guglielmo cavallo y maría-novella borghetti: « le rossignol et l'hirondelle ». lire et Écrire à...

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Guglielmo Cavallo Maria-Novella Borghetti « Le rossignol et l'hirondelle ». Lire et écrire à Byzance, en Occident In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, N. 4-5, 2001. pp. 849-861. Citer ce document / Cite this document : Cavallo Guglielmo, Borghetti Maria-Novella. « Le rossignol et l'hirondelle ». Lire et écrire à Byzance, en Occident. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, N. 4-5, 2001. pp. 849-861. doi : 10.3406/ahess.2001.279989 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2001_num_56_4_279989

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Lectura y escritura en Bizancio

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Guglielmo CavalloMaria-Novella Borghetti Le rossignol et l'hirondelle . Lire et crire Byzance, enOccidentIn: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e anne, N. 4-5, 2001. pp. 849-861.Citer ce document / Cite this document :Cavallo Guglielmo, Borghetti Maria-Novella. Le rossignol et l'hirondelle . Lire et crire Byzance, en Occident. In: Annales.Histoire, Sciences Sociales. 56e anne, N. 4-5, 2001. pp. 849-861.doi : 10.3406/ahess.2001.279989http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2001_num_56_4_279989Rsum Le rossignol et l'hirondelle . Lire et crire Byzance, en Occident. (G. Cavallo).Une enqute sur les pratiques de lecture dans le monde byzantin fait apparatre une grande continuitavec celles de l'poque grco-romaine. On lit en gnral haute voix. criture et lecture des livres sontentirementdissocies,l'une de ces oprations tantmanuelle etrmunre,l'autre purementintellectuelle. La lecture est une activit essentiellement prive, circonscrite la sphre domestique ; ilexiste des cercles de lecture o les ouvrages littraires sont lus et prsents en avant- premire. Enrevanche, il n'y a pas de lecture l'intrieur des monastres, car les moines ne connaissent qu'un toutpetit nombre de textes et ne pratiquent bien souvent que le psautier. Le haut Moyen Age occidentalprsente un panorama profondment diffrent : la lecture est habituellement silencieuse ou murmure.La lecture prive chez les lacs est un phnomne rare, car les livres sont lus dans les institutionsecclsiastiques :vchs etmonastres.Iln'existe,par ailleurs,aucun hiatus entre lire etcrire,puisque la copie des textes pieux concourt elle-mme l'instruction chrtienne. Ces diffrences trsmarques ont leur source dans des facteurs quirelvent la fois de l'anthropologie et de l'histoireculturelle, voire de la pratique quotidienne.Abstract"The nightingale and the swallow". Reading and writing in Byzantium and in the Latin West.Investigating reading habits in Byzantinium reveals how strongly ancient Greek and Roman practicespersisted. As a norm, books were read aloud; copying and reading books were two completely differentmatters in as much as one was considered a mere forme of paid manual labour and the other a trueactivity of the intellect. Reading was mostly a private affair, belonging to the intimacy of one's homealthough the existence of "reading club", where literary works were first introduced and read is welltestified. A "monastic " way of reading, instead, was lacking as monks were not great readers andusually limited themselves to the Psalter. Early Occidental Middle Ages presents a panorama deeplydifferent: reading usually is silent or whispered. A comparison betweeen the Greek attitude to readingand thatcommon in the Latin Westduring the firstcenturies ofthe Middle Ages shows manydifferences. In the West, silent reading prevailed; lay people generally were not accustomed to read athome: books were normally read in religious houses, in bishoprics and monasteries; copying coincidedwith reading as the act of writing had its goal in Christian education. The great differences existing in thereading habits of the Eastern and Western worlds can be ascribed to anthropological, historical, culturalas well as practical reasons.LE ROSSIGNOL ET L'HIRONDELLE Lire etcrire Byzance,en Occident GuglielmoCavallo DanslaViedesaintSimonStylitleJeune,composepeut-treau dbutduvifsicle enSyrie,l'hagiographe ditqu'il faut criretoutce qui peutviserl'utilit deceux quicoutentfidlement l.Il s'agit l d'un topos qui,enreliantl'crit etl'coute, suppose ncessairement unelecture haute voix,ce que confirment d'autres passages de la Viede saint Simon. lammepoque,dansl'EspagnedesWisigoths,IsidoredeSevillese prononce, dansses Sententiae, enfaveur de la lectio tacita parce que l'esprit apprendmieuxquand lavoixdulecteurs'teintetlalanguesemeut ensilence2 . Des tmoignages dece type,qui montrent un fortclivage entrel'Orient grec(ou Byzance,sil'on prfre)etl'Occident latindansla faon mme defaire ressortir lesensdel'crit,appellent la comparaison des modles, destechniques,dessituationset des maniresde lireaucoursde la priode comprise entrelevifsicle, momentdelafracture entrelesdeux mondes, etlexfsicle,situlafrontireentrel'poquebyzantinetardiveen Orientetlebas Moyen ge enOccident, lorsque,surtoutdansce dernier, se produisent des changements radicaux quant austatut dela culture crite3. 1. Paul Van der Ven, La vie ancienne de saint Simon Stylitle Jeune, I, Bruxelles, Socit desBollandistes,1962,p.9. 2. Isidore deSeville, Sententiae,3.14.9(Isodorus Hispalensis,Sententiae,PierreCazier (d.),Turnhout,Brepols,1998,p.240). 3. Onadlibrmentexcludecettetudelacultureitalo-grecquetantdonnque,dans l'Italiemridionale,desformesd'acculturationentrel'Orientetl'Occidentpeuventavoir dterminlacombinaisonoulamodificationdecertainespratiquesdelecturespropres chacundesdeuxmondes. 849 AnnalesHSS, juillet-octobre2001,n 4-5,p.849-861. PRATIQUES D'ECRITURE Modalits et organisation de la lecture Byzance, la pratique de la lecture rhtoriqueet haute voix hrite del'Antiquitetdel'poqueromainetardivesemaintintlargement4. Ainsi,en918, Basile,futurarchevquedeCsare deCappadoce,crivait dans la ddicace Constantin VII Porphyrognte qui introduit son commentairesurlesHomliesliturgiquesdeGrgoiredeNaziance : Quelleest pourtoila chosela plusdsirableoula plusprcieuse,sinonGrgoire,et voiretcouterlescritsdeGrgoire ?5DanscettephrasedeBasile,la lectureByzance estperuecomme unactedanslequelletextesefait lafoisvisionetson.Le mmelieninextricableseretrouveauxiesicle chez JeanMauropousd'Euchata : Je vis la saison non comme un printempsmais dj comme unautomne ; d'o[vient]doncmaintenantcerossignoldeprintemps?Ilnefaitpas entendresavoixdeloin,d'unbosquetoud'unefort,maiscequiest plustonnantvolantentremesmains,etmodulant pourmoidesnotes printanires,enchantemonoreilleavecladoucemlodiedeson chant.Si l'onveut direquelque chosedeplussubtil,lemerveilleuxvolatilesemble avoirlavoixdurossignol,maissonaspectestceluid'unehirondelle ;il chante enfaitd'un ramage limpide etmlodieux, maissa livre exhibe une tonnante association de deux couleurs opposes :sur le blanc du parchemin sedtache lenoirdel'crit6. Cettelectureestcelled'unelettrereprsente,danslamtaphorede JeanMauropousd'Euchata,parle rossignoletl'hirondelle :lerossignol incarne lesavantentrelacsdesmotsque,telunchant,la voixdulecteur fait surgir de la feuille crite qui vole entre les mainsde qui la fait rsonner; l'hirondelleestl'expriencevisuellequi,avecsescouleurs lenoirde la tramegraphiquesur le blancduparchemin ,s'accompagnedusonet de l'coute. L'crit, lorsqu'ilestlu,devient Byzance nonseulement sonetcoute parl'effetdelavoix,maisaussivision,dansledroitfild'unetradition quidbouche,l'poquedelacontroverseiconoclaste,surladfense iconophile des images, reprenant par ailleurs les implications et les dveloppementsautrementcomplexesdelapensepatristique. arrire-plan s'oprel'quivalence entreletexteoraletles artsvisuels ensubstance ce qui est peint qui s'appuie sur le champsmantique,au seinde la langue grecque elle-mme,determescomme graphe ( criture et peinture ), 4. Surlapratiquedela lecturehautevoixByzance,voirHerbertHunger,Schreiben und Lesen in Byzanz.Die byzantinische Buchkultur,Munich,C. H.Beck,1989, pp.125-127; Diether R.Reinsch, Autor und Lser in friihbyzantinische und historiographischen Werken ,XVIIIe Congrsinternational des tudesbyzantines.Rapports plniers,Moscou, Nauka,1991, p. 400sq. 5. Raffaele Cantarella, Basilio Minimo ,Byzantinische Zeitschrift,26,1926,pp.1-34, icip.3sq. 6. ApostolosKarpozilos,TheLettersofJoannesMauropousMetropolitanof Euchaita, Thessalonique,Association forByzantineResearch,1990,p.43. 850 G. CAVALLO BYZANCEET OCCIDENT istoria( narration crite et narration figure ), schema ( figure rhtorique et pose ). Tout autre est le parcours du haut Moyen ge occidental. L'effondrement del'alphabtisationparmileslacs ilstaient jusqu'auXIesiclepour la plupartmoitioutotalementanalphabtes ,etdonclereplidela lectureetmmedelaculture critedanssonensemble l'espace closdes institutionsreligieuses,descathdralesetdesmonastres,firentprvaloir untypedelecturenonrhtorique,etenconsquencesilencieuse ou voix basse. En particulier, opraient en faveur de la prminence de cette pratique ausein dumonachisme occidental aussi bien une anthropologiede la tacitur- nitasquiimpliquaittoutlecomportementdumoine,qu'unchoixdevie fortement cnobitique et soumisdes regulae contraignantesqui,deBenot deNursieLanfranc7,prescrivaient,au-deldeslecturesliturgiquesou communautairesfaiteshautevoix, la lectureensourdineou silencieuse. En Occident, parailleurs,leslettresdel'alphabet qui composent l'criture taient considres comme lessignes visibles du discours textuel ousymbolique,tandisque lesimages possdaient surtoutunefonction pdagogique, commeformedeconnaissancealternative,puisqu'ellestaientdestines auxanalphabtesincapablesdelireoummeseulementd'interprterle messagesymbolique del'crit. Considronslalettre.Sa lectureconstituaitByzance,aumoinspour certainstypesde lettres,un exemple loquent delecture rhtorique,comme lemontraitdj Jean Mauropous d'Euchata :la comparaison entrela lettre et le rossignol,frquentedansla littraturepistolairebyzantine,ramne unelecture capable derestituervocalement tousles artificesrhtoriqueset lesnuancesdestyle,comme s'il s'agissait d'interprter une partitionmusicale. La lettre estdonc tour tour entre son etvision voix mlodieuse d'oiseau,chantdessirneset,danslemmetemps,unehaiedefleurs merveilleuses, icnedel'me.Ellefaitrevenirdeloin,traverscelui qui lit,lavoixmmedel'absent :dansunelettreduXesicled'attribution incertaine, l'expditeur demande avec insistance au destinataire de luicrire ensigned'amitietpourqueleslettrespuissentluiramenerla voix qu'ilavaitphysiquementemporteaveclui,ceflotdeparoles qui, lorsqu'il tait prsent, coulait comme untorrent de montagne,avec un dbit extraordinaireetpresque dbordant8. Parfois,lecontexte mme dela lectureprenait uneformecrmonielle : l'arrive du komistes le porteur de la lettre au domicile du destinataire, saprsentationetlaremisedelalettreetdesdonsquid'habitude l'accompagnaientdirectementcedernierouparl'intermdiairedes secrtaires, taient autant de moments qui prcdaient la vritable crmonie 7. Rgula Benedictii, 48.4-6 (Adalbert deVogu et Jean Neufville (ds),La Rgle deSaint Benot,II,Paris,Le Cerf,1972,pp.598-601) ;Dcrta Lanfranci,2(DavidKnowles(d.), Dcrta LanfrancimonachisCantuariensibustransmissa,Siegburg,Schmitt,1967,p. 5). 8. La lettreatpubliedansGustavKarlsson, Idologieetcrmonialdans l'pistolo- graphiebyzantine.TextesduXesicleanalyss et comments,Uppsala, Almquist& Wiksell, 1962,2ed.,p. 27sq. 851 PRATIQUES D'ECRITURE d'ouvertureetdelecturedelalettreparledestinataireenpersonne,le komistes ou quelqu'un d'autre. Simon Mtaphraste s'exprime ainsi propos d'unelettrequ'ilouvreetlitlui-mme : Lorsquetalettrearriva,ces pensess'vanouirent telles desombres dervesaprslerveil.Dsque je l'eus dansmesmains,aprsenavoir tle cachet,j'apprciaiaussitt salongueur,commedesassoiffsregardentlamesureduverreavantde boire ;puis,lentement,m'arrtantsurchaquesyllabe,jelus...9 Deux autresexpriencestaientassocieslalectured'unelettre :l'une,orale galement,taitl'coutedesnouvellesrapportesdevivevoixparle komistesconsidrcommeuneempsychosepitole,une lettre vivante10 ;l'autre,visuellecettefois,taitcelleducachet,lafois signe d'authenticit et objet d'art.Il en taitainsidans l'Antiquit ancienne ettardive dontByzancesemontrel'hritire ,olalecturedela lettrecomportaitdesexpriencesgestuelles,oralesetvisuelles11.Iln'en allaitpasdemmeenOccidento,durantle hautMoyenge,la lettre, bienqueselondesmodalitsvaries,taitnormalementuninstrument diplomatique ou pragmatique qui semble n'avoir t l'objet d'aucun crmo- nielnid'aucune performance:toutauplustait-elle lue hautevoixdans des occasions biendterminesousielle taitadresse deslacs illettrs, mais,individuellement, onse limitait unelecturesilencieuseoudubout deslvresselonlapratiquehabituelle12.Au xnesicleencore c'est-- direaubasMoyen Age,quand leslettrestaientalorslues pourla plupart hautevoixetenprsence autrui,selonAlexandredeAshby,un auteuranglaisdecette poque,la lettrenepermettaitque depelle mortua loqui,dedialoguertraversunepeaumorte ,unparchemin,ubiviva vocenon possumus,lonous nepouvonspas lefairedevive voix 13, tmoignage cependant d'une lecturedpourvue peut-tre de sonorit et dans touslescas demodulationscapablesderecrer comme enOrient la voix etl'expression del'absent. Cesdiffrentesmodalitsdelalectureserefltentdirectementsurla naturedela pagecrite.EnOccident,lalecturesilencieuseoumurmure dplaait la comprhensiondutextedel'articulationde lavoix celle des dispositifs physiques dela page crite:ce n'est certes pasunhasard si Isidore deSevilleconsidraitencoreles litterae,leslettresdel'alphabet, 9. JeanDarrouzes,pistoliersbyzantinsduXesicle,Paris,Institutfranaisd'tudes byzantines,1960,p.150. 10. SynsiosdeCyrne(rvesicle),Epistolae,85,7(AntoniusGarzya(d.),Synesii CyrenensisEpistolae, Rome, Poligrafico delloStato,1979,p.149). 11. Margaret Mullet, Writing in Early Mediaeval Byzantium ,in R. McKitterick (d.), TheUsesof LiteracyinEarlyMediaeval Europe,Cambridge,CambridgeUniversityPress, 1990,pp.156-185,icipp.172-185. 12. IlsuffitdanscecasderenvoyerGilesConstable, Lettersand Letter-Collections, Turnhout,Brepols,1976,p. 30sq.et pp.53-55. 13. LacitationestrapportedansFrancoMorenzoni,Epitolo grafiaeartesdictandi,in G.Cavallo,LeonardietE. Menesto(ds.),Lospazioletterariodelmedioevo,1,// medioevolatino,II,Lacircolazionedeltesto,Rome,SalernoEditrice,1994,pp. 443-464, icip. 443. 852 G.CAVALLO BYZANCEETOCCIDENT sinevoce,ajoutantdansunegloseque lesparoles ensubstance le sensdel'crits'insinuenttraverslesyeuxetnontraversles oreilles14.C'estpourquoiaucoursduhautMoyengeoccidental,on labora unegrammairedelalisibilit quiconduisitl'abandondela scriptiocontinuaetimposadesdistinctiones(signesdeponctuation),des espaces ou d'autres formes de division entre des groupes de mots constituant uneunitdesens.Cettegrammaireinsisteaussisur lesinitialespeinteset ornes,surlescrituresquisedistinguentparleurcaractreostentatoire, et surles frises:ainsi prenaitformetouteunesriede dispositifsvisant l'organisationdelalecture15.Plustard,auxnesicle,HughesdeSaint- Victorsoulignait lerleessentielde la couleur deslettresetdu style fleuri dela page,afind'aider la mmorisation du textecrit16. En Orient, mis part la distinction entreles diffrentstextes toujours obtenue grcedessystmesdcoratifs etla divisionentresquences de longueur variable ouentre livres et chapitresd'un mme texteau moyen d'initialesetd'crituresdiffrenciesetle plussouventassezsobres,une vraie grammairedela lisibilit faitdfaut.Mme partir du IXesicle, lorsque l'emploi de la minuscule se gnralisa, iln'y eut pendant longtemps aucune modificationdansl'ordreou dansla distribution dudiscours ,la sparationdesmotseux-mmesrestant,auseindelachanegraphique, indistincte ou incohrente17.De mme, l'introduction d'accents et d'esprits, quiconstituaitdjparelle-mmeundispositifdedistinctionentreles mots,nedevintsystmatiquequetardivementaucoursduXesicle18.Et si,paralllementd'autres,cesdispositifsl'intrieurdel'critfurent progressivement adopts, ils visaient plus satisfaire des exigences grammaticales, didactiquesouencoredephilologietextuellequ'modifierles modalitsdelalecturesonore.Enfindecompte,c'taitlavoixetses modulations et nonunesrie dedispositifsdel'crit qui organisaient le plussouvent la lecture Byzance, transmettant le sens du texte l'oreille etla mmoire. 14. Isidore deSeville,Origines,1.3.1(WallaceM.Lindsay(d.),IsidoiHispalensis Episcopi EtymologiarumsiveOriginumlibriXX,Oxford,TheClarendon Press,1911). 15. Malcom B.Parkes,TheContributionofInsularScribesof theSeventhandEighth Centuriestothe"Grammarof Legibility" ,inM. B.Parkes,Scribes,Scriptsand Readers. StudiesintheCommunication,Presentationand Dissemination of Medieval Textes,Londres- RioGrande, TheHambledon Press,1991,pp.1-8,et Pause and Effect.An Introductiontothe Historyof the PunctuationintheWest, Aldershot, Scholar Press,1992,pp. 9-19;Paola upino Martini, Scrittura e leggibilit in Italia nel secolo ix ,in G. Scalon (d.), Libri e documenti Italia :dai Longobardi alla rinascita dlie citt.Atti del Convegno Nazionale dell 'Associa- zioneItalianaPaleografieDiplomatisti,Udine, ArtiGraficheFriulane,1996,pp.35-60,ici p.41;Paul Saenger, Space BetweenWords.TheOriginsof Silent Reading, Stanford,Stanford UniversityPress,1997,pp. 83-164. 16. WilliamM. Green,Hugo ofSt.Victor,De tribusmaximiscircumstantiisgestorm, Speculum,18,1943,pp. 484-493,icip.490. 17. Maria Luisa Agati, IIproblemadella progressiva divisionedelleparole trailixeil xsecolo ,in G. Prato (d.), /manoscritti greci tra riflessione edibattito.Atti del V colloquio internazionaledipaleografia greca,I,Florence,Gonnelli,2000, pp.187-208,icip.205. 18. CarloM. Mazzucchi, Sulsistemadiaccentuazionedeitestigreciinetromanae bizantina,Aegyptus, 59,1979,pp.145-167,icipp.161-163. 853 PRATIQUES D'ECRITURE Cettediversitdes normesqui rglaientle rapportentrela lectureetla pagecritereposaitaussisurunautrefacteur,linguistiquecettefois.En Occident,les copistesetleslecteurs habitusauxlanguesromane,germanique ouceltiqueavaientparfoisdumaldistinguerlesmots,oules unitsconceptuelles faites de mots,et les phrases du latin comme langue critede la traditionancienne :celacontribua largementla formationde cette grammairedelalisibilitquicherchaitorganiserlapage19. L'immobilisme foncierdu grec malgrdes niveaux destyleet d'usages lexicaux diffrents ,conjointement sonstatut delangue crite etparle Byzance comme idiome de l'Empire, permettaient ceux qui possdaient unecertainecultured'crire,delireetdecomprendreuntextel'aide d'un dispositif minimal,sans distinctionsrigoureuses auseinde la scriptio continua,grcegalementla prsence dterminantedela voix. On peutsedemanders'ilexistaitgalementByzancedesformesde lecturesilencieuse.Cepourraittrelecasdeslecturesparetpoursoi- mme,enpriv,peut-treaulitetpendantlanuit20.Silencieusestaient certainementleslecturesencachette :nousenavonspourpreuve,bien qu'il ne s'agisse pas de vraies lectures, les premires tudes d'Anne Comnne, laquellen'avaitpasl'autorisationdes'instruiredanslascienceprofane, inconvenante pourunefemme.La jeune Annesecontentaitdoncde jeter un regardsur des livresqui luitaient interdits,afin d'y lirele peu qu'elle apercevait,telleune jeune filleregardant parunentrebillementsonfutur poux d'unregardfurtif 21.Danstouslescas,la lecturesilencieuseou murmure n'tait pas Byzance une pratique habituelle mais occasionnelle, renduepossible pardessituationsparticulires. critureet lecture :sparation et convergence des pratiques La relationquis'tablitentrelespratiquesdelectureetd'critureest assez diffrente dans les deux mondes. Byzance, la pratique dj ancienne del'criture rtribuese perptua massivement.En particulierles notarioi laques, les fonctionnairesecclsiastiques, les moines,crivaient deslivres surcommande pour entirerungain.Des invocationsauSeigneur la fin dutravail,souventattestesdanslescolophons,indiquentparfoisquele livre danslecasde textessacrs n'a tcritque pourlesalutde l'me et pour qu'il soit offert uneglise ou un monastre, mais,souvent, ilestexplicitementdclar ouimplicitementsous-entenduque lescribea 19. MalcomB.Parkes,Lire,crire,interprterletexte.Pratiquesmonastiquesdansle haut Moyen ge ,in G.Cavallo et R.Chartier (ds.), Histoirede la lecturedans le monde occidental,Paris,Le Seuil,1997, pp.109-123, icipp.115-119. 20. Bien que d'poque plustardive,le tmoignageconcernantManuel Karantenosesttrs intressant:voir Ugo Criscuolo, Due epitole inditedi Manuele Karantnoo Saranteno , BollettinodliaBadiagrecadiGrottaferrata,nouvellesrie,31,1977,pp.103-119,ici p.109sq. 21. JeanDarrouzes,Georgeset DmtriosTorniks, LettresetDiscours,Paris,ditions duCNRS,1970,p. 245. 854 G. CAVALLO BYZANCEETOCCIDENT reuunermunrationdelapartd'uncommettant(ktetor).Ensomme, l'criture restait une oprationlargement manuelle, dansle sillage de Y opus servile,tellequ'elletaitdansl'Antiquit,sparede lalecturequielle, enrevanche,taitapprcie comme uneactivitintellectuelle.C'estseulementdanslescerclesdescolesetdesruditsquelatranscriptionetla lecturedeslivrestaientconsidrescommeuneseuleetuniqueactivit intellectuelle. Cescaractristiquesorientalesfontapparatreplusnettementque,dans le hautMoyengelatin,la pratiquedelalecturefutstrictementlie l'acte d'crire,aucroisementdonc entreletravailintellectueletle travail manuel :enOccident,eneffet,mmesil'inexprienceoul'ignorancedu scriberendaitsouventvainsoneffort,la transcriptiond'un livre,effectue d'ordinairecomme unepnitencepieusesansaucune rmunration,avait pour finalitl'instructiondu moine ou duclerc,et elle constituaitaussi une lecturedifiante.Ils'agitdonc,pourlesinstitutionsreligieuses,d'une vritablestratgie. La concidence entre lectureetcriture,exceptionnelle Byzance, tait donc la norme en Occident;en revanche,la sparation entre ces deux actes, faitnormal Byzance,se limitadanslehaut Moyen geoccidental soit ces mmes institutionsreligieuses lorsd'occasions particuliresou pendant despriodesbienprcises,soitquelquesgrandsecclsiastiques,voire quelques raresindividusou desmilieux laques ausein desquels opraient desscribesappoints. Au rlecentral du commettant-lecteur enOrientpeut treoppos,enOccident,lerletout aussicentralduscribe-lecteur. Laconsquence estqu'en Occident,aumoinsjusqu'au XIesicle,rares taient les pratiques de lecture en dehors de l'ordre des oratores, les hommes delaprire,etdes lieuxaffects leuruvre,savoir les vchsetles monastres.Ainsi unelecture prive,entrelesmursdomestiquesetparmi leslacs, futadmise seulementdansdespriodesetdes contextesgographiquesdtermins,ou dansleslimitestroites dequelque cercle aristocratiqueoudequelquecatgorieprofessionnelleplusoumoinssolidement alphabtiss22.Danscecasgalement,l'cartavecl'Orientestsensible. MmesiByzance,comme onl'a crit, connut plusieursalphabtisations pluttqu'uneseule23,l'alphabtisationparmileslacssembletoujours saufdesmomentsetdescontextesparticuliersplusoumoins largementrpandue,mmesic'est des degrsvariables :del'ruditou dulecteurdotd'unebonne instruction,jusqu'celuiqui nesaitquelire etcrirepoursatisfairelesexigencesdelaviequotidienne24.Parmiles lacs,la lectureenprivestattestenonseulement pour les lites intellec- 22. Unseulexempleconcerne,aumoins,lalecturedestexteshagiographiques,quitait aussipratiquedanslasocitmrovingienneparmileslacs.Surcethme,voirWolfert S. VanEgmond,The AudienceofEarlyMedievalHagiographical Texts:SomeQuestions Revisited ,inM. Mostert(d.), NewApproachestoMedievalCommunication,Turnhout, Brepols,1999,pp. 41-67,icipp. 49-57. 23. M.Mullet, WritinginEarlyMediaeval Byzantium,art.cit.,p.185. 24. RobertBrowning, LiteracyintheByzantineWorld ,Byzantineand ModernGreek Studies,4,1978,pp.39-54. 855 PRATIQUES D'ECRITURE tuelles (laques ouecclsiastiques, car il ya, dansl'Orient grec,une osmose complteentrelesdeuxsphres) maisaussi pourunecatgorie sociale de culturemoyenne.AuXIesicle,EustathiosBolas,notabledeprovince, possdait unebibliothque dequelquequatre-vingtslivres,parmilesquels lesouvragesdedivertissementnemanquaientpas,commeleRoman d'Alexandre et le Leucippe et Clitofonte d'Achille Tatius, mmesi la plupart desuvres,comme dansla bibliothque detoutByzantincultiv,avaient uncontenuthologique25. la mme poque, unautreexempledelecture enprivest propos parCcaumne, ungnral la retraite,qui donneles conseilssuivants: Quandtuesenpriv,prendunlivreetlis-le ;ou encore: Lisbeaucoupettuapprendrasbeaucoup,etsitunecomprend pas, sois courageux :souvent, en fait, pendant que tulis ton livre, la capacit decomprendreteseradonnepar le Seigneur et tule comprendras26 . On lisaitmme parfoisenprivpendant lesheuresconsacresaureposnocturne:Nicphore III Botaniats incluait la nuit dansses momentsd'activitetainsi,grceauxlivresetlalecture,ilacquittoujoursplusde connaissances surles choses divines et humaines27 .Ce modle delecture rappelle celui desdomus etdes bibliotheculaedu Bas-Empireromain,que l'on retrouveByzance jusqu'au XIesicle et mmeaprs.Que l'on pense, ce propos, aux bibliothques prives d'individusde grandeculture comme Photius,ArthasdeCsare,AlexandredeNiceouJeanMauropous d'Euchata. L'exemple de Ccaumne permet galement d'observer un autre clivage. Dansl'OccidentduhautMoyenge,l'ordredesbellatoresseconsacra pendantlongtempsexclusivement adarmaetnonadlibros.Enoutre,il participad'abordpluttlacultureoralequ' laculturecrite28,tandis qu' Byzance les militairesd'un certain rang, comme Ccaumne lui-mme ouNicphoreOuranos,levainqueurdeSperchios,avaientl'habitudede liredanslescampementsetenpriv29,leurprestiged'hommesd'armes s 'affirmantdansla mesureoilss'instruisaient parla pratique deslivres. Dans l'Orient grec, la rfrence en matirede lectureindividuelle autant que collectiverestela collection delivresprive car,pourl'liteintellectuelle,seperptuaitla tradition,remontant l'poquegrco-romaine,des cerclesde lecture,activitparfoisrudite,parfois dedivertissement,mme s'ilest difficiledesparerles deux pratiques.Il pouvait s'agir derunions priodiques,plusoumoinsrgulires,aucoursdesquellesonlisaitdes uvressacresetprofanes,comme onl'a rcemmentmontrproposdu 25. PaulLemerle, Letestamentd'Eustathios Bolas(avril1059) ,inP.Lemerle,Cinq tudessurle XIesicle byzantin,Paris,ditionsduCNRS,1977,pp.15-63,icip. 24sq. 26. MariaDoraSpadaro,Cecaumeno.Raccomandazionieconsiglidiungalantuomo, Alexandrie,Edizionidell'Orso,1998,pp.158,190et198. 27. MichelAttaliate, Historici,312,5-8(ImmanuelBekker(d.),MichaelisAttaliotae Historia,Bonn,Weber,1853,p.312). 28. Michael T. Clanchy,FromMemorytoWritten.Record England 1066-1307, Londres, Edward Arnold,1979,pp.197-201. 29. M.Mullet,Writing inEarlyMediaeval Byzantium,art.cit.,p.165sq. 856 G. CAVALLO BYZANCEETOCCIDENT cercledelectureruniautour de Photius versla finduixesicle30.En tout cas,quellequ'en ftla nature,l'existence d'une lecturecollectivedans le cercledePhotiusnefaitpasdedoute.D'autresfois,ilpouvaits'agir derunionsoccasionnellesconsacresdeslecturesparticulires;c'tait souventl'occasiondefaireconnatreuneuvrenouvelle :desmonodies etdesloges,critspour trelusenpublic,maisaussideslettresou des critsd'unautregenre. proposdeceslectures,ilfautsoulignerl'usage determestelsquetheathron,logikontheatron,kyklos,quidsignaient Byzanceceque,avecbeaucoupdeprudence,on peutappelerdescercles littraires31.Ce qui importe ici,c'est le fait quese tenaient desrunions au cours desquelles desgroupes d'amis se rencontraient pour lireetcommenter destexteslittrairescritsparl'un oul'autreenl'absencedeleurauteur. Danscesrunions,onpouvaitcouterdesoraisons,despomesetdes lettres,commeentmoignepourlexiesicleMichelPsellos ;unpeu plustard,uncnaclese formaprobablement autourdel'impratriceIrne Doukaina, ausein duquel taient lues au moins des lettres.En fin de compte, ils'agissait de lectures hautevoixqui se tenaientdansles cerclesd'une aristocratielettredelacsetd'ecclsiastiquesqui,Byzance,constituait unecasteferme32,cimentepardespratiquesintellectuelles lalecture entaitl'undesritesautantqueparl'appartenancecommuneune litesocialetoujourstourneverslaconquted'importanteschargesau sein de l'tat et de l'glise. Si l'on se rappelle que, dans l'Occident mdival, la mmemodalitdelecture hautevoix taitexclusivement ecclsiastiqueoumonastiqueetqu'elleservaitpourlaprirecollectiveou l'enseignement destextessacrsaux analphabtes, onpeut mesurerencore unefoisla distancequisparelesdeux mondes. Il manque en revanche,Byzance, des pratiquesdelecturemonastique comparablescelledel'Occident.criredeslivrestaitgnralement considr par le monachisme grco-orientalcomme unsimpleergocheiron, un travail manuel quivalent au tressage des nattes ou des corbeilles vendues surles marchs;aucune stratgiedelecturemonastique n'ytaitassocie. Siuncertaindegrd'alphabtisationtaitexigdumoine,c'tait pour la lecture dupsautier,dutypikondumonastreet,au plus,detextesdifiants assez simples,mais certainement paspour matriserdes critsthologiques complexesetencoremoinsdesuvresclassiques.De faonsignificative, dansles diversestypikadefondationoudansd'autrestextesnormatifsqui rglaientlescomportementsindividuelsetcollectifsauseindechaque 30. Luciano Canfora, II "reading circle" intorno a Fozio , Byzantion,68,1998, p. 222 sq., et Le "cercledeslecteurs" autourde Photius:une sourcecontemporaine ,Revuedes tudes byzantines,56,1998,pp. 269-273. 3 1. VoirletravailtrsdocumentdeMargaretMullet,AristocracyandPatronagein theLiteraryCirclesofComneniamConstantinople ,inM. J.Angold(d.),TheByzantine Aristocracyix-xinCenturies,Oxford,BritishArchaelogical Reports,1983,pp.173-201. 32. CyrilMango, DiscontinuitywiththeClassical PastinByzantium,in M. Mullet et R. Scott(ds),Byzantiumand theClassicalTraditions,Birmingham,CenterforByzantine Studies,1981,pp.48-57,icip.49. 857 PRATIQUES D'ECRITURE communaut monastique, on netrouvepas,exceptlecas assez particulier du monastre deStoudio Constantinople, deprceptes imposant aumoins la lecture et la melete/meditatio des critures, savoir lire, relire, mmoriser, serpteretmarmonnerlaparoleduSeigneur,commeleprescrivaitle monachisme despremierssiclesetque l'on retrouvesousla formedela ruminatiodansleMoyen geoccidental33.Souvent, le moinese limitait entendrelalecturedestextessacrseffectueparlesautres,essayantau mieux demmoriserce qu'ilpouvaitgrceunecouterpte.Enfait, le monastrebyzantin taituncentrede prires,sous la formeparticulire del'idiorythmie,dudialogueindividuelavecDieu,etnonuncentrede culture34.Iln'estd'ailleursjamaisreprsentcommetel.Iln'estdonc guresurprenantque,Byzance,lasocitcultiveattaqutviolemment l'ignorancedesmoines,lesquels,s'abritantderrirelepsaumequidit: Parcequejeneconnaispasleslettres,j'entreraidanslamaisondu Seigneur35 ,finissaientparnepluslireaucunlivre.Enfindecompte,la lecturemonastique,etpluslargementcelle deshommesdeprire,quiest la base des pratiquesde lecture enOccident, apparat tout fait marginale enOrientommede nombreuxclercs semblaientce pointincultesque l'empereurAlexisComnne,quandilinstituales didaskaloiquidevaient enseignerlesfondementsdelafoiaupeuple,nedistinguapasentreles lacsetlesecclsiastiquescarpeud'entrecesdernierstaientconsidrs comme capables d'accomplir cettetche36. Les moines et lesecclsiastiquescultivsappartenaient,enrevanche, un autre monde.Des hommes de lettres, des rudits et des philologues qui d'ordinaire pouvaient tre tour tour ou simultanment des fonctionnaires de l'tat etdes enseignants renomms entraient parfoisdansla vie monastique. Leurscerclessociauxderfrenceetleurscadresmentauxdemeuraient cependant ceux de leur origine:la castede la haute culture, laquelle ilssesentaientapparteniretlaquelleilsrestaientlisgrce unrseau de relations,de patronages et de clientles qu'ils gardaient intact.Ils taient, en fincompte,des moines situs la frontire entre lespratiquesasctiques etles tentationsmondaines37. 33. Surlameditatio/ruminatiomonastique,jemecontentederenvoyerpourl'Antiquit tardiveHeinrichBacht,DasVermchtnisdesUrspnmgs.Stiidienzum frilhenMnchtum, I, Wiirzburg,Echter Verlag,1972,pp. 244-264. Pour le Moyen ge,voir Mary J.Carruthers, TheBookofMemoiy.AStudyofMemoiyinMedievalCulture,Cambridge,Cambridge UniversityPress,1990,pp.156-188. 34. C'est ce qui a t dmontr par exemple, grce une tude consacre aux monastres dans la Grce Byzantine par Peter Schreiner, Klosterkultur und Handschriften im mittelalterlichen Griechenland ,inR. LaueretP. Schreiner(ds), DieKulturGriechenlandsinMittelalter undNeuzeit.BerichtUberdasKolloquiumderSiidesteuropa-Kommission,Gttingen,Van- denhoeck& Ruprecht,1996,pp.39-54,icip. 47sq. 35. Psaume 70,16. 36. PaulGautier, L'ditd'Alexis IerComnnesurlarformeduclerg ,Revuedes tudesbyzantines,31,1973,pp.165-201. 37. On peutlire ce proposles considrationsde Paul Magdalino, The Empireof Manuel I Komnenos,1143-1180, Cambridge, Cambridge University Press,1993, p.391 sq. et pp. 404-406. 858 G.CAVALLO BYZANCEETOCCIDENT La lecture entrevaleurssociales et pratiques intellectuelles Les formesdela lecture,danslemonde byzantindes XeetXIesicles, serattachentaux pratiquesantrieurespardesliensmultiplesetdurables. Il nes'agit pas pour autant deproposer nouveau la vision d'une Byzance immobileetencoremoinsd'opposer la continuitdansl'Orientgrecla rupture dans l'Occident latin. En amont, toutefois, on retrouve les morphologiesculturellesdel'Antiquit tardive;la particularitdeces morphologies toujourscomplexesrsideprcismentdansla coexistencede l'ancienet du nouveau, detransformations et d'adaptations,dersistances et d'checs. Dansl'Antiquittardive,lesformesmarginalesdelalecture,qu'elle ft silencieuseou voixbasse,acquirent unrlenouveauctde la lecture rhtorique traditionnelle haute voix pratique par l'lite.Le travaild'criture,lila boutique etaugain et donc jug servile etsordide comme touttravailmanuelparlacultureraffinedesAnciens38 ,futperu diffremment parleschrtiens.Sans ddaigner le gain,illeursembla utile pours'instruireetrpandrela paroleduSeigneur,etilpouvait treoffert commeunepieusepnitence pourlesalutdel'me.Au rlecentraltenu par lecommettants'ajouta unenouvelledignit,celle dunotarius-scrih& ; la lecturecontinuatrepratiquesoitdansleprivavecseshabitudes individuellesetsesritessociaux,soitdansdesrecitationespubliques, maisellepntraaussidanslescellulesmonastiques,danslesrunions communautairescnobitiques oudanslesglises etlescathdrales. DesdynamiquessocialesetculturellesdiffrentesByzanceeten Occidentdterminrent,partirduvifsicle,unloignementdansles pratiquesdelecturequiconcerne lesmanires,les lieuxetlescomportements.La ralitasansdoutetpluscomplexeounuance,etchacun des deux mondes a pu exprimenter, dans des circonstances particulires, des situationsetdespratiquesdelecturequitaientenracinesethabituelles dansl'autre.EnOrient,l'critureneparvintjamaisselibrerdeson ancien statut d'activitservile:elle resta lie une boutique ou un atelier decopiste et un profit,desorte qu'il n'yeut pasdecoupure entrelecture etcriture,l'une rserveaucommettant-lecteur,l'autre auscribe-artisan. Le moinelui-mme,malgrla rhabilitationchrtiennedutravailmanuel etla transformationdugraphikos ponosengraphiteaskesis lelabeur del'critureenvinttreconsidrcommeuneformed'ascseetun moyend'lvationspirituelle ,neparvintjamaiss'affranchird'un travail de transcriptioneffectu pour en retirer un revenu, comme unmtier, et,dece fait,peuconsidrdanslesystmedesvaleurssociales.Mme les nombreuses figures d'enseignants de rang infrieur qui,contre rmunration,semettaientauservicedecommettantsdelivresetd'ditionsde textes,reprsentaientunecatgoriesituepluttaubasdel'chelledela 38.Incontournablesurcethme,AndreaGiardina, Modi discambioevalorisocialinel mondo bizantino(iv-xn secolo) , in Mercati e mercanti nell'alto medioevo:l'area euroasiatica e l'area mediterranean Spolte,Centra Italiano di Studi sull' Alto Medioevo,1993, pp.523-584. 859 PRATIQUES D'ECRITURE socitbyzantine39.La pleinerhabilitationduscribe-artisanseproduisit en mme temps que son loignement complet et dfinitif de la boutique danslesinstitutionsreligieusesdel'Occidentmdival,avecenpoint d'orgue sonexaltation dansla culturecarolingienne40. Cettepositiondiffrencieduscribe,etdoncdelavaleursocialedu travail d'criture enOrient et enOccident, se manifeste sansambigut dans l'iconographie. Byzance,comme dansl'Antiquit, les reprsentationsdu scribe-artisan sontabsentes deslivreset plus gnralementdela production artistique;demme,lessourceslittrairesneleclbrentpas :c'est au contrairelapersonneducommettant-lecteurquiestexalte.Lesseuls personnagesreprsentsByzanceentraind'crireunlivre(rouleauou codex)sontlesintellectuels,engagscrireleuruvrepropre,etles vanglistesqui,toujourscommeauteurs,mettentparcritl'itinraire terrestreetle_messageduSeigneur.Dansl'iconographieoccidentaledu hautMoyen Age,enrevanche,l'imagedulecteurdisparat,puisque celui qui lit estlemmeque celui qui crit,ou, plusexactement,qui lit(ou relit) encrivant,libredelaservitudelielarecherched'ungain.Ainsile scribe,enpratiquele moine-scribeouleclerc-scribe,est-ilmisenvaleur parunevasteiconographieetpardenombreuxpomeslaudateurs.Par ailleurs,dansunesocit largementanalphabte oudoteseulement d'une craft literacy d'une alphabtisationutilitaire comme celle dupremier Moyengeoccidental,lefaitd'criredeslivresconfraitquientait capable unstatut lev cariltait le seul diffuser,grcel'uvre deses mains,les saintesEcritures. Les vanglistesn'avaient-ils pas teuxaussi desscribes,consignantparcritlaparoleduSeigneuretlaconfiantau livrepourlafaireconnatre...Ensomme,enOrient,parcequ'iltait considrcommeunepratiquemanuelle,l'acted'crire devaittrelefait dulettretde evangelistepourtrefigur,alorsqu'enOccidentiltait considrcomme digneparlui-mmed'trereprsentparce qu'il taitde pleindroitunepratiqueintellectuelle.En consquence,la figureduscribe est rendue Byzance grce l'iconographie de l'intellectuel oude evangeliste;enOccident, au contraire, la figure de l'intellectuel ou de evangeliste suppose l'iconographieduscribe. AByzance, l'alphabtisation et la pratique,mmeparmi leslacs,dela culture crite ne s'interrompit jamais, retrouvant unegrande vigueur partir desvme-ixesicles.Enoutre,uneclasse dirigeantelaqueet ecclsiastique continuase consacrer la lecturerhtorique,faisantdeces pratiquesune prrogativedeclasse(bibliothquesprives,cerclesdelecture).EnOccident,enrevanche,lecontactaveclespeuplesbarbaresetlanaissance denouveauxroyaumesavaitimposl'laborationdeprincipesculturels 39. RobertBrowning,L'insegnante ,inG.Cavallo(d.),L'uomobizantino,Rome- Bari,Laterza,1992,pp.131-164, icipp. 47-155. 40. Sur la hautedignit du scribe l'poque carolingienne, cf.Armando Petrucci, Alfabe- tismoeeducazione graficadegli scribialtomedievali (sec. vn-x),in P.Ganz (d.), The Role oftheBookinMedievalCulture.Proceedingsof theOxfordInternationalSymposium,I, Turnhout,Brepols,1986,pp.109-131,icipp.126-128. 860 G.CAVALLO BYZANCEET OCCIDENT diffrentsquinepouvaientqueprivilgierdesformesmieuxadaptes une situation danslaquelle, enraison de la disparition des anciennesclasses dirigeanteset de leur culture crite, cette dernire restait dsormais circonscriteauxseulesinstitutionsreligieusesquiexeraientainsiunesortede fonctionderemplacement.Etdanslesinstitutionsreligieuses,lalecture silencieuseouvoixbasse nepouvait qu'treadopte,parce qu'elle tait requiseparlesrglesetlescomportements,parla naturedestextesetle caractrecommunautairequeprenaientcritureetlecture.Souscetangle, l'cartentrel'Occidentetl'Orientexigeuneexplication.Cenesontpas tantlaprsenceoul'absencedelavoixnilagammedestonalitsqui dterminentla diffrence;elles'tablit pluttentreunevoixqui organise la lecture,enfixelesrglesetdonnelasignificationautexte,etunevoix qui,mmelorsqu'ellenes'teintpas,resteunesimplesonoritprive d'expression,alorsquecesontlesdispositifstechniquesdel'critqui commandent et permettentd'en retrouver lesens. Enfin,leslieuxos'oprentl'critureetlalecture,quisontgards sparsenOrient,convergentenOccidentdansl'existenceduscriptorium proche de la bibliothque, symbole d'un acte d'criture qui devait concider, dansles intentionssice n'est toujoursdansles ralisations,avec l'acte de lecture.LesinstitutionsreligieusesduhautMoyengelatins'taient appropricettesynchroniestratgique,annoncedansl'Antiquittardive par saint Jrme et Cassiodore41. L'poque carolingienne imposa en dernier sa marquesurcettercuprationdel'critureentantque pratique intellectuellecomparable la lecture,et comme celle-ci tourne versl'illumination desesprits: Pour lesdoigts,crireestunejoie,leregardresplenditet l'espritdmle lesensmystiquedes parolesdivines42... GuglielmoCavallo UniversitadiRoma La Sapienza Traduit parMaria-No vella Borghetti 41. SaintJrme,Epistolae,125.11(IsidorusHilberg(d.),SanctiEusebiiHieronymi Epistolae,III,Vienne-Leipzig,F.Tempsky/G.Freitag,1918,p.131) ;Cassiodore,Institu- tiones,1.30.1(RogerA.B.Mynors(d.),CassiodoriSenatorisInstitutiones,Oxford,The ClarendonPress,1937,p.75). 42. Raban Maur,Carmina,21.5-7(ErnstDuemmler(d.),Poetae LatiniAeviCarolini, II,Berlin,Weidmann,1884,p.186). 861