limit, notamment suite aux coupesbudgtaires dcides par George W. Bush ; le No Child Left Behindest actuellementle seul texte qui permette de financer de telles actions. Le principal programmefdral est E-Rate, administr par la National Telecommunications and Information

    Administration (NTIA). Le programme vise essentiellement agir au niveau desinstitutions publiques, mais ne vise pas diminuer le cot daccs pour les individus la diffrence de ce qui peut se faire pour le tlphone ou lnergie. Actuellement,99 % des bibliothques publiques et 92 % des coles ont au moins un accsInternet. Paralllement, sous linfluence de Bill Clinton et de Newt Gingrich, le e-gouvernement sest dvelopp, en facilitant lobtention dinformations politiques etlgales, tout en gnralisant la cration de services publics en ligne.32 C. Sunstein, Republic.com, Princeton, Princeton University Press, 2001, p. 20.33 E. Hargittai, The Digital Reproduction of Inequality , p. 936-944, in D. Gruski(dir.), Social Stratification, Boulder, Westview Press, 2008. Linfrastructure nces-saire la distribution du haut dbit (broadband) aux tats-Unis nest pas subven-tionne. Le haut dbit reste donc plus cher aux tats-Unis quen Europe.

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    par des hommes dpassant les quarante ans. Lutilisation dInternetpar les militants des Tea Parties depuis 2009 cadre avec cesobservations. Selon un sondage du New York Times et de CBSdavril 2010, les Tea Parties sont reprsentatives dune certaineportion de la population, et non pas de la population amricaine engnral : les membres du mouvement sont trs majoritairementblancs, de plus de 45 ans, maris, et avec un niveau de diplmes etde revenus suprieurs la moyenne nationale34. Leur recours massif Internet va donc de soi.

    Mais au-del de la reproduction des clivages dj existants, ilsemble quInternet intensifie au contraire les divisions socialesbases sur le revenu et le niveau ducatif. Laccs Internet est unechose, mais savoir lutiliser et trier la masse dinformations dispo-nibles en est une autre. La rpartition des capacits intellectuellesncessaires pour utiliser Internet est encore plus ingale que celledes possibilits daccs. Le potentiel technologique dInternet est

    donc troitement limit par le contexte socioculturel dans lequel il sedploie.

    Le Cens cach dInternetLes activits politiques reprsentent une part infime du trafic surInternet. Celui-ci, que lon mesure par le nombre de visites reues parun site, est dabord dirig vers la pornographie. Plus de 10 % du traficest consacr aux sites adultes, et cest le flux le plus important. Un

    peu moins de 10 % (9,6 %) sont consacrs aux services de Webmail(Yahoo Mail, Gmail, Hotmail) ; 7,2 % sont ds aux moteurs derecherche ; 2,9 % aux mdias et actualits, et 0,12 % aux sitespolitiques, dfinis comme appartenant des partis ou organisationspolitiques particuliers, ainsi que les sites qui expriment des opinionssur les sujets de politique locale ou internationale 35.

    Dans son livre The Myth of Digital Democracy, MatthewHindman sintresse au fonctionnement de ces sites politiques, allantde linformation politique aux blogs ou la dfense de causesparticulires. Il dmontre quInternet dforme la pratique politique enne laissant en lice que les gagnants36. Paradoxalement, la grandetransparence dInternet a entran la cration de nouvelles litespolitiques. La dmocratisation de la vie politique par Internet aencore un long chemin faire. M. Hindman explique cette situation,

    34 K. Zernike, M. Thee-Brenan, Poll Finds Tea Party Backers Wealthier and MoreEducated , NewYork Times, 14 avril 2010, disponible sur. Consult le 17 avril 2010.35 Ces chiffres, qui datent de 2006, sont tirs du site de Hitwise, une socit quianalyse les comportements des internautes pour des entreprises. Cf.Hitwise.com.36 M. Hindman, op. cit., p. 4.

    http://www.nytimes.com/2010/04/15/us/politics/15poll.html?scp=1&sq=tea%20parties%20poll&st=csehttp://www.nytimes.com/2010/04/15/us/politics/15poll.html?scp=1&sq=tea%20parties%20poll&st=csehttp://www.http/hitwise.comhttp://www.http/hitwise.comhttp://www.http/hitwise.comhttp://www.nytimes.com/2010/04/15/us/politics/15poll.html?scp=1&sq=tea%20parties%20poll&st=csehttp://www.nytimes.com/2010/04/15/us/politics/15poll.html?scp=1&sq=tea%20parties%20poll&st=cse
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    quil qualifie de googlearchy(p. 55), par une cologie de lInternet,cest--dire une analyse de lenvironnement en ligne qui, selon lui, narien de transparent ni dgalitaire, sauf les apparences.

    Comme on la vu, largument le plus courant propos

    dInternet est quil permet dgaliser la scne publique car chacunpeut participer. Ceci redonne du pouvoir aux groupes marginalissavec lide que les petits sites peuvent tre les plus intressants. Orlarchitecture dInternet ne confirme en rien ces perceptions.

    Tout dabord, Internet nlimine pas totalement les gardiens (gatekeepers) de lexpression politique. Il se contenteden modifier la nature. Si le filtrage ne sapplique plus la productiondinformation, cest quil a t dplac vers la rception dinformation.Ce sont ici les moteurs de recherche qui prennent toute leurimportance. Lactivit en ligne est en effet structure par un rseaude liens ce que prsuppose le nom du rseau, la Toile (Web). Ainsi,

    plus le nombre de liens sur un site est important, plus le trafic gnrsur ce site saccrot. Qui plus est, limpact des liens est ingal : lesliens des sites dj populaires apportent plus de visites. Ainsi, lesuccs gnre le succs dans un effet boule de neige37.

    Or le critre de slection et de classement pour les moteursde recherche est justement limportance du trafic : ils prsentent lessites par ordre dcroissant de visites. Et les sondages montrent quelcrasante majorit des Internautes ne dpasse jamais la premirepage de rsultats aprs une recherche sur Google ou tout autreservice. Dans ces conditions, il va sans dire que tous les sites ne sontpas gaux. Selon M. Hindman, Internet est structur selon un modlequil qualifie de Winner-Take-All: les sites classs premiers sont lesseuls visits. Ceci a de profondes implications sur lgalereprsentativit des diffrentes opinions politiques.

    La structure Internet semble organise comme des poupesrusses car mme dans les sous-catgories (politique, culturel,historique, etc.), le schma est identique. Il y a systmatiquement,quelques sites dominants sur un sujet donn. La googlearchy estdonc rgie par une seule rgle, celle du site possdant le plus deliens38. Ces hirarchies structurelles sont non seulement renforcespar celles de la vie relle, mais aussi par les ingalits conomiques.La recherche dinformations sur Internet est en effet domine par degigantesques socits comme Google, Yahoo! et Microsoft qui,

    elles seules, grent 95 % des demandes de recherche sur Internet 39.Si la recherche dinformations est monopolise par un petit

    conglomrat, la distribution dinformations est galement affecte.Nimporte qui peut poster une opinion en ligne partir du moment o

    37 M. Hindman, op. cit., p. 42-43.38 Ibidem, p. 55.39 Et le phnomne de concentration se poursuit : YouTubepar exemple a t acquispar Googleau dbut de 2007 pour 1,65 milliard de dollars

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    il ou elle a accs Internet. Le phnomne des blogs en est lameilleure illustration. Mais seront-ils consults ? Par ailleurs, lalogique participative qui anime la blogosphre est telle que lafrontire entre le priv et le public se trouve totalement brouille. C.Sunstein, dans son livre de 2001 Republic.com, voque ainsi la personnalisation totale du systme de communication , qui va depair avec le pouvoir croissant des consommateurs de filtrer ce quilsvoient . Il pousse largument jusqu dire que le seul mdia quechacun dentre nous lit rgulirement est Mon Journal Moi (leDaily Me)40.

    Paralllement, les mdias de masse traditionnels ne sontdonc pas forcment affaiblis par Internet. Ils peuvent mme devenirde plus en plus utiles dans la mesure o ils exercent un tri par rapportau flot dinformations circulant en ligne. La configuration conomiquedemeure extrmement favorable aux groupes les plus reconnus.Lconomie des mdias fonctionne dune faon telle que les mdias

    de masse sont gnralement chers produire (les cots fixes sontimportants), mais trs peu chers distribuer. Autrement dit, produireune mission ou organiser un journal est une tche trs coteuse carelle fait appel un grand nombre de techniciens et de journalistes. Enrevanche, une fois que le produit est achev, il est trs facile denfaire des copies et de les distribuer41. Internet ne fait que diminuerencore un peu le cot de la distribution, mais nagit pas du tout surles frais fixes. De ce point de vue, les grands mdias ne sont pasdirectement menacs par Internet. Ils ont dailleurs investi trs tt lemarch virtuel quils utilisent comme un mode de distributionsupplmentaire par rapport aux vecteurs traditionnels42. Les tudesstatistiques montrent aussi que les internautes se tournentmassivement vers les sites dinformations reconnus CNN, le NewYork Times, etc.

    Mais la distribution dinformations sur le Net souffre pourtantde larges dsquilibres qui peuvent affecter de faon extrmementngative le discours politique. C. Sunstein, dans son dernier ouvrage,Infotopia (2006), montre en effet les piges du Daily Me. La capacitque les internautes ont de filtrer linformation et de se retrouver entrepersonnes partageant le mme intrt ou les mmes ides conduit ce que C. Sunstein dnomme des cocons de linformation (information cocoons) et des chambres dcho. Il voit dans le dve-loppement dInternet un puissant adjuvant la polarisation carac-

    tristique de la vie politique amricaine. Aprs avoir consult des

    40 C. Sunstein, Republic.com, Princeton, Princeton University Press, 2001, p. 4-5 etp. 8.41Le mme raisonnement sapplique pour la cration dun logiciel (software).42 Mais cette perspective ne demeure valable que si les autres modes de distributionne sont pas affects par lmergence du nouveau support les conomistes dirontceteris paribus. Le problme actuel des mdias surtout la presse face Internetest que le succs de la Toile affaiblit les autres modes de distribution. Un nombrecroissant de lecteurs fait le raisonnement suivant : quoi bon acheter un journalpapier quand tout le contenu est disponible en ligne ?

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    sites ou chang en ligne, les internautes sont susceptibles dadopterdes opinions plus extrmes que celles quils avaient auparavant, maisvers lesquelles ils penchaient dj au dpart. Cette polarisation desgroupes favoriserait la fragmentation sociale, lisolation des individuset un affaiblissement de lempathie sociale43. Largument sinscritdans une volution plus large de la culture de nos socits. AinsiCharles Taylor crivait-il dans Ethics of Authenticity (1991) que nossocits contemporaines nattribuent aucune identit fixe leurscitoyens linverse des socits traditionnelles. Dans ces condi-tions, il revient chacun dentre nous de chercher et de construireson identit, ce que Ch. Taylor dnommait la recherche du moiauthentique . Ce modle a certes un grand nombre davantages,mais il comporte aussi des inconvnients quInternet vient magnifier.Les individus partagent de moins en moins de systmes designification en commun (negationsof all horizons of significance) etse concentrent sur leur vie prive (self-centered modes of self-

    fulfilment). Politiquement, cette volution sociale se traduit par unaffaiblissement de lengagement collectif. Avec le retrait citoyen, lavie politique se rduit des petites phrases (sound bites) et desarrangements entre groupes dintrts. Cette situation est extrme-ment proche de ce que dcrit Robert Putnam. On en viendrait douter radicalement de la capacit dInternet susciter delengagement collectif.

    Mais ces discours dramatiques doivent certainement tretemprs. Lvolution de la comptition lectorale aux tats-Unismontre quInternet facilite la mobilisation, notamment des groupesmarginaliss, sans pour autant que cette nouvelle technologie soitune panace. En revanche, la distribution dinformation par lescitoyens sur la Toile est bien dsquilibre, avec des consquencessur la nature du dbat public. Cest tout particulirement vrai pourlmergence des blogs, un phnomne en croissance exponentielle,auquel le Pew Research Center avait consacr un rapport44 en 2006.Selon ce rapport, les bloggers sont jeunes moins de trente ans ,diplms, et ils se rpartissent de faon quivalente entre leshommes et les femmes. Les deux premires caractristiquesindiquent nettement que les bloggers ne sont pas reprsentatifs de lapopulation. Mais le foss est encore plus grand entre les bloggers engnral et les quelques dizaines dentre eux qui se font unerputation et tablissent leur blog comme une rfrence. Le profil de

    ces derniers est largement litiste : outre quils sont gnralementblancs et masculins, ils sont socialement bien mieux placs que les journalistes moyens La ralit du monde des bloggers est doncbien loigne de sa rputation damateurisme et de spontanit. Lesbloggers de rfrence sont en fait comparables aux grands

    43 C. Sunstein, Infotopia, New York, Oxford University Press, 2006, p. 191, p. 65,p. 192.44Le rapport est disponible ladresse suivante :, page consulte le 6 juin 2010.

    http://www.pewinternet.org/Reports/2006/Bloggers.aspxhttp://www.pewinternet.org/Reports/2006/Bloggers.aspx
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    ditorialistes des principaux journaux amricains. Comme le ditM. Hindman : Dans la blogosphre comme sur lagora athnienne,ceux qui se consacrent au dbat public sont ceux qui sont socia-lement autonomes 45.

    Les blogs sont galement trs facilement manipuls par leslites traditionnelles afin de contourner les rgles de dcence habi-tuelle et de sen prendre aux opposants. Cest tout particulirementvrai dans la rvlation de scandales. En 2004, le blogger anonyme Buckheadqui avait mis en doute lauthenticit du document de DanRather compromettant George W. Bush tait en fait un avocatdAtlanta reconnu, Harry MacDougald, membre respect du Partirpublicain. De mme, en 2006, le blogger qui avait rvl lescourriels ambigus du reprsentant Mark Foley (un rpublicain deFloride) aux petits stagiaires (pages) du Congrs se rvla tre LaneHudson, un employ de Human Rights Campaign, un groupe depression homosexuel. Selon M. Hindman, dans ces cas clbres,

    Internet na pas donn le pouvoir des citoyens ordinaires ; il a pluttpermis des lites mcontentes de contourner les contraintesinstitutionnelles 46.

    Enfin, il convient de dplacer lanalyse et de parler non pas deceux qui crivent les blogs, mais de ceux qui les lisent. En effet, il fautfaire la distinction entre qui parle et qui est cout , car le lienentre les deux est plus distendu sur Internet que dans les autresmdias. De ce point de vue, lactivit politique surInternet diffre desautres formes de participation. En effet, le vote ou le bnvolat, parexemple, sont tous les deux limits dune faon ou dune autre :chaque vote est quivalent lautre, et tous les bnvoles ont

    24 heures par journe ! Le constat est identique dans le domaine dufinancement des campagnes pour des raisons lgales : chaqueindividu ne peut donner plus de 2000 dollars par candidat et parlection. En revanche, le discours politique sur Internet nestabsolument pas galitaire : tout le monde peut se prononcer, certes,mais qui est lu ? ce niveau, les disparits sont bien plus grandesque celles observes dans le domaine du vote, du volontariat et dufinancement. Lutilisation politique dInternet pourrait ainsi secomprendre comme tant une forme de manifestation perma-nente o la libert dexpression va de pair avec une visibilitextrmement variable selon les moments et les enjeux.

    Au total, sil parat difficile de nier la capacit de mobi lisationpolitique dInternet, cette perce technologique est loin de rsoudretous les problmes sociaux qui entravent la dmocratisation de lascne politique. Ce constat nest nulle part plus justifi que dans ledomaine du partage dinformation entre citoyens sur Internet. Lesbiais et les dsquilibres sont nombreux, de sorte que latransparence dInternet savre trs largement un leurre. M. Hindman,

    45 M. Hindman, op. cit., p. 124.46Ibid., p. 138.

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    dont louvrage est sans doute une des meilleures tudes critiquesdisponibles sur le sujet, dclare ainsi que la sphre publique enligne est dj de facto une aristocratie domine par ceux qui sonthabiles dans lart du dbat 47. Les idaux de J. Habermas sontencore un horizon bien lointain.

    47Ibid., p. 139.

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    Conclusion

    Le rle dInternet dans la vie politique amricaine est en mutationpermanente et les quelques ides esquisses dans cette note nesont que des pistes provisoires. Par ailleurs, la Toile est un objetdtude peu ais. Les donnes essentielles sont disperses et il estdifficile dy avoir accs. Lconomie dInternet est extrmementopaque et la mthodologie pour mesurer les tendances est toujoursproblmatique.

    Nanmoins, il faut souligner le caractre paradoxal de lagnralisation dInternet. un niveau global, cette nouvelle techno-logie est perue comme un outil de dmocratisation. Pour les consul-tants politiques, Internet est une ressource de mobilisation qui modifieradicalement le flux entre les candidats et les citoyens, et donc lanature mme de la dlibration publique ; en mme temps, et pourles mmes raisons, Internet affecte lorganisation de la vie politique,notamment les partis. Une fois matris, Internet devient un puissantoutil au service des partis traditionnels, amliorant la mobilisation, lebnvolat et le financement.

    Sil est clair quInternet modifie les modes de participation

    de llectorat, il est en revanche beaucoup moins vident que celasoit le signe de la dmocratisation tant attendue. Bien loin derenouveler la dmocratie reprsentative, Internet promeut au cont-raire les instincts populistes si caractristiques de la vie politiqueamricaine. De ce point de vue, il apparat comme une manifes-tation ultime de la dmocratie directe que lon observe enCalifornie. Il risque donc de tomber dans des travers similaires, parexemple en privilgiant une lite dentrepreneurs politiques quisauront utiliser les ressources de cette nouvelle technologie. Lesbloggers sont une illustration de ce phnomne, comme le montrelhistoire des quelques individus lorigine des grands succsdInternet en politique songeons par exemple Wes Boyd et

    Joan Blades, les fondateurs de MoveOn.org. Internet reste parailleurs une simple technologie. Il ne constitue pas en soi unerforme sociale : son usage se heurte aux biais sociaux que lasociologie politique a depuis longtemps identifis. Laccs unemasse dinformations ne garantit en rien den matriser lusage.

    Le constat semble identique au niveau de la productiondinformations. Le pluralisme et la diversit dInternet ne semblentrien changer au constat que faisait le politiste amricain ElmerE. Schattschneider dans The Semi-Sovereign People, en 1960 : Leproblme du paradis pluraliste est que le chur des anges chante

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    avec un fort accent bourgeois . Internet est nettement biais enfaveur dun nombre finalement assez restreint dacteurs. Il est certesais de sexprimer dans le cyber-espace, mais il est beaucoup plusdifficile dtre entendu.

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